Za darmo

Le pouce crochu

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– Et ces cabanes, des deux côtés?…

– Servent de domicile aux joueurs d’orgues et aux montreurs de singes qui travaillent dans les rues. Pas de danger que Zig-Zag se soit remisé là. Il y en a, là-dedans, qu’il a rencontrés dans nos tournées, et il ne tient pas à être reconnu. Aussi, vous voyez que Vigoureux ne s’y arrête pas.

Vigoureux, en effet, continuait à tirer de toutes ses forces, et cinq minutes après, le groupe des chasseurs d’homme déboucha dans un carrefour triangulaire formé par l’intersection de l’avenue de Clichy avec la route mal famée.

– Nous y sommes, dit à demi-voix Courapied.

Courapied parlait bas, comme s’il eût craint d’être entendu et cependant le carrefour était désert.

Mademoiselle Monistrol regarda autour d’elle et à la lueur des becs de gaz beaucoup trop espacés, elle vit une large route qui s’étendait à droite et à gauche.

L’aspect n’avait rien d’extraordinaire. C’était ce qu’on appelle, en langage administratif, un «chemin de grande communication, » comme il y en a par toute la France, y compris le département de la Seine.

C’est pourtant une voie sinistre, et le vieux saltimbanque n’avait point exagéré la triste réputation que lui ont acquise les nombreux crimes commis dans ces parages.

Son nom même qui lui vient, dit-on, d’une révolte des gardes-françaises, au camp des Sablons, son nom presque menaçant semble l’avoir prédestinée à servir de théâtre à des scènes sanglantes.

Elle commence au rond-point de la Porte-Maillot, et c’est précisément là que le duc d’Orléans mourut, à trente ans, d’une chute de voiture. Elle traverse Neuilly, elle pénètre dans Paris, elle en sort un peu plus loin et s’allonge dans la plaine de Clichy, après avoir coupé à angle droit la route d’Asnières.

Là, elle entre en plein pays de Bohème. Elle passe d’abord sur le territoire des chiffonniers qui campent à la belle étoile, ou peut s’en faut et se nourrissent dans des gargots, où on leur sert des aliments sans nom et des boissons au vitriol.

Ce n’est rien encore. Les chiffonniers sont presque tous de braves gens, qui travaillent la nuit et qui dorment le jour. Mais la route arrive à Clichy, en passant sous la voûte du chemin de fer de l’Ouest, un vrai souterrain où on peut assommer un homme sans craindre d’être dérangé pendant l’opération.

À droite, s’étendent des terrains vagues où viennent dormir les vagabonds et les malfaiteurs. Puis, viennent des ruelles fangeuses, des impasses sombres, des passages qui sont des coupe-gorges, et la cité du Soleil, ainsi nommée parce qu’elle est entourée d’une ceinture de tournesols, car le soleil ne s’y montre guère.

Et ce n’est pas fini. Plus il s’étend, plus ce chemin maudit s’enfonce dans l’horrible.

Au delà du carrefour où s’étaient arrêtés Camille Monistrol et ses auxiliaires, il y a d’autres repaires échelonnés des deux côtés. Chaque rue rappelle un souvenir judiciaire. Le sang y a coulé.

Et c’était dans cette direction que l’horrible dogue cherchait à entraîner Courapied.

– Allons! murmura le pauvre pitre, résigné à tout, Zig-Zag est probablement caché dans la cité Foucault. Nous ne pouvions pas plus mal tomber. Sur cent locataires de la Femme en culottes, il y en a quatre-vingts qui sortent de Mazas.

– Marchons! dit résolument Camille.

Il fallut obéir. Seulement, elle se renseigna tout en cheminant, et Courapied lui apprit que la «femme en culottes» était une demoiselle qui administrait, en costume masculin, cette cité bizarre; qu’elle ne craignait pas de prendre au collet les récalcitrants, et qu’elle ne se gênait pas pour démonter les portes de leurs chambres quand ils s’obstinaient à ne pas payer.

On arriva bientôt à la hauteur de cet assemblage de baraques construites toutes sur un modèle unique. C’est une longue suite de rez-de-chaussée surmontés d’un étage avec balcon de bois.

