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Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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Epistre amoureuse à Mademoiselle Javotte

Mademoiselle, comme j'agis sous l'aveu et l'authorité de messieurs vos parens, qui m'ont permis d'esperer d'entrer en leur alliance, je ne crois pas qu'il soit hors des limites de la bien-seance de vous tracer ces lignes, et vous faire là-dessus ma déclaration, qui est que je vous offre un cœur tout neuf, tout pur et tout net, et qui est comme un parchemin vierge où votre image se pourra peindre à son aise, n'ayant jamais esté broüillé par aucun autre crayon ou portrait qu'il ait receu. Mais que dis-je? C'est plûtost une planche d'airain sur laquelle, par le burin et les pointes de vos regards, vostre belle figure a esté desseignée; et puis, y ayant versé l'eau forte de vos rigueurs, elle y a esté gravée si profondément, que vous pouvés desormais en tirer tant d'espreuves qu'il vous plaira. Je voudrois, en revanche, que je me pusse voir sur le vostre gravé en taille-douce; et, pour ne pas pousser plus loin mon allegorie, je voudrois que nos deux cœurs, passans sous la presse du mariage, receussent de si belles impressions, qu'ils pussent estre apres reliés ensemble avec des nerfs indissolubles, pour venir tous deux habiter dans une estude où nous apprendrions à joüir des bon-heurs d'une vie privée et tranquille; bon-heurs que vous souhaitte dés aujourd'huy et pour toûjours votre tres-humble et tres-affectionné futur espoux.

Jean Bedout.

Apres que Javotte eut bien escouté cette lettre, et qu'elle n'y eut rien entendu, elle crut que c'estoit faute d'y avoir esté assés attentive. Elle pria donc Bedout de la relire, ce qu'il fit tres-volontiers, croyant que c'étoit une marque de la bonté de la pièce. Mais sur ce mot d'allegorie, elle l'interrompit avec un grand cri: (disant): Ha, mon Dieu, quel grand vilain mot! N'y a-t-il rien de caché de mauvais là dessous? Et comme il se mit en devoir de le luy expliquer, elle lui dit en l'interrompant derechef: Non, non, je ne le veux pas sçavoir, il suffit que maman m'a tousjours deffendu d'entendre dire de gros mots. Et sans vouloir entendre lire davantage, elle alla joindre sa mère. De sorte que Bedout fut reduit, faute de meilleur entretien, d'ayder à Javotte à devider quelques pelotons de laine.

Cependant madame Vollichon, avec son entretien bourgeois, faisoit beaucoup souffrir la pauvre Laurence, qui estoit une femme d'esprit et accoustumée à voir le beau monde. Elle luy avoit déjà fait des plaintes de l'embaras et des soins que donnent les enfans; de la difficulté d'avoir de bonnes servantes; et elle luy avoit demandé si elle n'en sçavoit point quelqu'une parce qu'elle vouloit chasser la sienne, non sans luy raconter tous les défauts de celle-cy, et sans regretter les bonnes qualités de celles qu'elle avoit eues auparavant. Elle luy avoit aussi fait plainte de la despence de la maison et de la cherté des vivres, disant tousjours pour refrain qu'un ménage avoit la gueulle bien grande, et une autre fois, que c'étoit un gouffre et un abisme.

