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Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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Ce beau galand qu'on luy avoit proposé pour Javotte estoit encore un advocat, ou, pour le moins, un homme qui portoit au Palais la robbe et le bonnet. La seule fois qu'il parut au barreau, ce fut lors qu'il presta serment de garder les ordonnances. Et vrayment il les garda bien, car il ne trouva jamais occasion de les transgresser. Depuis vingt ans il n'avoit pas manqué un matin de se trouver au Palais, et cependant il n'avoit jamais fait consultation, escritures ny plaidoyer. En recompense il estoit fort employé à discourir sur plusieurs fausses nouvelles qui se debitoient à son pillier; et il avoit fait plusieurs consultations sur les affaires publiques et sur le gouvernement, car il se meloit parmy de gros pelotons de gens inutiles, qui tous les matins vont au Palais, et y parlent de toutes sortes de nouvelles, comme s'ils estoient controlleurs d'estat (offices fort courus et fort en vogue); je m'étonne de ce qu'on ne les fait pas financer. L'apresdisnée il alloit aux conferences du bureau d'adresse39, aux harangues qui se faisoient par les professeurs dans les colleges, aux sermons, aux musiques des eglises, à l'orvietan40, et à tous les autres jeux et divertissemens publics qui ne coustoient rien, car c'estoit un homme que l'avarice dominoit entierement, qualité qu'il avoit trouvée dans la succession de son pere. Il estoit fils d'un marchand bonnetier qui estoit devenu fort riche à force d'épargner ses écus, et fort barbu à force d'épargner sa barbe. Il se nommoit Jean Bedout, gros et trapu, un peu camus, et fort large des épaules.

Sa chambre estoit une vraye salle des antiques; ce n'est pas qu'il y eust force belles curiositez, mais à cause des meubles dont elle estoit garnie. Son buffet et sa table estoient pleines de vieilles sculptures, et si délicates (j'entends la table et le buffet) qu'elles n'eussent pu souffrir les travaux du demenagement, car il les auroit fallu embourer ou garnir de paille pour les transporter comme si c'eust esté de la poterie. Sa tapisserie et ses sieges estoient de pieces rapportées, et de tel prix que pas un n'avoit son pareil. Sa cheminée estoit garnie d'un ratelier chargé d'armes qui estoient rouillées dès le temps des guerres de la ligue, et à sa poultre estoient attachées plusieurs cages pleines d'oyseaux qui avoient appris à siffler sous luy. La seule chose où il s'efforçoit de faire dépense estoit en bibliotheque. Il avoit tous livres d'élite; je veux dire qu'il choisissoit ceux qui estoient à meilleur marché. Un mesme auteur estoit composé de plusieurs tomes d'inégale grandeur, d'impression, de volume et de relieure differente; encore estoit-il toujours imparfait. Entre les caracteres, ceux qu'il estimoit le plus c'étoient les gothiques, et entre les relieures celles de bois. Il fuyoit la conversation des honnestes gens, à cause qu'il pourroit arriver par mal-heur qu'on y seroit engagé à faire quelque dépense. Il se trouva mesme une fois mélé dans une conference de gens d'esprit, où, comme on discutoit de plusieurs matieres, il y avoit à faire un grand fruit; mais il rompit avec eux, à cause qu'à la fin de l'année il falloit payer un quart d'écu pour quelques menues necessitez, et pour donner à un pauvre homme qui avoit soin de nettoyer la salle. Il trouva ce present trop excessif, et n'ayant voulu donner pour sa part que cinq sous, il les tira avec grande peine de son gousset; mais pour les en faire sortir il fallut qu'il retournast tout à fait sa pochette, tant il avoit dedans d'autres brimborions. Il s'y trouva mesme une grosse poignée de miettes de pain, ce qui donna sujet à quelques railleurs de dire qu'il avoit mis exprés ces miettes avec son argent, de peur qu'il ne se rouillast, de mesme qu'on met des cousteaux dans du son quand on est longtemps sans les faire servir. Cette rupture leur fit grand plaisir, parce qu'ils virent bien que son esprit estoit une pierreponce, qu'il estoit tout à fait impossible de polir.

