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Le crime de l'Opéra 2

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– Oui, répondit mélancoliquement Gaston. Mademoiselle Lestérel va être mise en liberté sous caution… une justice provisoire!

– Bon! mon brave sergent de ville a parlé.

– Quoi! tu sais…

– C’est moi qui lui ai soufflé de compléter sa déposition. Diras-tu encore que je néglige tes affaires?

– Non… non… et je te demande pardon de ma sotte humeur. Tu m’as rendu un service immense. Sans toi, elle serait restée en prison. Qui sait, hélas! si elle n’y rentrera pas?

– Jamais. C’est moi qui t’en réponds. Et ce que j’ai fait déjà te garantit ce que je ferai encore.

– Mon oncle vient de me déclarer que des preuves de ce genre ne lui suffiraient pas. Son dernier mot a été: Un crime a été commis. Il l’a été par une femme. Il me faut une coupable.

– On la lui fournira, dit gaiement le capitaine. À propos, présente-moi donc à M.  Roger Darcy et à madame Cambry. Tu ne trouveras jamais une meilleure occasion, et, pour le succès de mes futures opérations, il importe que je les connaisse tous les deux. Pas un mot de l’affaire, bien entendu. Après la présentation, nous irons faire un tour au buffet. Je meurs de soif. J’ai dîné au cercle où on a le tort de saler effroyablement la cuisine. C’est Lenvers et Cocktail qui sont chargés ce moi-ci de la surveillance de la table. Je suis sûr que le fournisseur des vins leur fait une remise pour qu’ils poussent à boire.

– Viens, interrompit Gaston, que les considérations gastronomiques ne touchaient guère. Si nous tardons, mon oncle sera accaparé par un sénateur que je vois se diriger sournoisement de ce côté, et madame Cambry s’envolera au bras d’un danseur.

– Tu as raison, il ne faut pas manquer le coche. Commençons par ton oncle.

On les attendait. Le juge avait deviné que son neveu allait lui amener cet ami qu’il s’étonnait un peu de ne pas connaître, et la belle veuve pressentait que cet élégant cavalier qui causait avec Gaston Darcy désirait lui être présenté.

L’accueil de l’oncle fut cordial. Il trouva un mot aimable sur le passé militaire du capitaine, et il reprocha gracieusement à Gaston d’avoir tant tardé à le mettre en relation avec M.  Nointel.

Madame Cambry ne se montra pas moins gracieuse, et comme elle avait des yeux qui parlaient, Nointel comprit très bien qu’elle avait deviné en lui un défenseur de sa chère protégée, Berthe Lestérel. Aussi ne le laissa-t-elle pas prendre congé sans lui faire promettre de venir à ses samedis, et le capitaine s’engagea avec enthousiasme à s’y montrer assidu.

L’orchestre, qui annonçait un quadrille, abrégea l’entretien, et Nointel se hâta d’entraîner son ami vers des régions plus calmes.

L’hôtel était si vaste qu’on pouvait s’isoler sans trop de peine, en dépit de la foule. Ainsi, le buffet était placé au bout d’une immense galerie pleine de fleurs et d’arbustes, un véritable jardin d’hiver, avec des allées et des massifs de verdure. Les passants n’y manquaient pas, car il y avait chez madame de Barancos beaucoup de gentlemen américains, et le buffet était pour ces messieurs une attraction de premier ordre. Mais il n’était pas trop malaisé de les éviter et de causer librement.

– Mon cher, dit le capitaine, je t’ai promis une surprise pour la fin du bal. Tu l’auras, car mes affaires avec la marquise vont à merveille. Je suis sûr qu’elle dansera le cotillon avec moi, et c’est le grand point.