Quand Laurence, pour destourner cette basse conversation, luy parla de quelques femmes du quartier, et entr'autres d'une trésorière de France logée vis à vis d'elle qui faisoit assez de bruit dans le voisinage: Ha, ne me parlez point de celle-la (reprit madame Vollichon)! C'est une glorieuse que je ne sçaurois souffrir. J'ay deux sujets de me plaindre d'elle, que je ne luy pardonneray jamais. Laurence s'étant enquise de la qualité de ces deux injures, elle aprit que c'étoit parce que la tresoriere n'étoit pas venue voir madame Vollichon à sa derniere couche, et ne luy avoit pas envoyé du cousin quand elle avoit fait le pain bénit. Laurence rioit encore de ce plaisant ressentiment, quand Vollichon entra dans la chambre. Il avoit tout le jour fait la débauche, ayant esté à la comedie, et de là au cabaret, où une de ses parties l'avoit traitté. L'espargne d'un repas et les fumées du vin l'avoient rendu plus gay que de coustume, ce qui l'avoit empesché de s'aller r'enfermer dans son estude pour y travailler jusqu'à minuit, comme il avoit accoustumé. A peine fut-il entré, qu'il dit tout en haletant, et avec un transport merveilleux, qu'il avoit esté à la plus belle comedie qui se pust jamais voir; et qu'il y avoit tant de monde; qu'on ne pouvoit entrer à la porte. Il dit mesme qu'il avoit trouvé là des imprimeurs et des gens qui travailloient à la presse. On n'entendoit pas d'abord ce quolibet; mais il l'expliqua, en disant que c'estoient des coupeurs de bourse, qui avoient pris une monstre à un homme dans cette grande foule. Laurence luy demanda quelle piéce on avoit jouée. Il luy respondit: Attendéz, je vais vous le dire, voici le fait: Un particulier nommé Cinna s'advise de vouloir tuer un empereur; il fait ligue offensive et deffensive avec un autre appellé Maxime. Mais il arrive qu'un certain quidam va descouvrir le pot aux roses. Il y a là une demoiselle qui est cause de toute cette manigance, et qui dit les plus belles pointes du monde. On y voit l'empereur assis dans un fauteuil, devant qui ces deux messieurs font de beaux plaidoyers, où il y a de bons argumens. Et la piece est toute pleine d'accidens qui vous ravissent. Pour conclusion, l'empereur leur donne des lettres de remission, et ils se trouvent à la fin camarades comme cochons. Tout ce que j'y trouve à redire, c'est qu'il y devroit avoir cinq ou six couplets de vers, comme j'en ay veu dans le Cid, car c'est le plus beau des pieces. C'est dommage (dit Laurence) qu'on ne vous donne la commission de faire des prologues, car vous reussissés merveilleusement à expliquer le sujet d'une tragédie.

Nicodeme les interrompit par son arrivée. La bonne humeur où estoit Vollichon fut cause qu'il le receut mieux qu'à l'ordinaire, bien qu'en son ame il eust dessein de rompre avec luy, attendant seulement que quelqu'une de ses legeretés luy en fournist l'occasion. Aussi ne luy pouvoit-on pas refuser un libre accés aupres de sa maistresse tant que l'engagement qu'il avoit avec elle, c'est à dire son contrat, subsisteroit.

