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La Liberté et le Déterminisme

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De même, vous me proposez le choix entre deux biens extérieurs, l'un beaucoup plus grand que l'autre, et je choisis le moindre: ma détermination est-elle sans mobile? Non. Je veux vous prouver ou me prouver à moi-même que je ne suis pas esclave d'une influence extérieure, je veux affirmer et, en une certaine mesure, réaliser ma personnalité, mon moi, ma liberté et ma dignité, en préférant le moindre bien au plus grand. Cette affirmation et réalisation de ma puissance personnelle est un bien à mes yeux, et je préfère ma liberté aux choses extérieures. Les déterministes ont donc raison: quoi que je fasse, je ne puis vouloir qu'un bien; mais ce bien peut être précisément la liberté. En concevant la liberté, je la conçois comme bonne, je l'aime, et je suis excité ainsi à la réaliser; l'être raisonnable, qui se créait tout à l'heure à lui-même un motif par la conception de la liberté, se crée aussi un mobile et une fin: le moi trouve en lui-même une raison de vouloir et un intérêt à vouloir. Que cette idée et ce désir de la liberté aillent croissant par l'attention et la réflexion, ils produiront des effets en analogie avec eux-mêmes, indépendants de la valeur des autres motifs ou des autres mobiles. Voilà, ce semble, la réalité psychologique. Le grand tort du déterminisme est donc de n'avoir pas vu que, si l'homme veut toujours en vue d'un bien, il peut vouloir en vue d'un bien qui soit sa volonté même. Cette conception de la volonté libre comme bonne en soi se mêle à tous nos actes réfléchis; elle constitue un motif et un mobile inhérent au moi, et dont l'intervention modifie tous les autres motifs et tous les autres mobiles empreints de passivité extérieure. C'est proprement la part du moi et de son idée dans l'acte accompli; aussi est-ce là ce que le moi croit pouvoir s'attribuer à lui-même.

En résumé, l'idée du vouloir qui semble la plus synthétique et la plus conforme à l'expérience psychologique est la suivante: nous voulons pour telles ou telles raisons, pour tels ou tels biens, et de plus, et surtout, pour la raison et le bien de vouloir.

II. Idéal métaphysique de l'acte libre.– C'est là aussi ce qui répond le mieux, ce semble, à la notion métaphysique de la vraie liberté individuelle. D'une part, en effet, pour être entièrement libre, la volonté ne doit pas, en se portant vers tels et tels objets, s'y porter exclusivement pour eux; elle ne doit pas s'absorber dans la matière sur laquelle elle s'exerce: il faut qu'elle veuille encore avec le but d'être libre, avec le but de vouloir librement. D'autre part, elle ne peut vouloir à vide, dans une indifférence qui exclurait tout contenu déterminé. La réalité concrète, c'est de vouloir librement telle chose 1o pour vouloir cette chose-là et non une autre, 2o pour la vouloir librement et non d'une autre manière.

La liberté individuelle doit donc remplir deux conditions pour réaliser son idéal: elle doit donner à son acte la forme de la liberté, non une forme tout extérieure, mais, s'il est possible, cette forme réelle et constitutive qu'Aristote appelait «l'essence»; en même temps elle doit donner à cet acte, de forme libre, un contenu déterminé.

La forme essentielle de la liberté du moi c'est de vouloir pour vouloir, de se déterminer par soi-même pour se déterminer par soi-même. Vouloir ainsi pour vouloir, d'après nos explications précédentes, n'est pas une identité vide posée par l'entendement, au moyen de laquelle on se dispenserait de toute explication en répondant à la question par la question même. Le premier vouloir n'est pas la même chose que le second; ce sont deux éléments à la fois identiques et différents, dont l'unité concrète forme un tout, parce que le premier a sa raison dans le second et le second sa raison dans le premier. Comment ce cercle peut-il se produire sans constituer un cercle vicieux? – C'est que, quand je veux pour vouloir, le premier terme est le vouloir actuel, et le second un vouloir possible, raison finale et idéale du premier. Si ces deux vouloirs pouvaient se suffire l'un à l'autre indépendamment de tout le reste, il en résulterait que l'acte libre, composé de deux vouloirs inséparables, à la fois identiques dans leur forme et différents parce que l'un est moyen, l'autre fin, subsisterait dans leur unité ou plutôt serait lui-même cette unité.

