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Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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Comme il ne manquoit à Charroselles aucune de toutes les mauvaises qualitez, il avoit sans doute beaucoup d'opiniastreté. Il s'opiniastra donc à vouloir faire entendre à Collantine quelqu'un de ses ouvrages, et s'estant trouvé malheureux cette journée, il voulut jouer d'un stratagème. Il s'advisa donc un jour de la prendre à l'impourveu pour la mener à la promenade hors la Ville, raisonnant ainsi en luy-mesme que, quand il lui liroit quelqu'une de ses pieces, elle ne pourroit pas l'interrompre pour luy faire voir d'autres papiers, parce qu'elle ne les auroit pas alors sous sa main. Mais helas! que les raisonnemens des hommes sont foibles et trompeurs! Comme il la tenoit en pleine campagne, ignorante de son dessein, et sans qu'elle eut songé à prendre aucunes armes deffensives, il se mit en devoir de luy lire un episode de certain roman qui contenoit (disoit-il) une histoire fort intriguée. Vrayement (dit Collantine), il faut qu'elle le soit beaucoup si elle l'est d'avantage que celle d'un procés que j'ay; et en disant cela, elle tira de dessous la juppe sa coppie d'un procès-verbal, contenant 55 roolles de grand papier bien minuttez. Je vous le veux lire devant que je le rende à mon procureur, qui le doit signifier demain; je l'ay pris exprès sur moy pour le luy laisser à mon retour; un bel esprit comme vous en fera bien son profit, car il y a de la matiere pour en faire un roman.

Puisque la loy de nature est telle qu'il faut que le plus foible cede au plus fort, il fallut que l'episode cedast au procès verbal, de mesme qu'un pygmée à un geant. Charroselles fut donc resduit à l'escouter, ou plustost à la laisser lire, et cependant il faisoit en lui mesme cette reflection: Ne suis-je pas bien malheureux d'avoir pris tant de peine à composer de beaux ouvrages, et estre reduit non seulement à ne les pouvoir faire voir au public, puisque ces maudits libraires ne les veulent pas imprimer, mais mesme à ne trouver personne qui ait la complaisance de les ouïr lire en particulier? Il faudra que je fasse enfin comme ces amans infortunez qui recitent leurs avantures à des bois et à des rochers, et que j'imite l'exemple du venerable Béde, qui preschoit à un tas de pierres. Encore si je ne souffrois ce rebut que par ces critiques qui ne trouvent rien à leur goust que ce qu'ils ont fait, je l'endurerois plus patiemment; mais qu'il le faille aussi souffrir d'une personne vulgaire, qui ne seroit pas capable de voir les defauts de mes ouvrages, supposé qu'il y en eust, et dont je ne devrais attendre que des applaudissemens, c'est ce qui est capable de pousser à bout ma patience.

Cependant Collantine lisoit, et souvent interrompoit la triste resverie de nostre Autheur inconsolable, et en le poussant du coude, luy disoit: N'admirez-vous point que j'ay un procureur qui verbalise bien? Vous verrez tantost le dire d'un intervenant qui n'est rien en comparaison. Elle demandoit aussi de fois à autre ce qu'il luy en sembloit, et luy, qui estoit de serment de ne rien loüer, et qui eut esté excusable de ne se point parjurer en cette occasion, luy dit en langue de pedant, dont il tenoit un peu: Je ne trouve rien là, nisi verba et voces. Et estant enquis de l'explication de ces mots, il dit qu'il ne trouvoit rien de mieux baptisé qu'un procés verbal, car, en effet, il ne contient que des paroles.

Collantine eut plutost le gosier sec qu'elle ne fut lasse de lire, et cette alteration, aussi bien que la chaleur qu'il faisoit, obligerent ce peu galand homme à luy offrir un petit doit de collation, et pour cet effet ils descendirent à la Pissote89. Le couvert ne fut pas sitost mis sur la table, que la demoiselle, souspesant le pain dans ses mains, se mit à crier contre l'hoste qu'il n'estoit pas du poids de l'ordonnance, et qu'elle y feroit bien mettre la police. Cette querelle, jointe au mauvais ordre que le meneur y avoit donné, qui estoit d'ailleurs fort œconome, leur fit faire un tres-mauvais repas, et qui se pouvoit bien appeler gouster, en prenant ce mot dans sa plus estroite signification.

Le pis fut quand ce vint à conter. Charroselles contestoit avec l'hoste sur chaque article, et faisoit assez grand bruit, lorsque Collantine y accourut, disant qu'elle vouloit estre receuë partie intervenante en ce procés. Elle prit elle-mesme les jettons, chicana sur chaque article, et rogna mesme de ceux qui avoient esté des-ja alloüez. Sur tout elle ne vouloit pas qu'on payast le pain qu'à raison de dix sols la douzaine, asseurant que l'hoste l'avoit à ce prix du boulanger, et que c'estoit assez pour luy d'y gagner le troiziéme. Cependant, l'hoste estant ferme à son mot, elle voulut envoyer querir un officier de justice pour consigner entre ses mains le prix de l'escot, et s'opposer à la délivrance des deniers, avec assignation pour en voir faire la taxe. Elle disoit hautement que ce n'estoit pas pour la somme, mais qu'il ne falloit pas accoustumer ces rançonneurs de gens à leur donner tout ce qu'ils demandoient; excuse ordinaire des avares, qui protestent tousjours de ne pas contester pour la consequence de l'argent, mais qui neantmoins ne contesteroient point s'il n'en falloit point donner. Enfin la liberalité forcée de Charroselles les tira de cet embarras; au grand regret de Collantine d'avoir manqué une occasion d'avoir un procés, asseurant tout haut que, si c'eust esté son affaire, l'hoste en eust esté mauvais marchand; qu'il luy en eust cousté bon; et elle se consola neantmoins, sur la menace qu'elle luy fit d'y envoyer un commissaire, pour le faire condamner à l'amende à la police.