Dès que cet amant eut fait ses reverences, il dit à Madame Vollichon: Hé bien, ma bonne maman, ne m'avés-vous pas donné une generalle amnistie de tout le passé? Quest-ce que vous me venés conter (répondit-elle brusquement) avec votre amnistie? Je veux dire (reprit Nicodeme) que je crois que vous avès noyé toutes mes fautes dans le fleuve d'oubly. Voilà bien débutté (dit Vollichon), les oublies sont chez le patissier; et il se mit à rire à gorge desployée, comme il faisoit à tous ses méchans quolibets. Si j'ai fait icy quelque bicestre (continua Nicodeme), j'en ai payé les dommages et interests, et je suis prest de parfournir ce qui y manquera. Ce n'est pas de cela que je suis en colere (dit Madame Vollichon), mais de ce que vous estes un perdu, un vilain et un desbauché. Aussi-tost son mari adjousta, en adressant la parole à Nicodeme: Je veux envoyer un commissaire chez vous, car on dit que vous vivez mal. Nicodeme se voulut justifier et jurer qu'il n'avoit jamais fait aucun scandale, quand Laurence (voyant un souris goguenard de Vollichon) interpreta ainsi ce brocard. Je vois bien (dit-elle), à la mine de Monsieur, qu'il vous veut reprocher que vous ne faites pas bonne chère. Il ne tiendra qu'à luy (repartit Nicodeme) de faire l'experience du contraire, car je le traiteray quand il voudra de maniere qu'il en sera content. Hé bien (dit Vollichon), je vous prends au mot: j'iray demain diner chez vous et je porteray de quoy manger. Il ne sera pas nécessaire que vous apportiez de quoi manger (reprit Nicodeme); la ville est bonne, je ne vous laisseray pas mourir de faim. Laurence fut encore l'interprete d'un pareil souris de Vollichon, en disant: Je vois bien que Monsieur n'a pas dessein de rien porter chez vous pour augmenter la bonne chère; mais qu'il veut dire qu'il y portera ses dents, qui sont des instruments pour manger. A la bonne heure (dit Nicodeme) je vous attendray demain, et vostre compagnie (il dit cela en monstrant Bedout, qu'il connoissoit pour l'avoir veu au Palais, et qu'il croyoit estre venu avec Vollichon, sans sçavoir que ce fust son rival). Bedout repartit aussi-tost qu'il l'en remercioit, et qu'il n'estoit pas un homme à estre à charge à ses amis, pour aller ainsi disner chez eux sans nécessité. Et bien (dit Vollichon), je porteray les deux, je mangeray pour luy et pour moy. Gardez bien (dit Nicodeme) de faire vanité d'estre grand mangeur, de peur d'attirer le reproche qu'on fait souvent aux procureurs du Chastelet, de faire mille mangeries. Il n'y a rien qui ait moins de fondement que cela (repliqua Vollichon), car notre mestier maintenant est celuy d'un gagne-petit. Il est vray (dit alors Bedout) que la journée d'un procureur du Chastelet n'est taxée que six deniers; mais cette taxe est tant de fois reïtérée, et il se passe si grand nombre d'actes en un jour, que cela monte à des sommes immenses. Je ne sçais pourquoy on a souffert jusqu'icy un si grand abus; et je ne m'estone point qu'il y ait beaucoup de ces Messieurs qui aient fait de grandes fortunes en fort peu de temps. Bedout alloit faire de grandes moralitez sur la justice, car sur ces matieres il estoit grand discoureur, au lieu que sur celle de la galanterie il estoit toûjours muet, quand Nicodeme luy rompit les chiens pour mettre Javotte de la conversation; et la voyant qui devidoit un peloton de laine, il luy dit assez poëtiquement: Quand je vous vois occupée à ce travail, il me semble que je vois une de ces parques qui devident le fil de la vie des hommes; et comme ma destinée est en vos mains, il me semble aussi que c'est la mienne que vous devidez, de sorte que je crains à toute heure que vos rigueurs n'en couppent le fil. Je n'entends point tout ce que vous dites (répondit Javotte); je n'ai point de destinée entre les mains; je n'ai qu'un peloton de laine, pour faire ma tapisserie. Mais quoy (reprit Nicodeme), n'avez-vous pas dessein de me faire mourir mille fois par les cruelles longueurs que vous apportez à me rendre heureux? car quand je vois vostre tapisserie en vos mains, je crois voir encore la toile de Penelope? Je ne sçais comment sont faites vos toiles de Peneloppe (repliqua Javotte); je n'en ay point veu chez pas une lingere de Paris; et pour le reste, ce n'est point de moy que cela dépend. S'il en dépendoit, je vous asseure que ce ne seroit encore de long-temps. Madame Vollichon, qui prestoit l'oreille à cet entretien, dit là dessus, prenant la parole: Vrayman, vrayman, vous avez tout le loisir de mascher à vuide. Je me garderay bien de passer outre jusqu'à ce que j'aye fait d'autres enquestes. Vous voyez (adjousta son mari), elle n'est encore qu'à la premiere des enquestes; mais je ne me soucie pas qu'elle passe par toutes les chambres, pourvu qu'elle n'aille point à la Cour des aydes. Ha Monsieur (interrompit Laurence), vous avez une trop honneste femme pour avoir rien à craindre de ce costé-là. Je le crois (dit Vollichon), mais ces bonnes ménageres sont fort à craindre, qui font que leurs maris ont leur provision de bois sans aller la chercher sur le port.

 

Vous auriez esté bon du temps du vieux Testament (dit Nicodeme); vous ne parlez que par figures. Il faudra donc (interrompit Bedout) ne prendre ses parolles que dans le sens tropologique43. Est-ce là du latin (dit alors Vollichon)? je ne l'entends point, mais du grais, je vous en casse. Il y a long-temps (dit alors Laurence) que j'admire vostre maniere de parler; il faut que vous ayez un dictionnaire de quolibets que vous ayez appris par cœur, pour les prodiguer comme vous faites. Vrayement (dit Vollichon) j'en sçais bien d'autres dont je ne prens point d'argent; et en effet il en alloit enfiler un grand nombre, si ce n'eust esté qu'un petit garçon vint à sa sœur Javotte demander tout haut en sa langue de petit enfant quelques pressantes nécessitez. Cette conversation fut ainsi interrompuë; et quand elle auroit esté mille fois plus sérieuse, elle ne l'auroit pas esté moins, car c'est la coustume de ces bons bourgeois d'avoir toujours leurs enfans devant leurs yeux, d'en faire le principal sujet de leur entretien, d'en admirer les sottises et d'en boire toutes les ordures. Le petit Toinon fut aussi-tost loüé de sa propreté; on luy promit à cause de cela du bonbon; et apres qu'on l'eut mis bien à son aise, Madame Vollichon ne parla plus avec Mademoiselle Laurence que des belles qualitez de son fils, de ses miesvretez et postiqueries. Ce sont les termes consacrez chez les bourgeois et les mots de l'art pour expliquer les gentillesses de leurs enfans. Elle ne se contenta pas de parler de celuy-là; elle en loüa encore un autre qui estoit encore à la mammelle, disant de luy qu'il parloit tout seul, qu'il avoit la plus belle éloquence du monde, et qu'il sçavoit déjà huit ou dix mots.