Tout le monde dormait dans la cité, ou du moins on n’y entendait aucun bruit, et ce silence était rassurant.

Mais en face, et de l’autre côté de la route, s’élevait une grande maison blanche où l’on vendait à boire et à manger, comme l’indiquait une énorme enseigne peinte par un artiste inconnu, un vrai tableau représentant, au premier plan, une immense casserole; autour de cette casserole, un prêtre, un bedeau, un enfant de chœur et un croque-mort: tout le personnel d’un enterrement; au fond dans un lointain vague, de longues files de lapins, accourant sur deux rangs pour se précipiter dans le bassin de cuivre où ils vont passer de vie à gibelotte.

Au-dessus de cette toile fantaisiste, s’étalait en gros caractères l’inscription: Au tombeau des lapins; inscription qui avait beaucoup contribué à la renommée de l’établissement.

Le Tombeau des lapins était connu dans tous les mondes, à ce point que l’élégant Alfred de Fresnay le citait à la comtesse de Lugos comme une des curiosités du Paris marginal.

Ce soir-là, on y menait grand tapage et toute la vie du quartier semblait s’être concentrée dans la salle basse, brillamment éclairée au dedans et même au dehors, car une énorme lanterne se balançait, suspendue au-dessus de l’enseigne. On criait, on se disputait, on chantait à tue-tête des refrains orduriers et la compagnie devait être nombreuse, à en juger par le vacarme qu’elle faisait.

– Est-ce là? demanda Camille en voyant que Vigoureux s’arrêtait devant la façade du cabaret et levait le nez en l’air pour prendre le vent.

Mais le chien, après avoir flairé pendant quelques secondes, secoua la tête et se remit à traîner Courapied qui répondit:

– Non, mademoiselle. Le père Villard, qui tient la maison, ne loge pas à la nuit. Zig-Zag ne trouverait pas à coucher, ici. J’aime autant ça. Il y a trop de monde dans la cambuse et si nous y entrions, les pochards nous tomberaient dessus.

Et le pitre défroqué ajouta, après un instant de réflexion:

– Ça se pourrait bien, tout de même, que le gueux y soit venu ce soir. Vigoureux l’a senti, car il a marqué l’arrêt.

– Alors, son maître ne doit pas être loin, dit Camille. Avançons.

– Il n’y a plus devant nous que le quartier des Épinettes, et, s’il y est, je m’étonne que le chien ne nous y ait pas menés par la porte de Saint-Ouen. C’est le plus court chemin.

– Il a pris le chemin par lequel Zig-Zag a passé.

– Oui… il le suit à la piste… Nous sommes sûrs de ne pas le manquer, mais… savoir comment ça finira…

Mademoiselle Monistrol ne releva pas cette phrase restrictive, qui ne lui apprenait rien de nouveau, car elle savait parfaitement que le mari d’Amanda n’était pas tranquille sur l’issue de l’expédition. Mais elle savait aussi qu’il ne l’abandonnerait pas. Et ce n’était plus le moment de discuter les chances de l’entreprise.

Ils continuèrent à cheminer en groupe serré derrière Vigoureux qui se démenait de plus en plus, parce qu’il approchait du but, et ils passèrent devant d’autres ruelles à peine éclairées par quelques réverbères à l’huile.

Un peu plus loin, au bord de la route, se montraient çà et là des baraques faites, les unes avec des planches pourries, les autres avec des moellons volés dans des maisons en démolition; de vraies huttes de sauvages, construites par des civilisés, car il y en avait deux ou trois pour lesquelles on n’avait employé d’autres matériaux que des boites à sardines, bourrées de terre, empilées avec un certain art et cimentées avec du plâtre.

Il ne paraissait pas qu’elles fussent habitées, car on n’y voyait pas briller la moindre lumière.

Du reste, le chien tirait toujours et, au delà de ces bicoques, on n’apercevait plus que des champs incultes.

– Ah! çà, dit entre ses dents Courapied, est-ce qu’il va nous mener à Saint-Denis? Nous y arriverions demain matin.

