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Le roman bourgeois: Ouvrage comique

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LIVRE SECOND

Si vous vous attendez, lecteur, que ce livre soit la suite du premier, et qu'il y ait une connexité necessaire entr'eux, vous estes pris pour duppe. Détrompez-vous de bonne heure, et sçachez que cet enchainement d'intrigues les uns avec les autres est bien seant à ces poëmes héroïques et fabuleux où l'on peut tailler et rogner à sa fantaisie. Il est aisé de les farcir d'épisodes, et de les coudre ensemble avec du fil de roman, suivant le caprice ou le genie de celuy qui les invente. Mais il n'en est pas de mesme de ce tres-veritable et tres-sincere recit, auquel je ne donne que la forme, sans altérer aucunement la matière. Ce sont de petites histoires et advantures arrivées en divers quartiers de la ville, qui n'ont rien de commun ensemble, et que je tasche de rapprocher les unes des autres autant qu'il m'est possible. Pour le soin de la liaison, je le laisse à celuy qui reliera le livre. Prenez donc cela pour des historiettes separées, si bon vous semble, et ne demandez point que j'observe ny l'unité des temps ny des lieux, ny que je fasse voir un héros dominant dans toute la piece. N'attendez pas non plus que je reserve à marier tous mes personnages à la fin du livre, où on void d'ordinaire celebrer autant de nopces qu'à un carnaval, car il y en aura peut-estre quelques-uns qui, aprés avoir fait l'amour, voudront vivre dans le célibat; d'autres se marieront clandestinement, et sans que vous ny moy en sçachions rien. Je ne m'oblige point encore à n'introduire que des amours sur la scene; il y aura aussi des histoires de haine et de chicane, comme celle-cy qui vous va estre racontée. Enfin, toutes les autres passions qui agitent l'esprit bourgeois y pourront trouver leur place dans l'occasion. Que si vous y vouliez rechercher cette grande regularité que vous n'y trouverez pas, sçachez seulement que la faute ne seroit pas dans l'ouvrage, mais dans le titre: ne l'appellez plus roman, et il ne vous choquera point, en qualité de recit d'aventures particulières. Le hazard plustost que le dessein y pourra faire rencontrer des personnages dont on a cy-devant parlé. Témoin Charroselles, qui se presente icy le premier à mon esprit, de l'humeur duquel j'ay des-ja donné un petit échantillon, et dont j'ay obmis expres de faire la description, pour la donner en ce lieu-cy. Si vous en estes curieux, vous n'avez qu'à continuer de lire.

Histoire de Charroselles 73 , de Collantine et de Belastre

Charroselles ne vouloit point passer pour autheur, quoy ce fust la seule qualité qui le rendist recommandable, et qui l'eust fait connoistre dans le monde. Je ne sçay si quelque remors de conscience des fautes de sa jeunesse luy faisoit prendre ce nom à injure; tant y a qu'il vouloit passer seulement pour gentilhomme74, comme si ces deux qualitez eussent esté incompatibles75, encore qu'il n'y eust pas plus de trente ans que son pere fust mort procureur76. Il s'estoit advisé de se piquer de noblesse dés qu'il avoit eu le moyen d'atteller deux haridelles à une espece de carrosse tousjours poudreux et crotté. Ces deux Pegases (tel fut leur nom pendant qu'ils servirent à un nourriçon du Parnasse) ne s'estoient point enorgueillis, et n'avoient la teste plus haute ny la démarche plus fiere que lors qu'ils labouroient les pleines fertiles d'Aubervilliers. Leur maistre les traittoit aussi delicatement que des enfans de bonne maison. Jamais il ne leur fit endurer le serain ny ne leur donna trop de charge; il eust presque voulu en faire des Bucephales, pour ne porter ou du moins ne traisner que leur Alexandre. Car il estoit tousjours seul dans son carosse; ce n'est pas qu'il n'aimast beaucoup la compagnie, mais son nez demandoit à estre solitaire77, et on le laissoit volontiers faire bande à part. Quelque hardy que fust un homme à lui dire des injures, il n'osoit jamais les lui dire à son nez, tant ce nez estoit vindicatif et prompt à payer. Cependant il fouroit son nez par tout, et il n'y avoit gueres d'endroits dans Paris où il ne fust connu. Ce nez, qu'on pouvoit à bon droit appeler son Eminence, et qui estoit tousjours vestu de rouge, avoit esté fait en apparence pour un colosse; neantmoins il avoit esté donné à un homme de taille assez courte. Ce n'est pas que la nature eust rien fait perdre à ce petit homme, car ce qu'elle luy avoit osté en hauteur, elle le lui avoit rendu en grosseur, de sorte qu'on luy trouvoit assez de chair, mais fort mal pestrie. Sa chevelure estoit la plus desagreable du monde, et c'est sans doute de luy qu'un peintre poëtique, pour ébaucher le portrait de sa teste, avoit dit:

 
 
On y void de piquans cheveux,
Devenus gras, forts et nerveux,
Herisser sa teste pointuë,
Qui tous meslez s'entraccordans,
Font qu'un peigne en vain s'évertuë
D'y mordre avec ses grosses dents.
 