Toinon r'entra peu de temps apres dans la salle en equipage de cavallier, c'est à dire avec un baston entre les jambes, qu'il appelloit son dada. Vollichon prit aussi-tost un manche de balay qu'il mit entre les siennes, et, courant apres son fils, ils firent ensemble trois tours autour de la table, ce qui donna occasion à Nicodeme d'appeler cette course un tournoy.

Laurence commençoit à rire de la folie de Vollichon, quant Bedout luy remonstra qu'elle avoit tort de trouver à redire à cette action, et que, si elle avoit leu Plutarque, elle auroit veu qu'autrefois Agesilaus fut surpris en la même posture, et qu'au lieu de s'en deffendre il pria seulement ceux qui l'avoient veu de n'en rien dire jusqu'à ce qu'ils eussent des enfans. Laurence ne répondit autre chose, sinon qu'on ne pouvoit rien faire qui n'eust son exemple dans l'antiquité, et, par discretion, elle ne voulut pas continuer sa risée au nez de Vollichon, de peur de le fascher; elle se contenta de faire en elle-mesme reflexion sur la sottise des bourgeois, qui quittent l'entretien de la meilleure compagnie du monde pour joüer et badiner avec leurs enfans, et qui croyent estre bien excusez en alleguant l'affection paternelle, comme s'ils n'avoient pas assez de temps pour y satisfaire quand ils sont en particulier et dans leur domestique, et comme si le reste de la compagnie, qui n'est pas obligé d'avoir la mesme affection, devoit prendre le mesme divertissement à leurs jeux et à leurs gambades; sottise d'autant plus ridicule qu'elle s'estend bien souvent jusqu'aux gens les plus esloignez de la bourgeoisie, et qui ne s'en deffendent que par l'exemple qu'avoit cité Bedout inutilement, puisqu'Agesilaus ne se divertissoit ainsi qu'en secret; encore estoit-il honteux d'avoir été surpris en cette action.

Le reste de cette visite se passa en actions aussi badines. Laurence en fut bien-tost fatiguée, et, se levant, emmena avec elle son cousin. Nicodeme fut obligé de sortir en même temps, parce que Madame Vollichon se vouloit retirer et mettre la clef de la maison sous son chevet. Ces deux amans firent encore plusieurs visites aussi ridicules, mais je ne veux pas m'amuser à repeter toutes les sottises qui s'y dirent de part et d'autre; ce que nous en avons rapporté suffit.

Cependant les affaires de Nicodeme alloient de mal en pis, et celles de Bedout de mieux en mieux. Ce n'estoit pas que l'un eust plus de part aux bonnes graces de leur maistresse que l'autre, car Javotte avoit pour eux une égale indifférence, ou plustost une égale aversion. Mais c'est que Vollichon trouvoit plus de bien et moins de légèreté et de fanfaronnade en Bedout qu'en Nicodeme. Il resolut donc tout a fait dans sa teste le mariage avec Bedout, sans demander l'advis de sa fille, et il differa seulement la signature des articles, jusqu'à ce qu'il fust desgagé d'avec Nicodeme, avec lequel il esperoit de rompre bien-tost.

