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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Mais la plus sûre garantie du succès de son entreprise, c'est en lui-même que Gustave-Adolphe la trouvait. La prudence lui commandait de s'assurer tous les secours extérieurs et de mettre par là son dessein à l'abri du reproche de témérité; mais c'était seulement dans son propre sein qu'il puisait sa confiance et son courage. Gustave-Adolphe était incontestablement le premier général de son siècle et le plus brave soldat de son armée, qu'il s'était créée lui-même. Familiarisé avec la tactique des Grecs et des Romains, il avait inventé un art militaire supérieur, qui a servi de modèle aux plus grands généraux des temps qui suivirent. Il réduisit les grands escadrons, incommodes par leur masse, pour rendre plus faciles et plus prompts les mouvements de la cavalerie; dans la même vue, il laissa de plus grandes distances entre les bataillons. Une armée en bataille ne formait d'ordinaire qu'une seule ligne: il rangea la sienne sur deux lignes, de sorte que la deuxième pût marcher en avant si la première venait à plier. Il savait suppléer au manque de cavalerie en distribuant des fantassins entre les cavaliers, ce qui décida très-souvent la victoire. C'est lui qui le premier apprit à l'Europe l'importance de l'infanterie dans les batailles. Toute l'Allemagne admira la discipline par laquelle, dans les premiers temps, les armées suédoises se distinguèrent si glorieusement sur le sol germanique: tous les désordres étaient sévèrement punis, principalement le blasphème, le vol, le jeu et le duel. La tempérance était commandée par les lois militaires de la Suède, et l'on ne voyait dans le camp suédois, sans excepter la tente royale, ni or ni argent. L'œil du général veillait avec autant de soin sur les mœurs des soldats que sur leur bravoure guerrière. Chaque régiment devait se former en cercle autour de son aumônier pour la prière du matin et du soir, et accomplir sous la voûte du ciel ses devoirs religieux. En tout cela, le législateur servait lui-même de modèle. Une piété vive, sincère, rehaussait le courage qui animait son grand cœur. Également éloigné de l'incrédulité grossière, qui enlève aux passions fougueuses du barbare un frein nécessaire, et de la bigoterie rampante d'un Ferdinand, qui s'abaissait devant Dieu comme un ver de terre et qui foulait l'humanité sous ses pieds orgueilleux, Gustave, même dans l'ivresse du bonheur, était toujours homme et chrétien, mais toujours aussi, dans sa piété, héros et roi. Il supportait comme le dernier de ses soldats toutes les incommodités de la guerre. Au milieu des plus noires ténèbres de la bataille, son esprit conservait toute sa lumière; partout présent par son regard, il oubliait la mort qui l'environnait; on le voyait toujours sur le chemin du péril le plus redoutable. Sa bravoure naturelle ne lui fit que trop souvent oublier ce qu'il devait au général, et cette vie royale se termina par la mort d'un simple soldat. Mais le lâche, comme le brave, suivait un tel guide à la victoire, et à son œil d'aigle, qui embrassait tout, n'échappait nulle action héroïque, inspirée par son exemple. La gloire du souverain alluma dans toute la nation un sentiment d'elle-même plein d'enthousiasme. Fier d'un tel roi, le paysan de Finlande et de Gothie sacrifiait avec joie sa pauvreté; avec joie le soldat versait son sang, et ce noble essor que le génie d'un seul homme avait donné au peuple entier survécut longtemps à son auteur.

Autant l'on était d'accord sur la nécessité de la guerre, autant l'on était incertain sur le plan qu'il fallait suivre. Oxenstiern lui-même, le courageux chancelier, trouvait une guerre offensive trop hasardeuse, et les forces de son roi, pauvre et consciencieux, trop inférieures aux immenses ressources d'un despote qui disposait de l'Allemagne entière comme de sa propriété. Le génie du héros, qui voyait plus loin, réfuta ces doutes timides du ministre.

