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La Liberté et le Déterminisme

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Quand nous pouvons analyser entièrement toutes les causes d'une décision, nous ne nous attribuons plus le pouvoir des contraires: nous disons que nous ne pouvions faire autrement, que nous avions telle inclination, telle pensée, telle autre, que celle-ci a été effacée par celle-là, que tel penchant ou telle habitude avait trop de force acquise pour être contrebalancé par tel motif, etc. L'idée du pouvoir des contraires naît de la conscience synthétique et obscure, et seulement dans les cas qui engagent cette conscience, non dans ceux où il s'agit d'effets que nous n'attribuons pas à notre moi, à notre conscience concrète et totale. Ni Spinoza ni ses adversaires n'ont donc posé la question sur son vrai terrain.

Nous voyons maintenant qu'une action déterminée doit être enveloppée (comme d'autant de cercles concentriques) par des puissances contenant en apparence les contraires. Le premier cercle est formé par l'intelligence: nous expérimentons en nous l'action motrice et efficace des idées, ainsi que la possibilité de trouver des motifs contraires pour ou contre tout acte, ce qui nous donne la notion de notre indépendance intellectuelle. Puis, nous avons le sentiment d'un pouvoir encore supérieur aux idées, les mobiles, qui forment un second cercle déjà plus obscur; enfin nous avons la conscience vague d'un pouvoir supérieur aux mobiles particuliers comme aux motifs particuliers: l'individualité, le caractère personnel, enfin un dernier cercle, le plus vaste et le plus obscur tout ensemble, c'est la conscience même en sa synthèse, la conscience où viennent se fondre toutes les images, l'unité (apparente ou réelle) qui domine tout et décidera en dernier ressort. Là se place la volonté, et de là aussi nous vient l'idée de liberté comme puissance supérieure aux déterminations contraires, aux mobiles connus et aux motifs connus.

Alors s'accomplit une dernière transformation de l'idée, qui prend une forme métaphysique. Grâce à notre faculté d'abstraire, nous pouvons considérer une puissance, non en tant qu'elle dépend elle-même d'autre chose, mais en tant que quelque chose dépend d'elle; et sous ce rapport abstrait, relativement aux termes inférieurs, elle n'est plus dépendante, mais indépendante; elle n'est plus conséquente, mais antécédente. Les partisans de la nécessité considéreront cette indépendance comme un moment tout provisoire de la pensée, comme une simple abstraction par laquelle une chose nous paraît seulement antécédente, bien qu'elle soit en même temps conséquente; en d'autres termes, l'indépendance ne sera jamais pour eux qu'une moitié du réel, tandis que pour les autres elle peut être un tout; mais il s'agit en ce moment de montrer la genèse de l'idée, non son objectivité. Or nous pouvons concevoir le tout comme expliquant et engendrant les parties, le complet, le parfait comme contenant la raison de l'incomplet et du particulier. Enfin, faisant abstraction des limites, nous arrivons à concevoir l'illimité, l'absolu. C'est d'abord l'idée négative d'une indépendance absolue, puis l'idée plus positive, mais non moins problématique d'une plénitude de puissance intelligente. – On verra plus loin, en étudiant la part de la volonté dans ce qu'on nomme la raison, comment naît et se développe cette idée, qui n'est autre que celle de la causalité intelligible (au sens de Kant) conçue comme pouvant contenir la raison suprême de la causalité sensible. Affranchie par hypothèse de la loi des antécédents et des conséquents qui constitue le déterminisme, cette causalité purement idéale peut apparaître comme l'idéale liberté.

Après avoir indiqué comment l'idée de liberté, d'abord physique, puis psychologique, puis métaphysique, naît dans l'individu, nous pourrions examiner comment elle se transmet dans l'espèce par voie d'hérédité. C'est un point sur lequel nous aurons à revenir. Dès à présent, il est clair que l'idée d'indépendance et de liberté est, chez l'individu, une puissance qui tend à fortifier le caractère; elle constitue donc une supériorité dans la lutte pour l'existence et pour le progrès. Conséquemment, les lois de la sélection naturelle lui assurent le triomphe: cette idée devient une forme héréditaire de la conscience, de plus en plus spécifique et caractéristique de l'humanité: elle finit par être innée, et nous venons au monde avec l'instinct de la liberté, bien plus, avec la persuasion de la liberté, comme nous naissons avec l'idée de l'espace ou avec l'instinct de la curiosité2.