Tout à coup, Vigoureux fit un bond à gauche, un bond si violent qu’il faillit rompre la corde et après le bond, un crochet qui jeta Courapied hors de la route.

La route, à cet endroit, se trouvait de plain-pied avec les terrains plats qu’elle traversait et elle n’en était séparée que par un fossé, pas beaucoup plus profond qu’un sillon de labourage. Courapied, entraîné pas le chien, franchit ce creux sans presque s’en apercevoir et se trouva dans un champ pierreux où l’herbe poussait à peine.

Camille et Georget s’empressèrent de l’y suivre et là on tint conseil encore une fois, en dépit des sauts furibonds de Vigoureux qui brisaient les poignets du pauvre mari d’Amanda.

Il fallait, avant tout, s’orienter, et ce n’était pas très facile par une nuit sans lune.

À droite, de l’autre côté de la route, la butte Montmartre se dessinait comme une énorme bosse sur l’horizon embrumé. En arrière, des points lumineux piquaient les ténèbres, les uns immobiles et assez rapprochés, les autres s’agitant dans le lointain, comme des feux follets.

– Ici, les lanternes de la cité Foucault et là-bas les falots des chiffonniers qui commencent leur tournée, murmura Courapied.

– Mais… devant nous? demanda mademoiselle Monistrol.

– Devant nous, c’est la plaine Saint-Denis et à moins que Zig-Zag ne soit gîté dans un puits de carrière, je ne comprends pas où ce chien veut nous mener.

– Père, dit Georget, il me semble que je vois une maison… à deux cents pas d’ici… un peu sur la gauche.

– Tu as de bons yeux, toi… Je ne vois rien.

– Moi, j’aperçois quelque chose, dit Camille; mais je ne distingue pas très bien si c’est une maison ou un tertre. Dans tous les cas, c’est là que le chien veut aller. Laissez-le faire.

– Je ne demande pas mieux, car je n’en peux plus. La corde me coupe les doigts. Mais, si nous le suivons, Dieu sait où il va nous mener. Encore, si on était sûr que c’est à une maison! Mais ces terrains-là sont pleins de trous…

– Il a trop d’instinct pour y tomber, et il nous servira à les éviter. Nous n’avons qu’à marcher derrière lui… un à un.

 

La jeune fille avait réponse à tout, et Courapied se résigna, d’assez mauvaise grâce, à exécuter la manœuvre qu’elle lui indiquait. Il suivit Vigoureux, et il lui eût été difficile de faire autrement, à moins de le lâcher, car il n’était plus de force à lui résister.

Georget venait après son père, et Camille après Georget.

C’était la file indienne, et cet ordre de marche convenait parfaitement à des gens qui tenaient à surprendre un ennemi au gîte; car, ainsi rangés, ils n’étaient qu’un point, presque invisible dans cette vaste plaine, et ils avaient des chances d’arriver jusqu’à la maison, sans qu’on signalât leur approche.

À cent mètres de leur point de départ, ils rencontrèrent un gros tas de pierres qu’ils n’avaient point aperçu de loin et qui était cependant assez élevé pour les abriter. Courapied, toujours prudent, s’y arrêta et se mit à examiner les abords de la place.

C’était bien une maison, mais une maison en ruines. Le toit s’était effondré, et de deux cheminées qui surplombaient autrefois cette bâtisse, il n’en restait qu’une debout; l’autre, en s’écroulant, avait couvert le sol de débris amoncelés. Cependant il y avait encore des volets aux fenêtres et les quatre murs paraissaient solides. Peut-être n’entouraient-ils qu’un espace vide, car aucune clôture ne protégeait extérieurement ces restes d’une villa abandonnée.

Qui l’avait détruite? Il ne paraissait pas que ce fût un incendie, car elle était construite en briques rouges qui avaient conservé leur couleur. Ce n’était pas non plus le canon, car on ne s’est pas battu là pendant le siège.

