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Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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Cela me fait souvenir (adjoûta Laurence) d'un homme que j'ay veu à la cour d'une grande princesse49, qui s'estoit mis en reputation par la bagatelle melodieuse. Il avoit fait quantité de paroles pour des chansons; de sorte qu'on disoit de luy que c'estoit un homme de belles paroles. Il se vantoit d'avoir des pensées fort delicates, et en effect elles l'estoient tellement que les plus esclairez souvent n'en pouvoient voir la finesse; mais si-tost que son esprit voulut un peu prendre l'essor et faire une galanterie seulement de cinquante vers, elle fut generallement bernée. Voyla qui me surprend (dit Hyppolite), car un poëte de cour a tousjours assez d'approbateurs et de gens qui font valloir son ouvrage. Il falloit que son livre fust bien mauvais, ou que cet autheur eut bien peu d'amis. C'est là où je vous attendois (interrompit Charroselles), puisque je tiens que la plus necessaire qualité à un poëte pour se mettre en reputation, c'est de hanter la cour, ou d'y avoir esté nourry: car un poëte bourgeois ou vivant bourgeoisement y est peu consideré. Je voudrois qu'il eust accès dans toutes les ruelles, reduits et academies illustres; qu'il eust un Mecenas de grande qualité qui le protegeast, et qui fist valloir ses ouvrages, jusques-là qu'on fust obligé d'en dire du bien malgré soy, et pour faire sa cour. Je voudrois qu'il escrivist aux plus grands seigneurs; qu'il fist des vers de commande pour les filles de la reyne, et sur toutes les avantures du cabinet; qu'il en contrefist mesme l'amoureux, et qu'il escrivist encore ses amours sous quelque nom emprunté, ou dans une histoire fabuleuse. Le meilleur seroit qu'il eust assez de credit pour faire les vers d'un balet du roy; car c'est une fortune que les poëtes doivent autant briguer que les peintres font le tableau du May50 qu'on presente à Nostre-Dame.

On ne peut nier (répondit Angelique) que toutes ces inventions, et sur tout les amis et l'authorité d'un grand seigneur, ne servent beaucoup à ces messieurs; car les trois quarts du monde jugent des ouvrages d'autruy sans les connoistre, et sont de l'opinion de celuy qui a dit le premier son advis, comme nous voyons que les moutons se laissent conduire au premier qui marche. Adjoustez (dit Philalethe) qu'il y en a plusieurs qui, à force de parler contre leur sentiment, changent d'opinion, et se persuadent à la fin qu'une chose qu'ils auront condamnée d'abord avec justice, sera bonne parce qu'ils auront esté souvent obligez de parler en sa faveur pour d'autres considérations. Pour moi (dit Pancrace), j'ay veu un mauvais poëte de l'autre cour51 fort estimé parce qu'on faisoit quelquefois sa fortune en loüant ses ouvrages, comme luy-mesme avec de meschans vers avoit fait la sienne. Je l'ay aussi connu (reprit Hyppolite), et je trouve qu'on avoit raison de l'estimer; car, entre tous les poëtes, ceux qui sont en fortune ont tout à fait mon approbation, et dés qu'un homme est assez accommodé pour avoir un carrosse à luy, je ne veux pas qu'on songe seulement à censurer ses ouvrages. La naissance un peu riche sert bien autant à un poëte pour arriver à la gloire que ce génie qu'il faut qu'il obtienne de la nature, et qui a fait dire qu'on peut bien devenir orateur, mais qu'il faut naistre poëte. Et pour moy, je conseillerois à quiconque voudra estre de ce mestier, de vendre tout le reste de son bien pour obtenir ce degré d'honneur. Aussi bien (dit Pancrace) un carosse de poëte ou de musicien ne couste gueres à achetter: témoin celui d'un illustre marquis, dont l'attelage ne cousta que quarante francs, et qui, à la vérité, eut la honte de demeurer embourbé dans un crachat. Et quant à l'entretien, il couste aussi peu, veu que ces messieurs sont accoustumez à vivre aux dépens d'autruy, allant, à la ville et à la campagne, tantost chez l'un et tantost chez l'autre. Hélas! (interrompit Charroselles avec un grand soupir) que ce raisonnement est vain! il y a long-temps que j'entretiens exprès un carosse qui sent assez l'autheur, comme vous sçavez, et cependant je n'en ay pas eu plus de creance chez ces damnez de libraires, qui ne veulent point imprimer mes ouvrages.

