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Les deux voyageurs descendirent; M. de Menestreau se chargea du paquet qu’il avait apporté, et passa la porte, flanqué de Camille, qui, cette fois, ne redoutait plus l’inspection des commis de l’octroi.

Elle reprit avec son protecteur le chemin qu’elle avait parcouru la nuit, et elle reconnut parfaitement l’endroit où ils s’étaient rencontrés.

La maison de briques apparaissait dans la plaine, à quelques centaines de mètres de la route de la Révolte.

Mademoiselle Monistrol la montra à Georges de Menestreau.

– C’est plus près que je ne pensais, dit-il, et je suis charmé de voir qu’il n’y a pas d’habitations dans le voisinage. Nous pourrons opérer tout à notre aise. Personne ne viendra nous déranger.

Il avait raison de compter sur la solitude, car ces parages excentriques sont moins fréquentés le jour que la nuit. Les rôdeurs qui s’y embusquent ou qui s’y réfugient pour dormir n’aiment pas la clarté du soleil.

– Mais ne perdons pas de temps, reprit Georges; il nous en faudra, pour visiter de fond en comble cette masure. Avançons, mademoiselle, je vous prie.

Camille ne se fit pas répéter l’invitation. Elle ne demandait qu’à marcher. Courapied et Georget étaient là peut-être, ensevelis vivants sous les ruines et attendant avec angoisse qu’on les délivrât. Chaque minute de retard pouvait leur coûter la vie.

Elle arriva bientôt devant la façade délabrée de la maison rouge, et elle reconnut sans peine la façade où Amanda s’était montrée et l’entrée du corridor où ses auxiliaires avaient disparu.

Les volets de cette fenêtre étaient restés ouverts. La complice de Zig-Zag n’avait pas pris la peine de les refermer, après le coup de la trappe, et on pouvait en conclure qu’elle s’était empressée de déguerpir avec son amant et son chien.

M. de Menestreau se fit expliquer la scène telle qu’elle s’était passée et lorsque Camille lui eut indiqué le chemin que ses amis avaient pris, il dit:

– Si vous m’en croyez, mademoiselle, nous allons commencer par faire le tour de la maison. Elle doit avoir une porte de derrière, par laquelle les coquins se sont sauvés, et par laquelle nous allons entrer, sans risquer de tomber dans un trou.

Le conseil était bon. Mademoiselle Monistrol le suivit et reconnut que l’autre façade avait encore plus souffert. Le mur présentait de larges brèches, et les parties qui restaient debout menaçaient de s’écrouler. Les briques semblaient avoir été calcinées par la flamme et disjointes par une explosion.

– J’y suis! s’écria Georges; cette bâtisse servait de dépôt à un artificier; un beau jour les pièces auront pris feu et tout a sauté. L’accident n’est pas d’hier, car des plantes ont poussé dans les fentes de la muraille, et depuis, ces ruines ont dû servir de refuge à tous les malandrins de la banlieue. Je ne serais pas surpris qu’on y eût fait de la fausse monnaie, mais j’ai peine à croire que Zig-Zag et sa maîtresse aient habité là… fût-ce provisoirement.

Ah! voici l’autre entrée… Au bas d’un escalier dont les marches ne me paraissent pas solides.

– Elles le sont assez pour nous porter, dit Camille en s’y lançant, avant que M. de Menestreau pût la retenir.

Il fut bien obligé de la suivre et il arriva en même temps qu’elle dans une grande chambre, absolument vide.

Il n’y avait que les quatre murs, un plafond crevassé et un plancher branlant.

– Nos coquins ont séjourné là, dit le jeune homme en poussant du pied une bougie éteinte qui avait roulé jusqu’à la porte.

– Oui, dit Camille, c’est dans cette chambre qu’ils se tenaient quand nous sommes arrivés devant la maison. Je n’ai vu distinctement que la femme au moment où elle s’est approchée de la fenêtre, mais je suis sûre que l’homme se tenait dans le fond. J’ai même cru l’entrevoir un instant.

– Il y était, n’en doutez pas, mademoiselle, reprit M. de Menestreau; et le chien a passé par ici, car voilà son collier.