Aussi ne se peignoit-il jamais qu'avec ses doigts, et dans toutes les compagnies c'estoit sa contenance ordinaire. Sa peau estoit grenuë comme celle des maroquins, et sa couleur brune estoit rechauffée par de rouges bourgeons qui la perçoient en assez bon nombre. En general il avoit une vraye mine de satyre. La fente de sa bouche estoit copieuse, et ses dents fort aiguës: belles dispositions pour mordre. Il l'accompagnoit d'ordinaire d'un ris badin, dont je ne sçay point la cause, si ce n'est qu'il vouloit monstrer les dents à tout le monde. Ses yeux gros et bouffis avoient quelque chose de plus que d'estre à fleur de teste. Il y en a qui ont cru que, comme on se met sur des balcons en saillie hors des fenestres pour decouvrir de plus loin, aussi la nature luy avoit mis des yeux en dehors, pour découvrir ce qui se faisoit de mal chez ses voisins. Jamais il n'y eut un homme plus medisant ny plus envieux; il ne trouvoit rien de bien fait à sa fantaisie. S'il eut esté du conseil de la creation, nous n'aurions rien veu de tout ce que nous voyons à present. C'estoit le plus grand reformateur en pis qui ait jamais esté, et il corrigeoit toutes les choses bonnes pour les mettre mal. Il n'a point veu d'assemblée de gens illustres qu'il n'ait tâché de la decrier; encore, pour mieux cacher son venin, il faisoit semblant d'en faire l'eloge, lors qu'il en faisoit en effet la censure, et il ressembloit à ces bestes dangereuses qui en pensant flatter égratignent: car il ne pouvoit souffrir la gloire des autres, et autant de choses qu'on mettoit au jour, c'estoient autant de tourmens qu'on luy preparoit. Je laisse à penser si en France, où il y a tant de beaux esprits, il estoit cruellement bourrelé. Sa vanité naturelle s'estoit accruë par quelque reputation qu'il avait euë en jeunesse, à cause de quelques petits ouvrages qui avoient eu quelque debit. Ce fut là un grand malheur pour les libraires; il y en eut plusieurs qui furent pris à ce piege, car, apres qu'il eut quitté le stile qui estoit selon son genie pour faire des ecrits plus serieux, il fit plusieurs volumes78 qui n'ont jamais esté leus que par son correcteur d'imprimerie. Ils ont esté si funestes aux libraires qui s'en sont chargez, qu'il a des-ja ruiné le Palais et la ruë S. Jacques, et, poussant plus haut son ambition, il pretend encore ruiner le Puits-Certain79. Il donne à tout le monde des catalogues des livres qu'il a tous prests à imprimer, et il se vante d'avoir cinquante volumes manuscrits80 qu'il offre aux libraires qui se voudront charitablement ruiner pour le public. Mais comme il n'en trouve point qui veüille sacrifier du papier à sa réputation, il s'est advisé d'une invention merveilleuse. Il fait exprés une satire contre quelque autheur ou quelque ouvrage qui est en vogue, s'imaginant bien que la nouveauté ou la malice de sa piéce en rendront le debit assuré; mais il ne la donne point au libraire qu'il n'imprime pour le pardessus quelqu'un de ses livres serieux. Avec ces belles qualitez, cet homme s'est fait un bon nombre d'ennemis, dont il ne se soucie gueres, car il hayt tout le genre humain; et personne n'est ingrat envers luy, parce qu'on luy rend le reciproque. Que si c'estoit icy une histoire fabuleuse, je serois bien en peine de sçavoir quelles avantures je pourrois donner à ce personnage: car il ne fit jamais l'amour, et si on pouvait aussi bien dire en françois faire la haine, je me servirois de ce terme pour expliquer ce qu'il fit toute sa vie. Il n'eut jamais de liaison avec personne que pour la rompre aussi-tost, et celle qui luy dura le plus long-temps fut celle qu'il eut avec une fille qu'il rencontra d'une humeur presque semblable à la sienne. C'estoit la fille d'un sergent, conceuë dans le procés et dans la chicane, et qui estoit née sous un astre si malheureux qu'elle ne fit autre chose que plaider toute sa vie. Elle avoit une haine generale pour toutes choses, excepté pour son interest. La vanité mesme et le luxe des habits, si naturels au sexe, faisoient une de ses aversions. Elle ne paroissoit gouluë sinon lors qu'elle mangeoit aux dépens d'autruy; et la chasteté qu'elle possedoit au souverain degré estoit une vertu forcée, car elle n'avoit jamais pû estre d'accord avec personne. Toute sa concupiscence n'avoit pour objet que le bien d'autruy, encore n'envyoit-elle, à proprement parler, que le litigieux, car elle eust joüy avec moins de plaisir de celuy qui luy auroit esté donné que de celuy qu'elle auroit conquis de vive force et à la pointe de la plume. Elle regardoit avec un œil d'envie ces gros procès qui font suer les laquais des conseillers qui les vont mettre sur le bureau, et elle accostoit quelquefois les pauvres parties qui les suivoyent, pour leur demander s'ils estoient à vendre; comme les maquignons en usent à l'egard des chevaux qu'on meine à l'abreuvoir.