– Me diras-tu enfin…

– Rien, sinon que j’ai été assez heureux pour trouver du premier coup le compliment qui devait lui plaire le mieux, le compliment exact, pas banal, celui qui vise un détail de toilette particulier, un effet inventé par elle. J’ai avisé immédiatement les nœuds de diamants qu’elle porte sur ses souliers de satin… une mode qu’elle veut faire prendre… je me suis extasié sur le bon goût de cette trouvaille, et, par la même occasion, sur les pieds, qui sont ravissants. Elle était aux anges. J’avais touché la corde sensible… et j’en ai plus d’une à mon arc… je suis si content que je parle la langue du Tintamarre… elle adore la valse, cette Havanaise, et elle m’en a promis une, sans compter les tours du cotillon. Or, dans ces cas-là, je possède un procédé spécial pour faire rendre à la valse tout ce qu’elle peut donner. J’ai une façon de plier les jarrets et de multiplier les petits pas à reculons… tu verras. Quand madame de Barancos en aura tâté, elle ne demandera qu’à recommencer.

– Et où espères-tu en venir avec tes séductions?

– Tu me le demandes? Eh! parbleu! à amener notre marquise au point où je veux qu’elle soit pour lancer mon coup de foudre. Si elle n’était pas émue par des préparations savantes, elle serait de force à garder son sang-froid quand je démasquerai tout à coup ma batterie. Mais je ne crains pas cela. Son cœur bat déjà la charge, et elle ne pense pas plus à Julia d’Orcival qu’à feu le marquis de Barancos.

– Tu crois qu’elle t’aime?

– Non, pas encore. Mais elle a du goût pour moi, un goût très vif, et elle m’aimerait si je voulais. Pourquoi pas? Elle a bien aimé Golymine. Mais je ne veux pas. Je ne travaille que pour toi, et j’ai du mérite à m’en tenir là, car en vérité elle est adorable. J’avais des préjugés contre les Espagnoles. Je commence à les perdre. Celle-là vous a un feu, une franchise de langage, une liberté d’allures! on jurerait qu’elle n’a jamais menti de sa vie, et on voit bien que sa volonté ne connaît pas d’obstacles… particularité de caractère qui explique le coup de couteau donné à Julia. Je n’aime que les femmes douces, un peu esclaves… eh bien, mon cher, je ne voudrais pas jouer longtemps à ce jeu-là avec cette marquise. Je finirais par me brûler comme un sot au feu de ses grands yeux. Et déjà, il y a des moments où je regrette de m’être lancé à l’assaut. J’ai peur de n’en pas revenir. Mais par bonheur, l’engagement sera court. La nuit ne se passera pas sans que je sache à quoi m’en tenir, et si la Barancos est coupable, je ne serai pas encore assez pris pour avoir des remords de l’envoyer là où elle a parfaitement laissé aller mademoiselle Lestérel.

– Que Dieu t’entende! soupira Darcy.

– Il m’entendra. Les moyens sont scabreux, mais la cause est juste. Maintenant, changeons de sujet. Nous arrivons au buffet, et j’aperçois Saint-Galmier qui assiège une galantine aux truffes. Où est donc Simancas? Ah! le voilà qui remorque une duègne castillane, une corvée que lui aura imposée la marquise. Tu vas voir comme je vais traiter ces deux drôles.

Il était splendide, ce buffet servi par une escouade de maîtres d’hôtel, majestueux et solennels comme des ministres. Et les mets solides ou légers qui le chargeaient n’avaient point été apportés tout faits dans la voiture d’un fournisseur à la mode. La vieille argenterie de famille brillait sur les dressoirs étagés, et les armes des Barancos s’étalaient jusque sur les seaux où gelait le vin de Champagne.

– Bonsoir, mon capitaine, dit obséquieusement Saint-Galmier; voulez-vous ma place?

– Merci, je veux une place, mais pas la vôtre, répondit sèchement Nointel. Et puis je vous prie de ne pas m’appeler: mon capitaine. Nous n’avons jamais servi dans le même régiment, que je sache.

– Non, sans doute, reprit le docteur sans se déconcerter, mais nous servons tous les deux madame la marquise de Barancos.

– Pas de la même façon, docteur. Dites-moi donc comment se porte votre alcoolisé de l’autre jour?

– Mon alcoolisé! répéta le docteur tout effaré; je ne sais pas ce que vous voulez dire.

– Comment! reprit Nointel en ricanant, vous avez déjà oublié cet aimable client, celui qui parlait de faire un voyage au long cours avec vous et votre ami Simancas?

– Ah! oui, je me souviens… mais je… je ne l’ai pas revu.