Comme on ne douta plus alors que Javotte ne fust bien-tost mariée, à cause qu'on avoit en main ces deux partis, on commença à luy donner chez elle plus de liberté qu'elle n'avoit auparavant. On luy fit venir un maistre à danser pour la façonner, et on choisit entre tous ceux de la ville celuy qui monstroit à meilleur marché; encore sa mère voulut qu'il luy monstrast principalement les cinq pas et les trois visages44; danses qui avoient esté dancées à sa nopce, et qu'elle disoit estre les plus belles de toutes. On luy permit aussi de voir le beau monde, de faire des visites dans les beaux réduits, et de se mesler en des compagnies d'illustres et de pretieuses: le tout néantmoins sans s'esloigner beaucoup de son quartier, car on ne la vouloit pas perdre de veuë. Elle fut introduite dans la plus belle de ces compagnies par Laurence, qui en estoit. Son exquise beauté fut cause qu'elle y fut la bien venuë, malgré son innocence et son ingenuité: car une belle personne est toujours un grand ornement dans une compagnie de femmes. Ce beau reduit estoit une de ces Academies bourgeoises dont il s'est estably quantité en toutes les villes et en tous les quartiers du royaume; où on discouroit de vers et de prose, et où on faisoit les jugements de tous les ouvrages qui paroissoient au jour. La pluspart des personnages qui la composoient vouloient estre traittez d'illustres, et avec raison, puisqu'il n'y en avoit pas un qui ne se fist remarquer par quelque caractere particulier. Elle se tenoit chez Angelique, qui estoit une personne de grand mérite que je ne sçay quel hazard avoit engagée dans cette societé. Elle n'avoit point voulu prendre d'autre nom de guerre ny de roman que le sien: car le nom d'Angelique est au poil et à la plume, passant par tout, bon en prose et bon en vers, et celebre dans l'histoire et dans la fable. Elle avoit appris quelques langues et leu toutes sortes de bons livres; mais elle s'en cachoit comme d'un crime. Elle ne faisoit point vanité d'estaller ses sentimens, qui estoient tousjours fort justes, mais presque tousjours contredits, car, comme dans cette assemblée le nombre des gens raisonnables estoit le moindre, elle ne manquoit jamais de perdre sa cause à la pluralité des voix. Et à propos de cela, elle se comparoit à cette Cassandre qui n'estoit jamais creuë quand elle disoit la vérité. Elle avoit une de ses parentes qui prenoit tout le contrepied. C'étoit la fille d'un receveur et payeur des rentes de l'Hostel de Ville, que, pour parler plus correctement, il falloit seulement appeller receveur; car, pour la seconde partie de sa charge, il ne la faisoit point. Elle s'appelloit Phylippote en son nom ordinaire, et en son nom de roman elle se faisoit appeller Hyppolite, qui est l'anagramme du nom de Phylippote45, ce qui n'est pas une petite fortune pour une pretenduë heroïne, quand son nom de roman se peut faire avec les lettres d'un nom de baptesme. Elle affectoit de paroistre sçavante avec une pedanterie insupportable. Un de ses amans lui enseignoit le latin, un autre l'italien, un autre la chiromance, un autre à faire des vers, de sorte qu'elle avoit presque autant de maistres que de serviteurs. Il y avoit en cette compagnie des esprits de toutes les sortes, dont le plus honneste homme s'appelloit Philalethe, passioné admirateur des vertus et des beautés d'Angelique, et qui faisoit tout son possible pour se bien mettre dans son esprit. D'autre costé, un certain autheur, nommé Charoselles, y venoit aussi; il avoit esté assez fameux en sa jeunesse, mais il s'estoit décrié à tel point, qu'il ne pouvoit plus trouver de libraires pour imprimer ses ouvrages. Il se consoloit neantmoins par la lecture qu'il essayoit d'en faire à toutes les compagnies, et… Mais tout beau! si je voulois descrire icy par le menu toutes ses qualitez et celles de ces autres personnages, je ferois une trop longue digression, et ce seroit trop differer le mariage qui est sur le tapis. Pour coupper court, il s'amassoit tous les jours bonne compagnie chez Angelique. Quelquefois on y traittoit des questions curieuses; d'autrefois on y faisoit des conversations galantes, et on tâchoit d'imiter tout ce qui se pratique dans les belles ruelles par les pretieuses du premier ordre.

Le jour que Javotte fut introduitte dans cette compagnie il y avoit moins de monde, et elle ne fut pas si tumultueuse qu'à l'ordinaire. Il arriva mesme que la conversation y fut assés agreable et spirituelle. Or quoy que Javotte n'y contribuast que de sa presence, il ne sera pas hors de propos d'en inserer icy une partie, qu'elle escouta avec une attention merveilleuse. Pour vous consoler de cette digression, imaginez-vous, si vous voulez, qu'il arrive icy comme dans tous les romans; que Javotte est embarquée; qu'il vient une tempeste qui la jette sur des bords estrangers; ou qu'un ravisseur l'enlève en des lieux d'où l'on ne peut avoir de long-temps de ses nouvelles; encore aurez-vous cela de bon que vous ne la perdrez point de veuë, et vous la pourrez tousjours loüer de son silence, qui est une vertu bien rare en ce sexe.