Cette fille estoit seiche et maigre du soucy de sa mauvaise fortune, et pour seconde cause de son chagrin elle avoit la bonne fortune des autres; car tout son plaisir n'estoit qu'à troubler le repos d'autruy, et elle avoit moins de joye du bien qui luy arrivoit que du mal qu'elle faisoit. Sa taille menuë et déchargée luy donnoit une grande facilité de marcher, dont elle avoit bon besoin pour ses solicitations, car elle faisoit tous les jours autant de chemin qu'un semonneur d'enterremens81. Sa diligence et son activité estoient merveilleuses: elle estoit plus matinale que l'aurore, et ne craignoit non plus de marcher de nuit que le loup-garou. Son adresse à cajoller des clercs et à courtiser les maistres estoit aussi extraordinaire, aussi bien que sa patience à souffrir leurs rebuffades et leurs mauvaises humeurs; toutes qualitez necessaires à perfectionner une personne qui veut faire le mestier de plaider. Je ne puis me tenir de raconter quelques traits de sa jeunesse, qui donnerent de belles esperances de ce qu'elle a esté depuis. Sa mere, pendant sa grossesse, songea qu'elle accouchoit d'une harpie, et mesme il parut sur son visage qu'elle tenoit quelque chose d'un tel monstre. Quand elle estoit au maillot, au lieu qu'on donne aux autres enfans un hochet pour les amuser, elle prenoit plaisir à se joüer avec l'escritoire de son pere, et elle mettoit le bout de la casse sur ses gencives pour adoucir le mal des dents qui commençoient à luy percer. Quand elle fut un peu plus grande, elle faisoit des poupées avec des sacs de vieux papiers, disant que la corde en estoit la lisiere, et l'etiquette la bavette ou le tablier. Au lieu que les autres filles apprennent à filer, elle apprit à faire des tirets, qui est, pour ainsi dire, filer le parchemin pour attacher des papiers et des etiquettes. Ce merveilleux genie qu'elle avoit pour la chicane parut sur tout à l'escole lors qu'on l'y envoya, car elle n'eut pas si-tost appris à lire ses sept Pseaumes, quoy qu'ils fussent moulez, que des exploits et des contracts bien griffonnez.

Avec ces belles inclinations, qui la firent devenir avec l'âge le fleau de ses voisins, et qui la rendirent autant redoutée qu'un procureur de seigneurie l'est des villageois, je luy laisseray passer une partie de sa vie sans en raconter les memorables chicanes, qui ne font rien à nostre sujet, jusques au jour qu'elle connut nostre censeur heroïque. Cette connoissance se fit au palais, aussi luy auroit-il esté bien difficile de la faire ailleurs, et cela comme elle estoit dans un Greffe pour solliciter quelque expedition. Charroselles s'y trouva aussi pour solliciter un procés contre son libraire, sur une saisie d'un de ses livres où il avoit satirisé quelqu'un qui en vouloit empescher le debit82. Il n'y a rien de plus naturel à des plaideurs que de se couter leurs procés les uns aux autres. Ils font facilement connoissance ensemble, et ne manquent point de matiere pour fournir à la conversation.

 

Collantine (c'estoit le nom de la demoiselle chicaneuse) d'abord luy demanda à qui il en vouloit; Charroselles la satisfit aussi-tost, et luy deduisit au long son procès. Quand il eut finy, pour luy rendre la pareille, il luy demanda qui estoit sa partie. Ma partie (dit-elle, faisant un grand cry), vrayement j'en ai un bon nombre. Comment (reprit-il)! plaidez-vous contre une communauté, ou contre plusieurs personnes interessées en une mesme affaire? Nenny dea (repliqua Collantine); c'est que j'ay toutes sortes de procés, et contre toutes sortes de personnes. Il est vray que celuy pour qui je viens maintenant icy contient une belle question de droit, et qui merite bien d'estre escoutée. Je n'ai acheté ce procès que cent escus, et si j'en ai des-ja retiré prés de mille francs. Ces dernieres paroles furent entenduës par un gentil-homme gascon, qui se trouva aussi dans le greffe. Il lui dit avec un grand jurement: Comment, vous donnez cent escus pour un procés! j'en ay deux que je vous veux donner pour rien. Cela ne sera pas de refus (dit la demoiselle); je vous promets de les poursuivre; il y aura bien du malheur si je n'en tire quelque chose. Et, pour donner plus d'authorité à son dire, elle luy voulut raconter quelqu'un de ses exploits. Or, c'estoit assez le faire que de continuer le discours qu'elle avoit commencé avant cette interruption. Il n'étoit gueres advancé quand le greffier sortit du greffe, apres lequel ce gascon courrut brusquement sans dire adieu. Elle auroit bien fait la mesme chose, si ce n'estoit qu'elle avoit l'esprit trop attaché à son recit. Aussi elle n'accusa point le gascon pour cela d'incivilité, car c'est l'usage du palais qu'on quitte souvent ainsi les premiers complimens et les conversations où on est le plus engagé. Charroselles eust aussi voulu suivre le greffier, mais Collantine le retint par son manteau pour continuer le recit de son procés, dont le sujet estoit assez plaisant, mais la longueur un peu ennuyeuse. Si j'estois de ces gens qui se nourrissent de romans, c'est à dire qui vivent des livres qu'ils vendent, j'aurois icy une belle occasion de grossir ce volume et de tromper un marchand qui l'acheteroit à la fueille. Comme je n'ay pas ce dessein, je veux passer sous silence cette conversation, et vous dire seulement que l'homme le plus complaisant ne presta jamais une plus longue audiance que fit Charroselles; et, comme il croyoit en estre quitte, il fut tout estonné que la demoiselle se servit de la fin de ce procés pour faire une telle transition. Mais celuy-là n'est rien (ce dit-elle) au prix d'un autre que j'ay à l'edit83, sur une belle question de coustume, que je vous veux reciter, afin de sçavoir vostre sentiment; je l'ay des-ja consultée à trois advocats, dont le premier m'a dit oüy, l'autre m'a dit non et le troisiéme il faut voir. Je me suis quelquefois mieux trouvée d'une consultation faite à un homme d'esprit et de bon sens (comme vous me paroissez) qu'à tous ces grands citeurs de code et d'indigeste. Cette petite flatterie dont il se sentit chatoüiller l'obligea de prester encore une semblable audience; il trepignoit souvent des pieds, il faisoit beaucoup d'interruptions; mais tout ainsi qu'un edifice au milieu de la riviere, apres en avoir divisé le cours, la fait aller avec plus d'impétuosité, de mesme ces interruptions ne faisoient qu'augmenter la violence du torrent des paroles de Collantine. Elle poussa son affaire et la patience de son auditeur à bout, et négligea mesme à la fin d'écouter l'advis qu'elle luy avoit demandé, pour se servir de la même fleur de rethorique dont elle s'estoit servie l'autre fois, et passer, sans estre interrompuë, au recit d'une autre affaire. Mais une puissance superieure y pourvût, car la nuit vint, et fort obscure, de sorte qu'à son grand regret elle brisa là, et promit de conter le reste la premiere fois qu'elle auroit l'honneur de le voir. A son geste et à son regard parut assez son mécontentement; sans doute que, dans son ame, elle dit plusieurs fois: O nuit, jalouse nuit84! et qu'elle fit contre elle des imprécations aussi fortes qu'un amant en fait contre l'aurore qui vient arracher sa maîtresse d'entre ses bras. Ses plaisirs donc se terminerent par cette necessaire separation; ils ne laisserent pas de se faire quelques complimens, et de se promettre des services et des sollicitations reciproques en leurs affaires. Collantine, la plus ardente, fut la premiere à demander à Charroselles un placet pour donner à son rapporteur, auprés duquel elle disoit avoir une forte recommandation. Il lui en donna un avec joie, et luy offrit de luy rendre un pareil office s'il en trouvoit l'occasion. Elle la prit aux cheveux, et, tirant de sa poche une grosse liasse de placets differens, avec une liste generale des chambres du parlement, elle luy dit: Regardez si vous ne connoissez personne de ces messieurs. Il luy demanda en quelle chambre elle avoit affaire. Elle luy repondit: Il n'importe, car j'ay des procés en toutes. Charroselles prit la liste et l'examina à la lueur de la chandelle d'un marchand de la galerie. Il en remarqua deux qu'il dit estre de ses intimes amis, et qu'il gouvernoit absolument; il en remarqua deux ou trois autres qu'il dit estre gouvernez par des gens de sa connoissance, et il ne manqua pas de se servir des termes ordinaires dont se servent ceux qui promettent de recommander des affaires: Je vous donnerai celuy-cy, je vous donnerai cet autre, et le tout avec la mesme asseurance que s'ils avoient les voix et les suffrages de ces messieurs dans leurs poches. Il prit donc de ces placets pour en donner et en faire tenir; cependant il ne fit ny l'un ny l'autre, comme font plusieurs qui s'en chargent et qui s'en servent seulement à fournir leur garderobbe, ce qui est un pur larcin qu'ils font à celles des conseillers. Pour Charroselles, il estoit excusable d'en user ainsi, car il ne vouloit pas rompre le veu qu'il avoit fait de ne faire jamais de bien à personne.