– Et, la corde qui s’est cassée, lorsqu’il a échappé à Courapied… et la courroie qui a servi à le museler.

– Donc, ces coquins l’ont emmené avec eux. Tant mieux! il nous aidera peut-être à les retrouver encore une fois. Ce qui m’étonne, c’est qu’après avoir escamoté vos deux compagnons, ils ne vous aient pas poursuivie.

– Je crois qu’ils l’auraient fait si d’autres bandits ne m’avaient pas assaillie sur la route. Ils se seront dit que ceux-là allaient leur épargner la peine de me tuer.

– Quoi qu’il en soit, il ne paraît pas qu’ils aient passé le reste de la nuit dans cette masure. Il n’y a d’autre lit que le plancher. Je ne suppose pas non plus qu’ils y reviennent, maintenant que la mèche est éventée. Ils auront trouvé un domicile plus confortable…

– À moins qu’ils ne se soient réfugiés dans la cave où mes amis sont tombés.

– C’est invraisemblable. On a beau être scélérat, on n’aime pas à coucher près des cadavres des gens qu’on a tués.

Reste à savoir pourtant ce que sont devenues leurs victimes, et, si vous m’en croyez, mademoiselle, nous allons les chercher. Ce n’est pas dans cette chambre vide que nous les trouverons. Sortons-en et allons visiter le corridor.

Ils redescendirent l’escalier ensemble et en avançant le long du mur lézardé; ils reconnurent que ce corridor traversait la maison de part en part. Et pas plus de ce côté-là que de l’autre, il n’y avait de porte pour en fermer l’entrée.

Il s’agissait d’explorer ce couloir semé d’embûches, et naturellement M. de Menestreau tint à passer le premier. Il voulait même empêcher mademoiselle Monistrol de le suivre, mais elle s’accrocha à son pardessus et elle entra immédiatement derrière lui. Du reste, le chemin était assez large et on voyait le jour au bout, de sorte qu’ils ne risquaient pas de mettre les pieds dans le vide. Ils marchaient d’ailleurs avec précaution et Georges ne faisait pas un pas avant d’avoir éprouvé la solidité des planches qui le portaient.

– Je vois le trou, dit-il au bout d’un instant; la trappe est restée ouverte. Voici le moment d’allumer ma lanterne pour explorer les profondeurs de ce caveau.

Il défit son paquet, en tira un fanal attaché au bout d’une longue corde qu’il déroula, et fit de la lumière avec des allumettes apportées à cette intention, car il avait tout prévu; après quoi, il se remit à avancer lentement jusqu’à l’ouverture, toujours suivi de près par Camille.

– Tiens! il y a une échelle, s’écria-t-il.

Il y en avait une, en effet, dont les deux montants dépassaient le plancher et dont l’extrémité devait poser sur le sol de la cave.

– J’espère bien que vous n’allez pas descendre, dit vivement Camille.

– Je vais commencer par éclairer ce sous-sol et quand je saurai ce qu’il y a au fond, je verrai ce qu’il faut faire, répondit le jeune homme.

Et il laissa filer la corde au bout de laquelle se balançait la lanterne.

– Georget! appela mademoiselle Monistrol, en se penchant sur le bord du trou noir.

Personne ne répondit.

– Ils sont morts, murmura-t-elle, en se serrant contre son nouvel ami.

– C’est fort à craindre; le falot ne touche pas encore le fond et j’ai déjà déroulé au moins dix pieds de corde. Ah! il y touche enfin! une chute de cinq mètres, c’est plus qu’il n’en faut pour assommer un homme et surtout un enfant. Et si vos amis avaient survécu à l’accident, ils se seraient servis de l’échelle pour remonter… à moins que Zig-Zag ne l’ait placée là après coup… pour aller les achever. C’est ce dont je vais m’assurer, car j’ai beau promener ma lanterne, je ne vois rien qu’un terrain noirâtre, et je la remonte pour m’éclairer en descendant.

– Eh bien, je descendrai avec vous, dit Camille.