J'ay un bon avis à vous donner (dit Laurence): vous n'avez qu'à en donner des pieces separées aux faiseurs de Recueils; ils n'en laissent échapper aucunes. Les belles pièces font valloir les mauvaises, comme la fausse monnoye passe à la faveur de la bonne qu'on y mesle. Je me suis déja advisé de cette invention (répondit Charroselles avec un autre grand hélas!); mais elle ne m'a servi qu'une fois. Car il est vray qu'apres qu'on m'eut rebuté un livre entier, je le hachay en plusieurs petites pièces, episodes et fragments, et ainsi je fis presque imprimer un volume de moy seul, quoy que sous le titre de Recueil de pièces de divers autheurs52. Mais malheureusement le libraire descouvrit la chose, et me fit des reproches de ce qu'il ne le pouvoit débiter. Cela m'estonne (dit alors Philalethe), car les receuils se vendoient bien autrefois53; il est vray qu'ils sont maintenant un peu descriez, et ils ont en cela je ne sçay quoy de commun avec le vin, qui ne vaut plus rien quand il est au dessous de la barre, quoy qu'il fust excellent quand il estoit frais percé. A propos (reprit Hyppolite), ne trouvez-vous pas que ces recueils fournissent une occasion de se faire connoistre bien facilement et à peu de frais? Je vois beaucoup d'autheurs qui n'ont esté connus que par là. Pour moy, j'ay quasi envie d'en faire de mesme; je fourniray assez de madrigaux et de chansons pour faire imprimer mon nom, et le faire afficher s'il est besoin. Il semble (dit Angélique) qu'ils peuvent du moins servir à faire une tentative de réputation: car, si les pièces qu'on y hazarde sont estimées, on en recueille la gloire en seureté; et si elles ne plaisent pas, on en est quitte pour les desadvouer, ou pour dire qu'on vous les a desrobées, et qu'elles n'estoient pas faites à dessein de leur faire voir le jour.

 

J'advoue bien (dit Pancrace) que ceux qui sont déjà en réputation, et dont les ouvrages ont esté louez dans les ruelles et dans les caballes, l'ont bien conservée dans les Recueils. Mais je ne vois pas que ceux-là en ayent beaucoup acquis qui n'estoient point connus auparavant d'ailleurs. De sorte qu'il est arrivé que la pluspart des honnestes gens n'ont pas souffert qu'on y ait mis leur nom, et il n'y a eu que quelques ignorans qui se sont empressez pour cela. Je vis ces jours passez un different (adjousta Philalethe) qui serviroit bien à confirmer ce que vous dites: c'etoit à la boutique d'un des plus fameux faiseurs de Recueils. Un fort honneste homme qui ne vouloit point passer pour autheur déclaré le vînt menacer de lui donner des coups de baston à cause qu'il avoit fait imprimer un petit nombre de vers de galenterie sous son nom, et l'avoit mis au commencement du livre, dans le catalogue des autheurs, qu'il avoit mesme fait afficher au coin des rues. Le pauvre libraire, avec un ton pleureux (aussi pleuroit-il effectivement), lui dit: Hélas! monsieur, les pauvres libraires comme moy sont bien miserables et ont bien de la peine à contenter messieurs les autheurs: il en vient de sortir un autre qui m'a fait la mesme menace, à cause que je n'ay pas mis son nom à ce rondeau; et en disant cela il luy monstra un rondeau qui estoit la plus méchante pièce du livre.

Voyla comme les gousts sont différents (dit Laurence). Il y auroit eu bien du plaisir si ces messieurs eussent tous deux exécuté leur dessein en mesme temps. Pour moy (reprit Charroselles), je ne sçaurois condamner ceux qui taschent d'acquerir de la gloire par ce moyen: car en matiere de poësie (que vous sçavez que j'ay tousjours traittée de bagatelle) je trouve qu'il n'y a point de plus méchant trafic que d'en estre marchant grossier, c'est-à-dire de faire imprimer tout à la fois ses ouvrages, et en donner un juste volume; la methode est bien meilleure de les débiter en détail, et de les faire courir pièce à pièce, de la mesme maniere qu'on debite les moulinets et les poupées pour amuser les petits enfants. Vostre maxime est assez confirmée par l'expérience (dit Angélique), car elle nous a fait voir des autheurs qui, pour de petites pièces, ont acquis autant et plus de gloire que ceux qui nous ont donné de grands ouvrages tout à la fois, et qui estoient en effect d'un plus grand merite. Ne vous estonnez pas de cela (dit Philalethe): l'humeur impatiente de nostre nation est cause qu'elle ne se plaist pas aux grands ouvrages; et une marque de cela, c'est que, si on tient un livre de vers, on lira plustost un sonnet qu'une élégie, et une épigramme qu'un sonnet; et si un livre n'est plein que d'épigrammes, on lira plustost celles de quatre vers que celles de dix ou de douze.

Je suis bien heureuse (dit Hyppolite) qu'on estime en France davantage les petites pièces que les grandes, car, pour des madrigaux, j'en feray tant qu'on voudra, comme j'ay déja dit: on n'a presque qu'à trouver des rimes et quelque petite douceur, et on en est quitte; au lieu qu'il est bien difficile de trouver des pointes pour faire des épigrammes, et des vers pompeux pour faire des sonnets. Ce n'est pas tout (adjousta Charroselles) que de faire de petites pièces; il faut, pour les faire bien courir, que ce soient pièces du temps, c'est-à-dire à la mode, de sorte que ce sont tantost sonnets, rondeaux, portraits, enigmes, metamorphoses, tantost triolets, ballades, chansons, et jusqu'à des bouts rimez. Encore, pour les faire courir plus viste, il faut choisir le sujet, et que ce soit sur la mort d'un petit chien ou d'un perroquet54, ou de quelques grandes aventures arrivées dans le monde galant et poétique.