– Bon! vous lui aurez donné une ordonnance qui l’aura satisfait. Continuez à le bien soigner, docteur, je vous le conseille.

Saint-Galmier fila doux et s’éloigna du buffet, juste au moment où Simancas s’en approchait.

Il avait l’oreille basse, l’illustre général péruvien, et il montra peu d’empressement à entrer en conversation avec le capitaine. Peut-être avait-il entendu des fragments du dialogue et redoutait-il de recevoir des éclaboussures.

Nointel lui tourna le dos sans le saluer, se fit servir quelques verres de rœderer frappé, et emmena Darcy qui, pendant cette petite scène, n’avait ouvert la bouche ni pour boire ni pour parler.

– Mon cher, dit le capitaine, tu t’étonnes de me voir traiter ces gens-là comme je ne traiterais pas mes laquais… Si j’avais des laquais. Tu penses peut-être que je ferais bien de les ménager, puisque je compte me servir d’eux pour démasquer madame de Barancos. Eh bien, tu te trompes. Je puis les traiter comme il me plaît, car il ne tient qu’à moi de les envoyer au bagne. Ils le savent, et ils sont résignés à avaler toutes les couleuvres, à supporter toutes les humiliations que je leur infligerai.

– Au bagne! répéta Gaston. Est-ce que tu aurais découvert qu’ils ont trempé dans le crime de l’Opéra… qu’ils étaient les complices de la marquise?

– Non. Si j’avais découvert cela, je les aurais déjà dénoncés. Malheureusement, j’ai la conviction qu’ils n’ont fait qu’assister au meurtre et qu’ils n’y sont pour rien. Le mot: assister est même trop fort. Ils ont simplement, je crois, reconnu la marquise, et s’ils ne l’ont pas vue, ils l’ont entendue tuer Julia. Mais les drôles ont d’autres méfaits sur la conscience. Ils ont été, avec feu Golymine, les chefs d’une bande de voleurs. J’en ai la preuve, ou peu s’en faut. Tu ne t’attendais pas à celle-là, hein?

– C’est singulier. Je me rappelle maintenant que, le lendemain de la mort de Golymine, mon oncle m’a montré une note de police où il était dit qu’on avait autrefois soupçonné ce Polonais de diriger une association de coquins bien posés dans le monde.

– La note indiquait-elle le but de cette association?

– Autant qu’il m’en souvient, il y était question d’attaques nocturnes dans les rues de Paris.

 

– D’attaques exécutées par des brigands subalternes, sur des indications données par des gens bien posés, n’est-ce pas?

– Oui, c’est bien cela. Ils arrêtaient de préférence les personnes riches qui circulent la nuit avec des valeurs en poche.

– Comme, par exemple, les joueurs heureux à la sortie d’un cercle. Personne n’était mieux placé que Simancas et Saint-Galmier pour désigner les gagnants du nôtre. Ils assistaient à toutes les parties, sans s’y mêler, et ils avaient toujours soin de sortir un peu avant la fin. Parbleu! mon cher, tu viens d’élucider le seul point sur lequel je n’étais pas encore absolument fixé, celui de savoir à quelles œuvres criminelles ils employaient le chenapan que j’ai surpris l’autre jour chez Saint-Galmier, réclamant son salaire et menaçant de forcer le docteur et le général à faire avec lui le voyage de Nouméa. J’y suis maintenant, c’est ce chenapan qui a dépouillé, il y a un mois, le petit Charnas, lequel portait sur lui dix-sept mille francs gagnés au baccarat.

– Et qui m’a volé aussi, moi, une nuit, douze billets de mille dans mon portefeuille.

– Vraiment? Tu ne m’avais pas dit cela.

– C’est qu’il n’y avait pas de quoi s’en vanter. Je me suis laissé dévaliser si bêtement! L’homme m’a sauté à la gorge au coin de la rue du Colysée, et m’a presque étranglé avant que je pusse me mettre en défense.

– Le reconnaîtrais-tu, si on te le montrait?