– Vous n’y pensez pas, mademoiselle. D’abord, ce chemin n’est pas praticable pour une jeune fille… encore, si vous étiez comme hier habillée en homme! mais vos jupes vous gêneraient trop, et ce n’est pas tout: si les corps de ces deux malheureux sont là, comment supporteriez-vous ce spectacle!

À cette pensée, Camille ne put s’empêcher de frissonner.

– D’ailleurs, reprit M. de Menestreau, ne faut-il pas tout prévoir? Si Zig-Zag, caché quelque part dans ces ruines s’avisait tout à coup de nous couper la retraite en retirant l’échelle, nous resterions pris dans le traquenard, tandis qu’en restant ici, vous veillerez sur la trappe; au premier bruit suspect, vous m’avertiriez du danger et je remonterais vivement pour vous porter secours.

– Et si au contraire, le misérable se tenait au fond de cette cave… s’il se jetait sur vous…

– Il serait mal reçu. J’ai en poche un bon revolver à six coups et je lui casserais la tête avant qu’il me touchât. Et il ne pourrait pas me surprendre, car je vais avoir soin de me faire précéder par ma lanterne.

Ayant, dit, le jeune homme, pour couper court à de nouvelles objections, mit le pied sur le premier échelon et commença à descendre sans lâcher la corde qu’il avait eu soin d’attirer à lui, afin de mettre son fanal hors de la portée d’un assaillant caché dans le caveau.

Camille resta dans des angoisses inexprimables. Ses yeux suivaient la lumière qui s’éloignait d’elle à mesure que M. de Menestreau s’enfonçait davantage et qui ne dissipait que très imparfaitement les ténèbres où il se plongeait de plus en plus.

Enfin, la voix du brave explorateur lui arriva claire et distincte. Il lui criait:

– J’ai pris pied et jusqu’à présent je ne vois rien. Je vais faire le tour du souterrain. Ne vous effrayez pas, si vous perdez de vue ma lanterne. Ce ne sera pas long…

En effet, la lumière disparut et cette éclipse, quoique annoncée, mit le comble aux terreurs de mademoiselle Monistrol.

Il lui semblait qu’elle ne reverrait jamais son hardi défenseur, le seul véritable ami qui lui restât.

Elle attendit une minute, deux minutes, et n’y tenant plus, elle appela M. de Menestreau par son nom.

L’appel resta sans réponse et le fanal ne reparut pas. Alors le désespoir la prit.

 

– Il est mort, murmura-t-elle. Zig-Zag l’attendait… Zig-Zag l’aura étranglé. Zig-Zag… tue tous ceux que j’aime. Eh bien! il me tuera aussi.

Et, sans plus réfléchir, elle se prépara à descendre à son tour dans ce gouffre d’où personne ne revenait.

Heureusement, mademoiselle Monistrol n’eut pas le temps de donner suite à ce projet insensé.

Au moment où elle posait le pied sur le premier échelon, une voix amie lui cria d’en bas:

– Me voici, mademoiselle.

Jamais soldat d’Afrique, égaré dans les solitudes du Sahara algérien n’entendit avec plus de joie le clairon de sa compagnie qu’il cherchait depuis de longues heures.

Camille reprit pied sur le plancher du corridor et en se retournant, vit au-dessous d’elle M. de Menestreau qui remontait lestement avec sa lanterne.

Peu s’en fallut qu’elle ne se jetât à son cou quand il arriva en haut, un peu essoufflé, mais intact.

– Eh bien? lui demanda-t-elle.

– Eh bien, il n’y a personne. Vos amis n’y sont pas et Zig-Zag est loin d’ici.

– Dieu soit loué! J’ai eu bien peur. Je ne voyais plus votre lumière et vous ne me répondiez pas quand je vous appelais.

– C’est que je n’entendais pas. Cette cave est très vaste et j’ai voulu en faire le tour pour savoir si elle a une issue. Je suis fixé maintenant. On n’y peut entrer et on n’en peut sortir que par cette trappe. Et elle n’a jamais servi qu’à emmagasiner du charbon. Il y en a encore des tas réduits en poussière noire.

– Alors, que sont devenus Courapied et son fils? Ce misérable Zig-Zag aurait-il enterré leurs corps à la place où ils sont tombés?