En ce qui concerne le premier point, il n'y a pas de difficulté à admettre que le vouloir libre devienne une fin pour notre activité présente. La liberté est indépendance; de plus, en son sens le plus positif et au plus haut degré de son évolution, nous verrons qu'elle se confond avec la volonté de l'universel, avec la moralité. On conçoit donc très bien la possibilité de se proposer à soi-même comme raison finale un acte libre, – sinon un acte libre abstrait, notion sans contenu, du moins un acte libre particulier, enveloppé dans un ensemble de circonstances données. Je veux faire telle chose et non telle autre, et je veux la faire librement; c'est-à-dire que je veux, tout en la faisant, être indépendant de ce que je fais, ne pas y épuiser une puissance qui me paraît contenir en elle des choses opposées. En fait, c'est là l'idée dont nous nous proposons à chaque instant la réalisation dans la pratique: nous voulons, par exemple, faire un acte de désintéressement pour le faire et aussi pour manifester, pour réaliser notre liberté, qui est en même temps notre indépendance individuelle et notre volontaire union à l'universel; nous ne voulons pas être libres sans agir et sans faire passer notre liberté dans un acte particulier, ni accomplir un acte particulier sans y mettre notre liberté. La liberté se trouve donc toujours dans l'idée de l'acte proposé et en est la forme essentielle: nous agissons en vue de la liberté.

Bien plus, pour que le contenu déterminé de l'acte libre ne soit pas en contradiction avec la forme essentielle, nous voulons imprimer cette forme à tous les éléments dont l'acte se compose, et conséquemment à cet ensemble de circonstances où nous nous trouvons engagés. Or, pour ne pas être déterminé par ces circonstances, il faut les connaître, sinon dans leur nature intime, du moins dans leur rapport avec moi. Si je ne les connaissais pas et qu'elles me déterminassent à mon insu, il se trouverait dans l'acte accompli des choses dont je ne verrais pas la raison en moi-même. Voilà pourquoi je pénètre par la réflexion dans les moindres détails de l'acte (tel que l'exercice d'une fonction à moi confiée) et du milieu où il se produit, loin de m'y mouvoir sans y porter la lumière. Ce que je connais, je l'ai, dans une certaine mesure, ramené à moi et mis sous ma dépendance; ce que je connais, je le tiens. Aussi, plus mon vouloir est libre, plus il est raisonné, réfléchi, et par suite concret. Mon premier vouloir se subdivise en autant de vouloirs particuliers qu'il y a de conditions à remplir pour que l'acte produit soit, et ait la forme de la liberté. Et tous ces vouloirs ont leur raison dans la fin à atteindre, c'est-à-dire dans l'acte libre idéal dont ils sont les moyens; comme d'autre part l'acte libre, qui ne sera que le dernier de ces vouloirs, aura son principe dans les vouloirs antécédents dont il doit être la conséquence. Une fois que toutes les conditions seront ainsi déterminées, je saurai complètement ce que je veux, je pourrai vouloir toutes ces choses connues de moi, et me vouloir moi-même avec ma liberté dans ces choses ou plutôt au-dessus de ces choses. L'acte concret que je veux est comme une ligne à parcourir, dont il faudrait déterminer tous les points par la pensée afin de les vouloir tous. C'est là un idéal impossible à réaliser entièrement. Dans la pratique on se contente de déterminer le plus grand nombre de points possible, comme quand on divise une ligne en un grand nombre de parties; puis, ces points de repère déterminés, on se meut de l'un à l'autre par un mouvement continu, en laissant les intervalles dans l'indétermination et l'indifférence. Voilà pourquoi la liberté doit être en raison inverse et non en raison directe de l'indétermination. Plus mon vouloir sera déterminé et concret, plus sa réalisation d'un point à l'autre paraîtra nécessaire, et plus cependant il pourra être raisonnable et libre, au vrai sens de ce mot.

D'après ce qui précède, c'est tout d'abord dans un mécanisme que l'acte idéal de liberté doit se réaliser.