Il avoit pourtant quelques bonnes qualitez: car la chasteté et la sobriété estoient en luy en un souverain degré, et generalement toutes les vertus épargnantes. Il avoit une pudeur ingenue, qui luy eust esté bienseante s'il eut esté jeune. Il seroit devenu plus rouge qu'un cherubin s'il eust levé les yeux sur une femme. Il estoit mesme si honteux en tout temps qu'en parlant à l'un il regardoit l'autre; il tournoit ses glans ou ses boutons, mordoit ses gants et se grattoit où il ne luy demangeoit pas; en un mot, il n'avoit point de contenance asseurée. Ses habits estoient aussi ridicules que sa mine; c'estoient des memorians ou repertoires des anciennes modes qui avoient regné en France. Son chapeau estoit plat, quoy que sa teste fust pointue; ses souliers estoient de niveau avec le plancher, et il ne se trouva jamais bien mis que quand on porta de petits rabats, de petites basques et des chausses estroites: car, comme il y trouva quelque épargne d'étoffe, il retint opiniastrement ces modes. Il avoit la teste grasse, quoique son visage fut maigre, et ses sourcils et sa barbe estoient assez bien nourris, veu la petite chere qu'il faisoit.

C'eust esté dommage qu'une si belle plante, et unique en son espece, n'eust point eu de rejeton; il parla donc de se marier, ou plutost quelqu'autre en parla pour luy: car c'estoit un homme à marier par ambassadeur, comme les princes; mais ce que ceux-là font par grandeur, cettuy-cy le faisoit par timidité. Cela l'excita à faire l'honorable et à visiter un peu les bourgeois de son quartier, jusqu'à telle familiarité qu'ils soupoient ensemble les festes et les dimanches, à condition que chacun feroit apporter son souper de son logis. Il arriva un jour fort plaisamment qu'il s'y trouva huit éclanches, venans de huit ménages qui composoient l'assemblée. Mais sa plus grande dépense fut au temps du carnaval, où il donnoit à manger à son tour aussi bien que les autres, et là furent mangez quelques coqs-d'inde et quelques cochons de lait qui n'avoient point passé par les mains du rotisseur, car le maistre du festin avoit coustume de dire qu'ils estoient plus propres quand on les accommodoit à la maison.

Je ne saurois me tenir que je ne raconte une adventure qui arriva à l'une de ces réjouyssances du quartier. Une greffiere avoit coustume d'emporter la clef de l'armoire au pain, apres en avoir taillé quelques morceaux qu'elle laissoit à la servante et aux clercs pour leur souper. Un jour qu'elle alloit manger chez un de ses voisins, elle avoit oublié de leur laisser leurs bribes, de sorte qu'un des clercs fut député, qui luy alla demander la clef de l'armoire au pain, au milieu de la compagnie. Elle en rougit, et n'osa pas la luy refuser; mais quand elle fut au logis, elle luy fit de grandes réprimandes sur son indiscretion, et luy deffendit bien expressément de lui venir jamais demander la clef du pain quand elle seroit en quelque assemblée. Il retint bien cette leçon, et une autre fois qu'il arriva à la greffiere un pareil défaut de memoire, le mesme clerc luy vint dire devant tout le monde: Madame, puisque vous ne voulez pas qu'on vous demande la clef du pain, je vous prie au moins de nous ouvrir ici l'armoire; et en mesme temps il fit entrer un crocheteur qui avoit l'armoire chargée sur son dos, ce qui fit éclatter de rire toute la compagnie. Peu apres, il arriva un petit incident de cuisine qui fit continuer la risée: car un barbier estuviste qui estoit de la feste, se piquant de faire des sauces, se mit en devoir de faire un salmigondis; mais ayant mis chauffer le plat sur les cendres auprés du feu qui estoit trop ardent, un des bords du plat se fondit, et il s'y fit une échancrure pareille à celle des bassins à faire la barbe. Comme il le servit chaudement sur la table, un galant homme qui se trouva par hazard dans la trouppe dit assez plaisamment: Je sçavois bien que ce barbier maladroit nous donneroit icy un plat de son mestier. Ces rencontres, qui arriverent, par bonheur pour Bedout, lors qu'il rendit le bouquet41, furent bien-tost connues par la ville, de sorte qu'on ne parloit en tous lieux que de son soupper, qui, par ce moyen, fut mis en reputation.