«Si nous attendons l'ennemi en Suède, disait Gustave, tout est perdu pour nous si nous perdons une seule bataille. Tout est gagné, au contraire, si nous débutons heureusement en Allemagne. La mer est vaste, et nous avons à garder en Suède des côtes étendues: que la flotte ennemie nous échappe et que la nôtre soit battue, nous ne pouvons plus empêcher une descente de l'ennemi. Nous devons tout faire pour conserver Stralsund: aussi longtemps que ce port nous est ouvert, nous nous ferons respecter sur la Baltique, et nos communications seront libres avec l'Allemagne. Mais, pour protéger Stralsund, il ne faut pas nous cacher en Suède; il faut passer avec une armée en Poméranie. Ne me parlez donc plus d'une guerre défensive, qui nous ferait perdre nos plus précieux avantages. Il ne faut pas que la Suède voie un seul drapeau ennemi. Si nous sommes vaincus en Allemagne, il sera toujours temps de suivre votre plan.»

Il fut donc résolu qu'on passerait en Allemagne et qu'on attaquerait l'empereur. Les préparatifs furent poussés avec la plus grande vigueur, et les mesures que prit Gustave ne témoignèrent pas moins de prévoyance que sa résolution ne montrait de courage et de grandeur. Il fallait, avant tout, dans une guerre si lointaine, mettre la Suède en sûreté contre les dispositions équivoques de ses voisins. Dans une entrevue personnelle avec le roi de Danemark, à Markarœd, Gustave s'assura l'amitié de ce prince. Il couvrit ses frontières du côté de la Moscovie. On pouvait, de l'Allemagne, tenir en respect la Pologne, s'il lui prenait envie de violer la trêve. Un négociateur suédois, Falkenberg, qui parcourait la Hollande et les cours d'Allemagne, donnait à son maître, au nom de plusieurs princes protestants, les plus flatteuses espérances, quoique pas un n'eût encore assez de courage et de désintéressement pour conclure avec lui un traité formel. Les villes de Lubeck et de Hambourg se montraient disposées à lui avancer de l'argent et à recevoir en payement le cuivre de Suède. Il envoya au prince de Transylvanie des personnes affidées, pour exciter cet ennemi irréconciliable de l'Autriche à prendre les armes contre l'empereur.

Cependant, on enrôlait pour la Suède en Allemagne et dans les Pays-Bas, on complétait les régiments, on en formait de nouveaux; on rassemblait des vaisseaux, on équipait soigneusement la flotte; on amassait autant de vivres, de munitions de guerre et d'argent qu'il était possible. En peu de temps, on eut trente vaisseaux de guerre prêts à mettre à la voile; une armée de quinze mille hommes était sous les drapeaux, et deux cents bâtiments de transport disposés pour les embarquer. Gustave ne voulait pas emmener en Allemagne de plus grandes forces, dont l'entretien aurait d'ailleurs alors excédé les ressources de son royaume. Mais, si l'armée était peu nombreuse, le choix des troupes était excellent, pour la discipline, le courage et l'expérience; elle pouvait servir de noyau solide à une force militaire plus considérable, quand Gustave aurait atteint le sol de l'Allemagne et que la fortune aurait favorisé ses premiers débuts. Oxenstiern, à la fois général et chancelier, se tenait en Prusse avec dix mille hommes, pour défendre cette province contre la Pologne. Quelques troupes régulières et une nombreuse milice, qui servait de pépinière à l'armée principale, demeurèrent en Suède, afin que le royaume ne fût pas sans défense contre un voisin parjure qui essayerait de le surprendre.

Ainsi toutes les mesures se trouvèrent prises pour la sûreté du royaume. Gustave-Adolphe ne fut pas moins attentif à régler l'administration intérieure. La régence fut remise au sénat; le comte palatin Jean-Casimir, beau-frère du roi, fut chargé des finances. La reine, quoique tendrement aimée de son époux, fut éloignée de toutes les affaires du gouvernement: ses moyens bornés n'étaient point au niveau d'une telle tâche. Gustave ordonna sa maison comme un mourant. Le 20 mai 1630, toutes les mesures étant prises et tout disposé pour le départ, le roi parut à Stockholm dans l'assemblée des états, pour leur faire un adieu solennel. Il prit dans ses bras sa fille Christine, âgée de quatre ans, qui avait été, dès le berceau, déclarée son héritière, et, l'ayant présentée aux états comme leur future souveraine, il reçut de nouveau, en son nom, leur serment de fidélité, pour le cas où il ne reverrait pas sa patrie; ensuite il fit lire l'ordonnance qui réglait la régence du royaume pendant son absence ou la minorité de sa fille. Toute l'assemblée fondait en larmes, et ce ne fut qu'après quelque temps que le roi lui-même retrouva le calme nécessaire pour adresser aux états son discours d'adieu.