Nostre pauvre autheur, qui n'avoit pas eu mesme de la loüange pour son argent, chercha plusieurs autres occasions, dans les visites qu'il rendit à Collantine, de luy faire quelque lecture; mais elle estoit tousjours en garde de ce costé-là. Ce n'est pas qu'elle eust de l'aversion pour ses ouvrages, mais c'est qu'elle avoit tant d'autres papiers à lire, où elle prenoit plus de goust, qu'elle n'avoit de loisir que pour ceux qui flattoient sa passion. Un jour entr'autres, qu'il avoit fait plusieurs tentatives inutiles, il se mit tellement en colere contre elle, qu'il estoit presque resolu de la lier, et de luy mettre un baillon dans la bouche pour avoir sa revanche, et la prescher tout à loisir, quand voicy qu'il survient une nouvelle occasion de procés.

Je ne sçay sur quel point de conversation ils estoient, quand la demoiselle luy dit: A propos, j'ay une priere à vous faire: faites-moy le plaisir de me prester une chose que vous trouverez dans l'estude de feu monsieur vostre pere. Quoy (dit Charroselles), avez-vous besoin de livres de guerre ou de chevalerie? J'ai les fortifications d'Errart90, de Fritat, de de Ville91, et de Marolois92; j'ay les livres de machines de Jean Baptiste Porta93 et de Salomon de Caux94, les livres de Pluvivel95 et de la Colombiere96; voulant faire croire par là que son pere estoit un grand homme de guerre.

 

Ce n'est point cela (luy dit-elle); je n'ay affaire que d'un papier. Ha (repliqua-t'il), il en avoit que tres-curieux: il avoit toutes les pieces qui ont esté faites durant la Ligue et contre le gouvernement: le Divorce Satirique97, la Ruelle mal-assortie98, la Confession de Sancy, et plusieurs autres. Ce n'est point encore cela (repartit Collantine); c'est qu'en un procés que j'ay, je voudrois bien produire un arrest qui a esté rendu en cas pareil. J'ay entendu dire qu'il y en a eu un rendu sur une espece semblable, en une instance où feu monsieur vostre pere estoit procureur; on luy aura peut-estre laissé les sacs; je vous prie de prendre ce memoire et de le faire chercher, ou à tout le moins de m'en dire le datte. Dites-vous cela (reprit Charroselles) pour me faire injure? Ne sçavez-vous pas que je suis gentilhomme? j'ay quatre-vingt mille livres de bien, un carosse entretenu, deux laquais, valet de chambre, et apres cela vous me faites ce tort de me croire fils d'un procureur. Quand il seroit ainsi (luy répondit Collantine), je ne vous ferois pas grand tort, car j'estime autant et plus un procureur qu'un gentilhomme. J'en sçais cent raisons, et sur tout une qui est decisive, pour faire voir l'avantage que l'un a sur l'autre: c'est qu'il n'y a point de gentilhomme, tant puissant soit-il, qui ait pû ruiner le plus chetif procureur; et il n'y a point de si chetif procureur qui n'ait ruiné plusieurs riches gentilhommes. Et sans luy donner le loisir de l'interrompre, elle qui sçavoit admirablement son palais, pour luy monstrer qu'elle ne parloit point en l'air, luy dit le nom et la demeure de celuy qui estoit subrogé à la pratique de son pere, luy nomma l'huissier qu'il employoit à faire ses significations, le commis du greffe qui mettoit ses arrests en peau99, la buvette où il alloit déjeuner, les clercs qui avoiest esté dans son estude, enfin tant de choses que Charroselles, convaincu de cette verité et confus de ce reproche, n'eut autre recours pour s'en sauver qu'à son impudence, et à luy soustenir hautement que tout cela estoit faux. Collantine en infera aussi-tost: J'ay donc menty! et en mesme temps il y eut souflets et coups de poing respectivement donnez. Elle fut la premiere à souffleter et à crier: Au meurtre! on m'assassine! et quoy qu'elle fust la moins battuë, c'estoit elle qui se plaignoit le plus haut. Pour le pauvre Charroselles, il n'estoit que sur la deffensive; et quoy que ce ne fust pas le respect du sexe qui le reteint (car il n'en avoit ny pour sexe, ny pour âge), neantmoins l'avantage n'estoit pas de son costé, car il n'estoit accoutumé qu'à mordre, et non point à souffleter ny à battre. Le plus plaisant fut que, parmy les voisins qui arriverent au secours, se trouva fortuitement le frere de Collantine, qui avoit hérité de l'office de sergent qu'avoit son pere. Quoy qu'il eust beaucoup d'affection pour elle, il se donna bien de garde de separer ces combatans, qui s'embrassoient fort peu amoureusement; mais, disant aux assistans qu'il les prenoit à tesmoins, il escrivit cependant à la haste une requeste de plainte, et tant plus il les voyoit battre, tant mieux il rolloit. Le mal-heureux autheur fut donc obligé de s'enfuir, car tout le voisinage accouru se rua sur sa fripperie et le mit en aussi pitoyable estat qu'un oyson sans plume. Le sergent envoya querir vistement la justice ordinaire du lieu, dont sa sœur le querella fort, luy disant qu'il se meslast de ses affaires; qu'elle sçavoit assez bien, Dieu mercy, les destours de la pratique pour ruiner sa partie de fonds en comble; en un mot, qu'elle vouloit avoir la gloire toute seule de commencer et de pousser à bout ce procez.