 

Or, comme il ne vouloit pas perdre cette dépense, cela fit qu'il resolut, pendant ce temps de bonne chere, de se marier tout de bon. Il se mit donc sur sa bonne mine; il fit lustrer son chapeau et le remettre en forme; il mit un peu de poudre sur ses cheveux. Il augmenta sa manchette de deux doigts; il mit mesme des canons, mais si petits, qu'il sembloit plûtost avoir des bandeaux sur les jambes que des canons. Il fit abattre la haute fustaye de sa barbe et le taillis de ses sourcils. Enfin, à force de soins, il devint un peu moins effroyable qu'auparavant. Une de ses cousines parla aux parents de Javotte, qui estoit du voisinage, de la marier avec cet Adonis, qui avoit tous ses charmes enfermez sous la clef de son coffre. Elle fit bien-tost agréer cette proposition au pere et à la mere, parce qu'elle asseura qu'il avoit beaucoup de bien, et sur tout que ce seroit un bon homme de mary, qui ne mangeroit pas son fait ny la dot de sa femme. Mais comme Vollichon estoit plus formaliste, il dit qu'il vouloit voir plus precisément en quoy consistoient ses effets, et il luy en fit demander le memoire pour s'en informer. Bedout le refusa absolument, et dit pour toutes raisons qu'il avoit esté taxé aux aisez42 et contraint de se cacher pour cela six mois dans le Temple; que les partisans, qui avoient des espions partout, pourroient voir le memoire de son bien, s'il l'avoit donné une fois à quelqu'un, et qu'ils recommenceroient leurs poursuites. Il se contenta de dire qu'il monstreroit toujours autant de bien qu'on en donneroit à la fille qu'on lui proposoit. Or, comme sa richesse estoit assez évidente, et qu'elle consistoit en maisons dans la ville et dans les fauxbourgs, Laurence, tel estoit le nom de sa cousine, fit qu'on n'insista pas d'avantage sur cette formalité. Mais elle se trouva bien embarrassée pour faire l'entreveue de luy et de la maistresse qu'elle lui destinoit, afin de voir s'ils seroient agreables l'un à l'autre.

Bedout esquiva la partie qu'elle vouloit faire pour cela, et il luy dit que rien ne pressoit, qu'il ne prenoit pas une femme pour sa beauté, qu'il seroit assez temps de la voir quand l'affaire seroit conclue; qu'enfin telle qu'on la luy voudroit donner elle luy plairoit assez. Mais si vous ne lui plaisez pas (luy dit Laurence)? Bedout répondit qu'une honneste femme ne devoit point avoir d'yeux pour les défauts de son mary. Nonobstant ces brutalitez, l'affaire s'avançoit toujours, et vint au point que Laurence voulut, à quelque prix que ce fut, les faire rencontrer ensemble. Elle invita donc son cousin de venir chés elle un jour qu'elle sçavoit que madame Vollichon luy devoit venir rendre visite avec sa fille. Il y vint sans se douter de l'embuscade qui luy estoit préparée, et apres quelque temps, quand il vit entrer ces deux dames qu'il ne connoissoit point encore, il rougit, perdit contenance et à toute force voulut s'en aller. Mais Laurence le retint par le bras et luy dit: Demeurez, mon cousin: la fortune vous favorise beaucoup aujourd'huy; voilà celle que vous devez peut-estre avoir pour femme et celle que vous aurez ainsi pour belle-mere. Cela l'embarrassa encore davantage; il fut pourtant obligé de demeurer. Aussi-tost il fit deux reverences, l'une du pied droit et l'autre du pied gauche, à chacune la sienne, et laissa parler pour luy sa cousine, qui fit les honneurs de la maison.