II. Une fois formée, l'idée de notre liberté ne peut manquer d'influer sur notre conduite. C'est cette influence pratique que nous devons maintenant montrer, en réservant pour la suite l'examen théorique de la question.

1o Libres ou non, nous tendons à la liberté, à l'indépendance absolue dont nous avons l'idée. 2 °Cette tendance, d'après les lois mêmes du déterminisme, doit créer en nous un certain pouvoir proportionné, ce semble, à son intensité. 3o Nous ne tardons pas à reconnaître l'efficacité pratique de cette tendance; et même, dans une foule de cas, nous n'apercevons point de limite déterminée et précise à l'extension de notre pouvoir: il en résulte une confiance en soi qui va grandissant. Nous nous persuadons de plus en plus que nous avons un pouvoir indépendant et une force propre supérieure à tous les contraires, capable de rester la même quand tout change, ou de changer quand tout reste le même.

Cette croyance est naturelle et universelle, les déterministes ne le nient pas; ils contestent seulement qu'elle représente la réalité. Mais, encore une fois, toute idée influant sur nos actes, le déterminisme doit, parmi les puissances pratiques dont la psychologie entreprend l'analyse et dont la morale entreprend la discipline, mettre en ligne de compte l'idée de la liberté, puisque cette idée entraîne d'abord une tendance à la réaliser, puis une réalisation au moins apparente, et enfin une conviction au moins subjective de notre propre liberté. Dès lors le système déterministe subit un changement considérable au point de vue de la pratique. Voyons, en effet, les résultats que va produire, dans l'application et dans la vie de chaque jour, l'élément capital que des systèmes incomplets avaient exclu de la question, et dont l'influence pratique, déjà constatée par nous chez l'enfant, se manifestera encore plus chez l'homme.

Supposons que je sois dominé par une violente colère. Si je suis persuadé que je n'ai aucun pouvoir sur ma passion, ou si je ne songe pas à ce pouvoir, il est clair que ma colère suivra fatalement son cours. Mais voici qu'une idée, amenée par les lois de l'association ou de l'habitude, prend une puissance nouvelle dans mon esprit et, de confuse qu'elle était, devient distincte: c'est l'idée (subjective ou non) d'une résistance possible à ma colère, d'un empire que je crois pouvoir exercer, et que de plus ma raison juge rationnel et bon d'exercer. Aussitôt cette idée interrompt la fatalité de la passion; c'est une force nouvelle qui peut, en s'accroissant, faire équilibre à ma colère. Que mon intelligence se fixe sur cette idée qui la sollicite, qu'elle la rende par là de plus en plus intense, bientôt l'idée de la liberté sera devenue une puissance pratique avec laquelle les autres puissances devront compter; et si, à tort ou à raison, je regarde cette puissance comme absolue en moi, l'idée de l'absolu devra produire un certain effet dans la balance. Elle pourra même, comme l'épée de Brennus, faire pencher le plateau du côté qui semblait d'abord le plus faible, en venant s'y ajouter. L'attention et la réflexion (fatales ou non), augmentent la force de cette idée avec sa clarté. Dès que je songe à mon pouvoir, l'idée croît; dès que l'idée croît, la tendance de la réflexion s'y applique davantage; nouvel accroissement de l'idée, suivi d'un nouvel accroissement de réflexion; et, en définitive, multiplication de forces par l'addition successive de tous ces petits accroissements. Donc la seule conception de ma liberté, comme d'une puissance venant de moi et capable de contre-balancer ma passion, pourra en effet dans la pratique parvenir souvent à la contre-balancer, en vertu même d'un déterminisme compliqué dont nous aurons plus tard à étudier théoriquement les lois. Brisant la ligne uniforme et fatale de mes pensées et de mes sentiments, elle aura rendu possible un acte qui, à ne considérer que la force intrinsèque et naturelle des motifs et des mobiles antérieurs, n'eût pu aucunement se produire sans ce motif nouveau et prépondérant. Le déterminisme se réfléchit sur soi dans cette idée et s'y retourne en quelque sorte contre soi-même.