Collantine ne fut pas encore satisfaite de ces offres si courtoises, car, en continuant dans le style ordinaire des plaideurs, qui vont rechercher des habitudes auprés des juges dans une longue suite de generations et jusqu'au dixième degré de parenté et d'alliance, elle demanda à Charroselles s'il ne luy pourroit point donner quelques adresses pour avoir de l'accés auprès de quelques autres conseillers. Il reprit donc la liste, et en trouva beaucoup où il luy pourroit donner satisfaction, et entr'autres, luy en marquant un avec son ongle, il luy dit: Je connais assez le secrétaire du secrétaire de celuy-là; je puis par son moyen faire recommander vostre procés au maistre secrétaire, et par le maistre secretaire à monsieur le conseiller. Ce n'est pas (répondit-elle) la pire habitude qu'on y puisse avoir. Il luy dit encore, en lui en marquant un autre: Ma belle-sœur a tenu un enfant du fils aîné de la nourrice de celuy-là, chez lequel elle est cuisiniere; je puis luy faire tenir un placet par cette voye. Cela ne sera pas à négliger (reprit Collantine); il arrive assez souvent que nous nous laissons gouverner par nos valets plus puissamment que par des parents ou des personnes de qualité. Mais, à propos, ne connoistrez vous point quelque chasseur, car j'ay affaire à un homme qui aime grandement la chasse; de chasseur à chasseur il n'y a que la main: si j'en sçavois quelqu'un, je le prirois de luy en parler quand il seroit avec luy à la campagne. Je craindrois (luy dit Charroselles, qui vouloit faire le bel esprit), une telle sollicitation, et qu'on ne lui en parlast qu'en courant et à travers les champs. C'est tout un (repliqua la chicaneuse); cela fait tousjours quelque impression sur l'esprit; et, avec la mesme importunité, elle luy en designa un autre de la faveur duquel elle avoit besoin. Pour celuy-là (luy dit-il), c'est un homme fort devot; si vous connoissez quelqu'un aux Carmes deschaussez, vostre affaire est dans le sac; car on m'a dit qu'il y a un des peres de ce couvent qui en fait tout ce qu'il veut; je ne sçay pas son nom, mais ces bons peres font volontiers les uns pour les autres. Helas (reprit Collantine avec un grand soûpir)! je n'y ai connoissance quelconque; toutefois, attendez: je connois un religieux recollet de la province de Lyon, à qui j'ay oüy dire, ce me semble, qu'il avoit un cadet qui estoit de ce couvent; il trouvera quelqu'un de cet ordre ou d'un autre, il n'importe, qui fera mon affaire.