«Ce n'est pas à la légère, leur dit-il, que je me précipite, et vous avec moi, dans cette nouvelle guerre périlleuse. Le Tout-Puissant m'est témoin que je ne combats point pour mon plaisir. L'empereur m'a fait le plus cruel outrage dans la personne de mes ambassadeurs; il a soutenu mes ennemis, il poursuit mes amis et mes frères; il foule aux pieds ma religion, il tend la main vers ma couronne. Opprimés par lui, les membres de l'Empire d'Allemagne implorent instamment nos secours, et, s'il plaît à Dieu, nous les secourrons.

«Je sais à quels dangers ma vie sera exposée: je ne les ai jamais fuis, et j'échapperai difficilement à tous. A la vérité, jusqu'à ce jour, la Toute-Puissance divine m'a protégé merveilleusement; mais enfin le jour viendra où je périrai en défendant ma patrie. Je vous remets à la protection du Ciel. Soyez justes, consciencieux: menez une vie irréprochable, et nous nous retrouverons dans l'éternité.

«Membres de mon sénat, je m'adresse d'abord à vous. Que Dieu vous éclaire et vous remplisse de sagesse, afin que vos conseils tournent constamment au plus grand bien de mon royaume. Vaillante noblesse, je vous recommande à la protection divine. Continuez à vous montrer les dignes descendants de ces Goths héroïques dont la bravoure renversa l'antique Rome dans la poussière. Serviteurs de l'Église, je vous exhorte à la tolérance et à la concorde: soyez vous-mêmes les modèles des vertus que vous prêchez, et n'abusez jamais de votre autorité sur les cœurs de mon peuple. Députés de l'ordre des bourgeois et des paysans, j'implore pour vous la bénédiction du Ciel, pour vos labeurs une moisson réjouissante, des granges pleines, l'abondance de tous les biens de la vie. Pour vous tous, absents et présents, j'adresse au Ciel des vœux sincères. Je vous fais à tous mes tendres adieux; je vous les fais peut-être pour l'éternité.»

 

L'embarquement des troupes se fit à Elfsnaben, où la flotte était à l'ancre. Une foule innombrable de peuple était accourue pour assister à ce spectacle aussi magnifique que touchant. Les cœurs des assistants éprouvaient les sensations les plus diverses, selon qu'ils s'arrêtaient à la grandeur de l'entreprise ou à la grandeur du héros. Parmi les officiers supérieurs qui commandaient dans cette armée, Gustave Horn, le rhingrave Othon-Louis, Henri Matthias, comte de Thurn, Ortenbourg, Baudissen, Banner, Teufel, Tott, Mutsenfahl, Falkenberg, Kniphausen et plusieurs autres, ont illustré leurs noms.

La flotte, retenue par des vents contraires, ne put mettre à la voile qu'au mois de juin, et, le 24, elle atteignit l'île de Rügen, sur la côte de la Poméranie.

Gustave-Adolphe fut le premier qui descendit à terre. A la vue de son escorte, il s'agenouilla sur le sol germanique et rendit grâces au Tout-Puissant pour la conservation de son armée et de sa flotte. Il débarqua ses troupes dans les îles de Wollin et d'Usedom. A son approche, les garnisons impériales abandonnèrent soudain leurs retranchements et prirent la fuite. Il parut devant Stettin avec la rapidité de la foudre, pour s'assurer de cette place importante avant d'être prévenu par les Impériaux. Bogisla XIV, duc de Poméranie, prince faible et déjà vieillissant, était depuis longtemps fatigué des excès que les Impériaux avaient commis dans ses domaines et continuaient d'y commettre; mais, hors d'état de leur résister, il avait cédé, en murmurant tout bas, à des forces supérieures. L'apparition de son libérateur, au lieu d'animer son courage, le remplit de crainte et d'incertitude. Quoique son pays saignât encore des blessures que lui avaient faites les troupes impériales, il n'osait se résoudre à provoquer la vengeance de l'empereur, en se prononçant ouvertement pour les Suédois. Gustave, campé sous le canon de Stettin, somma cette ville de recevoir une garnison suédoise. Bogisla parut lui-même au camp du roi, pour s'excuser de laisser entrer ses troupes. «Je viens à vous comme ami, et non comme ennemi, lui répondit Gustave; ce n'est pas à la Poméranie, ce n'est pas à l'Allemagne que je fais la guerre; c'est à leurs ennemis. Ce duché restera dans mes mains comme un dépôt sacré, et, après la campagne, il vous sera rendu par moi plus sûrement que par tout autre. Voyez dans votre pays les traces des troupes impériales; voyez les traces des miennes à Usedom, et choisissez qui, de l'empereur ou de moi, vous voulez avoir pour ami. Qu'espérez-vous si l'empereur s'empare de votre capitale? Sera-t-elle plus ménagée par lui que par moi? Ou bien voulez-vous mettre des bornes à mes victoires? La chose est pressante: prenez une résolution, et ne me forcez pas d'employer des moyens plus efficaces.»