Courapied s’inquiétait fort peu de le savoir. Il se demandait si sa femme et l’odieux et Zig-Zag étaient venus se cacher parmi ces décombres, et il hésitait à le croire, quoique Vigoureux persistât énergiquement à l’y conduire malgré lui. Mais quoi qu’il en fût, les deux coupables ne pouvaient avoir trouvé là qu’un refuge provisoire, et ceux qui viendraient les y déranger devaient s’attendre à être mal reçus.

– Eh bien, qu’attendez-vous? lui dit tout bas mademoiselle Monistrol.

– Je n’attends pas, murmura Courapied. Je pense que nous n’avons plus qu’à nous en retourner, car ce serait une folie que d’entrer là-dedans, cette nuit. En plein jour je ne dis pas, mais…

– Demain, ce misérable aura déguerpi. Je veux en finir. Rien ne prouve, d’ailleurs, qu’il est là. Et je vais m’en assurer.

Qui m’aime me suive! ajouta Camille, en quittant le tas de pierres qui l’abritait, et en se dirigeant résolument vers la maison.

Georget s’élança et la dépassa en un clin d’œil. Courapied n’osa pas rester en arrière, et céda aux efforts de Vigoureux qui le traînait.

Ils n’avaient guère que cinquante pas à faire pour arriver devant la façade mystérieuse, et quand ils y furent, ils s’arrêtèrent encore, mais cette fois d’un commun accord.

Camille elle-même sentait la nécessité d’examiner l’édifice avant d’aller plus loin.

Que Zig-Zag fût là, ce n’était plus douteux. Le chien se dressait sur ses pattes de derrière et faisait des efforts inouïs pour rompre le lien qui l’enchaînait. Il essayait aussi d’aboyer, et, la courroie s’étant un peu relâchée, il réussissait à pousser des grognements qu’on aurait pu entendre d’assez loin. Mais où se tenait l’odieux clown au pouce crochu? Derrière le mur, ou dans quelque cave creusée sous les ruines? Et comment l’aborder?

Au milieu de la façade, on voyait une ouverture béante; l’entrée d’un corridor sombre dont la porte avait disparu. Mais ce chemin n’était pas engageant.

– Faisons le tour, mademoiselle, dit tout bas Courapied. Nous trouverons peut-être mieux.

– Père, il y a de la lumière, souffla Georget en montrant une des fenêtres du rez-de-chaussée.

Camille regarda et vit qu’un mince filet de clarté filtrait entre les volets mal joints. Il y avait donc là une chambre habitable et Zig-Zag s’y était installé. Elle le tenait enfin et rien ne l’empêchait de le forcer à se montrer. Elle verrait son visage, ses mains, s’il se présentait à la fenêtre tenant le flambeau qui l’éclairait et après… après, elle monterait à l’assaut de son repaire et, le pistolet au poing, elle le forcerait à se laisser lier par Courapied.

C’était absurde, c’était extravagant, mais Camille ne raisonnait plus. Le sang lui montait à la tête. Elle voyait rouge.

Sans hésiter, sans avertir Courapied, elle tira son revolver de sa poche, l’arma, se baissa, ramassa une poignée de cailloux et la lança dans les volets.

La lumière s’éteignit aussitôt et Camille comprit enfin que l’idée qui l’avait poussée à s’annoncer ainsi n’avait pas l’ombre du sens commun, car en admettant que Zig-Zag vînt à la fenêtre au lieu de s’enfuir, elle n’apercevrait pas ses mains dans l’obscurité.

– Sauvons-nous, mademoiselle, lui dit Courapied. Ils sont peut-être une bande… et ils vont nous assommer. Je n’aurai pas la force de vous défendre, car je me suis éreinté à tenir Vigoureux… et je vais être obligé de le lâcher.

– J’aime mieux mourir ici que de fuir au moment où je retrouve l’assassin de mon père.

À ce moment, quelqu’un entrouvrit doucement les volets.

– Qui est là? demanda une voix de femme.

Mademoiselle Monistrol resta stupéfaite. Elle cherchait Zig-Zag, elle venait d’essayer de l’attirer à la fenêtre et c’était une femme qui répondait à l’appel des cailloux lancés dans les volets.

Et pourtant Vigoureux bondissait de telle sorte qu’il devait avoir reconnu la personne qui parlait.