Si-tost que les premiers compliments furent faits, dont les plus ingenües se tirent quelquefois assez bien, parce que cela ne consiste d'ordinaire qu'en une profonde reverence, et en un petit galimatias qu'on prononce si bas qu'on ne l'entend point, Hyppolite, qui n'aymoit que les entretiens sçavans, esloigna bientost ces discours communs qui se font dans les visites ordinaires. Elle se plaignit de Laurence, qui avoit commencé à parler des nouvelles de la ville et du voisinage, luy disant que cela sentoit sa visite d'accouchée46, ou les discours de commères, et que parmy le beau monde il ne falloit parler que de livres et de belles choses. Aussi-tost elle se jetta sur la fraipperie de plusieurs pauvres autheurs, qui sont les premiers qui ont à souffrir de ces fausses pretieuses, quand cette humeur critique les saisit. Dieu sçait donc si elle les ajusta de toutes pièces. Mais dispensez-moy de vous reciter cet endroit de leur conversation, que je veux passer sous silence, car je n'oserois nommer pas un des autheurs vivans: ils m'accuseroient de tout ce qui auroit esté dit alors, quoy que je n'en pusse mais. J'aurois beau condamner tous les jugemens qui auroient esté prononcez contre eux, ce seroit un crime capital d'en faire seulement mention. Ils me traitteroient bien plus rigoureusement qu'un historien ou un gazetier, qui ne sont jamais garands des recits qu'ils font. Outre que ces messieurs sont si delicats, qu'il faut bien prendre garde comme on parle d'eux; ils sont si faciles à piquer, que le moindre mot de raillerie, ou une louange médiocre, les met aux champs, et les rend ennemis irreconciliables. Apres quoy, ce sont autant de bouches que vous fermez à la Renommée, qui auparavant parloient pour vous, et cela fait grand tort au libraire qui est interessé au débit d'un livre. J'ay mesme ce respect pour eux, que je ne veux pas faire comme certains escrivains, qui, lors qu'ils en parlent, retournent leurs noms, les escorchent, ou les anagrammatisent. Invention assez inutile, puisque, si leur nom est bien caché, le discours est obscur et perd de sa force et de sa grace, on n'est tout au plus plaisant qu'à peu de personnes; et si on le descouvre (comme il arrive presque tousjours) ce déguisement ne sert de rien, veu que les lecteurs font si bien qu'ils en attrapent la clef, et il arrive souvent qu'il y a des larrons d'honneur qui en font faire de fausses clefs. C'est pourquoy je ne parlerai point du destail, mais seulement de ce qui fut dit en general, et dont personne ne se peut choquer, s'il n'est de bien mauvaise humeur, et s'il n'a la conscience bien chargée. On s'estendit d'abord sur les poëmes et sur les romans, et l'on y parla fort de l'institution du poëte, de la maniere de devenir autheur, et d'acquerir de la reputation dans le monde.

 