Le bailly venu, elle fit faire en moins de rien de gros volumes d'informations, et on connut alors le dire d'un autheur espagnol trés-véritable, qu'il n'y a rien qui croisse tant et en si peu d'heure, qu'un crime sous la plume d'un greffier. Elle obtint bientost un décret de prise de corps, et parce qu'elle n'avoit point de veritables blessures, elle se frotta les bras avec un peu de mine de plomb; en suite elle se fit mettre quelques emplastres par un chirurgien et obtint un rapport de plusieurs échinoses (c'est à dire esgratignures). Ce grand mot donna lieu à deux sentences de provision de 80 livres parisis chacune. Charroselles, qui ne sçavoit autre chicane que celle qui luy servoit à invectiver contre les autheurs, fut si embarassé que, pour éviter la prison, il fut obligé de se cacher quelques jours en une maison de campagne d'un de ses amis. Là, toute sa consolation fut de décharger sa colère sur du papier et de se servir des outils de sa profession. Il se mit à faire une satyre contre Collantine, et sa bile mesme s'épandit sur tout le sexe. Il chercha dans ses lieux communs tout ce qui avoit esté dit contre les femmes. Il n'oublia pas le passage de Salomon, qui dit que de mille hommes il en avoit trouvé un de bon, et de toutes les femmes pas une. En suite il fit un catalogue de toutes les méchantes femmes de l'antiquité, et les compara à sa partie adverse, qu'il chargea seule de tous leurs crimes. Il la dépeignit cent fois plus horrible que Megere, qu'Alecto, ny que Tusiphone. Mais tandis qu'il estoit dans sa plus grande fureur d'invectiver, il se souvint que tout ce qu'il escrivoit seroit peut-estre perdu, parce que les libraires ne voudroient pas imprimer cet ouvrage, comme beaucoup d'autres qu'ils luy avoient rebutez. C'est pourquoy il resolut, pour ne plus travailler inutilement, de sonder à l'advenir leur volonté devant que de commencer un ouvrage. En cela il vouloit imiter ce qu'avoient fait autrefois la Serre et autres autheurs gagistes des libraires, qui mangeoient leur bled en herbe, c'est à dire qui traitoient avec eux d'un livre dont ils n'avoient fait que le titre. Ils s'en faisoient advancer le prix100, puis ils l'alloient manger dans un cabaret101, et là ils le composoient au courant de la plume. Encore arrivoit-il souvent que les libraires estoient obligez de les aller dégager de la taverne ou hostellerie, où ils avoient fait de la dépence au delà de l'argent qu'ils leur avoient promis.

 

Il escrivit donc à tous ceux qu'il connoissoit; il leur manda son dessein et leur envoya un plan ou un eschantillon de son ouvrage, pour sçavoir d'eux s'ils le voudraient imprimer. Mais comme ces libraires estoient dégoustez de tous ses écrits par les mauvais succès qu'avoient eu ses livres precedens, ils luy manderent tout à plat qu'ils n'imprimeroient rien de luy qu'il ne les eut dédommagez des pertes qu'il leur avoit fait souffrir, ce qui le mit en une telle colère, qu'il eust déchiré le livre qu'il composoit, sans la tendresse paternelle qu'il avoit pour luy. Neantmoins cela luy fit abandonner ce dessein. Toutesfois la rage où il estoit contre Collantine n'estant pas satisfaite, il voulut faire du moins quelque petite pièce contre elle, qu'il pust faire courir en manuscrit chez les gens qui la connoissoient. Mais parce que la prose ne se peut pas resserrer dans des bornes estroites, il fut contraint de tascher à faire des vers. Cependant, il avoit une estrange aversion pour la poësie102, et quelque effort qu'il eust pû faire, de sa vie il n'avoit pû assembler deux rimes. Enfin sa passion vint à un si haut point, qu'elle se tourna en fureur poëtique, et comme autrefois le fils de Crœsus, qui avoit esté tousjours muët, se desnoüa la langue par un grand effort qu'il fit pour avertir son père qu'on le vouloit tuer, de mesme Charroselles, outré de colère contre Collantine, malgre la haine qu'il avoit pour les vers, fit contr'elle cette Epigramme.

Épigramme
 
Pilier mobile du Palais,
Ame aux procés abandonnée,
C'est dommage, tant tu t'y plais,
Que Normande tu ne sois née.
Je m'attends qu'un de ces matins
Ton humeur chicaneuse plaide
Contre le ciel et les destins,
Qui t'ont fait si gueuse et si laide.
 

Quoy que cette epigramme ne fust pas bonne, elle estoit du moins passable pour un homme qui foisoit son coup d'essay. Il l'envoya à tous ses amis, mais bien luy en prit qu'elle ne vint point à la connoissance de Collantine: car elle n'auroit pas manqué d'en faire informer et de l'appeler libelle diffamatoire. Il se crut donc par là bien vangé (poètiquement s'entend), car chacun se vange à sa maniere, un autheur par des vers, un noble à coups de main, un praticien en faisant couster de l'argent. Quelque temps après, Charroselles, par je ne sçay quel bonheur, fit connoissance avec un procureur du Chastelet, excellent dans son mestier et digne antagoniste de Collantine et de son frère le sergent, quand il les auroit eu tous deux à combattre. Cettuy-cy pour luy préparer une autre vengeance à sa maniere, le fit adresser à un commissaire qui luy fit répondre et antidater une requeste du jour que la querelle estoit arrivée, chose qui se fait sans scrupule, à cause que cela ameine de la pratique aux officiers royaux, par la prevention qu'ils ont sur les subalternes. Il fit entendre pour témoins deux de ses laquais, dont il fit déguiser les noms et la qualité, les ayant produit sous un autre habit; il eut mesme, je ne sçay comment, un rapport de chirurgie tel quel (car ses blessures dont il avoit eu bon nombre estoient gueries). Avec cela il obtint de sa part un pareil decret, et deux sentences de provision, qui furent données deux fois plus fortes que celles de la justice ordinaire, par une jalousie de jurisdiction: en telle sorte que le sergent, qu'il fit comprendre dans le décret aussi bien que sa sœur, fut obligé pour quelque temps d'aller, comme disent les bonnes gens, à Cachan. Le remede fut d'obtenir un arrest portant deffences aux parties d'executer ce decret et de faire des procedures ailleurs qu'en la cour, les provisions compensées, le surplus payé, c'est le stile ordinaire. Et en vertu de ce surplus, le pauvre sergent, quelque temps après, lors qu'ils ne s'en doutoit en aucune sorte, fut constitué injurieusement prisonnier par un de ses confreres, qui pour peu d'argent se chargea volontiers de cette contrainte contre luy. La cause fut mise au roolle, et après avoir esté long-temps sollicitée et bien plaidée, les parties furent mises hors de cour et de procès sans aucune reparation, dommages interests, ny dépends. Ainsi, qui avoit esté battu demeura battu, et tous les grands frais que les parties avoient fait de part et d'autre furent à chacune pour son compte.