Courapied aussi l’avait reconnue, car il s’écria:

– C’est la voix d’Amanda.

Il avait malheureusement parlé assez haut pour qu’on l’entendît de la maison et l’effet de cette imprudente exclamation ne se fit pas attendre.

Les volets s’ouvrirent à deux battants et une forme blanche se montra.

Camille et ses auxiliaires restaient groupés sous la fenêtre où se tenait l’apparition, et la nuit n’était pas assez noire pour les cacher.

– Ah! gueuse! reprit Courapied, emporté par la colère. Je te retrouve donc enfin et tu vas me payer le tour que tu m’as joué.

– Comment! c’est toi, imbécile! reprit la voix. Qu’est-ce que tu viens faire ici?

– Je viens te chercher, coquine.

– Me chercher! Ah! elle est bonne, celle-là! Tu te figures que je vais encore courir les foires avec toi. Merci, mon bonhomme! J’en ai assez de ta société et du métier. Tu repasseras une autre fois.

– Oui, compte là-dessus. Je te tiens. Je ne te lâcherai pas.

– Viens donc me prendre. Entre, mon vieux! La porte est ouverte.

– Oui, et ton amant m’attend dans le corridor pour me tomber dessus par derrière.

– Tiens! tu as trouvé ça tout seul? Eh bien, tu te mets le doigt dans l’œil. Je suis seule et il faut que tu sois bien lâche pour ne pas oser avancer. Je ne suis qu’une femme, mais je ne canerais pas comme ça.

– Tu mens!… Zig-Zag est avec toi.

– Zig-Zag! ah! ben, tu retardes. Il a filé en même temps que moi, parce que le patron ne nous payait pas notre dû… Mais il n’a pas traîné à Paris. Il a trouvé un engagement à Londres et il est loin, à cette heure, s’il court toujours depuis qu’il est parti.

– C’est pas vrai… et si c’était vrai, on le repincerait. Il serait guillotiné, le scélérat.

– À cause de l’histoire du boulevard Voltaire? Ah! bien, il s’en fiche un peu, de cette affaire-là. Le juge l’a lâché; c’est qu’il n’y avait rien contre lui. Mais tu es donc de la police, maintenant? Combien te paye-t-on pour filer ton ancien camarade? Vilain métier que tu fais là. Encore si tu étais malin, tu pourrais y gagner ta vie, mais tu es trop bête… tu ne trouveras jamais rien, et le roussin en chef te mettra à pied un de ces quatre matins.

Est-ce que tu en as amené avec toi, des roussins?

– Non… mais je vais en chercher. Il y a un poste pas loin d’ici.

– Oui, va, mon garçon. Je les attends. Vous êtes trois. Les deux autres monteront la garde ici, pendant que tu feras ta course. Qui c’est-il, ces deux-là? Il y en a un petit et un grand. Parions que le petit, c’est ce crapaud de Georget.

L’enfant avait bonne envie de répondre: oui, mais son père lui mit la main sur la bouche.

Camille écoutait en frémissant d’impatience cet étrange dialogue et trouvait qu’il était temps de passer des paroles aux actes. Elle ne doutait plus que Zig-Zag fût là, dans le fond de cette pièce, dont Amanda occupait l’unique fenêtre, et elle cherchait un moyen de le forcer à se montrer.

Il ne s’agissait plus maintenant de voir ses mains et son visage. Il s’agissait de le prendre, et, pour l’empêcher de fuir, elle n’aurait pas hésité à l’arrêter en le blessant d’une balle de revolver.

Mais le clown se gardait bien de paraître.

– Oui, reprit Amanda, j’en suis sûre, maintenant, c’est ce vilain moucheron de Georget. Il se mêle aussi de me faire des misères… C’est bon, je lui revaudrai ça, Mais où as-tu péché l’autre?… La blouse blanche, … est-ce que tu l’as embauché dans la troupe pour remplacer Zig-Zag?