L'acte libre, que nous nous proposons comme fin, a besoin en effet d'une série d'actions liées par la loi mécanique des conditions suffisantes; car l'effet que la liberté veut produire doit être sous sa dépendance absolue, et conséquemment soumis à des conditions qui le rendront nécessaire. Sans cette nécessité des effets, il n'y aurait plus de certitude pour la liberté intelligente: en attirant à elle un anneau de la chaîne des choses pour atteindre un autre anneau plus ou moins éloigné, la volonté ne serait point sûre de ne pas voir la chaîne se briser entre ses mains, et les anneaux détachés se perdre dans le vide. La liberté doit donc réaliser un mécanisme d'effets soumis à la nécessité, c'est-à-dire à cette loi mécanique des effets que l'on confond trop souvent avec la notion métaphysique de cause efficiente.

Dans tout mécanisme apparaît une direction principale, déterminée par le point de départ et par le point d'arrivée. Au sein de la conscience l'idée directrice sera celle même de la liberté. Cette idée sera d'abord la force impulsive qui domine et meut tout le système, car toute idée a une intensité et une force proportionnelle à cette intensité. En outre, l'idée de liberté imprimera aux autres forces une direction vers elle-même; c'est elle-même qu'elle prendra pour but dernier, tout en se réalisant dans un système concret d'actions intermédiaires. En conséquence, elle devra se maintenir d'un bout à l'autre de la ligne suivie, comme un mobile présent à chaque point parcouru et qui conserve toujours sa tendance au mouvement. Bien plus, le résultat dynamique obtenu par l'idée de liberté ne sera pas seulement la conservation d'elle-même, mais son accroissement. Chaque mouvement intérieur étant réfléchi sur ce moteur qui ramène tout à lui et ayant en outre pour effet de diminuer progressivement les forces opposantes, quelles qu'elles soient, la force principale, c'est-à-dire l'idée de liberté, accroîtra sans cesse son effet de tout ce qu'auront perdu les autres forces. Elle aura ainsi réussi à agir en vue d'elle-même sur elle-même, et à produire la réflexion du mouvement sur le moteur.

 

Un mécanisme circulaire est précisément ce qui constitue un organisme. On sait que, selon la formule de Kant, l'organisme est un système dont toutes les parties sont tour à tour cause et effet; il se résume dans une réciprocité principale: celle de la force dominante et des forces auxiliaires, de la vie et des organes. La vie produit les organes, qui à leur tour produisent, maintiennent, accroissent la vie. Mais, dans les organismes inférieurs, la vie s'ignore et ignore les moyens qu'elle emploie: elle est instinctive. Au contraire, la vie supérieure, que tend à créer l'idée de liberté, serait une vie consciente d'elle-même et de ses moyens, transparente pour elle-même dans tous ses organes, se voyant fonctionner et voyant se ramener à elle toutes les autres fonctions mentales. Pour cela l'idée de liberté doit être présente, comme fin et comme cause, à tous ses organes intérieurs ou psychiques; et de plus elle doit être son organe à elle-même.

III. L'évolution vers la liberté et ses trois moments.– La volonté ne peut réaliser l'idéal de l'acte libre sans passer par trois moments dont l'évolution constitue un véritable progrès. Si, par hypothèse, nous considérons le moi avant qu'il ait produit aucun acte sous l'idée de liberté (comme chez les enfants), nous le trouvons déterminé principalement par le dehors et par ce qui ne vient pas de lui-même; il est tout entier esclave de la conformation du cerveau. C'est là le premier moment, où les déterminations du moi intelligent sont posées par des forces étrangères, – hérédité, milieu, excitations du dehors, – plutôt qu'il ne les pose et ne les affirme lui-même en sa conscience. Son activité ne s'est exercée encore que par des réactions purement réflexes (non réfléchies), en raison composée des actions de l'extérieur et des forces emmagasinées dans le système nerveux. Ces réactions réflexes étaient comme la traduction exacte du dehors par le dedans, du physique par le mental. Ce n'était pas cependant une complète fatalité, c'est-à-dire une complète passivité, puisqu'il y avait déjà réaction et conscience confuse de réagir; mais cette réaction était moins individuelle que due à l'espèce; de plus, elle était analogue à l'élasticité des corps. Aussi est-elle restée soumise aux lois de la pure dynamique, jusqu'à ce que la force qui réagissait sous forme simplement réflexe se fût développée par l'action même, fût arrivée à une conscience réfléchie, se fût posée dans son unité en face de la multiplicité extérieure. Tout le travail de la volonté pendant l'enfance consiste à se ressaisir par une réflexion progressive, dans le chaos des sensations disparates, qu'elle réduit peu à peu à l'unité formelle d'une même conscience.