Or, lecteur, vous devez sçavoir qu'il estoit escrit dans les livres des Destinées, ou du moins dans la teste opiniastre de Collantine, qui ne changeoit guère moins; qu'elle ne seroit jamais mariée à personne qu'il ne l'eust vaincuë en procés, de mesme qu'autrefois Atalante ne vouloit se donner à aucun amant qu'il ne l'eust vaincuë à la course. De sorte que cet heureux succés de Charroselles luy servit au lieu de luy nuire; et quoy qu'en effet il ne l'eust pas surmontée entierement, du moins il luy avoit fait perdre ses avantages, comme il arrivoit en ces anciens combats de chevaliers qui se terminoient après un témoignage reciproque de valeur, sans la deffaite entière de leur ennemy. De manière qu'on ne vit point icy arriver ce qui suit ordinairement les procés, car cela ne servit qu'à les réjoindre plus estroitement, et à leur donner une estime reciproque l'un pour l'autre. Sur tout Collantine, qui se croyoit invincible en ce genre de combat, admiroit le heros qui luy avoit tenu teste, et commença de le trouver digne d'elle. Mais voicy cependant un rival, ou plustost un autre plaideur qui se jette à la traverse.

Je ne sçaurois obmettre la description d'une personne si extraordinaire. C'estoit un homme qui, par les ressorts de la Providence inconnus aux hommes, avoit obtenu une charge importante de judicature. Et pour vous faire connoistre sa capacité, sçachez qu'il estoit né en Perigort, cadet d'une maison qui estoit noble, à ce qu'il disoit, mais qui pouvoit bien estre appellée une noblesse de paille, puisqu'elle estoit renfermée sous une chaumiere. La pauvreté plustost que le courage l'avoit fait devenir soldat dans un régiment, et la fortune enfin l'avoit poussé jusqu'à l'avoir rendu cavalier, quand elle le ramena à Paris. Du moins ceux qui estoient bons naturalistes appelloient cheval la beste sur laquelle il estoit monté; mais ceux qui ne regardoient que sa taille, son port et sa vivacité, ne la prenoient que pour un baudet. Il fut vendu vingt escus à un jardinier dés le premier jour de marché, et bien luy en prit, car il auroit fait pis que Saturne, qui mange ses propres enfans: il se seroit consommé luy-mesme. Le laquais qui suivoit ce cheval (il faut me resoudre à l'appeller ainsi) estoit proportionné à sa taille et à son merite. Il estoit Pigmée et barbu, sçavant à donner des nazardes, et à ficher des épingles dans les fesses; en un mot, assez malicieux pour meriter d'estre page, s'il eut esté noble, supposé qu'on cherche tousjours de la noblesse dans ces messieurs. Pour bonnes qualitez, il avoit celle d'encherir sur ceux qui jeusnent au pain et à l'eau, car il avoit appris à jeusner à l'eau et à la chastagne. Aussi cela luy estoit-il necessaire pour vivre avec un tel maistre, puisque, pour peu qu'il eust esté goulu, il l'eust mangé jusqu'aux os; encore n'auroit-il pas fait grande chere, ce pauvre homme et sa bource estant deux choses fort maigres. Si ce proverbe est veritable, tel maistre tel valet, vous pouvez juger (mon cher lecteur, qu'il y a, ce me semble, long-temps que je n'ay apostrophé) quel sera le maistre dont vous attendez sans doute que je vous fasse le portrait. Je vous en donneray du moins une esbauche. Il estoit aussi laid qu'on le puisse souhaiter, si tant est qu'on fasse des souhaits pour la laideur; mais je ne suis pas le premier qui parle ainsi. Il avoit la bouche de fort grande estenduë, témoignant de vouloir parler de prés à ses aureilles, qui estoient aussi de grande taille, témoins asseurez de son bel esprit. Ses dents estoient posées alternativement sur ses gencives, comme les creneaux sur les murs d'un chasteau. Sa langue estoit grosse et seiche comme une langue de bœuf; encore pouvoit elle passer pour fumée, car elle essuyoit tous les jours la vapeur de six pippes de tabac. Il avoit les yeux petits et battus, quoy qu'ils fussent fort enfoncez, et vivans dans une grande retraite; le nez fort camus, le front eminent, les cheveux noirs et gras, la barbe rousse et seiche. Pour le peu qu'il avoit de cou, ce n'est pas la peine d'en parler; une espaule commandoit à l'autre comme une montagne à une colline, et sa taille estoit aussi courte que son intelligence. En un mot, sa physionomie avoit toute sorte de mauvaises qualitez, horsmis qu'elle n'estoit point menteuse. On le pouvoit bien appeller vaillant depuis les pieds jusqu'à la teste, car sa valeur paroissoit en ses machoires et en ses talons. Mais l'infortune l'avoit tellement tallonné à l'armée, qu'apres vingt campagnes il n'avoit pas encore gagné autant que valoit sa legitime (l'on ne sçauroit rien dire de moins), et il estoit obligé de venir chercher sa subsistance à Paris, qui estoit son meilleur quartier d'hyver.