Tout en interpellant ainsi ses adversaires, la coquine se retirait tout doucement de la fenêtre et Courapied pensa qu’elle s’apprêtait à se sauver par l’autre façade de la maison. Il se trompait. Après avoir disparu un instant, Amanda revint et lança un objet qui décrivit une courbe lumineuse comme une étoile filante et qui, en tombant aux pieds de Camille, s’enflamma tout à coup et se mit à répandre une lumière aveuglante.

C’était un de ces feux de Bengale que les baigneurs des plages normandes s’amusent quelquefois à allumer pour éclairer les falaises.

Mademoiselle Monistrol, surprise et éblouie, recula en levant la tête et montra en plein son visage, insuffisamment abrité par son béret.

– Bon! j’y suis, ricana la voix stridente d’Amanda, c’est la princesse que j’ai mise à la porte de la baraque, l’autre jour, place du Trône. Tu es donc à ses gages, maintenant, que tu l’as conduite ici? Elle court après Zig-Zag, parce qu’elle se figure que Zig-Zag a tué son papa. Fi! mademoiselle, que c’est laid de se faire moucharde!… Savez-vous bien qu’il pourra vous en cuire… nous ne sommes pas ici au boulevard Voltaire et j’ai bien envie de me payer la fantaisie de vous traiter comme vous le méritez.

Camille n’écoutait pas ces menaces. À la lueur du feu de Bengale, elle avait cru entrevoir au fond de la chambre la silhouette d’un homme, et cette vision, rapidement évanouie, l’occupait tout entière.

– Et toi, vieux filou, reprit Amanda, tu as donc volé Vigoureux? Je m’explique, à présent, comment tu es arrivé ici avec ton gosse et la gonzesse, qui se mêle déjouer les travestis. Je l’avais envoyé me chercher ma boîte à bijoux, qui était restée dans la baraque, et tu l’as empoigné, à la sortie… Tu as dû le prendre en traître, car il t’aurait mangé, si tu l’avais attaqué en face. Il a su retrouver son chemin, le brave caniche, et il me rapporte le coffret… Tu n’as pas osé le lui retirer de la gueule, grand couard!… et tu l’as muselé!… et tu l’as attaché avec une corde!… Mais tu vas me faire le plaisir de le lâcher… et plus vite que ça.

Courapied n’obéit point à cet ordre, mais il ne savait quel parti prendre. Il ne se souciait point de suivre Vigoureux dans l’intérieur de cette maison en ruines qui avait bien la mine d’être un coupe-gorge, et, d’un autre côté, lui rendre la liberté, c’eût été perdre tout le fruit d’une longue et pénible expédition. Battre en retraite et ramener le terrible dogue, c’était impraticable. Il aurait fallu le traîner, et Courapied n’en pouvait plus. L’ennemi, d’ailleurs, n’aurait pas manqué de faire une sortie pour délivrer le prisonnier et tomber sur la petite troupe qui se repliait.

Le pauvre pitre regarda Camille pour lui demander conseil, mais le feu de Bengale commençait à s’éteindre et leurs yeux ne se rencontrèrent pas.

– Décidément, tu ne veux pas le lâcher! cria la complice de Zig-Zag. Eh bien! nous allons voir!

Un coup de sifflet sec et sonore perça le silence de la nuit.

Vigoureux, qui connaissait ce signal, prit un élan si furieux qu’il entraîna Courapied jusqu’à l’entrée du corridor sombre.

– Aide-moi, Georget, cria le malheureux mari d’Amanda.

Georget saisit la corde à deux mains, mais le chien donna une dernière secousse, qui la rompit, au moment où le père et le fils disparaissaient dans l’allée.

Camille entendit deux cris de détresse, puis un bruit sourd, puis… plus rien.

Le premier mouvement est toujours le bon, à ce qu’on prétend, et mademoiselle Monistrol se précipita pour secourir ses amis disparus. L’entrée du corridor n’était pas loin; elle y arriva en trois enjambées. Elle allait la franchir et tomber dans le piège comme Georget et Courapied, mais, par bonheur, elle trébucha sur le seuil et elle s’arrêta pour reprendre son aplomb avant de reprendre son élan. Ce léger accident lui sauva la vie. Elle sentit un air frais et humide et ses yeux, qui s’étaient accoutumés à l’obscurité, reconnurent qu’il y avait dans le plancher de l’allée une solution de continuité.