– J’ai eu la même pensée que vous, mais j’ai examiné le sol avec beaucoup de soin et je me suis assuré qu’il n’a pas été remué.

– Ils se seraient donc sauvés par cette échelle?… c’est impossible, car, en tombant, ils ont dû se blesser gravement.

– Non. La poussière de charbon a amorti le coup. Et j’admets très bien qu’ils se sont servis de l’échelle pour sortir du caveau.

– Et ces brigands qui avaient tendu le piège les auraient laissés fuir! Je ne puis le croire.

– Je vous dirai tout à l’heure, mademoiselle, comment j’explique leur disparition. Mais nous n’avons plus rien à faire ici, Permettez que j’éteigne mon fanal et que je supprime une preuve de notre passage.

Il souffla sa lanterne, la posa sur le plancher, empoigna les montants de l’échelle, la souleva d’un bras vigoureux, et quand il lui eut fait perdre son point d’appui par en bas, la lâcha dans le vide.

Elle tomba avec fracas sur le sol de la cave.

– Que faites-vous? demanda Camille stupéfaite.

– Je prends mes précautions pour que personne ne passe plus par ce chemin. Maintenant partons! dit M. de Menestreau en ramassant sa corde et son falot qu’il venait d’empaqueter.

Mademoiselle Monistrol ne fit pas d’objection. Elle subissait l’ascendant de son défenseur et elle ne songeait point à discuter ses actes ni à résister à ses conseils.

Ils firent encore une fois le tour de la maison et ils reprirent en sens inverse le chemin qu’ils avaient suivi pour y arriver.

Camille attendait que M. de Menestreau parlât, et elle n’osait pas l’interroger.

– Mademoiselle, dit-il tout à coup, je vais vous affliger en vous enlevant une illusion. Vous me demandez où sont ces deux saltimbanques auxquels vous vous êtes fiée. Ma conviction est qu’ils sont allés rejoindre Zig-Zag, et qu’ils étaient d’accord avec lui pour vous attirer dans un piège.

– Eux! c’est impossible! Courapied hait ce lâche scélérat qui lui a pris sa femme et Georget déteste sa belle-mère qui ne cessait de le maltraiter.

– Tous ces coquins s’entendaient contre vous. La scène de la trappe était préparée d’avance. Vos deux guides s’y sont jetés sachant bien qu’ils tomberaient sur un tas de poussière de charbon et qu’ils ne se feraient pas de mal. Ils comptaient que vous les suivriez dans ce trou…

– Mais ils auraient pu tout aussi bien me tuer avant d’arriver à la maison.

– Pas impunément. On vous aurait trouvée morte sur la route de la Révolte; on aurait ouvert une enquête et les soupçons se seraient peut-être portés sur le meurtrier de votre père. Zig-Zag ne voulait pas mettre une seconde fois la police à ses trousses. Il aimait beaucoup mieux vous étrangler dans cette cave ou tout simplement vous y enfermer et vous y laisser mourir de faim. Il aurait retiré l’échelle qui a servi à ses complices pour s’évader; il aurait refermé la trappe et personne ne serait jamais venu vous délivrer, car cette maison en ruines est abandonnée depuis des années. Le coup était bien combiné et c’est un miracle qu’il ait manqué. Savez-vous pourquoi ils ne vous ont pas poursuivie? C’est qu’ils ont cru que vous étiez tombée dans le caveau et qu’ils y ont couru d’abord.

Camille baissait la tête et ne pouvait pas se décider à condamner ses amis.

– Veuillez raisonner froidement, reprit M. de Menestreau. Ce Courapied et son fils ne sont pas restés dans le souterrain. On les a donc aidés à en sortir. Comment se fait-il que vous ne les ayez pas revus? S’ils étaient vos amis, ils auraient couru tout droit chez vous. Ils s’en sont bien gardés. Donc, ils étaient contre vous, et tout prouve qu’ils ont décampé avec les autres bandits. Mais rien ne prouve qu’ils ne recommenceront pas. Zig-Zag sait maintenant que vous avez juré de le poursuivre à outrance; il a dû jurer, lui, qu’il se débarrasserait de vous. Et nous voyons de quoi il est capable. Il ne se tiendra pas pour battu. Il vous tendra d’autres pièges, et Dieu veuille que vous y échappiez. Il peut aussi vous attaquer la nuit dans cette maison où vous vivez seule et où vous avez eu l’imprudence de recevoir ses complices.