La plus grande passion que j'aurois (dit entre autres Hyppolite) ce seroit de pouvoir faire un livre; c'est la seule chose dont je porte envie aux hommes; je leur en vois faire en si grand nombre, que je m'imagine que l'advantage de leur sexe leur donne cette facilité. Il n'est point necessaire (répondit Angélique) de souhaitter pour cela d'estre d'un autre sexe; le nostre a produit en tout temps d'assez beaux ouvrages, jusqu'à pouvoir estre enviez par les hommes. Cela est vray (dit Laurence), mais celles qui en font bien s'en cachent comme d'un crime; et celles qui en font mal sont la fable et la risée de tout le monde; de sorte que, de quelque costé que ce soit, il ne nous en revient pas grande gloire. Pour moy (dit Philalethe, qui estoit cet honneste homme dont j'ai parlé), je ne suis pas de cet avis, et je tiens qu'à l'égard de celles qui cachent leur science, elles acquierent une double gloire, puisqu'elles joignent celle de la modestie à celle de l'habileté; et à l'esgard des autres, elles ne laissent pas d'estre loüables de tascher à se mettre au dessus du commun de leur sexe, malgré le deffaut de leur esprit. Et moy (ajouta Charroselles), si je suis jamais roy, je feray faire deffences à toutes les filles de se mesler de faire des livres; ou, si je suis chancellier, je ne leur donneray point de privilege; car, sous pretexte de quelques bagatelles de poësies ou de romans qu'elles nous donnent, elles épuisent tellement l'argent des libraires, qu'il ne leur en reste plus pour imprimer des livres d'histoire ou de philosophie des autheurs graves. C'est une chose qui me tient fort au cœur, et qui nuit grandement à tous les escrivains feconds, dont je puis parler comme sçavant. Vrayement, Monsieur (dit Pancrace, qui estoit un autre gentil-homme qui s'estoit trouvé par hazard dans cette mesme assemblée), on voit bien que vostre interest vous fait parler; mais considérez que, nonobstant qu'on imprime beaucoup de vers et de romans, on ne laisse pas d'imprimer encore un nombre infini de gros autheurs anciens et modernes. De sorte que, si les libraires en rebutent quelques-uns, ce n'est pas une bonne marque de leur merite. S'il ne tenoit plus qu'à cela (reprit Hyppolite), je ne m'en mettrois gueres en peine; car j'ay un libraire qui me loue des romans, qui ne demanderoit pas mieux que de travailler pour moy, particulierement à cause que je ne luy en demanderois point d'argent, car je sçais bien qu'ils n'ont jamais refusé de coppies gratuittes. Et puis j'ai tant d'amis et une si grande caballe, que je leur en ferois voir le debit asseuré. Ce dernier moyen (dit Charroselles) est le meilleur pour faire imprimer et vendre des livres, et c'est à ce deffaut que j'impute la mauvaise fortune des miens. Malheureusement pour moy, je me suis advisé d'abord de satiriser le monde, et je me suis mis tous les autheurs contre moy. Ainsi les prosneurs m'ont manqué dans le besoin. Ha! que si c'estoit à recommencer… Vous diriez du bien (dit Laurence, qui le connoissoit de longue main); ce seroit bien le pis que vous pourriez faire; vous y seriez fort nouveau, et ce seroit un grand hazard si vous y pouviez reüssir. Hé bien! je ne regretteray plus le passé (dit Charroselles), puisqu'il ne peut plus se rappeler; mais du moins, pour me vanger, je donneray au public mon traitté de la grande caballe47, où je traitteray des fourbes de beaucoup d'autheurs au grand collier, et j'y feray voir que ce sont de vrays escrocs de reputation, plus punissables que tous ceux qui pipent au jeu; et si je trouveray bien moyen de le faire imprimer malgré les libraires, quand je le devrois donner à quelqu'un de ces autheurs qui ont amené la mode d'adopter des livres.

Il est vray (dit alors Angélique) que les amis et la caballe ont servi quelquefois à mettre des gens en reputation; mais ç'a esté tant qu'ils ont eu la discretion et la retenue de cacher leurs ouvrages, ou d'en faire juger sur la bonne foy de ceux qui les annonçoient. Mais si-tost qu'ils les ont donnez au public, il a rendu justice à leur merite, et toute leur reputation, qui n'estoit pas establie sur de solides fondemens, est tombée par terre. Je mourois de peur (adjousta Pancrace) que vous ne citassiez quelque exemple qui nous eut attiré quelque querelle sur les bras, non pas de la nature de celles dont je me desmeslerois le mieux. Mais (dit Philalethe) ne mettriez-vous point en mesme rang ceux qui font des vers au devant d'un livre, des prefaces ou des commentaires: car ce sont des gens qui loüent tant qu'il leur plaist, sans que la modestie de l'autheur courre aucune fortune. Ouy dea (respondit Charroselles), et ce n'est pas un petit stratageme pour mendier de l'estime. Ce n'est pas qu'il n'y arrive souvent quelque fourbe, car un autheur emprunte quelquefois le nom d'un amy, ou suppose un nom de roman pour se loüer librement luy-mesme. Je puis dire icy entre nous que je l'ay pratiqué avec assez de succès, et que sous un nom empruntée de commentateur de mon propre ouvrage, je me suis donné de l'encens tout mon soul.