Nous arrivons au second moment, que l'analyse sépare du premier, mais qui peut se confondre avec lui dans le développement continu et synthétique de la nature humaine. Le moi, aspirant à la liberté idéale, c'est-à-dire à l'affirmation de soi par des actes propres, travaille à détruire en lui ces déterminations qui n'y ont pas été posées par lui-même. Notre volonté imparfaite semble d'abord contenir tout plutôt que soi: le cerveau, résultat de l'hérédité dans la famille et dans l'espèce, est tout entier sous la dépendance du dehors; pour que la volonté s'affirme, il faut donc qu'elle commence par nier le reste, en un certain sens, c'est-à-dire par résister aux impulsions immédiates du dehors, et cela au moyen d'une réaction individuelle. Quand nous nous saisissons par la conscience, nous nous trouvons mis en mouvement ou modifiés dans notre mouvement par mille moteurs divers et étrangers. Avant donc de faire effort pour nous imprimer un élan qui vienne entièrement de nous-mêmes, il faut d'abord que nous arrêtions tous les autres mouvements et fassions en nous le repos. Au point de vue physiologique, ce second stade de la volonté, tout préparatoire, est ce qu'on a nommé le pouvoir d'inhibition ou d'arrêt; il se manifeste par un équilibre des impulsions nerveuses en divers sens. C'est comme un phénomène d'interférence. C'est aussi le second moment de l'évolution psychologique, qui enveloppe une sorte de dialectique vivante; c'est le moment de la négation, par où doit passer ce moi que Platon définissait «un moteur qui se meut lui-même». Le moi se fait alors immobile relativement au dehors; c'est-à-dire que, parmi toutes les déterminations possibles, il n'en regarde aucune comme capable d'absorber ou d'épuiser son idée de liberté en le contraignant à telle ou telle action. Cette situation du moi à l'égard des choses extérieures, sous l'idée de liberté, est celle de l'indépendance et même de la séparation; il tend en effet à se séparer de tous ses mobiles, de toutes ses inclinations, de toutes ses habitudes: il conçoit tout cela comme incapable de produire un acte tel qu'il se le représente, c'est-à-dire un acte vraiment libre. Dès lors, tout devient petit et presque indifférent devant cette idée d'une entière indépendance. Sous ce rapport, le moi en suspens et en équilibre est indéterminé; mais, nous l'avons vu déjà, c'est une indétermination partielle dont il est lui-même l'auteur au moyen de sa pensée. Par cet arrêt, par cet équilibre, le moi est déterminé à se déterminer soi-même. Il arrive à ce troisième et décisif moment où la nécessité intelligente, réfléchie sur soi, doit s'efforcer de se dépasser et de se contredire, par une sorte de métamorphose psychologique qui est l'apparition de l'être moral. Il y a là un passage que l'intelligence aspire à franchir, comme si la nécessité, après l'avoir conduite jusqu'à ce point, lui montrant au delà de l'obstacle la terre promise de la liberté idéale, la chargeait d'achever l'œuvre commencée.

En fait, quand nous agissons sous l'idée de liberté, nous nous efforçons de réaliser le mécanisme automoteur précédemment décrit, qui a la liberté pour fin directrice. L'idée de liberté montre sa valeur, comme le mouvement, en marchant. En prenant la liberté pour but nous ne poursuivons pas un idéal de tout point chimérique et illusoire: l'acte que nous nous proposons d'accomplir librement, nous l'accomplissons comme s'il était libre en une certaine façon et soumis à notre pouvoir. Nous réalisons donc tout au moins le contenu de cet acte. Si on peut nous contester le succès complet, c'est relativement à ce principe de liberté que nous lui attribuons, à cette forme essentielle (au sens aristotélique du mot) que nous aurions voulu aussi lui donner. La contestation ne peut plus porter, à vrai dire, que sur le degré de notre succès dans cette tentative d'affranchissement et dans cette évolution progressive; mais on ne saurait nier les effets réels de ce coefficient négligé par tous les déterministes. Rétablissons-le donc d'abord dans le déterminisme naturaliste, puis dans le déterminisme idéaliste.