– Ma foi! non. J’ai eu à peine le temps de l’entrevoir, j’ai perdu immédiatement la respiration, et quand je suis revenu à moi, il avait décampé. Mais je me souviens d’une circonstance assez significative. Simancas m’avait vu gagner cet argent. Il est sorti du cercle en même temps que moi, et après m’avoir adressé diverses questions tendant, je crois, à s’assurer que je n’avais pas d’armes, il est parti en voiture du côté de la Madeleine.

– Et tu as été attaqué rue du Colysée. Son détrousseur à gages l’attendait quelque part. Il sera allé le rejoindre et lui donner ses instructions, en lui décrivant ta personne.

»Voilà qui est clair, et, le cas échéant, ta déposition nous sera fort utile. Pourras-tu préciser la date?

– Oh! parfaitement. C’est la nuit où j’ai rencontré mademoiselle Lestérel à l’entrée de la rue Royale. Je venais de la quitter quand j’ai été attaqué.

– La nuit où Golymine s’est pendu, alors?

– Oui, je venais de rompre avec Julia lorsque je suis entré au cercle.

– Très bien. Je lis dans le jeu de mes drôles comme si je tenais leurs cartes. Ils ont renoncé aux opérations nocturnes, aussitôt qu’ils ont cru avoir en main une affaire plus productive et plus sûre, l’exploitation de la marquise, et ils ont congédié leur opérateur qui n’est pas content. Je le retrouverai, quand il le faudra, ce brave galérien. Décidément, Simancas et Saint-Galmier sont à moi, pieds et poings liés.

– Que ne les obliges-tu donc sans délai à dénoncer la marquise?

– C’est la seule chose que je n’obtiendrais pas d’eux en ce moment. Comprends donc que, s’ils dénonçaient la marquise, ils tueraient la poule aux œufs d’or. Sans compter que la marquise doit en savoir long sur leur compte et qu’elle pourrait bien les dénoncer à son tour. Tandis que, plus tard, lorsque j’aurai amené, moi, madame de Barancos à avouer, lorsqu’elle ne pourra plus leur être bonne à rien, ils n’auront plus de motifs pour refuser de témoigner contre elle. C’est alors que je les forcerai ou plutôt qu’on les forcera de parler, car j’irai trouver ton oncle, je lui dirai tout, je viderai mon sac, et je lui passerai la main.

– Amener la marquise à avouer? Tu te flattes que tu y réussiras?

– Mon Dieu! oui. Ce sera moins difficile que tu ne le penses. Mais ne me demande pas de plus amples explications. Je te promets, encore une fois, que tu les auras bientôt. Fais-moi seulement crédit jusqu’à la fin du cotillon.

– Toujours ce cotillon, murmura Darcy. Enfin, soit! J’attendrai et même je vais te quitter, car madame Cambry m’a promis un quadrille, et je ne veux pas manquer cette occasion d’apprendre ce qu’elle compte faire quand mademoiselle Lestérel sera libre. La recevra-t-elle, comme par le passé? J’en doute.

– Moi aussi, j’en doute. Ton oncle a voix au chapitre, et il ne sera probablement pas d’avis que la future madame Darcy vive dans la familiarité d’une personne qu’il persiste à croire coupable, puisqu’il ne rend pas d’ordonnance de non-lieu.

– C’est vrai, mais il confesse qu’il a des doutes. Il va même jusqu’à admettre que plusieurs femmes ont pu entrer dans la loge.

– Oh! oh! c’est un grand point. Il vient à nous tout doucement.

– Et, à ce propos, il se plaint de ne pouvoir rien tirer de madame Majoré, une folle, dit-il, qui divague au lieu de répondre quand on l’interroge.

– Le fait est que la respectable mère d’Ismérie et de Paméla n’est pas toujours très lucide. Et il faudra qu’un de ces soirs j’aille faire un tour au foyer de la danse, car nous allons avoir besoin d’elle. C’est sur elle que reposera le succès d’une épreuve à laquelle il y aura peut-être lieu de soumettre madame la marquise… et mademoiselle Lestérel.

– Une épreuve?

– Oui. Pourquoi le juge d’instruction ne ferait-il pas répéter devant lui la scène du bal? Pourquoi n’ordonnerait-il pas que madame de Barancos et mademoiselle Lestérel prendront le domino et le masque, et seront présentées sous ce costume à l’ouvreuse qui les a introduites dans la loge? Elles n’ont ni la même taille, ni la même tournure, que diable! et, si écervelée que soit la Majoré, elle pourra peut-être dire, en les voyant à côté l’une de l’autre, quelle est celle des deux qui est entrée la dernière.