Or, comme il se trouva plus prés de Javotte quand ils eurent pris des sieges, ayant mis son chapeau sous son coude, et frottant ses mains l'une dans l'autre, apres un assez long silence, peut-estre afin de méditer ce qu'il devoit dire, il ouvrit ainsi la conversation: Hé bien (Mademoiselle), c'est donc vous dont on m'a parlé? Javotte répondit avec son innocence accoustumée: Je ne sçay pas (Monsieur) si on vous a parlé de moy; mais je sçais bien qu'on ne m'a point parlé de vous. Comment (reprit-il), est-ce qu'on pretend vous marier sans vous en rien dire? Je ne sçais (dit-elle). Mais que diriez-vous (repartit-il) si on vous proposoit un mariage? Je ne dirois rien (répondit Javotte). Cela me seroit bien avantageux (reprit Bedout assez haut, croyant dire un bon mot), car nos lois portent en termes formels que qui ne dit mot semble consentir. Je ne sçais quelles sont vos loix (luy dit-elle); mais pour moy, je ne connois que les loix de mon papa et de maman. Mais (reprit-il) s'ils vous commandoient d'aymer un garçon comme moy, le feriez-vous? Non (dit Javotte): car ne sait-on pas bien que les filles ne doivent jamais aymer les garçons? J'entends (repliqua Bedout) s'il estoit devenu mary. Ho, ho (dit-elle), il ne l'est pas encore; il passera bien de l'eau sous les ponts entre-cy et là. La bonne mere, qui vouloit ce parti, qu'elle regardoit comme tres-advantageux, se mit de la partie, et luy dit: Il ne faut pas (Monsieur) prendre garde à ce qu'elle dit; c'est une fille fort jeune, et si innocente qu'elle en est toute sotte. Ha, Madame (reprit Bedout), ne dites pas cela; c'est vôtre fille, et il ne se peut qu'elle ne vous ressemble. Quand à moy, je trouve qu'il n'y a rien de tel que de prendre pour femme une fille fort jeune, car on la forme comme l'on veut avant qu'elle ait pris son ply. La mere reprend aussitost: Ma fille a toujours esté bien élevée, et je la livreray à un mary bonne ménagere; depuis le matin jusques au soir elle ne leve pas les yeux de dessus sa besogne. Quoy (interrompit Javotte), faudra-t-il encore travailler quand je seray mariée? Je croyois que quand on estoit maistresse on n'avoit autre chose à faire qu'à joüer, se promener et faire des visites? Si je sçavois cela, j'aymerois autant demeurer comme je suis. A quoy sert donc le mariage? Laurence, qui estoit adroite et malicieuse, se mit là dessus à luy dire: Non, non, Mademoiselle, n'ayez point de peur; mon cousin est plus galant homme qu'il ne semble; il a du bien assez pour vivre honorablement, sans que vous songiez tant à le ménager. Vous vivrez à vostre aise et fort en repos; vous dormirez toute la matinée, vous irez joüer et vous promener tout le reste du jour; pourveu que vous soyez avec luy à disner et à souper, cela suffira. Vous parlez sans procuration speciale (luy dit Bedout presque en colere); un mary ne prend une femme que pour avoir de la compagnie et pour regler sa maison. Cependant, au lieu de ménager son bien, elle iroit le dissiper! le bien de Cresus n'y fourniroit pas. Pour moy, je voudrois qu'une femme vescust à ma mode, et qu'elle ne prist plaisir qu'à voir son mary. Vous donneriez (dit Laurence) des bornes bien estroites à ses plaisirs. Pour moy (reprit Bedout), je vous vais prouver par cent authoritez que cela doit aller ainsi; et il alloit enfiler cent sottises et pedanteries quand, par bon-heur, une collation entra dans la salle, qui rompit ce ridicule entretien.

La seule galenterie qu'il fit ce jour là, fut qu'il voulut peler une poire pour sa maistresse; mais comme c'estoit presque fait, elle luy échappa des doigts, et se sucra d'elle-mesme sur le plancher de la chambre. Il la ramassa avec une fourchette, souffla dessus, la ratissa un peu, puis la luy offrit, et luy dit encore, comme font plusieurs personnes maintenant, qu'il luy demandoit un million d'excuses. A quoy Javotte répondit ingenuement: Monsieur, je ne vous en sçaurois donner, car je n'en ay pas une seule. Après quelques discours et aventures semblables, la visite se termina. Bedout se hazarda jusqu'à reconduire sa maistresse chés elle; mais il prit tousjours le haut du pavé, ce qu'il ne faisoit pas pourtant par incivilité ny par ambition, mais par ignorance, qui estoit bien pardonnable à un homme qui faisoit son apprentissage d'escuyer, et à qui semblable faute n'estoit jamais arrivée. A peine l'eut-il quittée, que Javotte dit à sa mere: Mon Dieu, maman, que voilà un homme qui me déplaist; qui luy répondit seulement: Taisez-vous, petite Babouine; vous ne sçavez pas ce qui vous est propre.