 

En fait, l'idée de notre liberté ne manque jamais de nous apparaître au moment où elle peut nous être utile dans la pratique, à moins que le paroxysme de la passion n'ait détruit toute réflexion. Cette idée, toujours présente en nous sous une forme plus ou moins latente, redevient manifeste dès que nous sommes en présence de deux actes possibles, entre lesquels nous hésitons. Par l'association du contraste, la double possibilité éveille nécessairement la notion d'un double pouvoir; et comme nous nous rappelons avoir déjà réalisé, dans d'autres circonstances, les deux termes de l'alternative présente ou ceux d'une alternative analogue, nous sommes portés à nous attribuer actuellement et à réaliser ainsi dans une certaine mesure un double pouvoir, une liberté de choix. C'est là une tendance irrésistible, que le déterministe subit comme les autres hommes. La notion et la persuasion de notre liberté sont donc toujours ou presque toujours parmi les motifs de notre décision réfléchie. Oublier cet élément dans ses analyses, comme l'ont fait les psychologues, c'était oublier ce qu'il y a de plus original et de plus essentiel dans l'activité humaine.

En outre, cette idée peut s'affaiblir ou se fortifier. Il est des cas, par exemple, où l'habitude nous fait répéter un acte sans y associer par contraste la possibilité de faire autrement. Un homme peut ainsi devenir l'esclave d'une mauvaise habitude, comme celle de la colère, par l'affaiblissement de son idée de liberté. Mais persuadez à cet homme qu'il dépend de lui de s'en corriger; qu'il est pratiquement libre de se déterminer à la suivre ou à ne pas la suivre; que, s'il la suit, ce n'est pas par une fatalité absolue, comme il le croit, mais par un consentement auquel il ne réfléchit pas; qu'il pourra par conséquent reprendre l'empire de soi quand il voudra, et qu'il est maître de vouloir ou de ne pas vouloir: cette intime conviction de sa puissance que vous aurez réveillée chez lui, fût-elle subjective en soi, n'en aura pas moins pour effet une réelle puissance. Au contraire, persuadez à l'homme vicieux que ses vices sont en tout indépendants de lui et que toute puissance sur soi-même est chimérique, vous diminuerez réellement en lui cette puissance; par cela seul qu'il ne songera pas à résister, qu'il n'aura aucune confiance en lui-même et dans sa liberté pratique, il deviendra faible en effet et esclave de la passion. Ainsi donc, autant l'homme veut, peut, et devient fort, quand il se croit pratiquement libre, puissant et capable de persévérance, autant il devient faible dans la pratique et même incapable de vouloir, quand il ne croit pas disposer de lui-même, quand il se considère comme soumis à quelque influence extérieure plus puissante que lui. Un philosophe ancien conseillait, pour calmer la colère, de réciter en soi-même l'alphabet grec; le meilleur alphabet, c'est de se répéter qu'on est pratiquement libre et que, dans l'homme, l'alpha et l'oméga, c'est la liberté pratique de la volonté réfléchie ou à double idée.

L'effet sur les masses n'est pas moins frappant que sur les individus. Persuadez à une armée qu'il dépend d'elle-même de vaincre, qu'elle n'a pour cela qu'à vouloir, que vouloir c'est pouvoir, – cette persuasion fût-elle toute subjective, – il n'en est pas moins vrai que l'idée même de cette puissance tendra, si les circonstances ne sont pas absolument défavorables, à la réaliser dans la pratique ou à commencer les mêmes effets que la réalité. Au contraire, persuadez à vos soldats que le courant de la fatalité entraîne tout, que l'effort est inutile et la résistance impossible, que leur défaite est écrite dans le livre des destinées; par là vous détruisez toute énergie de l'intelligence, vous anéantissez tout empire sur la passion, toute force morale. En détruisant l'idée même de liberté, en l'obscurcissant, en l'effaçant pour ainsi dire, vous arrivez presque au même résultat que si vous aviez anéanti peu à peu la liberté. C'est le sophisme paresseux réalisé par les Orientaux.

Voilà des faits que les déterministes ne peuvent nier, et qu'ils négligent à tort dans leurs analyses psychologiques. En vertu même de leur théorie sur l'empire des idées, on arrive à conclure que, pratiquement, il est bon, il est nécessaire de fortifier chez les hommes l'idée de la puissance des idées. Encore une fois, faites comprendre aux hommes qu'ils ont un grand pouvoir sur leurs passions, et vous leur donnerez un certain pouvoir; plus la persuasion sera forte, plus l'effet sera grand, plus l'idée de puissance personnelle triomphera de l'impersonnelle fatalité.