Quand à moy (reprit Hyppolite), j'ayme sur tout les bouts-rimez, parce que ce sont le plus souvent des in-promptus, ce que j'estime la plus certaine marque de l'esprit d'un homme. Vous n'estes pas seule de vostre advis (dit Angelique); j'ay veu plusieurs femmes tellement infatuées de cette sorte de galanterie d'in-promptu, qu'elles les preferoient aux ouvrages les plus accomplis et aux plus belles meditations. Je ne suis pas de l'advis de ces dames (reprit brusquement Charroselles, dont l'humeur a esté tousjours peu civile et peu complaisante), et je ne trouve point de plus grande marque de reprobation à l'égard du jugement que d'aymer ces sortes de choses: car ceux qui y reussissent le mieux, ce sont les personnes gayes et bouffonnes, et mesme les foux achevez font quelquefois d'heureuses rencontres, au lieu que la vraye estime se doit donner aux ouvrages travaillez avec meure deliberation, où l'art se mesle avec le genie. Ce n'est pas que les gens d'esprit ne puissent faire quelquefois sur le champ quelques gaillardises, mais il faut qu'ils en usent avec grande discretion, car autrement ils se hasardent souvent à dire de grandes sottises, comme font tous ces faiseurs d'in-promptu et gens de reputation subite. Adjoutez à cela (dit Philalethe) qu'on ne debite point de marchandise où il y ayt plus de tromperie, car, comme dans les academies de jeu on pippe souvent avec de faux dez et de fausses cartes, de mesme dans les reduits academiques on pippe souvent l'in-promptu, et il y en a tel qu'on prend pour un nouveau né, qui pourroit passer pour vieux et barbon. Cela est vrai (adjousta Pancrace), car j'ay connu un certain folastre qui a fait assez de bruit dans le monde, qui avoit toûjours des in-promptu de poche, et qui en avoit de preparés sur tant de sujets, qu'il en avoit fait de gros lieux communs. Il menoit avec luy d'ordinaire un homme de son intelligence, avec l'ayde duquel il faisoit tourner la conversation sur divers sujets, et il faisoit tomber les gens en certains defilez où il avoit mis quelque in-promptu en embuscade, où ce galant tiroit son coup et deffaisoit le plus hardy champion d'esprit, non sans grande surprise de l'assemblée. Avec la mesme invention il se faisoit donner publiquement par son camarade des bouts-rimez, sur lesquels, à quelques moments de là, il rapportoit un sonnet qu'il donnoit pour estre fait sur le champ, et qu'il avoit fait chez luy en toute liberté et à loisir. Il est vrai qu'il lui arriva un jour un petit esclandre: c'est qu'une dame, qui avoit descouvert la chose par l'infidelité de son associé, et qui connoissoit d'ailleurs l'humeur du personnage et la portée de son esprit, luy dit lors qu'il luy mit en main un sonnet dont il vouloit faire admirer la promptitude: Vous me le pouviez donner encore en moins de temps, ou vous estes bien long à escrire.

Je suis bien aise d'apprendre (dit Laurence) les faussetez qui s'y commettent, car quand on m'en donnera je voudray avoir de bons certificats de gens de bien et d'honneur pour attester qu'ils ont esté faits en leur presence, et qu'il n'y sera arrivé ny fraude ny mal-engin. Quand à moy (reprit Angelique), je n'ay jamais voulu donner mon approbation à ces sortes de pieces, car ce seroit donner de la reputation à bon marché; je la reserve pour les ouvrages polis et serieux, et particulierement pour le sonnet, qui est (comme dit un de mes bons amis55) le chef-d'œuvre de la poesie et le plus noble de tous les poëmes.

Vous ne seriez pas souvent en estat de la prodiguer (adjousta Charroselles), car il faut un grand effort d'esprit, ou plustost un grand effort de patience, pour y reussir. Encore y a-t'il peu de gens qui fassent profession d'en faire, et de plus, pour un bon qu'ils feront, il y en aura cent de mauvais. J'en ay veu tant de meschans (adjousta Pancrace) que je suis persuadé que la pluspart ne valent rien, et à moins qu'une personne d'esprit m'asseure auparavant de leur bonté, je ne me sçaurois resoudre à les lire. Ce n'est pas d'aujourd'huy (adjousta Philalethe) que je sçay la difficulté qu'il y a d'en faire de bons, et j'ay veu des poëtes fameux qui avoient acquis de la gloire par de grands poëmes, dont la réputation est eschouée aupres d'un sonnet.