– Ton idée est lumineuse, et je vais…

– La soumettre à ton oncle? Tu n’y penses pas. Il faut attendre que madame de Barancos soit en cause. N’allons pas plus vite que les violons, mon cher. Et, à propos de violons, j’entends les premières mesures d’une contredanse. Tu ferais bien d’aller voir si ce n’est pas celle que madame Cambry t’a réservée. Pendant ce temps-là, je rentrerai dans l’orbite de la marquise. J’entends me constituer jusqu’au lever de l’aurore le satellite de cet astre.

Darcy pensa que son ami avait raison. Leur causerie les avait ramenés à l’entrée de la salle de bal. Ils se séparèrent sur le seuil, Nointel pour se rapprocher de madame de Barancos, qu’il venait d’apercevoir donnant un ordre à son majordome, et Gaston pour se glisser du côté où se tenait madame Cambry.

Il fit bien, car la charmante veuve l’appelait d’un signe de tête et d’un sourire.

– Je n’ai pas d’invitation pour cette fois, lui dit-elle; j’ai fait en sorte de n’en pas avoir. Soyez mon cavalier.

Et comme il se répandait en actions de grâces:

– Ne me remerciez pas, reprit-elle. C’est un sacrifice que je vous impose en vous obligeant à danser, quand notre amie souffre encore toutes les angoisses de l’incertitude. Et moi-même je ne suis venue que pour ne pas désobliger M.  Roger Darcy. Mais Berthe nous pardonnera de figurer à un quadrille, car nous ne parlerons que d’elle.

– Mademoiselle Lestérel vous bénira, madame, et moi, je voudrais pouvoir vous prouver toute la reconnaissance dont je suis pénétré, s’écria Gaston.

– Prouvez-la-moi d’abord en trouvant un vis-à-vis, dit gaiement l’aimable veuve, car je suis sûre que vous avez négligé de prendre cette précaution indispensable.

Gaston, en effet, n’y avait pas pensé, et il serait resté dans un embarras assez ridicule si, à sa grande surprise, il n’eût avisé le capitaine donnant le bras à madame de Barancos, et s’avançant vers lui dans l’intention évidente de lui offrir ce qu’il cherchait.

– Comme c’est gracieux à vous, madame, de venir à notre secours! dit la marquise à madame Cambry. M.  Nointel m’entraîne, et je manque à tous mes devoirs de maîtresse de maison pour lui être agréable. Le quadrille devrait m’être interdit tant que des oubliées restent sur leurs chaises, mais je n’ai pas su résister, et je ne regrette pas ma faiblesse, puisque je vais avoir le plaisir de figurer en face de la personne que j’aurais choisie entre toutes, si j’avais le droit de choisir.

Madame Cambry répondit dans cette langue gracieuse que les femmes du vrai monde parlent si bien, même lorsqu’elles ne pensent pas un mot de ce qu’elles disent, et les deux couples prirent place.

Gaston était ému, ou plutôt agité. Le voisinage de madame Cambry le gênait et le troublait. Il admirait, sans le lui envier, le sang-froid de son ami qui se montrait ravi de danser avec une femme véhémentement soupçonnée d’avoir tué Julia d’Orcival, et il pensait que ce vis-à-vis allait contrarier un peu ses projets de causerie intime avec madame Cambry.

Sa future tante ne partageait pas ce sentiment, car elle lui dit aussitôt:

– Madame de Barancos est véritablement charmante. On m’avait dit tant de mal d’elle que j’ai hésité à accepter son invitation. Je vérifie une fois de plus qu’on a grand tort de s’en rapporter aux bruits qui courent dans le monde. Elle passe pour excentrique, parce qu’elle n’est pas banale, et pour coquette, parce qu’elle est franche. Je suis sûre que votre ami, M.  Nointel, lui plaît, et je lui sais gré de ne pas cacher la préférence qu’elle lui accorde sur tant de fats et d’ambitieux qui la courtisent par vanité ou pour sa fortune.