C'était pour le duc de Poméranie une pénible alternative. D'un côté, le roi de Suède, avec une armée redoutable, aux portes de sa capitale; de l'autre, l'empereur, sa vengeance inévitable, et l'exemple effrayant de tant de princes allemands qui, victimes de cette vengeance, erraient misérables. Le danger le plus pressant fixa son irrésolution. Stettin ouvrit ses portes au roi, des troupes suédoises y entrèrent, et les Impériaux, qui s'avançaient à marche forcée, furent ainsi prévenus. L'occupation de Stettin assura au roi un établissement en Poméranie, la navigation de l'Oder et une place d'armes pour son armée. Le duc Bogisla, voulant prévenir le reproche de trahison, se hâta de s'excuser auprès de l'empereur sur la nécessité; mais, persuadé qu'il serait implacable, il s'unit étroitement avec son nouveau protecteur, pour se faire de l'amitié suédoise un rempart contre la vengeance de l'Autriche. Le roi trouvait dans le duc de Poméranie un important allié, qui couvrait ses derrières et assurait ses communications avec la Suède.

Comme Ferdinand l'avait attaqué en Prusse le premier, Gustave-Adolphe se crut dispensé envers lui des formalités accoutumées, et il commença les hostilités sans déclaration de guerre. Il justifia sa conduite auprès des cours européennes par un manifeste particulier, où il exposait tous les motifs, déjà indiqués, qui le déterminaient à prendre les armes. Cependant, il poursuivait ses progrès en Poméranie et voyait son armée s'accroître chaque jour. Des officiers et des soldats qui avaient servi sous Mansfeld, Christian de Brunswick, le roi de Danemark et Wallenstein, venaient par bandes s'enrôler sous ses drapeaux victorieux.

La cour impériale fut bien loin d'accorder d'abord à l'invasion du roi de Suède l'attention dont elle parut digne bientôt après. L'orgueil autrichien, porté au comble par les succès inouïs obtenus jusque-là, regardait de haut, avec mépris, un prince qui sortait d'un coin obscur de l'Europe avec une poignée d'hommes, et qui ne devait, à ce qu'on s'imaginait, la réputation militaire qu'il avait acquise jusqu'alors qu'à l'incapacité d'un ennemi encore plus faible que lui. La peinture méprisante que Wallenstein avait faite, non sans dessein, de la puissance suédoise, augmentait la sécurité de l'empereur. Comment pouvait-il estimer un ennemi que son général se faisait fort de chasser d'Allemagne à coups de verges? Les rapides progrès de Gustave en Poméranie ne purent même détruire encore complétement ce préjugé, auquel les railleries des courtisans donnaient chaque jour plus de crédit. On le nommait à Vienne «la Majesté de neige», que le froid du Nord maintenait pour le moment, mais qui fondrait à vue d'œil en avançant vers le Midi. Les électeurs même, alors rassemblés à Ratisbonne, ne daignèrent pas s'arrêter à ses représentations, et, par une aveugle complaisance pour Ferdinand, lui refusèrent jusqu'au titre de roi. Tandis qu'on se raillait de Gustave-Adolphe à Vienne et à Ratisbonne, il prenait possession successivement des places fortes du Mecklembourg et de la Poméranie.