A propos de sonnet (dit Javotte, qui jusques-là avoit esté muette), j'en ai sur moi un fort beau, qu'une partie de mon papa a laissé dans son estude en venant solliciter son procés. Pancrace la pria de le lire par complaisance, et pour la faire parler. Je vous prie (répondit-elle) de m'en dispenser: car il est si long, si long, si long, que ce seroit trop vous interrompre. Comment (lui dit Hyppolite)! faut-il tant de temps pour lire quatorze vers? Comment (respondit Javotte)! il y en a plus de quatre cens; et en mesme temps elle tira de sa poche un petit livret relié de papier marbré, contenant un poëme entier: c'estoit la metamorphose des yeux de Philis en astres56. La compagnie ne se put tenir de rire de cette naïfveté, surtout Hyppolite en éclatta; sur quoi Javotte dit en rougissant: Hé quoi! ne sont-ce pas là des vers? du moins mon papa m'a dit que c'en estoit. Ouy sans doute (répondit Pancrace). Hé bien (repliqua Javotte), un sonnet, n'est-ce pas aussi des vers? Qu'y a-t-il donc tant à rire? La risée fut plus forte qu'auparavant; de sorte qu'Angelique, par civilité, rompit la conversation et se leva pour aller faire des excuses à Javotte et pour la tirer de cette confusion; elle l'effaça par des caresses redoublées qu'elle luy fit. Pancrace se mit aussi de la partie pour la consoler, à quoy il s'employa de tout son cœur. Il commençoit déjà à nouer une conversation particuliere avec Javotte, pour laquelle, pendant toute cette visite, il avoit senti une extraordinaire émotion, quand ils furent interrompus par un grand cry que fit Hyppolite, qui dit: Vrayment, voicy un poulet de belle taille! J'ai envie de voir tout à l'heure ce qu'il chante. Elle dit cela à l'occasion d'un certain cahier qu'elle venoit de ramasser, tombé de la poche d'Angélique lorsqu'elle s'étoit brusquement levée. Angelique le lui redemanda civilement, lui reprochant qu'elle vouloit sçavoir ses secrets. On ne les met point en si gros volume (reprit Hyppolite); asseurément c'est quelque ouvrage de galenterie, dont il ne faut pas que vous ayez le plaisir toute seule; à tout le moins j'en veux voir le titre. Et si-tost qu'elle l'eut leu, elle s'escria encore plus haut: Vrayement, vous seriez la plus des-obligeante personne du monde, de vouloir priver une si belle compagnie du divertissement qu'elle aura d'entendre une piece dont le titre promet beaucoup. Au pis-aller, je l'emporteray et je la liray malgré vous. J'y retiens part (répondit alors Charroselles), et je seray bien d'avis qu'on la lise icy tout haut; en récompense je vous lirai une autre composition de ma façon, qui sera deux fois plus longue et qui ne sera peut-estre jamais imprimée.

 

Philalethe, qui connoissoit l'humeur de Charroselles, qui alloit lire dans les compagnies ses ouvrages pour se consoler de ce que les libraires ne les vouloient point imprimer, fremit de peur à cette menace pour toute la compagnie; et, de crainte d'en attirer sur elle l'effet, il se joignit à Angelique pour combattre l'opiniastre Hyppolite, luy disant que cette lecture seroit trop ennuieuse, et qu'on s'entretiendroit plus agreablement de vive voix. Il dit mesme qu'il avoit veu la piece, et qu'elle ne meritoit pas l'attention d'une si belle trouppe. Le mespris qu'il en fit fut cause qu'on le soubçonna aussitost de l'avoir faite et de l'avoir donnée à Angelique, car on connoissoit l'intelligence qu'ils avoient ensemble, et il estoit d'ailleurs trop discret pour mespriser ainsi publiquement les ouvrages d'autruy. Cela fit redoubler la curiosité d'Hyppolite, qui l'emporta sur la resistance d'Angelique; et les allant tirer par le bras les uns apres les autres, elle fit r'asseoir chacun en sa place. Puis adressant la parole à Philalethe, elle luy dit: Pour votre punition de nous avoir voulu priver de cette lecture, il faut que ce soit vous qui la fassiez. Aussi bien, comme je vous en crois l'auteur, cela vous ostera le chagrin que vous auriez à me l'entendre lire mal. Philalethe, recevant le cahier fort civilement, luy dit: Je renonce à la gloire que vous me donnez de la composition; mais j'accepte volontiers celle de vous obéir, et en disant cela, il commença de lire en ces termes:

Historiette de l'Amour esgaré

S'il y eut jamais un enfant incorrigible, ce fut le petit Cupidon. C'estoit, à vray dire, un enfant gasté, à qui sa mere trop indulgente ne refusoit rien. Tous ceux de cour celeste luy en venoient faire des plaintes; Junon disoit qu'elle ne pouvoit gouverner deux jours son mary; Diane, qu'il luy debauchoit toutes ses nymphes. Il n'y avoit que Minerve à qui il n'osoit se jouer, car elle n'entendoit point raillerie. Venus le menaçoit souvent de lui donner le fouet, sans qu'elle en fist rien, et, pour fortifier sa menace, elle avoit fait tremper des branches de mirthe dans du vinaigre, qui faisoient grand peur au petit Amour. Mais si-tost qu'elle se mettoit en devoir de le chastier, il se sauvoit, à la faveur des Graces, qui l'eussent volontiers mis sous leurs propres juppes, si elles n'eussent point esté nues, et qui le desroboient à la colere de sa mere. Un jour neantmoins qu'elle estoit en mauvaise humeur (je ne sçay si ce ne fut point le jour qu'elle apprit la mort d'Adonis), elle le voulut corriger tout de bon; et comme, à cause de sa tristesse, les Graces l'avoient quittée, il ne trouva plus son azile ordinaire. Ainsi ce petit dieu alloit mal passer son temps, s'il n'eust eu recours à la ruse ordinaire des enfants, qui, s'enfuyant de leur mere, se sauvent chez leur grand maman. Il se jetta donc à corps perdu entre les bras de Thetis, qui estoit pres de là, et il ne perdit point de temps à se deshabiller, parce qu'il marche ordinairement tout nud. Ses aisles luy ayant servy de nageoires, il arriva dans son palais de cristal, et, parce qu'il faisoit le pleureux, elle le reconforta (suivant la coustume des bonnes vieilles, qui applaudissent à toutes les sottises de leurs petits-enfans) le flatta et luy donna des pois sucrez. Il s'y trouva mesme si bien qu'il y demeura long-temps; mais, pendant son sejour, ne pouvant se tenir de faire des tours de son métier, il eschauffa si bien d'amour les poissons (qui jusqu'alors estoient froids de leur naturel) qu'ils sont devenus depuis les animaux les plus prolifiques du monde; de sorte que Thetis vit son royaume tellement peuplé, que, si ses sujets ne se mangeoient les uns les autres (comme font les loups et les poëtes), quelques grandes que soient les campagnes de la mer, elles ne pourroient pas les nourrir ny les loger. Il n'y auroit pas eu grand mal s'il n'eust rien fait d'avantage. Passe encore pour enflammer les Syrenes, qui sont les chanteuses de cette cour, veu que les personnes de ce métier sont assez subjettes à caution; mais il s'attaqua mesme aux Nereides, qui sont les princesses et les filles d'honneur de la reyne maritime. Le plus grand scandale fut lorsqu'il s'adressa à la plus prude de toutes (dont par honneur je tairay le nom), car il fit en sorte qu'elle se laissa suborner par l'intendant des coquilles de Neptune57. Or ce n'estoit pas assez pour ces amants d'avoir le dessein de jouir de leurs amours, la difficulté estoit de l'exécuter: car, comme les palais de Thetis et des Nereïdes sont de cristal, et mesme du plus transparent, il ne s'y pouvoit rien faire qui ne fut aperceu d'une infinité de tritons, qui sont les janissaires du dieu marin. Ils furent donc obligez de se donner un rendez-vous aupres de Caribde, où il y a une cascade en forme de gouffre, si dangereuse qu'il n'y passe presque personne. Cependant ils ne purent faire si peu de bruit en faisant leurs petites affaires qu'ils ne fussent entendus de ces chiens que Scille nourit pres de là (car c'est en cet endroit qu'est le chenil de Neptune.) Dés que l'un eust aboyé, tous les autres en firent autant, et par cette belle musique Scille fust bien-tost esveillée, aussi bien qu'un Triton jaloux, endormy à ses costez. Elle voulut en mesme temps sçavoir la cause de ce bruit, croyant que ses chiens aboyoient apres quelques voleurs qui venoient ravir les grands trésors qu'elle a amassez du debris des naufrages qui se font ordinairement sur sa seigneurie. Ces malheureux amans furent ainsi pris sur le fait; la pauvre Nereïde en fut fort honteuse, et devint plus rouge qu'une escrevisse et plus muette qu'une carpe. Or comme les petits officiers portent toujours envie aux grands et taschent de se mettre en credit en les destruisant, ce Triton, qui avoit la dent un peu venimeuse et tenant un peu de celle du brochet, fut ravi de trouver une occasion de mordre sur l'intendant des coquilles. Il alla incontinent trompeter partout cette advanture, jusque-là qu'elle vint aux oreilles de Thetis. La colere dont elle s'enflama à cette nouvelle la fit gronder, escumer et tempester d'une telle sorte, que tous les voyageurs qu'elle avoit à dos eurent cependant beaucoup à souffrir. Elle condamna la pauvre Nereïde à estre enfermée le reste de ses jours dans une prison de glace au fond de la mer Balthique, et le seducteur fut emprisonné dans une coquille de limaçon, où toûjours depuis il se tint caché, et n'osa monstrer ses cornes, sinon quelquefois à la fin d'un orage. Et quand au petit autheur du scandale, Thetis voulut le chastier sur le champ. Elle fit cueillir une poignée de branches de coral pour luy en donner le foüet vertement: car le coral, quand il est dans la mer, est une herbe mole et souple comme de l'ozier, et ne durcit ny ne rougit qu'apres estre tiré de l'eau; ainsi le tesmoigne Pline, qui peut estre est un faux tesmoin.