«Des faits, disent les naturalistes, tout s'explique par des faits.» Mais l'idée de liberté est aussi un fait qui doit produire comme les autres un résultat original. – «Des idées, disent les idéalistes, tout s'explique par des idées.» Mais la liberté est aussi une idée, qui doit avoir sa part dans la génération des choses par les idées mêmes. – Les systèmes arrivent donc par diverses voies à poser une idée-force ou une force-idée. Nous devons examiner successivement ces deux points de vue.

IV. L'idée-force comme complément du naturalisme.– Les plus récentes observations de l'école empirique et naturaliste s'accordent avec les spéculations des idéalistes sur l'identité fondamentale de la pensée et de l'action. Selon MM. Bain et Spencer, et aussi selon Müller, l'idée d'un objet absent et la perception d'un objet présent sont des actes qui ne diffèrent pas en nature, mais seulement en degré; l'idée, en général, est le commencement d'une action. Le phénomène fondamental du mécanisme nerveux est l'acte réflexe; par conséquent, c'est une transmission de mouvement. Le mouvement communiqué aux centres cérébraux se restitue nécessairement au dehors et se transmet sous une forme ou sous l'autre. Toute pensée suppose une réception et une transmission de mouvement, par conséquent une continuation de mouvement, une tendance, une force motrice au sens mécanique134.

La tendance qu'a l'idée d'une action à la produire montre que l'idée est déjà l'action elle-même sous une forme plus faible. Au souvenir de quelque action énergique, par exemple d'un combat, il nous est très difficile de nous empêcher de répéter partiellement cette action. Une sorte de courant causé par l'émotion se précipite dans les mêmes voies et s'empare des mêmes muscles, au point de leur imposer une répétition réelle. Un enfant ne peut rendre compte d'une scène à laquelle il a pris part qu'en la reproduisant avec tous les détails. Remarquons en passant que c'est ce qui donne naissance au langage d'action; c'est aussi ce qui le rend si facilement intelligible pour les enfants eux-mêmes: nous interprétons rapidement les signes parce qu'ils sont le commencement des actes qu'ils représentent. – En pensant des mots ou une phrase, on sent une sorte d'impulsion et de mouvement se communiquer à la langue et aux autres organes de l'articulation, qui sont alors sensiblement excités. «L'articulation, dit M. Bain, est la seule différence qu'il y ait entre la représentation purement intellectuelle d'une idée et son expression vocale… Penser, c'est se retenir de parler ou d'agir.» Nous sentons à chaque instant combien il est facile de convertir nos idées en paroles; il suffit d'y ajouter une force mécanique presque insensible, de faire entendre un faible chuchotement. Il y a des gens qui sont si peu maîtres de leurs organes qu'ils articulent ou murmurent toutes leurs pensées; il en est d'autres qui, dans certains moments d'excitation, ne peuvent s'empêcher de se parler à eux-mêmes. L'idée seule du bâillement le provoque: «le frein qui accompagne ordinairement les idées d'action et qui les empêche de se traduire en mouvements, est trop faible dans ce cas; en conséquence l'idée devient à elle seule l'expression complète de la réalité.» Ce frein résulte du mécanisme des forces: les mouvements commencés dans le cerveau tendent à se répandre et à se réaliser dans les muscles, mais ils rencontrent des mouvements déjà réalisés qui peuvent les contenir, ou d'autres courants nerveux qui les neutralisent. Les ondes produites par une pierre dans l'eau vont plus ou moins loin et sont neutralisées plus ou moins vite, selon la force du choc initial; de même il est en nous des tendances et des mouvements qui ne rayonnent pas jusqu'à la sphère visible de l'activité extérieure, mais qui n'en sont pas moins déjà l'action elle-même et le mouvement lui-même au premier degré.

 

Si l'idée peut exercer une action jusque sur des mouvements de nature réflexe, de manière à les exciter ou à les modérer, on comprend combien elle doit être plus puissante sur les mouvements qui dépendent immédiatement d'elle-même. Et parmi ces idées, qui tendent à se réaliser, à s'exprimer par des actes, nous savons qu'il faut placer au premier rang l'idée de liberté, dont l'action est tantôt modératrice, tantôt excitatrice. Cette idée est un ressort dont l'action a été négligée par l'école physiologique et naturaliste.