Malgré ces dédains, l'empereur s'était montré disposé à régler par des négociations ses démêlés avec la Suède, et, à cet effet, il avait même envoyé des fondés de pouvoir à Dantzig. Mais on vit clairement par leurs instructions combien sa démarche était peu sérieuse, puisqu'il refusait toujours à Gustave le titre de roi. Il voulait seulement éviter, ce semble, de prendre sur lui l'odieux de l'agression, et le rejeter sur son ennemi, afin de pouvoir d'autant plus compter sur le secours des membres de l'Empire. Aussi, comme il fallait s'y attendre, ce congrès de Dantzig se sépara sans avoir rien produit, et l'animosité fut portée de part et d'autre au dernier degré par les lettres violentes qu'on échangea.

Cependant, un général de l'empereur, Torquato Conti, qui commandait l'armée en Poméranie, avait fait d'inutiles efforts pour reprendre Stettin aux Suédois. Les Impériaux furent chassés successivement de toutes les places: Damm, Stargard, Camin, Wolgast tombèrent rapidement au pouvoir de Gustave. Dans sa retraite, Torquato Conti, pour se venger de Bogisla, fit exercer par son armée les violences les plus criantes contre les habitants de la Poméranie, que son avarice avait depuis longtemps maltraités de la façon la plus cruelle. Sous prétexte d'affamer les Suédois, tout fut pillé et ravagé; et souvent, quand les Impériaux ne pouvaient plus se maintenir dans une place, ils la réduisaient en cendres, pour n'en laisser que les ruines à l'ennemi. Mais ces barbaries ne servaient qu'à faire paraître dans un plus beau jour la conduite opposée des Suédois, et à gagner tous les cœurs au monarque ami de l'humanité. Le soldat suédois payait tout ce qu'il consommait; sur son passage, la propriété d'autrui était respectée: aussi les villes et les campagnes recevaient l'armée suédoise à bras ouverts, tandis que le peuple des campagnes de Poméranie égorgeait sans pitié tous les soldats impériaux qui tombaient dans ses mains. Beaucoup de Poméraniens entrèrent au service de la Suède, et les états de ce pays si fort épuisé accordèrent avec joie à Gustave une contribution de cent mille florins.

Torquato Conti, avec toute sa dureté de caractère, était un excellent général. Ne pouvant chasser de Stettin le roi de Suède, il tâcha de lui rendre au moins cette position inutile. Il se retrancha à Garz, sur l'Oder, au-dessus de Stettin, pour commander le fleuve et couper à cette ville ses communications par eau avec le reste de l'Allemagne. Rien ne put l'amener à un engagement avec Gustave-Adolphe, dont les forces étaient supérieures et qui cependant ne réussit pas à emporter les solides retranchements des Impériaux. Torquato, trop dépourvu de troupes et d'argent pour prendre l'offensive, espérait, avec ce plan de conduite, donner au comte Tilly le temps d'accourir pour la défense de la Poméranie, et se joindre à lui pour attaquer le roi de Suède. Un jour, il profita même de l'absence de Gustave pour faire à l'improviste une tentative sur Stettin; mais les Suédois étaient sur leurs gardes: la vive attaque des Impériaux fut victorieusement repoussée, et Torquato s'éloigna avec une grande perte. On ne peut nier que Gustave ne fût redevable de ces heureux commencements à son bonheur autant qu'à son expérience militaire. Depuis la destitution de Wallenstein, les troupes impériales, en Poméranie, étaient réduites à l'état le plus déplorable. Elles expiaient cruellement leurs propres excès: un pays affamé, désolé, ne pouvait plus les nourrir. Toute discipline avait disparu; nul respect pour les ordres des officiers, l'armée se fondait à vue d'œil par de fréquentes désertions, et par la mortalité que produisait dans tous ces rangs le froid rigoureux d'un climat nouveau pour elle. Dans ces circonstances, Torquato Conti n'aspirait qu'au repos, afin de rétablir ses troupes dans les quartiers d'hiver; mais il avait affaire à un ennemi pour qui il n'y avait point d'hiver sous le ciel d'Allemagne. Gustave avait eu d'ailleurs la précaution de munir ses soldats de peaux de mouton, afin de pouvoir tenir la campagne même au plus fort de l'hiver. Aussi les fondés de pouvoir de l'empereur qui vinrent lui proposer un armistice reçurent cette réponse désolante: «Les Suédois sont soldats en hiver comme en été et ne se soucient point d'épuiser plus longtemps le pauvre cultivateur. Les Impériaux feront ce qu'il leur plaira; mais, pour eux, ils ne songent nullement à rester dans l'inaction.» Torquato Conti se démit bientôt après d'un commandement où il n'y avait plus beaucoup de gloire et plus du tout d'argent à gagner.