Voyla donc Cupidon en un aussi grand danger que celui qu'il avoit couru auparavant. Il voyoit déja plusieurs cancres, qui sont les sattelites de ce païs là, qui estoient prests à le happer, lors qu'il leur eschappa des mains comme une anguille, car il est agile et dispos (sur tout lors qu'il est question de s'enfuir), et il se sauva en terre ferme, hors du pouvoir de sa rigoureuse grand maman. Il estoit encore en pays de connoissance s'il eust voulu y paroître, car c'estoit chez Cibele, mère des dieux, sa bizayeule; mais comme elle estoit vieille, ridée, fort bossue, et coeffée de villes et de chasteaux, il en auroit eu peur en la voyant, outre que la crainte du chastiment qu'il venoit d'eschaper (qui est le dernier suplice pour les enfants) luy rendoit toute sa parenté suspecte. Il se voulut donc tenir caché, et il ne le put mieux faire qu'en se retirant dans de petites cabanes de bergers qu'il trouva aux environs. Ils luy firent un fort bon accueil, et, par charité, ils luy donnerent un habit dont ils croyoient qu'il avoit besoin, le voyant tout nud, car ils ne connoissoient pas la chaleur interieure qu'il avoit. Je ne sçay si la crainte du foüet l'avoit rendu sage, ou s'il eut pitié de l'ignorance de ses hostes; tant y a qu'il vescut avec une grande retenue tant qu'il fut chez eux, et il ne leur fit ny malice ny supercherie. Tant s'en faut: pour recompenser le charitable traittement qu'il en avoit receu, il leur aprit à faire l'amour, car vous apprendrez, si vous ne le sçavez, que l'amour estoit jusqu'alors inconnu parmy les hommes; tous les accouplemens s'y estoient faits à la manière des bestes, par un instinc de la nature, et pour servir seulement à la generation. Cette belle passion, qui s'insinue dans les cœurs, qui leur donne de si grandes joyes, et qui sert à unir les ames plutost que les corps, étoit encore ignorée sur la terre. C'estoit un friand morceau que les Dieux s'estoient reservé, et qui faisoit un des grands poincts de leur felicité. Aussi tout le monde est d'accord que les bergers ont esté les premiers qui ont gousté de ses douceurs; il ne se faut pas estonner s'ils l'ont traitté d'une maniere si delicate, puisque leur premier maistre d'escole a esté le dieu mesme qui fait aymer. Comme toutes les choses, dans leur naissance, sont meilleures et moins corrompues, ces premieres amours eurent toute la vertu et la pureté imaginable. Ce dieu mesnagea si bien les coups de ses flesches, qu'il fit naistre des flammes mutuelles dans les cœurs de chaque berger et de chaque bergère; le soin de plaire estoit le seul qui les occupoit; l'affection estoit reciproque et la fidelité inviolable. Ils n'avoient point à essuyer de rigueurs ni de cruautez, parce qu'ils n'avoient point d'injustes desirs; il ne leur restoit dans l'ame aucun repentir ni remords, parce que le vice n'y avoit aucune part. Enfin c'estoit le siecle d'or de l'amour; on en goustoit tous les plaisirs, et on ne ressentoit aucune de ses amertumes. Mais enfin, apres avoir passé quelque temps avec eux, il se lassa de vivre dans la solitude. Il eut la curiosité de voir ce qui se passoit sur la terre, qu'il n'avoit pas veue encore, à cause de sa jeunesse. Il luy prit donc envie d'aller à une ville prochaine, et, parce qu'elle estoit belle et grande, il y demeura quelque temps pour la mieux connoistre. La premiere chose qu'il y fit, ce fut d'y chercher condition; et ne vous estonnez pas que sa divinité ne luy fist pas dedaigner de servir, car la servitude est son élement. Le hazard le fit engager d'abord avec une femme bien faite, mais dont la physionomie estoit fort innocente. Elle avoit les cheveux blonds et le teint blanc, mais un peu fade; les yeux bleus, mais un peu esgarez; la taille haute, mais peu aisée, et la contenance peu ferme; à cela près, elle estoit fort belle et fort agréable. Elle se nommoit Landore, et avoit une indifférence generale pour tout le monde; elle tesmoignoit un certain mespris qui ne venoit pas d'orgueil, mais d'une froideur de temperament qui desesperoit les gens. En un mot, elle avoit une si grande nonchalance dans toutes ses actions, qu'il paroissoit qu'elle ne prenoit rien à cœur. Cupidon ne fut pas longtemps chez elle sans y vouloir faire la mesme chose qu'il avoit faite chez les bergers: car, comme il craignoit