Sans doute, cette idée ne saurait nous donner une véritable force pratique quand il s'agit de triompher d'obstacles matériels: il ne suffit pas de se croire capable de soulever un fardeau pour le soulever en effet, et la force physique ne se crée pas en nous par la persuasion; encore y a-t-il des cas où l'énergie morale semble développer et mettre en liberté une véritable énergie physique. De même, il ne suffit pas de se croire le génie nécessaire à la résolution d'un problème pour le résoudre: mais la confiance d'un homme dans sa force intellectuelle fait du moins qu'il cherche la solution; et combien de fois se vérifie pratiquement cette parole: «Cherchez et vous trouverez!» Il n'en est plus ainsi dans le domaine de la volonté; car il s'agit d'un pouvoir qui, s'il existait, opérerait sur lui-même et se prendrait lui-même pour objet. Ce pouvoir, nous le considérons comme ne faisant qu'un avec nous; et ici, la persuasion que nous possédons une semblable puissance doit être beaucoup plus efficace dans la pratique. C'est donc un bien de se croire maître de soi; car cette croyance, si elle ne nous donne pas une liberté métaphysiquement absolue, – question réservée, – nous donne du moins une énergie pratique dont l'indépendance est toujours perfectible, sinon parfaite.

Il ne faut pas pour cela se persuader qu'on est libre de tout faire par n'importe quels moyens et par une liberté aveugle; autant il est bon de croire qu'une certaine liberté est au centre de nous-mêmes, autant il est bon de se rappeler que nos moyens sont des conditions et des nécessités qu'il faut bien connaître. Il ne suffit pas de s'attribuer n'importe quel pouvoir, sans autre forme de procès, pour acquérir magiquement ce pouvoir. Autre chose est de se croire libre et de se croiser les bras, – ce qui n'avance à rien ou presque à rien, – autre chose est de vouloir être libre et de faire effort pour le devenir. Notre but est précisément de montrer que la liberté n'est pas un pouvoir magique ni une chose toute faite, mais une fin, une idée qui ne se réalise que progressivement et méthodiquement par le moyen d'un déterminisme régulier. Nous ne dirons donc pas qu'on soit plus libre, sans autre condition, à mesure qu'on croit plus l'être. Malgré cela, un certain degré de croyance dans la possibilité de ce qu'on veut et dans celle même du vouloir est nécessaire pour vouloir. L'ignorant, l'étourdi, l'enfant, le fou, ne s'attribuent que la liberté d'indifférence ou de caprice; mais précisément ils tendent à la réaliser dans la mesure même où ils la désirent et où ils la conçoivent. Il y a donc une certaine harmonie entre la liberté qu'on croit avoir et celle qu'on tend pratiquement à acquérir sous l'influence de cette idée même. Plus on se croit libre d'une fausse liberté, moins on l'est de la vraie, mais plus on se fait une idée vraie de la liberté, plus on réussit à la faire passer dans la réalité. Donc, tout en concevant les nécessités et les conditions, il faut placer, sous une forme ou sous une autre, quelque liberté en soi-même pour ne pas se réduire à l'absolue impuissance. Les anciens disaient: Audentes Fortuna juvat; nous ne croyons plus à cette Fortune du paganisme; mais ce que les anciens attribuaient à une influence extérieure, c'est en réalité notre intelligence qui le fait; c'est la foi en une certaine liberté des êtres intelligents qui nous donne notre puissance d'initiative intelligente: Audentes Libertas juvat.

S'il en est ainsi, dirons-nous aux déterministes, – et cela doit être selon votre hypothèse même, – vous tendez à parler et à agir comme tous les autres hommes dans la pratique. Vous devez, après avoir posé le déterminisme en théorie, chercher un moyen pour le concilier avec l'idée de la liberté pratique, sinon de la liberté métaphysique, et pour fortifier cette idée dans les esprits.