Là dessus Charroselles luy voulut dire adieu, mais elle le suivit en le costoyant; et en luy nommant un nouveau conseiller, elle luy demanda la mesme grace qu'il lui avoit faite auparavant. Pour celuy-cy (luy dit-il), c'est un homme qui passe pour galant; il est fort civil au sexe, et vous estes asseurée d'une favorable audiance, si vous l'allez voir avec quelque personne qui soit bien faite. Ha (reprit-elle)! je sçay une demoiselle suivante qu'on avoit prise dernierement pour quester à nostre parroisse à cause de sa beauté. Je la prieray de m'y mener, et je ne crois pas qu'elle me refuse, car elle a tenu ces jours-cy un enfant sur les fonds avec le clerc d'un procureur qui occupe pour moy en quelques instances. Charroselles luy dit un second adieu; mais elle l'arresta encore en lui disant: Je ne vous veux plus nommer que celuy-cy; dites-moi si vous ne connoissez point quelques uns de ses amis. J'en connois quantité qui le sont beaucoup (luy dit-il). Hé! de grace, comment s'appellent ils (lui répondit-elle avec une grande émotion)? Ils s'appellent Loüis (répliqua-t-il). On dit que quand ils vont en compagnie le prier de quelque chose, ils l'obtiennent aisément. Vous estes un rieur (repartit nostre importune); je ne voudrois pas trop me fier à ce qu'on en dit: on fait beaucoup de médisance sans fondement, et il n'y a point de si bon juge que la partie qui a perdu sa cause n'accuse d'avoir esté corrompu par argent ou par amis; cependant cela n'est presque jamais vray.

Cette raillerie servit utilement Charroselles, car il ne se fust jamais autrement sauvé des mains et des questions de cette fille. Ils se separerent enfin, non sans protestation de se revoir, et ils s'en allerent chacun de son costé chercher son logis à tastons, et en pas de loup-garou, chose qui arrive souvent aux plaideurs. Charroselles, retournant chez luy fort fatigué, se mit à table avec sa sœur et son beau frere, qui estoit médecin, chez lequel il s'estoit mis en pension85, et il leur raconta une partie des avantures de cette journée, et des discours qu'il avoit tenus avec une fille si extraordinaire. Ils admirerent ensemble le naturel des plaideurs, et demeurerent d'accord qu'il faut estre bien chery du ciel pour estre exempt de tomber dans ces deux sottises, generales à tous ceux de ce mestier, d'estre si aspres à chercher des connoissances pour donner des placets à des juges, et d'estre si importuns à raconter leurs affaires, et à les consulter à tous les gens qu'ils rencontrent. Pour moy, dit Lambertin (c'estoit le nom du beau-frere), j'admire que l'on cherche avec tant d'empressement des sollicitations, puis qu'elles servent si peu, et je ne m'estonne point aussi qu'on en fasse si peu de cas, puisqu'elles viennent de connoissances si esloignées. Adjoustez (dit Charroselles) que la pluspart donnent des placets fort froidement, et si fort par maniere d'acquit, que j'aimerois presque autant voir distribuer sur le Pont-Neuf de ces billets qui annoncent la science et le logis d'un operateur86. Pour les donneurs de factums (reprit Lambertin), je leur pardonnerois plus volontiers; car, comme ils contiennent une instruction de l'affaire, cela peut estre utile à quelque chose; mais le malheur est que ces messieurs en reçoivent tant que, s'ils vouloient les lire tous, il faudroit qu'ils ne fissent autre chose toute leur vie; de sorte que leur destin le plus ordinaire est d'accompagner les placets à la garderobbe. En cela (dit Charroselles) consiste quelquefois leur fortune; car, s'il arrive que Monsieur ait le ventre dur, il peut s'amuser à les lire pendant qu'il est en travail, et je tiens que, de mesme qu'un amant seroit ravi de sçavoir l'heure du berger, aussi un plaideur seroit heureux s'il sçavoit l'heure du constipé. Il faut confesser (reprit Lambertin) que tous ceux qui cherchent les voyes d'instruire leurs juges, par quelque façon que ce soit, sont excusables; mais les autres ne le sont pas qui vont importuner une personne estrangere d'un recit long et fascheux d'un procés où ils n'ont aucun interest. Et il arrive qu'à la fin l'auditeur n'y peut rien comprendre, non seulement parce que souvent l'affaire est trop embroüillée, mais aussi parce que le plaideur en taist beaucoup de circonstances necessaires pour la faire entendre; et comme il en a l'idée remplie, il croit que les autres en sont aussi bien instruits que luy. Le pis est encore que les avis qu'il demande ne peuvent servir de rien: car, s'il parle à des ignorans, ils ne peuvent donner aucune resolution qui soit pertinente; et si c'est à des sçavans, ils veulent voir les pieces et les procedures pour faire une bonne et seure consultation. Cependant, ce ne sont pas seulement les plaideurs qui ont cette manie; tous ceux qui frequentent avec eux en sont encore entachez, et ne peuvent se deffendre de tomber en mesme faute. J'en fis ces derniers jours une assez plaisante experience, dont je vous veux reciter briefvement l'avanture.