– Que faire donc? murmura la jeune fille. Conseillez-moi, monsieur, vous qui m’avez sauvée.

– Je vous conseille de déménager, de louer un appartement dans un quartier plus habité et de prendre un domestique sûr. Je pourrais, si vous m’y autorisiez, me charger de vous trouver tout cela.

– Madame Gémozac m’a fait la même proposition… et j’ai refusé.

– Acceptez, mademoiselle, et ne vous brouillez pas avec une famille dont le chef a votre fortune entre ses mains. Quand vous serez logée convenablement, renoncez aux expéditions dangereuses, et fiez-vous en à moi pour découvrir l’assassin de votre père.

– Comment le reconnaîtrez-vous?… Vous ne l’avez jamais vu.

– Et vous, mademoiselle, vous n’avez vu que ses mains et vous me les avez décrites. J’en sais donc autant que vous et j’ai sur vous un grand avantage, c’est que Zig-Zag ne me connaît pas. Voulez-vous me donner plein pouvoir d’agir à votre place? Je vous promets que je réussirai.

Camille hésitait à répondre. Georges de Menestreau reprit:

– Donnez-vous le temps de réfléchir, mademoiselle. Je ne vous propose pas de vous reconduire au boulevard Voltaire. Je vais, si vous me le permettez, vous mettre en voiture, et demain, à quatre heures, j’aurai l’honneur de me présenter chez vous pour vous soumettre des projets que je ne puis pas… que je n’ose pas vous expliquer ici.

– Je vous attendrai, monsieur, dit mademoiselle Monistrol, très émue, très troublée, mais très désireuse de savoir où son nouvel ami voulait en venir.

VII. Huit jours se sont passés et la situation a changé de face…

Huit jours se sont passés et la situation a changé de face.

Camille Monistrol pense toujours à venger son père, mais elle pense aussi beaucoup à Georges de Menestreau qui lui a déclaré ses sentiments, et qui aspire ouvertement à l’épouser.

Julien Gémozac s’est déclaré aussi, en dépit des conseils de sa mère, et n’a obtenu de mademoiselle Monistrol que des réponses évasives. Il soupçonne qu’il a un rival, mais ce rival, il ne l’a jamais rencontré chez la jeune fille, car il n’ose pas s’y présenter en dehors des heures qu’elle lui indique. Il se contente de servir d’intermédiaire entre Camille et M. Gémozac père, qui ne désapprouve qu’à demi les assiduités de son fils, et qui croit, plus que jamais, au succès productif du condensateur inventé par feu Monistrol. Julien broie du noir et essaie, sans y réussir, de se distraire en jouant un jeu d’enfer.

Alfred de Fresnay a triomphé sans trop de peine des scrupules de la comtesse de Lugos. Il l’a installée dans le petit hôtel de la rue Mozart, meublé en quarante-huit heures par un tapissier expéditif, et il s’est lancé à corps perdu dans la carrière, nouvelle pour lui, de protecteur attitré.

Il n’a pas encore eu à s’en repentir. La Hongroise n’affiche pas pour lui une passion violente, mais elle le traite bien, et elle l’amuse énormément. C’est une femme à surprises: tantôt triste et maussade, tantôt gaie jusqu’à la folie. Jamais la même, et cependant toujours prête à inventer des extravagances pour divertir son seigneur et maître. Elle ne parle plus de sa noblesse ni de ses ancêtres, et il n’est plus question de M. Tergowitz.