Quoy qu'il en soit (reprit Hyppolite), je n'ay jamais pû concevoir comment on faisoit ces gros volumes, avec une suitte de tant d'intrigues et d'incidens: j'ai essayé mille fois de faire un roman, et n'en ai pû venir à bout; pour des madrigaux, des chansons, et d'autres petites pieces, on sait que je m'en escrime assez bien, et que j'en ferai tant qu'on en voudra. Voila (dit Charroselles) un second moyen pour arriver promptement à la gloire, en ce malheureux siecle où on ne s'amuse qu'à la bagatelle. C'est tout ce qu'on estime et ce qu'on debite, pendant que les plus grands efforts d'esprit et les plus nobles travaux nous demeurent sur les bras.

Vous estes donc (dit Angelique) de l'opinion de ceux qui disent que le premier pas pour aller à la gloire est le madrigal, et le premier pour en décheoir est le grand poëme? Il y a grande apparence (adjousta Pancrace). Mais comment est-ce que si peu de chose pourroit mettre les gens en reputation? Vous ne dites pas le meilleur (adjousta Laurence); c'est qu'il faut qu'ils soient mis en musique pour estre bien estimez. Asseurement (interrompit Charroselles); c'est pour cela que vous voyez tous ces petits poëtes caresser Lambert, le Camus, Boisset et les autres musiciens de reputation, et qui ne mettent jamais en air que les vers de leurs favoris; car autrement ils auroient fort à faire. On ne peut nier (dit Philalete) que cette invention ne soit bonne pour se mettre fort en vogue: car c'est un moyen pour faire chanter leurs vers par les plus belles bouches de la cour, et leur faire ensuite courir le monde. Outre que la beauté de l'air est une espèce de fard qui trompe et qui esbloüit; et j'ai veu estimer beaucoup de choses quand on les chantoit, qui estoient sur le papier de purs galimathias, où il n'y avoit ny raison ny finesse. Je les compare volontiers (reprit Charroselles) à des images mal enluminées, qui, estant couvertes d'un talc ou d'un verre, passent pour des tableaux dans un oratoire. Et moi (dit Pancrace) à un habit de droguet48, enrichy de broderie par le caprice d'un seigneur.

43Chercher le sens tropologique, c'est, sous la figure, le trope, la parabole, démêler le sens moral, ce qui est très nécessaire pour l'Ecriture.
44C'étoient, en effet, des danses de l'autre règne, et, partant, passées de mode. La première est décrite par Aut. Arena dans son poëme macaronique sur la danse, au chapitre Quos passibus duplum esse debet. Régnier en parle aussi dans sa 5e satyre, V. 220. Jadis, de votre temps, la vertu simple et pure Sans fard, sans fiction, imitoit la nature… … la nostre aujourd'hui qu'on revère icy-bas Va la nuit dans le bal et danse les cinq pas.
45Allusion satirique à l'heureux anagramme que fit Malherbe, quand il transforma le nom de Catherine, que portoit madame de Rambouillet, en celui d'Arthenice. (Tallemant, Historiettes, 2e édit., t. I, p. 271.)
46Pendant le temps de leurs couches, les bourgeoises avoient coutume de recevoir toutes les visites des voisines. Leur lit étoit paré pour cela, et surmonté d'un pavillon qu'on n'étendoit que dans ces occasions. Je vous revois, dit Coulanges (Chansons choisies, 1694, in-12, p. 72), Je vous revois, vieux lit si chéri de mes pères, Où jadis toutes mes grand's mères, Lorsque Dieu leur donnoit d'heureux accouchements, De leur fécondité recevoient compliments. Ces compliments étoient bavards, et, à la longue, tournoient au commérage. On en fit le texte de petits pamphlets bourgeois parus successivement, au nombre de huit, en 1623. En 1624, on fit une édition collective de toutes ces pièces, sous le titre de Recueil général des caquets de l'accouchée… 1624, pet. in-12. D'autres pièces du XVIIe siècle portent le même titre.
47Ch. Sorel (Charroselles) se mêla, en effet, de livres de magie. En 1636, il avoit publié un volume des Talismans ou figures peintes sous certaines constellations, Paris, in-8. Il avoit pris pour cet ouvrage un pseudonyme dont nous reparlerons.
48Le droguet étoit une étoffe de soie qui devoit son nom à la ville d'Irlande Drogheda, d'où elle avoit d'abord été importée chez nous. (Fr. Michel, Recherches sur le commerce et la fabrication des étoffes de soie, etc. Paris, 1854, in-4, t. 2, p. 244.)