– Je ne sais s’il lui plaît, murmura Gaston, mais je ne crois pas qu’elle lui plaise.

– Vraiment? C’est dommage. M.  Nointel est fort bien, et, en l’épousant, il ferait un magnifique mariage. Mais parlons du vôtre; que vous a dit votre oncle pendant que je valsais?

Gaston n’eut pas le temps de répondre. L’orchestre donna le signal, et l’amoureux dut, bon gré, mal gré, exécuter les manœuvres de la première figure du quadrille.

En évoluant autour de sa danseuse, il s’aperçut que la marquise parlait de lui avec le capitaine, et peut-être de madame Cambry, car elle les regardait beaucoup et elle souriait en les regardant. Son sourire était bienveillant, et certes Nointel ne disait pas de mal de son ami, et pourtant Darcy se sentit presque blessé d’être le sujet de leur entretien. Aussi, pour chasser cette impression, s’empressa-t-il, au premier instant de repos, de répondre à la protectrice de Berthe:

– Mon oncle croyait sans doute m’apprendre une heureuse nouvelle, et il m’a brisé le cœur. J’espérais qu’il avait renoncé à cette injuste accusation, et il y persiste. Mademoiselle Lestérel a été mise en liberté, par humanité, et non parce qu’on a reconnu son innocence. Que faut-il donc, grand Dieu, pour qu’on la reconnaisse!

– On la reconnaîtra, n’en doutez pas. M.  Roger est magistrat avant tout: il craint d’agir à la légère; mais la conviction commence à se faire dans son esprit; elle se fera… j’y aiderai… et quand elle sera faite, il abandonnera l’affaire.

– Pas avant d’avoir trouvé la femme qui a commis le crime. Il lui faut une coupable.

– Il vous a dit cela?

– Ce sont ses propres expressions.

– Mais cette femme, il ne la trouvera jamais… elle a pu s’échapper du bal… elle saura se cacher… et il serait inique de retenir une jeune fille innocente, jusqu’à ce que la mort d’une courtisane soit vengée.

»Pardon! reprit madame Cambry, qui se rappela un peu tard que Gaston avait été l’amant de Julia d’Orcival et que cette épithète appliquée à son ancienne maîtresse devait lui sembler dure; je veux dire que l’honneur et la liberté de Berthe ne peuvent pas dépendre du résultat des recherches entreprises pour découvrir la vraie coupable.

La seconde figure du quadrille commençait, et Darcy dut marcher en cadence, au lieu de continuer l’entretien. Il s’y résigna, et il se prit à songer au mot que la belle veuve venait de laisser échapper. Sans qu’il s’expliquât trop pourquoi, ce mot lui rappelait la célèbre phrase lancée par un révolutionnaire d’autrefois, à propos des massacres de septembre: «Le sang qui vient de couler était-il donc si pur?»Et il se disait tout bas:

– Les femmes qui n’ont jamais failli sont impitoyables pour les pécheresses.

Tout en s’acquittant de ses fonctions de cavalier, il se remit à observer la marquise et le capitaine. Ils ne riaient plus. Ils causaient à voix basse et ils échangeaient parfois un regard rapide. Évidemment, Nointel faisait des progrès dans les bonnes grâces de madame de Barancos. Et Darcy se demandait comment son ami pourrait, sans cesser d’être un galant homme, livrer à la justice une femme dont il allait se faire aimer.

– Ce serait indigne, et il ne descendra jamais à une action si basse, pensait-il. Je suis fou de compter sur lui. Et qui sait s’il ne se laissera pas prendre à son propre piège, s’il ne s’amourachera pas de cette Espagnole qu’il prétend séduire?

 

Les évolutions dansantes s’arrêtèrent, et madame Cambry continua d’une voix émue:

– Non, cela ne sera pas. On ne rend pas la liberté à une accusée pour la lui ravir ensuite. M.  Roger Darcy est humain autant que juste; il n’aura pas la cruauté de retirer ce qu’il a donné. S’il n’avait pas pensé que l’innocence de Berthe finirait par être démontrée, il n’aurait pas ouvert à cette pauvre enfant les portes de la prison.