Fresnay commence à croire qu’elle est née à Batignolles ou à Belleville, mais c’est là le moindre de ses soucis. Il lui suffit qu’elle soit inédite, – c’est son mot quand il parle d’elle, – et, en effet, parmi les gens de sa bande, aucun ne l’a encore reconnue, quoiqu’il ne se prive pas de la montrer. Il la mène au cirque, et il s’exhibe avec elle aux Champs-Élysées et au Bois, en voiture découverte. C’est pourquoi il ne regrette pas l’argent qu’elle lui coûte, et il brave gaiement le danger de se toquer d’elle au point de la prendre au sérieux.

Olga, la femme de chambre soupeuse, a suivi la fortune de sa maîtresse et la sert avec un zèle et une fidélité exemplaire; Fresnay a déjà essayé plus d’une fois de lui arracher des confidences sur le passé de la soi-disant comtesse. Olga est restée muette comme un poisson, et les larges gratifications qu’elle encaisse ne lui délient pas la langue. Mais elle s’ennuie de l’existence facile et douce que le prodigue Alfred lui a faite, et on voit qu’elle préférerait se remettre à tirer les cartes. Elle a la nostalgie de la vie de Bohême.

L’hôtel où Fresnay l’a logée avec madame de Lugos ne ressemble guère à la maisonnette où, à l’autre bout de Paris, mademoiselle Monistrol passe de tristes heures dans une solitude à peine interrompue par les visites de ses deux amoureux, car elle n’a aucune nouvelle de Courapied ni de Georget, et elle commence à croire, comme M. de Menestreau, qu’ils sont allés rejoindre Zig-Zag.

L’oncle d’Alfred avait été, en son temps, un viveur effréné; c’est dans le sang des Fresnay, et le neveu ne faisait que suivre les traditions de sa famille. Cet oncle qui possédait soixante bonnes mille livres de rentes et qui avait écorné son capital avec des horizontales de son temps, s’était avisé, sur le tard, de se ranger, ou du moins de régulariser ses fredaines, en faisant bâtir une petite maison pour y loger ses dernières amours. Le vieux coureur, emporté par une attaque de goutte remontée, n’avait pas eu le temps de réaliser ce louable projet. Mais il était écrit que l’hôtel ne changerait pas de destination, et madame de Lugos méritait bien de l’occuper.

Situé à l’angle aigu que forme la rue Mozart avec la rue de la Cure, ce logis faisait honneur à l’architecte qui avait su tirer le meilleur parti possible d’un terrain très restreint. Un pignon, du style gothique belge, avec une terrasse en guise de jardin, s’avançait comme un cap vers les hauteurs de Passy, et les passants pouvaient croire que la façade presque monumentale cachait de vastes appartements, tandis qu’il n’y avait guère à chaque étage que trois pièces assez exiguës: un salon et une salle à manger au premier; la chambre à coucher et le cabinet de toilette de madame, au second; et, sous les combles, le logement de la femme de chambre, en attendant la cuisinière et le domestique mâle que Fresnay avait promis.

L’ameublement n’était pas encore complet. Mais, au train dont allait le bailleur de fonds, les objets d’art et les bibelots coûteux ne devaient pas se faire attendre. Tel qu’il était d’ailleurs, une femme, même difficile, pouvait fort bien s’en contenter.

Fresnay, dès le premier jour, avait pris des habitudes. Il venait chercher la comtesse à quatre heures pour la promener dans une élégante victoria qu’il avait louée au mois; il dînait avec elle au restaurant, et il lui consacrait toute sa soirée, dans la plus large acception du mot, c’est-à-dire qu’il la quittait vers deux heures du matin pour aller finir sa nuit au cercle où le baccarat le maltraitait beaucoup moins depuis le commencement de sa liaison.

Madame de Lugos, entre autres qualités, avait celle de porter la veine.

Donc, un lundi, par un joli temps printanier, Alfred descendait un peu plus tôt que de coutume la rue Mozart au grand trot du cheval qui traînait sa voiture de louage.

 

La comtesse, ordinairement, l’attendait sur sa terrasse, ou derrière les vitres de la porte-fenêtre qui faisait face à la rue, mais ce jour-là, elle n’était pas à son poste, et en levant les yeux, Alfred crut apercevoir au dernier étage, à travers les carreaux d’une lucarne, une silhouette masculine.