Le tort de cette école, en général, c'est le peu d'importance qu'elle accorde à la conscience et aux idées. Nous avons vu qu'elle en fait de simples reflets d'un mouvement accompli sans elles, de simples «phénomènes lumineux» sans action et sans réelle influence. Les choses se passent dans le cerveau tantôt avec conscience, tantôt sans conscience, et dans le premier cas elles se passent comme si la conscience même n'existait pas: le courant suit l'arc nerveux de la même manière, soit qu'il y ait conscience au centre, soit qu'il y ait inconscience. Ce rôle effacé, ou plutôt cette absence de toute action efficace attribuée aux idées, nous paraît une exagération des naturalistes contemporains, que nous avons déjà signalée135. Leur erreur est de croire que les actes, connus ou non de nous, demeurent toujours les mêmes, semblables au fleuve qui coule de la même manière, soit qu'on regarde ou qu'on ne regarde pas les flots qui se suivent.

Sans doute il y a des combinaisons d'idées qui ne tendent pas à se réaliser parce qu'elles n'enveloppent en elles-mêmes aucune tendance capable de satisfaire l'être qui les conçoit; parfois même elles enveloppent une tendance répulsive plutôt qu'attractive. L'idée d'imbécillité, par exemple, ou celle de fatalité, n'incline pas à sa réalisation. Encore ne faudrait-il pas qu'une intelligence fût tout envahie et absorbée par des idées de ce genre, car alors elles tendraient à s'exprimer tantôt par une sorte de fascination, tantôt par une passivité inerte, etc. Une représentation dominante et exclusive, fût-elle chimérique ou terrible, exerce déjà par elle-même une fascination qui peut susciter les mouvements élémentaires correspondants. Une idée n'est oisive et inactive que dans deux cas: 1o quand elle est contrebalancée et refrénée par d'autres; 2o quand, étant seule, elle est tout à fait abstraite ou tout à fait impossible. Si je conçois, par exemple, la négation de toutes mes conditions d'existence, cette idée purement négative et irreprésentable n'entraîne d'autres mouvements élémentaires que ceux des mots qui l'expriment. Si la liberté n'était qu'une idée de ce genre, elle n'agirait pas. Mais, dans l'idée d'indépendance, surtout par rapport aux mobiles sensibles et à l'égoïsme, dans l'idée d'une possession de soi par soi-même, dans l'idée d'une expansion vers l'universel, dans l'idée de perfectibilité et de progrès, il y a des éléments intelligibles et désirables, conséquemment excitateurs et moteurs. C'est donc, de la part des naturalistes, une inconséquence que de méconnaître, en ce sens, la force des idées et surtout de l'idéal de la liberté.

Cherchons maintenant jusqu'où peut aller l'efficacité finale de l'idée de liberté tant qu'on s'en tient au point de vue exclusif du déterminisme naturaliste. Si ce point de vue exprimait le fond des choses, les déterministes auraient le droit de dire: – Nous avions sans doute négligé un chiffre dans nos calculs et vous avez raison de le rétablir; mais nous n'aurons désormais qu'à mesurer la valeur de l'idée de liberté; après l'avoir calculée une fois pour toutes, nous commencerons nos tables des motifs par ce premier facteur invariable, après lequel nous écrirons, comme nous le faisions auparavant, les motifs variables. La loi de nos actions sera trouvée.

On peut répondre, d'abord, que l'idée de liberté n'est pas un facteur d'une valeur constante. – Cette idée, quoique toujours présente plus ou moins implicitement à toute action réfléchie et délibérée, n'est pas toujours également développée, claire et intense: il y a donc des intermittences et des degrés dans notre conception réfléchie de la liberté.