Un homme de robbe, m'ayant témoigné qu'il vouloit lier une estroite amitié avec moy, m'avoit invité puissamment de l'aller voir. Je luy fis ma premiere visite un dimanche, sur les dix heures du matin. Si-tost qu'il sceut ma venue, il me fit prier de l'attendre dans une salle, tandis qu'il recevoit dans une autre la sollicitation d'un de ses amis de qualité. Apres une heure entiere il me vint faire un accueil tres-civil, et, pour premier compliment, il me témoigna le déplaisir qu'il avoit de m'avoir tant fait attendre. Il me dit pour s'excuser qu'il estoit engagé avec une personne de condition, qui luy venoit recommander une affaire qui estoit de grande discussion, et où il y avoit les plus belles questions du monde, et là dessus il commença à m'en deduire le fait et à m'en expliquer toutes les circonstances avec les mesmes particularitez qu'il venoit d'apprendre de la partie. Ce recit dura une autre heure, au bout de laquelle midy sonna, et comme il n'avoit pas esté à la messe, il nous fallut separer brusquement sans autre entretien. Je vous laisse à penser quel fruit et quelle satisfaction nous avons receu l'un et l'autre de cette visite, et s'il n'étoit pas plaisant de luy voir commettre la mesme faute qu'il avoit dessein de reprendre et de blâmer.

Lambertin et Charroselles s'entretenoient ainsi pendant le soupper; et comme la matiere de railler les plaideurs est assez ample, cette conversation auroit esté poussée fort loin si, au milieu de la plus grande chaleur, elle n'eust esté interrompue par un grand bruit de cinq petits enfans, qui, estant au bout de la table rangez comme les tuyaux d'un sifflet de chaudronnier, vinrent crier de toute leur force: Laus Deo, pax vivis, et firent un piaillement semblable à celuy des cannes ou des oysons qu'on effarouche. Chacun fit silence et joignit les mains, puis la mere prit le plus petit des enfans sur ses genoux pour l'amignotter. Lambertin, accostant sa teste sur son fauteüil, se mit à ronfler; Charroselles, homme d'estude, monta en son cabinet, où la premiere chose qu'il fit, ce fut son examen de conscience de bons mots, ainsi qu'il avoit accoustumé. C'est à dire qu'il faisoit un recueil où il mettoit par escrit tous les beaux traits et toutes les choses remarquables qu'il avoit oüyes pendant le jour dans les compagnies où il s'estoit rencontré. Apres cela il en faisoit bien son profit, car par fois il se les attribuoit et en compiloit des ouvrages entiers; par fois il les alloit debiter ailleurs comme venant de son crû. Ce qui luy arriva cette journée fut une grande recolte pour luy, car sans doute il en couchera l'histoire dans le premier livre qui sortira de sa plume, et bien plus amplement que je ne la raconte icy. Ce ne sera que la faute des libraires si vous ne la voyez pas.

Dés les premiers jours suivans, il ne manqua pas d'aller voir Collantine, comme il alloit voir toutes les autres filles et femmes de la Ville. La grande sympathie qu'ils avoient à faire du mal à leur prochain, chacun en son genre, fit qu'ils lierent ensemble une grande… N'attendez pas que je vous dise amitié ou intelligence; mais familiarité, tant qu'il vous plaira.

Lors de sa premiere visite, et immediatement apres le premier compliment, Charroselles la voulut regaler de son bel esprit, et luy monstrer le catalogue de ses ouvrages. Mais Collantine l'interrompit, et luy fit voir auparavant tous les étiquettes de ses procés. Apres cela il se mit en devoir de luy lire une satyre contre la chicane, où il décrivoit le malheur des plaideurs. Mais auparavant, elle lui leut un advertissement dressé contre un faux noble qu'elle avoit fait assigner à la Cour des aydes sur ce qu'il avoit pris la qualité d'escuyer87. Comme il vid qu'il ne pouvoit obtenir longue audience, il luy voulust monstrer un sonnet qu'il lui dit estre un chef-d'œuvre de poësie. Ha! pour des chef-d'œuvres (dit-elle), je vous veux lire un exploit en retrait lignager aussi bien dressé qu'on en puisse voir. Il crut estre plus heureux en lui annonçant de petites stances, où il disoit qu'un amant faisoit à sa maistresse sa déclaration. Pour des déclarations (interrompit-elle encore), j'en ay une de dépens si bien dressée, que de trois cens articles, il n'y en a pas un de rayé ni de croisé. Au lieu de se rebuter, il la pria instamment d'oüir la lecture d'une epistre. Elle répondit aussi tost qu'elle n'entendoit point le latin: car elle ne croyoit pas, en effet, qu'il y eust d'autres epistres que celles qui se lisent devant l'Evangile. Charroselles, pour s'expliquer mieux, luy dit que c'estoit une lettre. Quant aux lettres (luy répondit Collantine), j'en ai de toutes les façons, et je vous en veux monstrer en forme de requeste civile obtenues contre treize arrests tous contradictoires. Quand il vid qu'il estoit impossible qu'il fust escouté, il tira un livret imprimé de sa poche, contenant une petite nouvelle88, qu'il lui donna, à la charge qu'elle la liroit le soir. Elle ne parut point ingrate, et aussitost elle luy donna un gros factum à pareille condition. Enfin, je ne sçay si ce fut encore la nuit ou quelque autre interruption qui les separa; tant y a qu'ils se quitterent fort satisfaits, comme je crois, de s'estre fait enrager l'un l'autre.