– Déjà! dit-il entre ses dents. Ce serait drôle et je ne prendrais pas la chose au tragique. Je ne serais même pas fâché d’avoir barre sur cette excellente Stépana… car enfin, je ne compte pas la garder à perpétuité et quand l’envie me prendra de rompre, je ne serais pas fâché d’avoir un bon prétexte.

La silhouette disparut bien avant que la Victoria s’arrêtât devant une petite porte latérale qui tenait lieu de porte cochère à cet hôtel sans prétention.

Alfred avait une clef pour son usage personnel, et c’était le cas ou jamais d’en user pour surprendre la dame qui portait le prénom essentiellement hongrois de Stépana, – en français, Étiennette, – un petit nom champêtre, peu répandu parmi les comtesses.

Il dit à son cocher d’avancer et d’aller stationner un peu plus bas, descendit lestement, ouvrit avec précaution et se glissa sans bruit dans le vestibule où d’habitude Olga venait le recevoir.

Cette fois, elle n’y était pas; mais, en prêtant l’oreille, il lui sembla entendre sa voix et même un éclat de rire qui ne partait pas du rez-de-chaussée.

– Il me paraît qu’on s’amuse là-haut, dit-il tout bas. Si j’allais me trouver nez à nez avec un monsieur?… Je ne tiens pas à m’embarquer dans une querelle pour les beaux yeux de cette rousse… Mais, bah!… pour une fois que je trouve l’occasion de jouer les Othello, je ne veux pas la manquer… Ça m’amusera peut-être.

Il monta l’escalier à pas de loup et, arrivé sur le palier du premier étage, il s’arrêta pour écouter; puis, n’entendant plus rien, il entrouvrit doucement les portières qui masquaient l’entrée du salon, et il eut un spectacle qu’il n’avait pas prévu.

Ce salon était divisé en deux parties par une cloison, ouverte au milieu, une cloison mobile qu’on pouvait enlever à volonté et dont l’ouverture n’avait pas encore de rideaux.

Dans le compartiment qui confinait au palier de l’escalier, immédiatement sous les yeux d’Alfred, mais lui tournant le dos, Olga, assise devant un guéridon en laque, se tirait les cartes ou les tirait à sa maîtresse qu’il ne voyait pas, ou plutôt qu’il ne voyait que par intervalles.

Elle apparaissait un instant, à six pieds du sol, et elle disparaissait aussitôt, ramenée en arrière par le balancement régulier d’un trapèze sur lequel madame se tenait debout, en costume complet d’acrobate; maillot couleur chair, courte jupe rose, souliers de satin attachés avec des cothurnes, cheveux dénoués, flottant sur les épaules nues.

– Il faut qu’elle ait été saltimbanque, pensa Fresnay. Je m’en suis toujours douté.

Et au lieu d’entrer brusquement pour mettre fin au jeu, il se tint coi pour jouir tout à son aise de ce spectacle qui ne manquait ni d’originalité ni de charme.

Contempler sa maîtresse perchée sur une escarpolette, c’est un plaisir que peu de gens peuvent se procurer et l’excentrique Alfred se divertissait fort à regarder cette vision intermittente d’une créature bien découplée, allant et venant par les airs, comme un oiseau… ou comme un battant de cloche.

Il se garda bien de la déranger; d’autant que la devineresse Olga se mit à parler tout haut et qu’il n’était pas fâché d’entendre ce qu’elle disait à la comtesse.

Les amants sérieux ont bien le droit de profiter de ces occasions-là et c’est à peu près le seul cas où un galant homme peut écouter aux portes sans compromettre sa dignité.

– Encore le valet de cœur! s’écria la soubrette. C’est une bonne carte, mais elle revient trop souvent.

– Jamais trop! répondit au vol madame de Lugos.

– Nous l’avons vu aujourd’hui. Mais s’il se rencontrait avec le roi de trèfle…

– Je m’en fiche du roi de trèfle.

– Moi pas. Le trèfle, c’est de l’argent. Et puis, voilà une dame de carreau qui me gêne… c’est de la brouille à propos d’une femme…

– Celle qui se mêlera de mes affaires passera un mauvais quart d’heure, répliqua la comtesse, du haut de son perchoir volant; mais je ne crains personne.