– Soit; il n'en reste pas moins probable que, objectivement, c'est l'idée de liberté qui agit, et non la liberté; il est donc possible qu'un déterminisme supérieur ait simplement pris la place du premier. – Quand ce serait vrai (et nous aurons plus tard à l'examiner), la contradiction pratique du déterminisme et de la liberté serait du moins notablement diminuée. A bien compter, nous avons déjà fait les uns vers les autres trois pas de plus; car nous nous sommes accordés à admettre: 1o l'idée de liberté présente en nous, comme un motif d'une nature particulière, 2o la tendance à réaliser la liberté, comme un mobile inséparable du motif, 3o l'efficacité au moins partielle de cette tendance, qui peut de plus en plus diminuer, sinon supprimer, notre dépendance même. C'est sur le degré précis de cette efficacité que le désaccord demeure possible. Les uns croiront l'efficacité assez grande pour être la manifestation d'une liberté réelle; les autres n'admettront d'autre effet qu'une augmentation de puissance pratique soumise aux lois générales du déterminisme. On a dit que toute notre science consistait à dériver notre ignorance d'une source plus haute; de même les déterministes pourront dire que toute notre liberté consiste à dériver notre dépendance d'une source plus haute. Toujours est-il que la hauteur de cette source n'est pas d'avance déterminée pour nous, et nous concevons le pouvoir de la porter sans cesse plus haut; nous allons jusqu'à nous demander si nous ne pourrions pas être la source même. Les systèmes opposés aboutissent donc à cette conclusion: d'une part, il serait désirable de faire descendre en soi tous les attributs du bien, non seulement la science et la félicité, mais encore l'indépendance, la dignité, la liberté même; d'autre part, nous portons déjà en nous l'idée de la liberté, et cette idée a dans la pratique des résultats analogues à ceux de la liberté même. Nous entrevoyons la possibilité, par la force même du désir, de réaliser, sinon la liberté, du moins son image la plus fidèle. La liberté devient ainsi un idéal progressivement réalisable. Dès lors, la direction pratique des deux doctrines adverses n'offre plus autant de divergence: peut-être même pourrions-nous à la fin leur donner pour but commun le bien accompli avec la plus grande indépendance possible, qui nous permettrait d'attribuer à nous-mêmes notre bonté, d'expliquer notre amour du bien comme Montaigne expliquait son amitié avec la Boëtie: «Je l'aime parce que c'est lui, parce que c'est moi.»

En résumé, quand je me crois libre, empiriquement, j'attribue la force prédominante à l'idée même de ma force. Or, cette force prédominante n'a rien de chimérique dans une foule de cas. Il est certain, d'abord, que les idées sont des forces; puis que, parmi les idées, se trouve celle même de la force des idées, qui peut devenir prévalente et directrice. Le pouvoir ainsi produit nous montre le déterminisme se réfléchissant sur soi et devenant, par cette réflexion, capable de se diriger soi-même. Il y a là un important phénomène soumis à des lois très complexes, dont les psychologues partisans du libre arbitre, comme les adversaires du libre arbitre, ont également négligé l'analyse; une grande partie des malentendus si fréquents en cette question tient, comme nous le verrons, à l'oubli de ce phénomène et de ses lois; l'idée de la force des idées, devenant elle-même force entraînante, est comme le foyer et le centre d'un système astronomique qui entraîne avec soi les autres motifs et les autres mobiles dans une trajectoire résultant de toutes leurs forces combinées avec la sienne. Une fois conçue et comprise comme désirable, l'idée de ma puissance sur moi pourra se réaliser peu à peu, mais d'une façon régulière, par des moyens déterminés. A tout autre motif pratique, je substituerai le motif de ma puissance possible, de mon indépendance possible comme être raisonnable, de ma «liberté» que je veux essayer de réaliser, et ce motif agira comme tous les autres, dont il pourra devenir le principe hégémonique.

2La genèse que nous venons d'indiquer, dans l'individu et dans l'espèce, nous permet de répondre à une question souvent posée: «Si l'idée de liberté, dit M. Naville, ne procède pas de l'observation de la conscience, d'où vient-elle?» (Rev. ph., La physique et la morale, p. 276.) – «Comment ce qui n'est pas libre, demande M. Delbœuf, peut-il avoir l'idée de la liberté?» – L'argument est classique; il n'en est pas plus probant. L'idée d'une indépendance relative est, comme nous l'avons vu, un objet d'expérience; celle d'une indépendance complète est une construction de la pensée. Les formes sous lesquelles je me représente cette indépendance, formes en partie illusoires et en partie réalisables, sont aussi des constructions possibles de la pensée, et nous en étudierons plus tard le développement. L'expérience m'apprend, par exemple, que deux actions contraires sont réalisables et ont lieu effectivement; elle ne m'apprend pas qu'elles soient possibles en même temps, sans doute; mais il ne m'est pas difficile d'imaginer cette possibilité simultanée par une simple combinaison de notions. Ainsi naît l'idée du libre arbitre.