de se gaster la main faute de s'exercer à tirer ses fléches, qui est la seule chose qui le fait valoir, il en décocha quelques-unes d'un petit arc de poche qu'il avoit; mais c'estoit d'abord plustost en badinant que de dessein formé, comme on voit des enfans se jouer avec des sarbatanes. Un jour, il vid réjaillair à ses pieds une des flesches qu'il avoit tirées contre Landore, et, en la ramassant, il reconnut que le fer en estoit rebouché. Il n'y a rien qui choque plus ce petit mutin que la resistance; cela fit qu'il s'opiniastra à vouloir blesser tout de bon cette insensible. Il prit les flesches les mieux acerées qu'il put trouver, et, pendant qu'elle estoit en compagnie de quantité d'honnestes gens, il luy en tira plusieurs droit au cœur. Mais, par un grand prodige, elles faisoient le mesme effet contre ce cœur de diamant que des balles qui font des bricoles contre le mur d'un tripot, et elles alloient blesser ceux qui se trouvoient aux environs. Chacun de ces blessez fit tous les efforts imaginables pour communiquer son mal à celle qui en estoit cause, et il n'y en avoit pas un qui ne deust concevoir de belles esperances, puisqu'il avoit un secours secret de ce petit dieu qui fait aymer. Cependant aucun ne put reussir; tous les soins et toutes les galenteries qu'ils employerent ne firent que blanchir contre sa froideur. Il se trouva enfin dans la troupe un homme qui n'estoit ny bien ny mal fait, qui avoit la physionomie fort ingenue et qui monstroit tenir beaucoup du stupide. Sa taille estoit grande et menue, mais flasque et voutée; il avoit la desmarche lente, la bouche entr'ouverte et les cheveux d'un blond de filasse, fort longs et fort droits. Ce fut derriere luy que Cupidon se posta un jour pour faire la guerre à sa rebelle. Il n'avoit point dessein de favoriser de ses graces un homme qui estoit fort peu de ses amis; c'estoit plustost pour luy faire piece qu'il s'en servit comme d'une mire à descocher le trait dont Landore fut blessée. A ce coup toute la froideur de la dame s'esvanoüit; elle sentit pour cet homme qui estoit devant elle une ardeur qui ne peut estre exprimée, jusque-là qu'elle se vid preste de lui declarer elle-mesme sa passion, si la pudeur du sexe ne l'eust retenuë. Elle trouva enfin une occasion de luy descouvrir ce qu'elle tenoit caché, parce qu'ils estoient tous les jours ensemble. Cet homme ressentit presque en mesme temps de pareilles motions pour elle; peut-estre luy estoit-il tombé sur le gros orteüil une des flesches perduës dont nous avons parlé, dont la piqueure avoit un certain venin, qui, insensiblement, lui avoit gagné le cœur. En un mot, ils s'aymerent, mais d'une amour si facile et si douce qu'ils n'eurent point besoin de mettre en usage ny les plaintes ny les soupirs, et il n'y eut jamais d'ames ny mieux ny plus facilement unies. Toutes ces addresses dont, entre toutes les autres rencontres, l'on se sert pour se faire aymer, leur furent inutiles; ils se contentoient de faire l'amour des yeux; à peine y employoient-ils les paroles, et la plus serieuse occupation de cet amour badin estoit la plupart du temps de joüer au pied de beuf, de se regarder sans rire. Le petit dieu trouva ce procedé fort choquant, et se fascha de les voir agir si negligemment en une chose dont tant de gens font une affaire tres importante. Comme son inclination le porte à rendre service à ceux qu'il a blessez, il s'ennuya bientost de se trouver inutile aupres de ces amans, et son naturel agissant ne luy permit pas de demeurer tous les jours les bras croisez dans la faineantise. Il fit seulement reflexion sur le coup qu'il avoit porté, car, à vray dire, il est philosophe quand il veut, et raisonne bien, surtout quand il a osté son bandeau. Il reconnut alors qu'il s'estoit trompé en s'attribuant la gloire de cette deffaite: car il demeura d'accord que tout l'honneur en estoit deub au hazard, qui avoit fait rencontrer ensemble deux personnes dont les visages et les humeurs avoient tant de rapport et de simpatie qu'ils sembloient nez l'un pour l'autre. De là il conclud qu'on pourroit bien l'accuser à l'avenir de plusieurs choses dont il seroit innocent; enfin, la honte d'estre à ne rien faire luy fit demander son congé, et il luy fut facile de l'obtenir de maistres qui se passoient bien de luy.