– Mais, dira-t-on, constante ou variable, sa force ne modifie pas la résultante du mécanisme interne: elle s'ajoute toujours aux motifs antérieurement dominants, tantôt égoïstes, tantôt désintéressés, et se borne à en accélérer l'action. – Cela n'est vrai que quand nous agissons sans penser au contraire de notre acte; dans ce cas, l'idée de notre puissance accroît en effet notre confiance et accélère notre mouvement. Mais, quand il s'agit d'une chose où le bon et le mauvais se mêlent, l'association des idées par contraste nous fait concevoir toujours le parti opposé; et ce parti nous apparaît, lui aussi, comme un mélange de bon et de mauvais. Si nous n'avions aucune idée de notre liberté possible, nous accepterions simplement et passivement l'état présent de nos tendances, sans concevoir la possibilité de rendre dominante la tendance actuellement la plus faible; mais il n'en est pas ainsi, et l'idée de liberté, loin d'accélérer la tendance dominante, la retarde ordinairement en faveur de la plus faible. C'est quelque chose d'analogue à ce qui se passe quand nous sommes témoins d'une lutte entre deux adversaires dont l'un est plus fort que l'autre: nous sommes inclinés à prendre parti pour le plus faible afin de rétablir l'égalité; au besoin, nous lui portons secours. Et pourquoi voulons-nous rétablir l'égalité? Pour laisser libre jeu à une puissance supérieure, par exemple celle de l'intelligence, plus intime, plus personnelle que la force physique, quoique en même temps plus impersonnelle par son objet. Mais, devant une trop grande inégalité d'intelligence, nous sommes encore portés à rétablir l'égalité, comme pour donner place de nouveau à une puissance supérieure, comme pour en appeler d'un tribunal provisoire à un jugement sans appel. Nous voulons moins la victoire du plus intelligent que du meilleur, et moins celle du meilleur en lui-même que de celui qui serait meilleur par lui-même ou librement aimant. Le moi, avec son idéal d'indépendance personnelle et de volontaire impersonnalité, est la grande force décisive que, dans cette lutte, nous voudrions voir donner. Quand il s'agit d'une lutte intérieure dans notre conscience, la même tendance à intervenir pour le plus faible se produit: l'idée même de notre liberté surgit et se réserve le dernier mot, au lieu de laisser la décision à des puissances inférieures. Cette idée tend donc à équilibrer les motifs et à les rendre par là indifférents devant elle, plutôt qu'à se précipiter du côté de la force dominante. Au lieu d'accélérer, elle suspend d'abord, elle arrête; elle produit, avec ce que les physiologistes appellent l'inhibition à son plus haut degré, ce que les moralistes appellent la possession de soi: le moi, au lieu d'être absorbé par les tendances particulières et les objets extérieurs, se recueille dans la réflexion et se pose. Le moi fût-il toujours une simple idée, cette idée devient, au point de vue même du naturalisme, une puissance capable en fait de contrebalancer les autres, elle est une idée-force.

En outre, ce n'est pas une puissance fixe, mais quelque chose d'analogue à ces variables des mathématiciens qui tendent vers une limite plus grande que toute quantité donnée. L'idée de la liberté, en effet, est l'idée d'une force capable de se multiplier elle-même par la réflexion, d'une force variable et virtuellement indéfinie. Tels deux miroirs se renvoient l'un à l'autre une même image; et l'idée de la liberté, au lieu de s'affaiblir dans cette réflexion du sujet moi sur l'objet moi, va grandissant. Le déterminisme mécaniste parle toujours des idées comme de valeurs stables, comme d'unités fixes; mais il faut admettre des idées dont la valeur et la force impulsive soient capables de s'accroître, et qui deviennent multiples de soi par la réflexion. Le cerveau, disent eux-mêmes les physiologistes, est un organe multiplicateur et condensateur.

Ainsi se produit un phénomène mental de haute importance, qui résulte du pouvoir que nous avons de réfléchir sur notre moi: du moment où nous réfléchissons, il y a le moi actuel donné à notre réflexion, et le moi possible, qui, en se concevant, peut se réaliser différent du moi donné. De là deux termes et une multiplication possible de l'un par l'autre. Une seconde réflexion peut multiplier encore la puissance de l'idée par elle-même. Nous avons ainsi un multiplicateur qui s'élève à des puissances successives. L'idée de liberté est précisément l'idée de cette multiplication toujours possible, de cette variabilité sans limites précises.