– Allons, bon! le neuf de pique, à présent! La plus mauvaise carte du jeu!… la manque!… tout ça finira mal.

– Assez! tu m’ennuies avec tes prédictions. Va-t’en là-haut préparer ma douche. Il est temps que je me mette à ma toilette. Le baron va arriver.

– Et il ne faut pas qu’il se trouve bec à bec avec le valet de cœur.

– Bon! se dit Fresnay, il parait que c’est moi qui suis le roi de trèfle.

– Va donc! reprit la comtesse. Je monterai dans cinq minutes. Et tu redescendras pour enlever le chevalet, le trapèze et les cordes. Si le baron voyait tout ça, il en resterait bleu, et il serait capable de me lâcher, quand j’ai encore besoin de lui.

Olga plia bagage, se leva et se dirigea vers l’escalier, pendant que sa noble maîtresse exécutait sur la barre fixe ce que les gymnastes appellent un rétablissement.

Fresnay eut la présence d’esprit de se cacher sous les plis du rideau, juste au moment où la soubrette l’écartait pour sortir, et il opéra avec tant de précision, qu’elle passa sans le voir.

Un amant plus épris aurait profité de l’occasion pour la suivre de loin, afin de s’assurer que le valet de cœur n’était pas dans la chambre à coucher ou dans le cabinet de toilette; mais Fresnay n’était pas jaloux, et il ne résista pas au désir de faire une niche à madame de Lugos.

Il entra sur la pointe du pied et il la trouva assise sur le trapèze, le corps renversé en arrière, les mains cramponnées aux cordes d’appui et les jambes horizontales.

– Bonjour, comtesse! dit-il de sa voix la plus douce.

Elle se redressa vivement, sauta à terre et vint se planter devant lui en croisant ses bras sur sa poitrine.

– Comment êtes-vous entré ici? demanda-t-elle d’un ton sec.

– Par la porte, répondit Alfred, sans se déconcerter. Vous savez bien que j’ai une clef.

– Je ne vous l’aurais pas confiée si j’avais prévu que vous en abuseriez pour m’espionner.

– Moi! vous me connaissez bien mal. Je vous laisse pourtant toute liberté et je ne viens jamais qu’aux heures où vous m’attendez. Je suis en avance aujourd’hui, c’est vrai, mais je ne regrette pas d’être arrivé un peu plus tôt, car je vous ai surprise dans un costume qui vous va fort bien, et j’ai pu constater que vous possédiez un talent dont vous ne m’avez jamais parlé.

– Je vous ai dit que j’aimais tous les exercices du corps. Et j’en suis complètement privée depuis que je demeure ici, car j’attends toujours le cheval de selle que vous m’avez promis.

– Bien riposté, Stépanette! dit Alfred en riant. Tu l’auras cette semaine. J’en ai vu un au Tattersall qui te convient à merveille. Personne ne peut le monter.

– Je me charge de le mettre au pas.

– J’y compte bien et par la même occasion, je vais m’en payer un dont j’ai envie depuis quinze jours. Nous monterons le matin et tu épateras les habituées de l’allée des Poteaux.

– À la bonne heure! je pardonne… Mais aussi quelle idée de tomber ici sans crier gare!

Votre voiture n’est donc pas arrivée par le haut de la rue?

– Mais, si; seulement tu étais absorbée par tes tours de force et tu ne l’as ni vue ni entendue. Voilà ce que c’est que de trop aimer la gymnastique.

– C’est un goût qui date de mon enfance. Mon père m’a donné mes premières leçons quand j’avais à peine sept ans. Vous êtes monté ici tout droit?

– Mon Dieu, oui! et j’avoue qu’avant de me montrer je me suis amusé à te regarder par l’interstice des rideaux. J’ai admiré ta force et ta souplesse: j’ai ri des bêtises que te contait ta femme de chambre.

– Comment se fait-il qu’elle ne vous ait pas vu?

– Elle ne pensait qu’à ses cartes, et quand tu l’as envoyée là-haut, elle a passé tout près de moi sans se douter que j’étais là.