Bedout en s'en retournant rentra chez sa cousine pour prendre congé d'elle, qui luy demanda aussi-tost ce qu'il disoit d'une si jolie personne. Il répondit qu'il n'y trouvoit rien à redire, sinon que la mariée estoit trop belle. Et comme les timides sont tousjours défians et jaloux, il luy advoua que, si elle devenoit sa femme, il auroit bien de la peine à la garder. Neantmoins, la beauté ayant des forces si puissantes qu'elle fait de vives impressions sur les cœurs les plus bourus et les plus farouches, il s'en trouva dés lors amoureux, et pria sa cousine de continuer ses soins pour avancer au plustost ce mariage. Cependant il crût faire mieux sa cour dans son cabinet, en écrivant à sa maistresse quelque chose qu'il auroit eu le loisir de méditer, qu'en lui parlant de vive voix, à cause que sa timidité luy ostoit quelquefois la facilité de s'exprimer sur le champ. Il se mit donc à travailler serieusement, et apres avoir bien griffonné des sottises pour faire une lettre galante, il la mit au net dans du papier doré, et la cacheta bien proprement avec de la soye: c'estoit un soin qu'il n'avoit jamais pris pour personne. Il la donna à porter a un laquais nouvellement venu de Picardie, et partant bien digne d'un tel maistre. Le laquais avoit charge de donner la lettre à mademoiselle Javotte en main propre, ce qu'il fit; mais aussi ce fut tout. Car il ne luy dit aucune chose, ny à qui elle s'addressoit, ny d'où elle venoit. Elle luy demanda seulement si le port estoit payé, et elle la porta soudain à son pere, à qui elle crut qu'elle s'adressoit. Car elle avoit accoustumé d'en recevoir souvent pour luy, et n'en avoit jamais receu pour elle; de sorte qu'elle ne songea pas seulement à lire l'adresse, quoy que je ne sçache pas précisément s'il y en avoit. Vollichon l'ouvrit et la leût, et en mesme temps sousrit de la naïfveté de sa fille, et admira le bel esprit de celuy qu'il destinoit pour son gendre, qui écrivoit en un style si magnifique et si peu commun. Le laquais s'en retourna donc sans réponse. Bedout luy demanda où il s'estoit amusé si long-temps, et le cria fort de ce qu'il avoit tant tardé à revenir. Je me suis arresté à voir de petites demoiselles pas plus hautes que cela (dit le laquais en monstrant la hauteur de son coude), que tout le monde regardoit au bout du Pont-Neuf, qui se battoient. Or ce beau spectacle estoit qu'il avoit veu la monstre des marionettes, qu'il croyoit ingenument estre de chair et d'os, et animées. Bedout ne pouvant donc pas apprendre d'un laquais si spirituel comme sa maistresse avoit receu son ambassade, resolut de l'aller voir sur le soir en personne. S'il y eust esté seul, il auroit peut-estre eu la mesme peine à y estre receu que Nicodeme; mais c'est ce qu'il n'avoit garde de faire. Il falloit mesme que son amour fust desja bien violente pour luy faire entreprendre d'y aller avec une bonne et seure introduction. Il pria donc sa cousine Laurence d'aller rendre à madame Vollichon sa visite, et de trouver bon qu'il luy servit d'escuyer. Laurence fut ravie de luy rendre ce service, et mesme rendit grace à Dieu de ce qu'elle voyoit son cousin si changé, n'ayant pas creû qu'il peust jamais avoir la hardiesse d'aller voir sa maistresse. Elle fut fort bien receue de la mère et de la fille, et à sa faveur Bedout le fut aussi. Et comme il n'estoit pas si bien mis que Nicodeme, et qu'il n'avoit pas la mine d'un cajolleur dangereux, madame Vollichon ne craignit point de le laisser seul avec sa fille, tandis qu'elle entretenoit Laurence, qui l'avoit adroitement tirée un peu à l'écart pour favoriser ce nouvel amant. Bedout, impatient de sçavoir le succès du grand effort de son esprit, dès les premiers complimens qu'il fit à Javotte, il luy demanda ce qu'elle disoit de la lettre qu'elle avoit receue, et pourquoy elle n'y avoit pas fait réponse. Elle luy répondit froidement qu'elle n'avoit point veu de lettre, sinon une pour son papa, qu'elle luy avoit portée, et qui y feroit réponse par la poste. Je ne vous parle pas de celle-là (repliqua-t-il); je vous parle d'une que vous a donné aujourd'huy mon laquais, et qui estoit pour vous-mesme. Pour moy (reprit Javotte en s'estonnant)? hé! les filles reçoivent-elles des lettres? N'est-ce pas pour des affaires qu'on les écrit? Et puis, qui est-ce qui me l'auroit envoyée? Bedout luy dit que c'estoit luy qui avoit pris cette hardiesse. Vous (dit-elle)! Et vous n'estes pas aux champs? Vous me prenez bien pour une ignorante, comme si je ne sçavois pas que toutes les lettres viennent de bien loin par des messagers? Nous en recevons tous les jours ceans, et mon papa ne fait que se plaindre de l'argent qu'il couste à en payer le port. Aussi bien, à quoy bon m'écrire? Ne me direz-vous pas bien vous-mesme ce que vous voudrez, sans me le mander, puisque vous venez ici? Aviez-vous quelque chose de si pressé à me dire? Bedout, qui croyoit avoir fait une merveilleuse lettre, et qui en attendoit de grandes louanges, la prit au mot, en disant: Puisque vous voulez donc bien sçavoir ce qui est dans ma lettre, je vous en veux faire la lecture; car j'en ay gardé une coppie, qu'il tira en mesme temps de sa poche, et qu'il leût en ces termes:

 
39C'étoient celles qui se tenoient, à propos des nouvelles du jour, chez Théophraste Renaudot. On sait que ce premier de nos faiseurs de gazettes prenoit pour titre celui de maître général des bureaux d'adresse, et que, long-temps, on put lire au bas de la dernière page du journal dont il étoit le fondateur: Du bureau d'adresse, au Grand-Coq, rue de la Calandre, sortant au Marché-Neuf, près le Palais, à Paris.
40C'étoit un des plus fameux opérateurs du Pont-Neuf. Il devoit à la ville d'Orviéto, d'où il venoit, le nom qu'il portoit et que sa drogue a gardé. On en trouve la recette dans la Pharmacopée de Moïse Charas (1753, 2 vol. in-4); la thériaque en étoit la base. La vogue de ce remède survécut à son inventeur, et fit la fortune de celui qui en acheta le secret. Nous lisons, en effet, dans le Livre commode des adresses pour 1690, au chapitre des Matières médicinales: «M. de Blegny fils, apothicaire ordinaire du roy… c'est le seul artiste à qui les descendants du signor Hieronimo de Ferranti, inventeur de l'Orviétan, ayent communiqué le secret original.» Je ne sais que ce passage où ce nom soit cité. – On peut lire dans Gui-Patin (lettre du 6 janv. 1654) comment il se fit que la drogue de l'Orviétan, à l'instigation du médecin de Gorris, fut autorisée par douze docteurs de la Faculté, et ce qu'il en advint de rigoureux pour eux quand on sut l'affaire, et le prix qu'ils en avoient touché.
41On disoit donner le bouquet quand on engageoit quelqu'un pour un repas et surtout pour un bal. Cela venoit de ce que les dames, qui souvent alors donnoient à danser et payoient les violons, c'est le mot, engageoient leurs cavaliers à la danse en leur présentant un bouquet. Il en étoit ainsi sous Louis XIII V. Tallemant, t. 8, p. 20 à 25. – Rendre le bouquet, c'étoit s'acquitter, par une invitation pareille, de celle qu'on vous avoit faite.
42Cette taxe des aisés, qui, son nom l'indique, ne frappoit que les riches, étoit une contribution exorbitante, d'autant plus qu'on ne l'imposait qu'arbitrairement. Une anecdote racontée par Tallemant, édit. in-8, t. 1er, p. 374-375, prouve que Richelieu s'en faisoit une arme pour avoir raison de ceux dont il vouloit se venger. Il molesta de cette sorte Barentin, maître de la chambre aux deniers.