Une pareille inégalité devait nécessairement donner l'avantage aux Suédois. Les Impériaux furent inquiétés sans relâche dans leurs quartiers d'hiver. Greifenhagen, place importante sur l'Oder, fut prise d'assaut, et les ennemis finirent par abandonner aussi les villes de Garz et de Pyritz. Ils ne tenaient plus, dans toute la Poméranie, que Greifswalde, Demmin et Colberg, et le roi fit sans retard les plus vigoureuses dispositions pour en former le siége. L'ennemi fugitif se dirigea vers la marche de Brandebourg, non sans essuyer de grandes pertes en hommes, en bagages, en artillerie, qui tombèrent dans les mains des Suédois, attachés à sa poursuite.

En occupant les passages de Ribnitz et de Damgarten, Gustave s'était ouvert l'entrée du duché de Mecklembourg; déjà, il avait invité les habitants, par un manifeste, à retourner sous la domination de leurs souverains légitimes et à chasser tout ce qui tenait à Wallenstein. Mais les Impériaux se rendirent maîtres par artifice de la ville importante de Rostock, et le roi, qui ne voulait pas diviser ses forces, dut renoncer à pousser plus avant. Les ducs de Mecklembourg, chassés de leurs États, avaient en vain fait intercéder auprès de l'empereur les princes assemblés à Ratisbonne; en vain, pour fléchir l'empereur par leur soumission, ils avaient rejeté l'alliance de la Suède et tout recours à la force. Réduits au désespoir par le refus opiniâtre de Ferdinand, ils prirent alors ouvertement le parti du roi, levèrent des troupes et en donnèrent le commandement au duc François-Charles de Saxe-Lauenbourg. Celui-ci réussit à s'emparer de quelques places fortes sur l'Elbe; mais elles lui furent bientôt enlevées par le général de l'empereur, Pappenheim, envoyé contre lui. Peu après, assiégé par ce dernier dans Ratzebourg, il se vit contraint, après une vaine tentative d'évasion, à se rendre prisonnier avec tout son monde. Ainsi s'évanouit de nouveau pour ces malheureux princes l'espérance de rentrer dans leurs États: il était réservé à Gustave-Adolphe de leur rendre cette justice éclatante.

 

Les bandes fugitives de l'empereur s'étaient jetées dans la marche de Brandebourg, et elles en faisaient le théâtre de leurs brigandages. Non contents d'exiger les contributions les plus arbitraires, d'écraser le bourgeois par les logements militaires, ces monstres fouillaient encore l'intérieur des maisons, forçaient et brisaient tout ce qui était fermé, pillaient toutes les provisions, maltraitaient de la manière la plus affreuse quiconque essayait de résister, déshonoraient les femmes jusque dans les lieux saints; et tout cela se passait, non point en pays ennemi, mais dans les États d'un prince de qui l'empereur n'avait pas à se plaindre et qu'il osait presser, malgré toutes ces horreurs, de prendre les armes contre le roi de Suède. Le spectacle de ces épouvantables désordres, que le manque d'argent et d'autorité les obligeait de souffrir, indignait les généraux même de l'empereur, et leur chef, le comte de Schaumbourg, rougissant de tant d'excès, voulut déposer le commandement. L'électeur de Brandebourg, trop pauvre en soldats pour défendre son pays, et laissé sans secours par l'empereur, qui ne daignait pas répondre aux représentations les plus pathétiques, ordonna enfin à ses sujets, par un édit, de repousser la force par la force et de tuer sans miséricorde tout soldat impérial qui serait surpris à piller. L'horreur des vexations et la détresse du gouvernement étaient montées à un tel point qu'il ne restait plus au souverain que la ressource désespérée d'enjoindre par la loi la vengeance personnelle.