 

Alors elle comprit. Le père et le fils, entraînés par Vigoureux, n’avaient rencontré sous leurs pieds que le vide et ils étaient tombés tous les deux dans une trappe ouverte, tandis que l’horrible chien, qui connaissait ce trou perfide, le franchissait d’un bond, et allait rejoindre ses maîtres cachés dans la maison.

Et les malheureux auxiliaires de Camille avaient dû se tuer dans leur chute, car ils ne criaient plus. Camille prêta l’oreille et elle n’entendit pas un appel au secours, pas même un gémissement. Sans doute, ils étaient morts sur le coup. Et cette affreuse mort avait été préparée par Amanda, qui espérait supprimer en même temps mademoiselle Monistrol.

Une forteresse est protégée par des fossés; la villa maudite était protégée par un obstacle invisible, une cave profonde et béante, où se jetaient forcément tous ceux qui essayaient d’entrer sans être avertis du danger. Et en appelant son chien, Amanda savait fort bien ce qui allait se passer; son coup de sifflet équivalait à un assassinat.

Camille fit ces raisonnements en moins de temps qu’il n’en faut pour les écrire; mais se rendre compte de la situation n’était rien. Il s’agissait de prendre un parti, et de le prendre sur-le-champ, car l’atroce femelle qui venait de se débarrasser, par un crime, de son malheureux mari, n’allait certes pas en rester là. L’occasion était trop bonne pour détruire en bloc tous les ennemis de Zig-Zag, alors même qu’elle eût été seule dans son repaire, et son complice devait être là. Camille devait donc s’attendre à une sortie, et elle se prépara d’abord à recevoir à coups de revolver ceux qui l’attaqueraient. Elle eut même la présence d’esprit de calculer que l’attaque ne viendrait pas du fond du corridor, car les assaillants ne pourraient pas, comme Vigoureux, franchir d’un saut l’ouverture de la cave. Mais rien ne les empêchait de faire le tour de la maison, qui avait certainement une autre issue, et de venir couper la retraite à mademoiselle Monistrol.

La pauvre enfant restait penchée sur le gouffre noir qui avait englouti ses alliés, et hésitant malgré tout à les abandonner.

Elle appela Georget à plusieurs reprises et personne ne lui répondit. Essayer de les sauver c’eût été se perdre elle-même et bien inutilement. Mieux valait aller chercher du secours et il n’y avait pas une minute à perdre pour échapper au péril qui la menaçait. Et quel péril! tomber entre les mains d’un monstre à visage de femme, qui était capable d’inventer des supplices raffinés pour torturer sa prisonnière! être déchirée par les crocs de ce dogue féroce qu’Amanda ne manquerait pas d’exciter contre elle!

Zig-Zag, du moins, tuait d’un seul coup.

L’imprudente expédition où Camille s’était embarquée coûtait bien cher à ses amis. Pour essayer de réparer le mal qu’elle leur avait fait, il ne lui restait d’autre moyen que de courir au poste le plus voisin et de ramener des agents qui retireraient du gouffre les deux victimes d’Amanda.

Au moment où elle se décidait à fuir, elle entendit deux voix qui parlaient dans l’intérieur de la maison, la voix d’Amanda, qu’elle reconnut très bien, et une autre voix plus grave. Camille ne distinguait pas les paroles, mais le diapason de cette conversation s’élevait progressivement, comme il arrive lorsque les interlocuteurs se querellent. Évidemment, Amanda discutait avec un homme qui ne pouvait être que son complice et mademoiselle Monistrol devina quel était le sujet de la dispute.

Sans doute, l’un des scélérats voulait la tuer sur place et l’autre était d’avis de la laisser fuir.

La jeune fille n’attendit pas la fin de ce colloque. Elle prit sa course, en évitant de passer sous la fenêtre ouverte et quand elle fut arrivée au tas de pierres qui l’avait abritée un instant avec ses infortunés compagnons, elle se retourna pour s’assurer qu’on ne la poursuivait pas.