73Les clefs, notamment celle de l'édit. de Nancy 1713, in-12, page 193, nous disent que Charroselles n'est autre que Charles Sorel, auteur de la Science universelle, du Berger extravagant, de la Bibliothèque françoise, de Francion, etc., et il est en effet facile de voir que le nom de l'un est l'anagramme de celui de l'autre. Toutefois, faute d'autres preuves, on doutoit encore que l'intention de Furetière eût été de peindre aussi au vif et presque en le nommant un homme qui vivoit encore lors de la première édition du Roman bourgeois. Sorel ne mourut qu'en 1674. Un passage d'une lettre de Gui Patin (25 novembre 1653) est venu détruire ce doute pour nous. En comparant ce qu'il y est dit de Ch. Sorel avec le portrait détaillé que Furetière fait de Charroselles, nous avons acquis la preuve qu'il y a entre les deux identité complète. Nous le ferons voir, du reste, en citant, au fur et à mesure que les détails du portrait dessiné par Furetière se présenteront, les phrases de Gui Patin qui correspondent et établissent la ressemblance. – Une chose reste à connoître après cela, c'est le motif de la haine qui envenime cette satire. Furetière ne l'avoit pas toujours éprouvée contre Sorel, et celui-ci, de son côté, ne semble s'être jamais montré hostile à l'auteur du Roman bourgeois. En 1658, ayant à parler de Sorel dans sa Nouvelle allégorique, etc., p. 38, Furetière s'étoit exprimé sur lui en bons termes. A l'entendre alors, c'étoit un auteur «d'excellents livres satiriques et comiques», qui, s'étant acquis grand crédit dans l'empire des Ironies, «s'étoit rendu formidable même aux quarante barons». Sorel, sensible à cette mention flatteuse, avoit rendu la pareille à Furetière dans sa Bibliothèque françoise, p. 172. Il avoit dit de cette Nouvelle allégorique, etc., qu'il appelle Relation des guerres de l'éloquence, «qu'elle contient une fort agréable description des différends de divers auteurs du siècle, etc.». Il y avoit donc, on le voit, entre Furetière et Sorel, échange de bons rapports et même d'éloges. L'attaque contenue dans le Roman bourgeois n'en dut être que plus inattendue. Elle le fut pour tout le monde, sans doute, et certainement pour Sorel tout le premier. Il s'y attendoit si peu, que, travaillant à la 2e édition de sa Bibliothèque françoise au moment où la mise en vente du Roman bourgeois étoit annoncée, il ne voulut pas perdre l'occasion d'en dire du bien préventivement, et de se faire ainsi l'écho des éloges qu'en débitoient d'avance les confidents de l'auteur. «Voilà, écrivoit-il, page 199, voilà qu'on nous donne un livre appelé le Roman bourgeois, dont il y a déjà quelque temps qu'on a ouy parler, et qui doit estre fort divertissant, selon l'opinion de diverses personnes. Comme on croit que cest ouvrage a toutes les bonnes qualités des livres comiques et des burlesques tout ensemble, quand on l'aura veu, on le mettra avec ceux de son genre, selon le rang que son mérite luy pourra apporter.» – Le Roman bourgeois, qui est de la fin de 1666, parut avant cette seconde édition de la Bibliothèque françoise, qui ne porte que la date de 1667. Sorel fut ainsi à même de juger ce qu'étoit le livre dont il avoit fait l'éloge sur parole; il put surtout se reconnoître dans Charroselles, et il ne tint qu'à lui de se venger aussitôt du portrait anagrammatique en substituant quelques phrases amères à celles qu'il avoit d'abord écrites. Il avoit trop d'esprit pour cela. Il ne changea rien à sa première rédaction; il continua de déclarer qu'il n'avoit pas encore lu. Comment prouver mieux qu'il ne s'étoit pas reconnu?
74C'etoit, en effet, un des foibles de Ch. Sorel. Ainsi, comme le constate Niceron, il prit successivement les noms de de Souvigny et de de l'Isle. Il signa même de ce dernier l'un de ses ouvrages, Des Talismans, ou figures peintes sous certaines constellations, Paris, 1636, in-8. On s'en moquoit dans le monde, et surtout dans la société des auteurs, dont Furetière faisoit alors partie, avec Boileau, Racine, La Fontaine et Molière. Il seroit même probable que celui-ci pensoit à Ch. Sorel et à son dernier pseudonyme nobiliaire quand il écrivit dans l'Ecole des femmes (acte 1er, sc. 1re): Je sais un paysan qu'on appeloit Gros-Pierre, Qui, n'ayant pour tout bien qu'un seul quartier de terre, Y fit tout à l'entour faire un fossé bourbeux, Et de monsieur de l'Isle en prit le nom pompeux. La Monnoye, et d'après lui Niceron, sont en cela de notre avis, contre l'opinion de l'abbé d'Aubignac, qui pensoit, chose inadmissible, que Molière s'étoit ici moqué de son ami Thomas Corneille. V. Niceron, Mémoires pour servir à l'histoire des hommes illustres, t. 31, p 391.
75Elles passoient pour l'être en effet: «Dans le monde, dit M. Meyer, Commentaire sur les lettres persanes, p. 122, il étoit notoire qu'on dérogeoit au titre de noble en se faisant poète ou homme de lettres.» On peut consulter à ce sujet les Trois traités de la noblesse, de Thierriat (1606), au chapitre de la Dérogeance, et lire un curieux article inséré sous ce titre: Sur un ancien préjugé, dans les Saisons du Parnasse (printemps 1806), p. 218-220
76De même pour Charles Sorel: «Il est fils, dit Gui Patin, d'un procureur en parlement»; puis il ajoute en vrai médecin: «sa mère est morte hydropique, et son père d'une fièvre quarte, qui est la plupart du temps fatale aux vieillards.»