Les Impériaux avaient attiré les Suédois dans la marche de Brandebourg, et le refus de l'électeur de lui donner passage par la place forte de Cüstrin avait pu seul empêcher Gustave-Adolphe d'assiéger Francfort-sur-l'Oder. Il revint sur ses pas pour achever la conquête de la Poméranie par la prise de Demmin et de Colberg. Cependant le feld-maréchal Tilly s'avançait pour défendre la marche de Brandebourg.

Ce général, qui pouvait se glorifier de n'avoir encore perdu aucune bataille, le vainqueur de Mansfeld, de Christian de Brunswick, du margrave de Bade et du roi de Danemark, allait trouver dans le roi de Suède un adversaire digne de lui. Tilly était d'une famille noble de Liége et s'était formé dans la guerre des Pays-Bas, alors l'école des généraux. Il trouva bientôt, sous l'empereur Rodolphe II, l'occasion de montrer en Hongrie les talents qu'il avait acquis, et il s'y éleva promptement d'un grade à un autre. Après la conclusion de la paix, il entra au service de Maximilien de Bavière, qui le nomma général en chef avec un pouvoir illimité. Il fut, par ses excellents règlements, le créateur de l'armée bavaroise, et c'était à lui surtout que Maximilien devait la supériorité qu'il avait eue jusque-là en campagne. Après la guerre de Bohême, on lui remit le commandement des troupes de la Ligue, et, après la retraite de Wallenstein, celui de toute l'armée impériale. Aussi sévère pour ses troupes, aussi sanguinaire avec l'ennemi, d'un caractère aussi sombre que Wallenstein, il le laissait bien loin derrière lui pour la modestie et le désintéressement. Un zèle aveugle pour sa religion, une soif barbare de persécution se joignaient à un caractère naturellement farouche, pour faire de lui l'effroi des protestants. A son humeur répondait un extérieur bizarre et terrible. Petit, maigre, les joues creuses, il avait le nez long, le front large et ridé, une forte moustache, le bas du visage en pointe. Il se montrait d'ordinaire en pourpoint espagnol de satin vert clair, à manches tailladées, et coiffé d'un petit chapeau à haut retroussis, orné d'une plume d'autruche rouge, qui descendait en flottant jusque sur son dos. Toute sa personne rappelait le duc d'Albe, le geôlier des Flamands, et sa conduite était loin d'effacer cette impression. Tel était le général qui se présentait en ce moment contre le héros du Nord.

Tilly était bien éloigné de mépriser son adversaire. «Le roi de Suède, disait-il hautement dans l'assemblée des électeurs, à Ratisbonne, est un ennemi aussi habile que vaillant, endurci à la guerre, et dans la fleur de son âge. Ses mesures sont excellentes; ses ressources ne sont point faibles; les états de son royaume lui ont témoigné un extrême empressement. Son armée, composée de Suédois, d'Allemands, de Livoniens, de Finlandais, d'Écossais et d'Anglais, ne fait qu'une seule nation par son aveugle obéissance. Contre un pareil joueur, ne pas avoir perdu, c'est avoir déjà beaucoup gagné.»

Les progrès du roi de Suède dans le Brandebourg et la Poméranie ne laissaient pas au nouveau généralissime un moment à perdre, et les généraux qui commandaient sur les lieux réclamaient instamment sa présence. Tilly appela donc auprès de lui, avec toute la célérité possible, les troupes impériales dispersées dans toute l'Allemagne; mais il lui fallut beaucoup de temps pour tirer des provinces désolées et appauvries les provisions de guerre dont il avait besoin. Enfin, au milieu de l'hiver, il parut à la tête de vingt mille hommes devant Francfort-sur-l'Oder, où il fit sa jonction avec le reste des troupes de Schaumbourg. Il remit à ce général la défense de Francfort, avec une garnison suffisante. Il voulait lui-même courir en Poméranie, pour sauver Demmin et débloquer Colberg, déjà réduit à la dernière extrémité par les Suédois; mais, avant qu'il eût quitté le Brandebourg, Demmin, très-mal défendu par le duc Savelli, s'était rendu au roi, et Colberg capitula aussi, par famine, après cinq mois de siége. Les passages de la Poméranie antérieure étant fortement occupés, et le camp du roi près de Schwedt défiant toutes les attaques, Tilly renonça à son premier plan offensif et se retira sur l'Elbe pour assiéger Magdebourg.