Quant à son esprit, il estoit tout à fait digne de son corps; et quoy qu'il n'ait bien paru que lors qu'il a esté placé sur le tribunal, il en fit voir neantmoins quelque eschantillon, par où l'on peut juger de son caractere. Un jour qu'on luy parloit de la grande Chartreuse, il demanda si c'estoit la femme du general des Chartreux. Il demanda aussi à d'autres gens de quelle matiere estoit fait le cheval de bronze, qui, voyant sa naïfveté luy persuaderent que les pecheurs venoient la nuit tirer du poil de sa queuë pour faire leurs lignes. Il gagea un jour que la Samaritaine estoit de Paris, et se mocqua d'un bachelier qui luy vouloit prouver le contraire par la Bible. Ayant oüy parler un jour de l'estoile poussiniere103, il demanda combien de fois l'année elle avoit des poussins. Une autrefois, un Jacobin luy ayant parlé de la sainte Inquisition, il l'alla retrouver le lendemain, pour luy dire que c'estoit un grand abus de la croire sainte; qu'il n'avoit point trouvé sa feste dans l'almanac, ny sa vie dans la Fleur des Saints104. Comme il se promenoit un jour dans les Thuilleries, quelqu'un s'estonnant de la cause qui avoit peu faire ainsi nommer ce jardin, il répondit qu'il y avoit eu autrefois un roy de France qui s'appelloit Thuille, qui lui avoit donné son nom. C'estoit sçavoir l'histoire de son pays merveilleusement. Je ne sçay s'il n'avoit point autant de raison que cet autre etimologiste, qui vouloit que la salade eust esté inventée par Saladin, à cause de la ressemblance du nom. A propos de princes, quand il vouloit parler de ceux des Vénitiens et des Persans, il avoit coustume de dire le dogue de Venise et le saphir de Perse, au lieu de dire le doge et le sophy. Une autre fois, ayant découvert un clocher en approchant de Charenton, il demanda ce que c'estoit; on luy répondit que c'estoit la maison des Carmes deschaussez. Ha! vrayement (dit-il, trompé sur ce que nous appellons ceux de la Religion des Charentonniers), je ne croyois pas qu'il y eust des Carmes deschaussez huguenots. Le nombre de ses apophtegmes seroit grand si on les vouloit recueillir, et pourroit servir de supplément au livre du sieur Gaulard105, qui avoit à peu prés un mesme genie. Cependant, avec ces ridicules qualitez de corps et d'esprit, la fortune s'advisa d'aller choisir ce magot pour le faire paroistre sur un grand theatre, de la mesme maniere que les charlatans y eslevent des singes et des guenons pour faire rire le peuple.

Il y avoit une charge de prevost vacante depuis long-temps en une justice des plus considérables de la ville. D'abord plusieurs personnes d'esprit et de sçavoir se presenterent pour en traiter; mais il s'y trouva tant d'obstacles de la part d'un nombre infiny de creanciers, que les honnestes gens, qui estoient incapables de faire les intrigues necessaires pour acheter les suffrages de tant de personnes, s'en rebutèrent. On y mit cependant un commissionnaire, à qui on fit le procés pour diverses voleries, et la haine qu'on eut pour luy, et la nécessité de le chasser, en faciliterent l'entrée à Belastre (car c'est ainsi que se nommoit nostre futur ridicule magistrat). Voicy comme il parvint à cette dignité, qui auroit esté un lieu d'honneur pour un autre, mais qui en fut un de deshonneur pour luy.

Un de ses freres avoit espousé en secondes nopces la fille du premier lit de la seconde femme du deffunt prevost, possesseur de la charge dont il s'agit. Cette veufve étoit une femme vieille, laide, gueuse, méchante, harpie, intrigueuse106, médisante, fourbe, menteuse, banqueroutiere, et qui avoit toutes ces mauvaises qualitez en un souverain degré. Son mary ne s'estoit pas contenté de se faire separer de corps et de biens d'avec cette peste; il n'avoit peû estre à couvert de sa malice qu'en la faisant enfermer dans un des cachots de la conciergerie, où elle demeura tant qu'il vescut. Apres sa mort, elle se mit en teste de disposer de cette charge, sous pretexte de sa qualité de veuve, quoy qu'elle n'y eust aucun interest, parce que le nombre de ses creanciers et de son mary absorboit trois fois la valeur de sa succession. Mais par de feintes promesses, elle engagea dans son party une bourgeoise dont la creance estoit fort considérable, luy faisant entendre qu'elles partageroient ensemble les revenus de l'office, qu'elle luy fit paroistre bien plus grands qu'ils n'estoient en effet. Cette femme donna dans le paneau, et comme le chien d'Esope, qui prit l'ombre pour le corps, s'obligea avec elle de payer tous les creanciers.

Belastre fut le personnage du nom duquel le traité fut remply, qui, ayant par ce moyen le titre, se vit en une plus grande difficulté d'avoir l'agrément du seigneur dont la charge dépendoit. Il se trouva qu'il avoit rendu, à l'armée, un service tres-considerable à une personne de la premiere qualité. Il n'y a rien dont les grands soient si prodigues que de sollicitations, ne se pouvant acquitter à moindres frais des vrais services qu'on leur a rendus qu'en donnant des paroles et des complimens. Le seigneur de la justice ne put refuser des provisions à Belastre, apres la prière qui luy en fut faite de la part de cet illustre solliciteur. Mais quoy qu'il eust interessé tous ses officiers, afin de ne point gaster cette sollicitation, il y en eut quelqu'un d'oublié, qui donna advis du peu d'esprit et de capacité de l'aspirant, dont il donnoit d'ailleurs assez de marques par l'aspect de sa personne. Voicy comment cette affronteuse y remedia. Elle leurra une veuve nommée de Prehaut de l'esperance d'épouser ce magistrat quand il seroit parvenu dans son estat de gloire. Celle-cy, qui estoit si affamée de mary qu'elle en auroit esté chercher en Canada107, la crut, et engagea sa mere dans son party, qui estoit encore une insigne charlatane, et fameuse par ses intrigues et par ses affiches108. Sa hablerie, plustot que sa science, lui avoit acquis quelque reputation à faire des cures de certaines maladies du scroton. Elle pensoit, ou plustot elle abusoit comme les autres, le fils d'un conseiller du Parlement, qui, sur sa fausse reputation, s'estoit mis entre ses mains. Ce conseiller estoit en tres-grande estime dans le palais, et n'avoit autre foiblesse que de deferer trop legerement aux prieres de ses enfans, dont il estoit infatué. La vieille donc pria cette veuve, la veuve pria sa mere, la mere pria son malade, le malade pria son pere; et par surprise, à leur relation, il signa un certificat en faveur de Belastre, sans l'examiner, par lequel il attestoit qu'il estoit noble et de bonne vie et mœurs; mesme il y avoit un article faisant mention de sa capacité. Apres celuy-là, elle en fit signer plusieurs autres semblables, jusqu'au nombre de vingt-cinq, par des officiers de cour souveraine, avec quelque legere recommandation, et bien plus de facilité; car tous les hommes péchent volontiers par exemple, et, comme s'ils estoient au bal, se laissent conduire par celuy qui meine la bransle. Tant y a qu'apres ces témoignages authentiques (que le seigneur garda pardevers luy comme ses garends) il ne put se deffendre d'agréer un homme qui se rendit aussi fameux par son ignorance, que les autres l'auroient pû faire par leur doctrine.