– Je voudrais partager vos espérances, madame, murmura Gaston, mais le langage que mon oncle m’a tenu a été si net…

– Comptez-vous donc pour rien mon influence? dit doucement la charmante veuve. Pensez-vous que je sois restée étrangère à la mesure qui vient d’être prise?

– Oh! Je sais combien vous êtes bonne, je sais que vous êtes un ange, que…

– Non, je ne suis qu’une femme, mais je crois que M.  Darcy a pour moi beaucoup d’estime, je me flatte même que je lui inspire un sentiment plus vif, et je lui rends toute l’estime et toute l’affection qu’il me porte. Il me serait trop pénible qu’il me refusât la première grâce que je lui demanderai, et il ne voudra pas me causer ce chagrin. D’ailleurs, ce n’est pas une grâce que je réclame, c’est justice. Berthe n’est pas coupable, je suis prête à le jurer devant Dieu.

Et comme Gaston, qui connaissait le caractère de son oncle, ne paraissait pas convaincu, madame Cambry ajouta en souriant:

– Et puis, j’emploierai, s’il le faut, les grands moyens. Je déclarerai à M.  Roger que je ne serai jamais sa femme, tant qu’il n’aura pas signé une ordonnance de non-lieu et abandonné complètement cette désespérante affaire. Et il l’abandonnera, car, à la poursuivre, il perdrait son repos et sa réputation de magistrat. Vous épouserez Berthe, et, ce jour-là, j’espère que vous me pardonnerez de devenir… votre tante.

L’insupportable orchestre annonça la troisième figure, et il fallut encore partir. Cette fois, les mouvements du quadrille firent que Gaston se trouva très rapproché de la marquise; il fut même obligé de lui donner la main, et n’y prit aucun plaisir. Il arriva aussi qu’il saisit au vol ces mots lancés par Nointel:

– Croyez-vous en vérité, madame, que le général ait conspiré au Pérou?

Et la réponse de madame de Barancos:

– Je ne connais pas son histoire et n’ai nulle envie de la connaître.

Puis la chaîne se rompit; Gaston revint à sa place et à sa conversation avec madame Cambry.

– Si vous saviez combien j’ai été heureux d’apprendre que vous allez épouser mon oncle, lui dit-il. Vous me faites, j’espère, l’honneur de croire que les questions d’argent me touchent peu. Je n’ai jamais songé un seul instant à hériter d’une fortune qui ne doit pas me revenir et dont je puis me passer. Je ne perds donc rien à ce mariage et j’y gagne une amie… permettez-moi de me servir de ce mot… une amie qui plaidera auprès de son mari la cause de ma femme.

– Et qui la gagnera, je vous le jure. Vous me comblez de joie en m’apprenant que vous n’avez pas changé d’idée. Je savais bien que vous étiez un noble cœur, mais les préjugés ont tant de force que je tremblais pour le bonheur de Berthe.

– Son bonheur! vous croyez donc qu’elle m’aime!

– Si elle vous aime! En douteriez-vous? N’avez-vous donc jamais remarqué le trouble où la jetait votre présence? Je l’avais deviné, moi, qu’elle vous aimait, bien avant cette dernière et triste soirée où vous l’accompagniez au piano pendant qu’elle chantait l’air de Martini… Chagrins d’amour…

–   Durent toute la vie, soupira Darcy. Les paroles ont raison.

– Non, elles ont tort. Vos chagrins ont été cruels. Ils vont finir. Vous serez heureux, si vous savez l’être. Oserai-je vous demander comment vous comptez vivre après votre mariage?

– Êtes-vous certaine qu’il se fera, ce mariage? Pendant cette soirée, dont vous venez d’évoquer le douloureux souvenir, mademoiselle Lestérel m’a déclaré qu’elle n’y consentirait jamais.