Les symboles arithmétiques sont, du reste, bien loin de suffire à l'explication de tout ce que contiennent les faits de liberté apparente ou réelle: aux considérations de quantité doivent se joindre celles de qualité. Les faits physiques eux-mêmes ne trouvent pas leur unique explication dans des variations de quantité purement mathématiques et mécaniques; il existe des combinaisons où le tout est autre chose que la somme numérique de ses éléments: ce sont les combinaisons chimiques. De même, dans l'esprit, se produisent ces faits que l'école naturaliste appelle une sorte de chimie mentale, comme quand les sensations élémentaires des sept couleurs engendrent, par leur synthèse, une sensation toute différente en qualité, celle du blanc. Les naturalistes seront donc forcés de reconnaître que l'idée de liberté, en s'ajoutant à un motif, n'en doit pas modifier simplement l'intensité quantitative, mais encore la qualité spécifique et surtout la qualité «morale.» Si, par exemple, je conçois un tort fait à autrui comme pouvant être libre, ce n'est pas seulement un tort plus grand que je conçois, mais un mal d'un nouveau genre et pour ainsi dire d'une tout autre couleur, l'injustice volontaire. De même, le bonheur d'autrui produit par le sacrifice de mon intérêt devient, en se combinant avec l'idée de liberté, cette merveille idéale qui ne ressemble à aucun autre objet: la libre bonté. Le bien conçu sous l'idée de liberté cesse donc d'être neutre et impersonnel pour apparaître comme bien «moral,» en même temps que le mal apparaît comme mal moral. Ou plutôt, auparavant, nous ne concevions que le plaisir ou la douleur; le bien comme tel, ou la moralité, n'a pu être conçu que grâce à l'idée, vraie ou fausse, de liberté. Celle-ci introduit donc des motifs tout nouveaux et sui generis, c'est-à-dire les motifs moraux, impliquant un certain degré de croyance à la liberté: ce que je veux, c'est un bien libre, une réelle bonté. Or, la persuasion de ma liberté me permet d'agir en vue de cette réelle bonté, et c'est là une évolution intérieure d'où peut sortir progressivement un monde nouveau. Quand même ces hautes notions morales ne seraient qu'un idéal, la seule conception de cet idéal n'en introduit pas moins en nous une lumière toute nouvelle. Si nous agissons sous la pensée et le désir de la libre bonté, n'aurons-nous pas lieu de croire avec Platon qu'on peut devenir, en une certaine mesure, semblable à l'objet de sa contemplation et, qui plus est, de son action? J'ai une arme dans les mains; vous prétendez que c'est une ombre et non une réalité; mais, puisque avec cette arme je triomphe des forces ennemies, comment ne finirais-je pas par me demander si c'est simplement une ombre, ou au moins si l'ombre ne prend pas corps?

134Nous trouvons la théorie des idées-forces de plus en plus confirmée par les travaux des physiologistes et psychologues contemporains. Selon les remarques ajoutées par M. Taine à sa dernière édition de l'Intelligence, «quand l'image devient très lumineuse, elle se change en impulsion motrice; on peut donc supposer que, s'il y a dans l'écorce cérébrale des points où l'image devient plus lumineuse, ces points se rencontrent là où les extrémités terminales de l'appareil intellectuel s'abouchent avec les extrémités initiales de l'appareil moteur… D'innombrables courants intellectuels cheminent ainsi dans notre intelligence et notre cerveau, sans que nous en ayons conscience, et ordinairement ils n'apparaissent à la conscience qu'au moment où, devenant moteurs, ils entrent dans un autre lit.» (L'intelligence, 3e édit., I, 482.) Le substratum physique de l'esprit, disent Carpenter et Laycock, n'est pas seulement les nerfs efférents avec leurs centres, ce sont aussi les nerfs afférents, «ce sont les processus sensori-moteurs.» – «Il doit y avoir un élément moteur aussi bien qu'un élément sensoriel dans le substratum anatomique dont la faible décharge correspond à ce que nous appelons penser un objet. Cette notion peut paraître singulière. Quoi de commun, dira-t-on, entre un mouvement et une idée, l'un étant un processus physique, l'autre un processus mental? Je le répète, le mouvement entre comme élément non dans les idées, mais dans le substratum anatomique des idées.» (Huglings Jackson, Clinical and physiological researches on the nervous system: I, on the localisation of movement in the brain, p. 18, et sq.) Pour la théorie des centres psycho-moteurs, qui sont comme les centres des idées-forces, voir les travaux de Ferrier, de Bastian, de Maudsley et les pages substantielles de M. Ribot, dans la Revue philosophique de juillet 1882.
135Voir principalement Maudsley, Herzen, M. Taine et M. Ribot. – Cf. p. 109.