Aussi-tost, le nouveau pourveu publia que sa promotion à cette charge estoit un ouvrage de la providence divine; et pour preuve (disoit-il) qu'elle s'estoit meslée de son affaire, c'est qu'il avoit obtenu tant de certificats de capacité de personnes qui ne l'avoient jamais veu ny conneu. Le curé mesme de la paroisse l'appela, dans son prosne, prevost Dieu-donné, trompé par les premieres apparences qu'il luy donna de devotion.

Quand il fust installé dans son siege, le premier reglement qu'il fit, ce fut d'ordonner que les procureurs, greffiers, sergens et autres officiers escriroient doresnavant tous leurs actes en lettre italienne bastarde. Car, comme il escrivoit à la manière des nobles, c'est à dire d'un caractère large de deux doigts, il ne pouvoit lire que cette sorte d'escriture. Il appeloit chicane tout ce qu'il voyoit escrit en minutte, et il adjoustoit qu'il avoit tousjours oüi dire que la chicane estoit une méchante beste, qu'il ne la vouloit point souffrir dans sa justice. S'il desiroit voir quelques expéditions ou procedures, il disoit: Apportez-moy un papier, nommant de ce nom general tous les actes qui se font en justice, de mesme que font les bonnes gens qui n'ont aucune connoissance des affaires. Il se servoit encore des termes de la guerre pour s'expliquer dans la robbe, et quand il vouloit se faire payer de ses vacations ou de ses espices, il disoit ordinairement: Payez-moy ma solde. Il avoit peut-estre appris ce qui se raconte d'un gentilhomme de fortune, qui, sans avoir esté à la guerre, tout d'un coup fut fait general d'armée, et qui chercha aussi-tost un maistre de fortifications pour luy apprendre (disoit-il) l'art militaire de la guerre, à quatre pistoles par mois. Celuy-cy en fit chercher un pour luy apprendre le mestier de juge, à la charge qu'on luy en viendroit faire des leçons chez luy. Il s'imaginoit que cela s'apprenoit comme la science d'un escrimeur; et il adjoustoit que, puisqu'il avoit bien esté à l'armée sans avoir esté à l'académie, il pourroit bien aussi estre juge sans avoir esté jamais au collège. Il se targuoit quelquefois de l'exemple d'un boucher de Lyon qui avoit acheté un office d'esleu109; le gouverneur de la ville s'estonnant comment il le pourroit exercer, veu qu'il ne sçavoit ni lire ni escrire, il luy répondit avec une ignorante fierté: Hé! vrayement, si je ne sçais escrire, je hocheray; voulant dire que, comme il faisoit des hoches sur une table pour marquer les livres de viande qu'il livroit à ses chalans, il en feroit autant sur du papier pour lui tenir lieu de signature. Mais en faveur du boucher, on pourroit alléguer une disparité qui le rendroit excusable; car les esleus sont gens ignares et non lettrez par l'édit de leur creation, et c'est en ce point que l'édit, grace à Dieu, est bien observé. Je ne puis obmettre une belle preuve qu'il donna de sa capacité un peu auparavant que de devenir juge. Il estoit au Palais avec quelques officiers d'armée, qui achetoient des livres à la boutique de Rocolet110; par vanité il en voulut aussi acheter, et en effet il en demanda un au marchand. Rocolet luy demanda quel livre il cherchoit, et s'il en vouloit un in-folio, ou un in-quarto. Belastre, ignorant de ces termes, n'auroit pas compris ce que cela vouloit dire, si ce n'est qu'en mesme temps on luy monstroit du doigt le volume. Il répondit donc qu'il vouloit un grand livre. Rocolet luy demanda encore s'il vouloit un livre d'histoire, de philosophie, ou de quelqu'autre science. Belastre luy répondit qu'il ne s'en soucioit pas, et qu'il vouloit seulement qu'il luy vendist un livre. Mais encore (insista le marchand), afin que je vous en donne un qui vous puisse estre plus utile, dites-moy à quoy vous vous en voulez servir. Belastre luy répondit brusquement: C'est à mettre en presse mes rabats111. Cette réponse fit rire le libraire et tous ceux qui l'entendirent, et monstra que cet homme se connoissoit fort en livres, et qu'il en sçavoit merveilleusement l'usage. Il estoit si peu versé dans la connoissance du Palais, que, mesme depuis qu'il fut magistrat, il croyoit que les chambres des enquestes112 estoient comme les classes du collège, et qu'on montoit de l'une à l'autre à mesure qu'on devenoit plus capable; de sorte qu'ayant veu un jeune homme sortir de la quatriesme chambre, il s'en estonna, et dit tout haut: Voila un conseiller bien advancé pour son âge. Une autrefois, à la table d'un president, quelqu'un vint à citer la loy des douze tables. Vrayement (luy dit Belastre en l'interrompant), il falloit que ces Romains fussent gens de bonne chere. Un galant homme qui se trouva de la compagnie, pour ne pas laisser perdre ce plaisant mot, en fit sur le champ ce quatrain:

89C'étoit un fameux cabaret des environs de Vincennes. Le hameau auquel il attenoit en a gardé long-temps le nom.
90On a de J. Errart, le premier ingénieur françois qui ait écrit sur cette matière: La fortification démonstrée et réduicte en art, 1594, in fol. – Une autre édition en fut donnée à Cologne en 1604.
91Son traité, imprimé a Lyon en 1628, a pour titre: Les fortifications du chevalier A. De Ville.
92Samuel Marolois, de qui l'on a aussi des travaux sur la perspective et sur l'optique, a laissé: Artis muniendi, sive fortificat, pars prima et secunda, Amst., 1633, in-fol. – Son nom ne se trouve dans aucune biographie.
93Furetière parle ici de quelques uns des nombreux ouvrages du fameux physicien napolitain: Pneumaticorum libri III, Naples, 1601, in-4o; De distilationibus, Rome, 1608, in-4o; etc.
94C'est du fameux ouvrage de l'ingénieur normand, La raison des forces mouvantes, etc., 1615, in-fol., dans lequel se trouve la première idée de la machine à vapeur, que Furetière veut parler ici. Cette mention seule suffiroit à prouver que les travaux de Salomon de Caus ne furent pas aussi dédaignés de son temps qu'on l'a prétendu. On pouvoit n'en pas comprendre la portée, mais on les lisoit, et, ce passage-ci en est la preuve, on les citoit parmi les meilleurs.
95Il étoit sous-gouverneur du Dauphin (Louis XIII), et son maître pour les exercices du corps. On lui doit le Manége royal, Paris, 1615, in-fol., réimprimé sous le titre d'Instruction du Roy en l'exercice de monter à cheval, Paris, 1625, in-fol.
96On a du sieur de la Colombière: Le vray théâtre d'honneur et de chevalerie, 1 vol. in-4o, et plusieurs autres ouvrages.
97C'est le plus sanglant libelle qui ait été écrit contre la reine Marguerite, première femme divorcée de Henri IV. «Dans ce libelle, dit M. Bazin, où il ne faut chercher ni fidélité historique, ni talent de style, mais qui ne manque pas d'une certaine verve ordurière, l'auteur feint qu'il s'est élevé quelque blâme contre la dissolution du premier mariage de Henri IV, et il place dans la bouche du roi lui-même le récit scandaleux des faits qui ont rendu cette séparation nécessaire, ou qui, depuis, l'ont trop justifiée. Nous croyons qu'on ne s'est pas mépris en attribuant cet écrit à d'Aubigné. Un voyage qu'il fit à la cour, vers l'époque où l'on voit que ce pamphlet fut composé (1608), pourroit bien lui en avoir fourni l'occasion. Au reste, de lui ou d'un autre, il sent évidemment son huguenot hargneux, sorte de gens que Marguerite avoit toujours trouvés sans respect et sans pitié pour elle. Le Divorce satirique ne fut pas alors imprimé, mais il s'en fit des copies, qui coururent les châteaux des gentilshommes réformés, et, en 1662 seulement, les presses de Hollande le donnèrent à la suite du Journal de Henri III, ce qui étoit parfaitement sa place.» (Art. sur Marguerite de Valois, Rev. de Paris, 5 mars 1843, p. 25-26.) – On voit que Furetière a raison de ranger le Divorce satirique parmi les pièces rares et curieuses. Ajoutons qu'on ne l'attribue pas seulement à d'Aubigné, mais à Louise-Marguerite de Lorraine, princesse de Conti, fille du duc de Guise. (Dreux du Radier, Tablettes historiques… des rois de France, t. 1, p. 11.)
98Pièce encore plus rare que la précédente. Tallemant l'attribue à la reine Marguerite elle-même. «On a, dit-il, une pièce d'elle, qu'elle a intitulée la Ruelle mal assortie, où l'on peut voir quel étoit son style de galanterie.» Elle est si peu connue, que M. Moumerqué mit en note, à propos de ce passage de Tallemant: «Cette pièce ne paroît pas avoir été imprimée.» (Historiettes, 2e édit., t. 1er, p. 163.) C'étoit une erreur: M. Paulin Paris a retrouvé la Ruelle mal assortie à la page 96 du Nouveau recueil de pièces les plus agréables de ce temps, en suite des jeux de l'inconnu, Paris, chez Nicolas de Sercy, 1644, et il a consigné sa découverte dans une note de la nouvelle édition qu'il donne des Historiettes, t. 1er, p. 151-152. Le plus curieux pour nous, c'est que le recueil où la Ruelle se trouve ainsi avoit été justement publié par Charles Sorel, prototype du Charroselles, en possession de qui Furetière, non sans intention, nous montre la curieuse pièce. Une réimpression à petit nombre de la Ruelle mal assortie se prépare à la libraire d'Aug. Aubry.
99On disoit autrefois peau pour parchemin. «Tous les arrêts, lit-on dans le Dictionnaire de Furetière, s'expédient en peau. – Il y a une vingtaine de greffiers en peau.»
100G. Gueret, dans son Parnasse réformé, Paris, 1671, in-12, p. 43-44, fait ainsi parler ce même La Serre: «Y a-t-il d'autre marque de la bonté d'un ouvrage que le profit qu'en tire l'auteur? Pourvu qu'il soit payé de son patron et du libraire aussi avantageusement que je l'ay toujours été, n'est-ce pas une hérésie que de douter de son mérite?.. J'ay mieux aimé que mes ouvrages me fissent vivre que de faire vivre mes ouvrages… Je n'ai cherché que l'expédition. J'ay laissé aux autres le soin de bien écrire, et je n'ay pris pour moi que celuy d'écrire beaucoup.»