Elle ne vit personne, mais la nuit était si noire que la vue ne portait pas très loin. En revanche, elle entendit très distinctement aboyer le chien. Ses maîtres l’avaient démuselé et il exprimait sa joie. Les aboiements partaient de la maison. Restait à savoir s’ils n’allaient pas se rapprocher et Camille, médiocrement rassurée, se remit à courir à toutes jambes vers la route de la Révolte.

Il lui semblait qu’elle y serait plus en sûreté que dans cette plaine déserte; et puis, elle se figurait que cette route, si mal famée qu’elle fût, devait aboutir à une des portes de Paris.

Son costume d’homme ne la gênait pas et elle avait de bonnes jambes. En moins de cinq minutes, elle se retrouva sur le macadam. Là, elle s’arrêta pour souffler et aussi pour décider de quel côté elle allait se diriger.

Camille savait bien qu’en refaisant le chemin qu’elle avait déjà suivi avec Courapied, elle arriverait à la porte de Clichy, mais il lui aurait fallu passer devant ce Tombeau des lapins, où tous les ivrognes de ces parages semblaient s’être donné rendez-vous, ce soir-là. C’était une chance inouïe qu’elle n’eût pas fait de mauvaise rencontre, et elle n’aurait peut-être pas le même bonheur en se risquant une seconde fois de ce côté, surtout maintenant qu’elle était seule. L’armée des chiffonniers venait de se mettre en branle. On apercevait encore leurs falots dans le lointain et Camille ne se souciait pas de les rencontrer, en quoi elle avait tort, car en général les chiffonniers sont d’honnêtes gens, et leur compagnie l’aurait probablement préservée de rencontres plus fâcheuses.

Elle préféra prendre la direction opposée, sans réfléchir que, de ce côté, la route de la Révolte s’éloigne de plus en plus des fortifications. Elle aurait pourtant dû se rappeler que le pauvre Courapied avait dit: «Ce sale chien va finir par nous mener à Saint-Denis.» Mais il était écrit que mademoiselle Monistrol courrait, cette nuit-là, d’autres aventures.

Elle prit le pas accéléré, en ayant soin de marcher au milieu de la route pour éviter les embuscades, et elle alla ainsi pendant un gros quart d’heure, l’œil au guet et le pistolet à la main. Elle voyait toujours la butte Montmartre à sa droite, mais devant elle rien qu’une plaine sans fin et pas une seule lumière. Alors, elle commença à se demander si elle ne tournait pas le dos à la porte qu’elle cherchait, la porte où elle trouverait des commis de l’octroi qui lui indiqueraient un poste de sergents de ville, et elle cessa d’avancer.

À ce moment, deux ombres surgirent d’une dépression de terrain, deux ombres qui semblaient ramper pour se rapprocher d’elle.

Mademoiselle Monistrol, occupée à chercher son chemin, ne vit pas tout d’abord ces deux ombres suspectes, ou si elle les vit, elle ne remarqua point qu’elles avaient forme humaine, et elle se remit à avancer lentement.

À cet endroit, commençait une côte en pente douce et Camille espérait qu’en montant elle finirait par apercevoir un point de repère qui lui permettrait de s’orienter.

Elle n’alla pas loin. Un léger bruit la fit tressaillir. Il lui sembla qu’on marchait derrière elle sur la route et elle se retourna vivement pour faire face à ceux qui la suivaient. Mais elle n’eut pas le temps de se mettre en défense.

Deux hommes se jetèrent sur elle; l’un la prit par le cou, l’autre la prit à bras le corps, et elle entendit ces mots:

– Tiens bon! je vas lui passer le collier, et quand je l’aurai enlevé sur mon dos, tu barboteras les poches.

Camille, en se débattant, pressa machinalement la détente de son revolver; le coup partit et la balle se perdit dans le vide.

– De quoi? le pante qui fait le méchant? reprit un des malandrins. Attends un peu que je le prive de ce joujou-là.

Et d’un coup de bâton vigoureusement appliqué sur le pistolet que tenait la malheureuse jeune fille, il le fit sauter à dix pas, pendant que son complice la serrait à l’étouffer.