49C'est sans doute Benserade. Ce qui est dit ici de «bagatelles mélodieuses, etc.», et un peu plus loin (p. 139), de l'avantage qu'on trouve à faire «les vers d'un ballet du roy», se rapporte au mieux à ce rimeur courtisan, dont la verve n'alla jamais plus loin qu'un rondeau ou un madrigal, et dont la plus grande gloire fut d'aider Molière dans les ballets à régler pour la cour. Si c'est Benserade, la grande princesse dont il est parlé ici doit être madame de Longueville, qui, en effet, fut sa protectrice, surtout dans l'affaire des sonnets de Job et d'Uranie. On sait que ce dernier étoit de Benserade, et c'est pour lui qu'elle se déclara hautement.
50Jusqu'au commencement du XVIIIe siècle, la communauté des orfèvres avoit l'usage d'offrir, le premier jour de mai, à Notre-Dame, un grand tableau qui, à cause du jour où on l'offroit, s'appeloit tableau du mai. On l'appendoit ce jour-là à la porte de l'église, puis on lui donnoit une place à l'intérieur. Ces tableaux n'avoient pas moins de onze ou douze pieds de hauteur. Les piliers de la nef et plusieurs des chapelles en étoient ornés. (Piganiol, Descript. de Paris, t. 1er, p. 310-311.) On lit dans le Dictionnaire de Trévoux, édit. 1732, que, depuis quelques années, cet usage s'étoit perdu.
51Il doit être ici question de Boisrobert, que ses vers, et mieux encore ses bouffonneries, poussèrent auprès de Richelieu, et qui fit partager sa faveur à tous les poètes ses amis et ses flatteurs. Il en peupla l'Académie naissante. On appela tous ces académiciens de remplissage les enfants de la pitié de Boisrobert; et lui-même, songeant à ce qu'il avoit obtenu pour eux du cardinal, se donnoit le titre de solliciteur des muses affligées. V. son Historiette parmi celles de Tallemant, 2e édit., t. 3, p. 148.
52Il est parlé ici du nouveau Recueil de pièces les plus agréables de ce temps, en suite des jeux de l'inconnu (Paris, 1644, in-12), dont l'éditeur étoit en effet Ch. Sorel, l'original de Charroselles. Nous en reparlerons plus bas.
53Ils eurent, en effet, une grande vogue pendant tout le XVIIe siècle. Quoi qu'en dise même Furetière, qui n'avoit guère droit de décrier ce genre de publication, puisqu'il fit paroître quelques unes de ses poésies dans le Recueil de poésies diverses donné par La Fontaine (Paris, 1671, in-12), la mode des recueils étoit encore très florissante de son temps, et devoit même lui survivre. La préface du Nouveau choix de poésies donné à La Haye en 1715, in-12, prouve qu'au XVIIIe siècle elle étoit encore en pleine faveur. Une bibliographie des Recueils seroit de trop ici. Nous renverrons, pour les principaux, au Catalogue de la Bibliothèque de M. Viollet le Duc (Supplément, p. 3-4.)
54Encore une mode poétique de ce temps-là, qui datoit du XVIe siècle, et qui ne se perdit qu'au XVIIIe. Il y a dans le Palais Mazarin, de M. de Laborde, p. 349, note 517, quelques détails curieux sur ces chiens et ces chats poétiquement célébrés, et M. Joncières a publié dans l'Artiste de juillet 1840 un article intéressant sous ce titre: Du rôle des chiens et des chats en littérature.
55C'est de Boileau qu'il s'agit, et Furetière parle ici moins pour Angélique que pour lui-même. Ils étoient, en effet, fort amis, et d'esprit d'ailleurs à se bien comprendre. Ils se prêtoient mutuellement des traits pour leurs satires. Ainsi l'on sait par Brossette que c'est Furetière qui désigna à Boileau les abbés Cotin et Cassagne pour les vers de la 3e satire, où ils commencent à être fustigés; peut-être, en revanche, Boileau désigna-t-il à Furetière d'autres victimes de sa connoissance pour le Roman bourgeois. Par une singulière coïncidence, qui, toutefois, semble être moins un hasard qu'une entente satirique, les sept premières satires de Boileau parurent la même année (1666) que le Roman bourgeois, et chez le même libraire, Billaine. Deux ans auparavant, c'est chez Furetière, de l'aveu même de Boileau, que la scène du Chapelain décoiffé avoit été faite entre eux, en compagnie de Racine, contre des poètes qu'ils détestoient en commun. La Serre, que Furetière épargne si peu, étoit, on le sait, du nombre. D'après cela, on peut comprendre que Furetière fût dans la confidence des travaux de Boileau, et que, dès 1666, étant l'un des premiers initiés à ses œuvres ébauchées, il pût faire allusion déjà à l'un des plus fameux passages de l'Art poétique, bien que ce poème ne dut voir le jour qu'en 1674. Il est vrai que, dès 1669, Boileau le trouvoit assez achevé pour en faire des lectures dans le monde, notamment chez Patru.
56C'est la pièce la plus célèbre d'Habert de Cerizy, l'un des premiers de l'Académie Françoise. Elle fut publiée en 1639, in-8. Elle eut un si long succès qu'en 1689 on en fit une traduction en vers latins, Oculi Phylidis in astra, etc., Paris, Muguet, 1689, in-12. – Ce madrigal, de près de 500 vers, n'étoit au reste qu'une imitation évidente du poème de Callimaque sur la Chevelure de Bérenice transformée en comête. L'abbé Goujet l'a justement remarqué dans son article sur Habert de Cerisy, Biblioth. franç., t. 14, p. 215.
57Je ne serois pas éloigné de croire, avec M. Eugène Maron, dans son intéressant travail sur le Roman bourgeois au XVIIe siècle (Revue indépendante, 10 février 1848, p. 289), qu'il s'agit ici du surintendant Fouquet. Comme l'intendant des coquilles, qui s'attaquoit aux Néréides, qui sont les princesses et les filles d'honneur de la reine maritime, Fouquet s'étoit adressé aux filles de la reine. «Il se seroit épuisé, dit Brienne (Mémoires, t. 2, p. 212) pour avoir la satisfaction de coucher une nuit avec une duchesse, qui refusa, dit-on, les cent mille écus que le surintendant lui fit porter. Il se rabattit sur Menneville, fille d'honneur de la reine-mère, en rabattant aussi de moitié pour la somme, puisqu'il ne lui donna que 150,000 livres.»