77Pour tout ce qui suit, jusqu'à la description de la taille rondelette et courte de Charroselles, il faut encore lire Gui Patin, qui, en une phrase, fait le même portrait pour Charles Sorel: «C'est, dit-il, un petit homme grasset, avec un grand nez aigu, qui regarde de près.»
78«Ce M. Sorel a fait beaucoup de livres françois, et, entre autres, Francion, le Berger extravagant, l'Ophir de Chrysanthe, l'Histoire de France, et une Philosophie universelle.» (Gui Patin)
79C'est ainsi qu'on désignoit le quartier des libraires groupés au haut du mont Saint-Hilaire, à l'embranchement des rues des Sept-Voies et des Carmes, tout près du clos Bruneau et de ses écoles. Le Puits-Certain étoit un puits banal, construit vers 1660, au carrefour de la rue Saint-Jean-de-Beauvais et de la rue Saint-Hilaire (qui en avoit même pris le nom pendant quelque temps), par Robert Certain, curé de Saint-Hilaire, et, plus tard, principal du collège de Sainte-Barbe, (Piguniol, Descript. hist. de Paris, t. 6, p. 20.) – Les libraires avoient surtout afflué dans ce quartier depuis que, par arrêt du 1er avril 1620, ordre avoit été donné «à tous imprimeurs de se retirer au dessus de Saint-Yves (rue des Noyers), avec défense de tenir imprimerie et presse en tout autre lieu, sur peine de la vie.» (Registres du Parlement, à sa date.)
80Furetière exagère ici. Gui Patin dit seulement: «Il a encore plus de vingt volumes à faire, et voudroit bien que tout cela fût fait avant de mourir; mais il ne peut venir à bout des imprimeurs.»
81Celui qui annonçoit les morts et qui portoit les billets d'enterrement. Le mot semonneur vient du vieux verbe semondre, signifiant avertir, inviter, qu'on trouve encore employé dans l'Étourdi (act. 2, sc. 6), mais qui, selon Regnier Desmarais, n'étoit plus d'usage de son temps qu'à l'infinitif (Grammaire, etc., Paris, 1706, p. 479). – Le semonneur d'enterrements s'appeloit aussi crieur de corps morts (Tallem., Histor., in-8o, t. 4, p. 345). C'est d'un de ces hommes et de leurs attributions funèbres que parle la Lisette du Légataire (act. 4, sc. 8), quand elle dit: … Le crieur a voulu malgré moi Faire entrer avec lui l'attirail d'un convoi.
82Peut-être s'agit-il du roman de Francion, dans lequel en effet, selon Tallemant, Sorel avoit satirisé, sous le nom d'Hortensius, Balzac, qui étoit d'humeur assez vindicative pour chercher, comme il est dit ici, à arrêter le débit du livre (Historiettes, in-8o, t. 3, p. 155). D'un autre côté, le Berger extravagant, cette grande parodie des romans à la mode, où Sorel se moque à chaque ligne de l'Endymion de Gombauld; du Polexandre, de la Caritie, de l'Alcidiane, de la Cythérée de Gomberville; de la Cassandre, de la Calprenede; du Cyrus et de la Clélie, mais surtout de l'Astrée, avoit pu lui attirer aussi, de la part des auteurs, tous très puissants, les représailles judiciaires dont il est ici question.
83Les chambres de l'édit, qu'on nommoit ainsi parce-que c'étoit une juridiction crée par l'édit de Nantes, se composoient moitié de magistrats catholiques, moitié de protestants. On y jugeoit les causes de ceux-ci. Dès avant la révocation de l'édit, elles n'existoient plus. Louis XIV les supprima en 1670. Le Coigneux, père de Bachaumont, étoit président à l'édit. (Tallemant, Historiettes, édit. in-8o, t. 3, p. 107.)
84C'est la fameuse chanson de Desportes, «qui, dit M. Sainte-Beuve, confirmé d'ailleurs par ce passage de Furetière, se chantoit encore sous la minorité de Louis XIV.» O nuit! jalouse nuit, contre moi conjurée, Qui renflammes le ciel de nouvelle clairté, T'ai-je donc aujourd'hui tant de fois désirée Pour être si contraire à ma félicité? (Œuvrez de Desportes, Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1611, p. 518.) Regnier, dans sa 10e satire (v. 406), fait aussi allusion à cette chanson célèbre. Desportes l'avoit imitée du capitolo VII des poésies diverses de l'Arioste: O ne miei danni, qui avoit déjà inspiré à Olivier de Magny (1559) la Description d'une nuit amoureuse (V. ses Odes), et qui devoit donner encore à Gille Durant l'idée de ses stances: O nuit! heureuse nuit!
85Ceci regarde encore Charles Sorel: «Il n'est point marié, dit Gui Patin, et demeure avec une sienne sœur, femme de M. Parmentier, avocat général.» – Furetière dit médecin; c'est tout ce qu'il change à la vérité.
86Nous n'avons vu aucun de ces billets-réclames, mais nous nous faisons une idée de leur style par ce que nous savons des tableaux établis comme enseignes par ces mêmes opérateurs. «Carmeline, lit-on dans le Cherræana (p. 142), qui étoit un fameux arracheur de dents, et qui en remettoit d'autres en leur place; avoit fait mettre à côté de son portrait, exposé en vue sur la fenêtre de sa chambre qui regarde le cheval de bronze, le mot de Virgile sur le rameau d'or du 6e livre de l'Enéide, Uno avulso, non deficit alter, et l'application est heureuse.»
87A partir de 1661, on inquiéta les usurpateurs de noblesse. (Subligny, Muse dauphine, in-12, p. 235.) La Fontaine fut condamné, en 1662, à 2,000 fr. d'amende pour avoir pris indûment le titre d'écuyer. (V. son Histoire, par Walckenaër, 1re édit., p. 341.) Boileau fut aussi poursuivi, mais il gagna son procès, (Lettre à Brossette, 9 mai 1699.)
88On a de Ch. Sorel des Nouvelles françoises, 1683, in-8o.