La prise de Demmin laissait Gustave libre de pénétrer sans obstacle dans le Mecklembourg; mais une entreprise plus importante attira ses armes d'un autre côté. Tilly avait à peine commencé sa retraite que le roi leva brusquement son camp de Schwedt, et marcha contre Francfort-sur-l'Oder avec toutes ses forces. Cette ville était mal fortifiée, mais défendue par une garnison de huit mille hommes, dont la plupart étaient le reste de ces bandes furieuses qui avaient ravagé la Poméranie et le Brandebourg. L'attaque fut vive, et, dès le troisième jour, la ville fut emportée d'assaut. Les Suédois, assurés de la victoire, rejetèrent toute capitulation, quoique l'ennemi eût battu deux fois la chamade: ils voulaient exercer le terrible droit de représailles. Dès son arrivée dans le pays, Tilly avait enlevé à Neubrandebourg une garnison suédoise demeurée en arrière, et, irrité de sa vive résistance, il l'avait fait massacrer jusqu'au dernier homme. Les Suédois, quand ils prirent d'assaut Francfort, se souvinrent de cette barbarie. «Quartier comme à Neubrandebourg!» répondait-on à chaque soldat de l'empereur qui demandait la vie, et on l'égorgeait sans pitié. Quelques milliers furent tués ou pris; un grand nombre se noyèrent dans l'Oder; le reste s'enfuit en Silésie; toute l'artillerie tomba au pouvoir des Suédois. Pour satisfaire à la fureur du soldat, il fallut que Gustave permît trois heures de pillage.

Tandis que ce roi courait d'une victoire à une autre, que le succès de ses armes relevait le courage des princes protestants et rendait plus vive leur résistance, l'empereur, toujours inflexible, continuait de pousser à bout leur impatience par ses prétentions exagérées envers eux et en faisant exécuter à la rigueur l'édit de restitution. La nécessité le poussait maintenant dans les voies violentes, où il était d'abord entré par orgueil; pour sortir des embarras où sa conduite arbitraire l'avait précipité, il ne voyait plus d'autre ressource que l'arbitraire. Mais, dans un système d'États aussi artificiellement organisé que l'est aujourd'hui et que le fut toujours le corps germanique, la main du despotisme devait produire des perturbations infinies. Les princes voyaient avec stupeur la constitution de l'Empire renversée insensiblement et l'état de nature, auquel on revenait, les conduisit à la défense personnelle, le seul moyen de salut qui reste dans cet état. Les attaques ouvertes de l'empereur contre l'Église évangélique avaient enfin arraché des yeux de Jean-Georges le voile qui lui avait caché si longtemps l'astucieuse politique de ce prince. Ferdinand l'avait personnellement offensé, en excluant son fils de l'archevêché de Magdebourg, et le feld-maréchal d'Arnheim, son nouveau favori et son ministre, ne négligea rien pour enflammer son ressentiment. Auparavant général de l'empereur sous les ordres de Wallenstein, et toujours ami ardemment dévoué de ce dernier, il cherchait à venger son ancien bienfaiteur et à se venger lui-même de Ferdinand, et à détacher l'électeur de Saxe des intérêts de l'Autriche. L'apparition des Suédois en Allemagne devait lui en fournir les moyens. Gustave-Adolphe était invincible aussitôt que les membres protestants de l'Empire s'unissaient à lui, et l'empereur ne craignait rien tant que cette union. L'électeur de Saxe, en se déclarant, pouvait, par son exemple, entraîner tous les autres, et le sort de Ferdinand se trouvait, en quelque sorte, dans les mains de Jean-Georges. L'adroit favori, flattant l'ambition de son maître, lui fit sentir son importance, et lui conseilla d'effrayer l'empereur en le menaçant d'une alliance avec la Suède, pour obtenir de lui par la crainte ce qu'on ne pouvait attendre de la reconnaissance. Cependant, il était d'avis que l'électeur ne s'engageât point effectivement avec la Suède, afin de conserver toujours son importance et sa liberté. Il l'enivrait du projet magnifique, pour l'exécution duquel il ne manquait rien qu'une main plus habile, d'attirer à lui tout le parti protestant, de former en Allemagne une troisième puissance, et de jouer le rôle d'arbitre souverain entre la Suède et l'Autriche.