– Alors, elle se défiait encore de la sincérité de vos sentiments. Elle est fière et ombrageuse, parce qu’elle a souffert, parce qu’elle est pauvre. Elle craignait de ne vous avoir inspiré qu’un caprice; elle ne se flattait pas d’être aimée comme elle veut l’être, comme elle mérite de l’être. Et plus était vive et profonde la passion que vous lui avez inspirée, plus elle se condamnait à la cacher. Maintenant l’épreuve est faite. L’homme assez courageux pour défendre une jeune fille dans le malheur est digne d’épouser celle qu’il a sauvée. Vous épouserez Berthe, et si je vous demandais tout à l’heure ce que vous feriez après l’avoir épousée, c’est que, dans les premiers temps surtout, vous aurez contre vous l’opinion du monde, c’est que vous aurez besoin d’appui. Eh bien, ma maison vous sera ouverte, je tenais à vous le dire.

– Quoi! mon oncle consentirait…

– C’est encore une condition que je poserai avant de prononcer le: oui qui me liera pour toujours. Et je réponds qu’elle sera acceptée. Nous recevrons notre neveu et notre nièce. M.  Roger Darcy a l’esprit trop élevé pour se laisser influencer par les propos des sots. Je vous ouvrirai à deux battants les portes de notre maison. Vous et Berthe ferez le reste.

– Oh! madame, comment avons-nous pu mériter une si généreuse protection?

– Vous voulez le savoir? demanda madame Cambry. Eh bien, vous la devez à la violence, à la sincérité de l’amour qui vous enflamme tous les deux. Il m’a touchée, cet amour, parce que je l’ai vu naître et grandir, parce que je suis certaine que chacun de vous lui sacrifierait tout. Nous autres femmes, nous lisons dans les cœurs. Berthe vous aime à mourir… on n’aime ainsi qu’une fois en sa vie…

»Ah! mon Dieu! s’écria madame Cambry, voyez donc!… notre vis-à-vis a suivi l’orchestre, et nous, nous sommes en retard d’une vingtaine de mesures. Votre ami vous fait des signes désespérés. Hâtons-nous de nous mettre à l’unisson. Si nous manquions la figure, la marquise s’imaginerait que vous faites la cour à votre tante.

Gaston s’inquiétait fort peu de ce que la marquise pensait de ses distractions, mais il s’exécuta… faute de pouvoir s’en dispenser, car la causerie l’intéressait beaucoup, et toute cette stratégie dansante l’agaçait considérablement. Elle prit fin après les marches et les contremarches prescrites, et comme le quadrille touchait à son terme, Darcy profita du dernier entracte pour s’informer d’une façon plus positive des intentions de madame Cambry.

– Ainsi, dit-il, demain, mademoiselle Lestérel sera libre… elle va rentrer sans doute dans son appartement de la rue de Ponthieu?

– Oui; je voulais la loger provisoirement chez moi. Votre oncle m’a priée de n’en rien faire, et, en y réfléchissant, j’ai trouvé qu’il avait raison. Je verrai donc Berthe chez elle, je la verrai chaque jour, et je lui conseillerai de vous recevoir.

– Je n’osais pas vous le demander… et je ne sais si elle y consentira.

– Vous la jugez mal. Elle comprendra parfaitement que la situation est changée, et qu’en refusant de se rencontrer avec vous, elle dépasserait la mesure des réserves que l’usage impose à une jeune fille. Peut-être cependant me priera-t-elle d’assister à vos entrevues.

– Et je joindrai mes prières aux siennes. Songez-vous, madame, à la vie qui va lui être faite? Mon oncle vous a-t-il dit qu’elle serait soumise à une surveillance incessante?

– Oui, mais cette surveillance sera discrète, et Berthe ne la redoute pas. Berthe, je suppose, ne sortira guère que pour voir sa sœur. Et puis, j’ai un projet que je vais vous confier. Vous savez que si M.  Roger Darcy n’abandonne pas l’accusation, c’est surtout parce que notre amie refuse d’expliquer l’emploi de son temps pendant la nuit du bal de l’Opéra. J’entrevois le motif très honorable de ce silence obstiné, et je veux la confesser. J’obtiendrai certainement d’elle un récit qu’elle ne consentirait jamais à faire au juge d’instruction, et quand elle m’aura tout dit, j’agirai pour le mieux. Peut-être la déciderai-je à me permettre de répéter à M.  Roger Darcy une partie des circonstances qu’elle m’aura confiées. Peut-être parviendrai-je à la justifier sans compromettre personne.