101La Serre s'acquoquina si bien au cabaret qu'il finit par y prendre femme. «Il épousa… (en 1648), dit Tallemant, une jolie personne, fille d'un cabaretier d'Auxerre. Ils s'attraperent l'un l'autre.» (Historiettes, 1re édit., t. 5, p. 28.) – Si le projet de libre échange émis par Hortensius, au liv. 11 de Francion, eût été exécuté, les poëtes de ce temps-là y eussent bien trouvé leur compte: «Qui n'aura pas d'argent, porte une stance au tavernier, il aura demy-septier; chopine pour un sonnet, pinte pour une ode, etc.; – quarte pour un poëme et ainsi des autres pièces.» (La vraye histoire comique de Francion, etc, par M. De Moulinet (Sorel), Rouen, 1663, in-8o, p. 615.) – Cette manière de composer au cabaret étoit encore de tradition littéraire au XVIIIe siècle. L'abbé Prevost ne faisoit pas autrement. «La feuille d'impression lui étoit payée un louis, dit M. A. Firmin Didot; nous possédons des traités signés au cabaret, au coin de la rue de la Huchette, suivant l'usage du temps.» (Encyclop. moderne, Paris, 1851, in-8o, t. 26 (art. Tygographie), p. 835, note.
102Charles Sorel, bien qu'il ait cherché à faire tout ce qui concernoit son etat d'auteur, n'a pas laissé en effet un seul vers.
103On nommoit encore ainsi au XVIIe siècle l'étoile qui se trouve au centre de la constellation des pléiades. Ainsi placée au milieu de ces six étoiles, elle semble une poule poussinière au milieu de ses petits; de là son nom, qui se lit aussi dans Rabelais (liv. 1, chap. 53; liv. 4, chap. 43) et dans Regnier (sat. 6, v. 219).
104Fleurs des vies des saints, traduites du Flos sanctorum du P. Ribadeneyra par les PP. Gaultier et Bonnet, Paris, 1641, 2 vol. in-fol. C'est le même livre dont parle la Dorine du Tartuffe, acte 1, sc. 3).
105Le livre de ce prototype des Jocrisses, imprimé d'ordinaire à la suite des Bigarrures et touches du seigneur des Accords, a pour titre: les Contes facétieux du sieur Gaulard, gentilhomme de la Franche-Comté bourguignotte.
106Ce mot, employé par Saint-Evremond, dans sa satire du Cercle, ne se trouve ni dans le dictionnaire de Nicot (1606), ni dans le Richelet de 1680; mais la première édition de l'Academie le donne, en faisant remarquer qu'intrigueuse est plus employé qu'intrigueur. Intrigant ne parut qu'après 1694.
107C'est là que l'arrêt du 18 avril 1663 envoyoit les filles affamées comme cette veuve de Préhault. Il courut plusieurs pièces et chansons sur leur départ et sur leurs adieux à la ville et aux faubourgs de Paris; une des plus curieuses se trouve dans le livre de Bussy-Rabutin, Amours des dames illustres de notre siècle, Cologne, 1681, in-12, p. 371, 380: Voilà nos plaisirs qui sont morts, Et nous en sommes aux remords. Adieu promenades de Seine, Chaillot, Saint-Cloud, Ruel, Suresue. Ah! que nous allons loin d'Issy, De Vaugirard et de Passy!.. Defits s'y prend comme il faut; Bourgeois, voilà ce que vous vaut, Un magistrat de cette sorte Et qui n'y va pas de main morte… Faisons le triage, et comptons Combien sont nos brebis galeuses: Les listes sont assez nombreuses Pour les envoyer en troupeau Paître dans le monde nouveau.
108Locke, dans le Journal du voyage qu'il fit en France vers cette époque, parle, comme l'ayant vue, d'une affiche à peu près pareille à celle-ci. C'est au duc de Bouillon que le privilège du remède qu'elle annonçoit, «un sachet… sans mercure», avoit été accordé, le 17 septembre 1667. (Extrait du Journal de Locke, Rev. de Paris, t. 14, p. 79.)
109L'élu étoit un conseiller d'élection, sorte de juridiction chargée de répartir l'impôt, d'avoir raison des contribuables, etc., et qui d'abord, son nom l'indique, n'avoit que des charges données par élection. Avec le temps on en arriva à les vendre, comme on le voit ici. C'étoient des emplois très subalternes, ce passage le prouve aussi, et Dorine, dans Tartufe (act. 1er, sc. 5), mettant sur la même ligne Madame la Baillive et madame l'Elue ne fait pas grand honneur à la première. Les ancêtres de Cinq-Mars avoient tenu ce mince emploi; aussi, quand, au grand étonnement de tous, le maréchal d'Effiat fut fait chevalier de l'ordre, Bassompierre dit: «Je ne sais pas s'il a été nommé, mais je sais qu'il a été élu.» (Tallemant, Hist., in-8, t. 3, p. 16.) – Dans les Bourgeoises de qualité, de Dancourt, Mme l'Elue joue l'un des principaux rôles.
110Reçu imprimeur-libraire en 1618, imprimeur du roi en 1635, ce fut, jusqu'en 1666, année de sa mort, l'un des plus fameux libraires de son temps. (La Caille, Hist. de l'imprimerie, in-4, p. 228-230.) Entre autres livres d'art militaire, il avoit publié, avec un grand luxe de figures, Instruction pour apprendre à monter à cheval, par Antoine de Pluvinel (1627, in-fol.) Il n'est donc pas étonnant que Furetière fasse venir des officiers d'armée à son étalage. Rocolet pouvoit aussi offrir, comme il le fait plus loin, des livres de philosophie. En 1626, il avoit donné une édition des œuvres de Bacon.
111Encore une plaisante idée que Molière reprendra plus tard pour en faire un des meilleurs traits de la grande tirade de Chrysale dans les Femmes savantes: Et, hors un grand Plutarque à mettre mes rabats, Vous devriez brûler tout ce meuble inutile. Ce Plutarque ainsi employé reparoît dans le discours que Palaprat a mis en tête de sa comédie des Empiriques: «C'est, ajoute-t-il, un grand in-folio de Vascosan.» (Les œuvres de monsieur Palaprat, etc., Paris, 1712, in-8, t. 2, p. 36.)
112«On y jugeoit des procès par écrit. Il y en avoit cinq à Paris.» (Dict. de Furetière.)