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Le crime de l'Opéra 2

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Au premier, où le capitaine grimpa sans hésiter, on vendait dans deux salles.

La première était pleine de gens qui ne venaient pas tous pour acheter. Il y avait là beaucoup de pauvres diables perchés sur les gradins où on peut s’asseoir gratis, et plusieurs demoiselles qui cherchaient beaucoup moins à voir qu’à se faire voir. Les chalands sérieux se pressaient aux abords d’une longue table où passaient successivement des fauteuils, des armoires à glace et des pendules. On vendait là des mobiliers qualifiés de riches. Il y avait le long des murs des cascades de rideaux de soie, des pyramides de chaises, des amoncellements de canapés, des entassements de buffets en vieux chêne et d’armoires en palissandre. Toutes ces ébénisteries semblaient avoir été empilées les unes sur les autres par des faiseurs de barricades. Et les provinciaux entrés là par hasard, pour tuer le temps, se demandaient naïvement si les Parisiens avaient été pris, tous à la fois, d’une irrésistible envie de loger en garni, et s’il allait se trouver assez d’acheteurs pour niveler, avant la fin de la séance, ces montagnes d’ameublements.

Nointel, accoutumé à ce spectacle, ne regarda que les figures et n’aperçut point celle qu’il cherchait. Il eut beau changer de place, se faufiler dans tous les coins, et finalement s’introduire, par un chemin connu des habitués, dans l’enceinte réservée au commissaire-priseur et à ses auxiliaires, il ne découvrit pas le général péruvien. Décidément, Simancas ne donnait point dans les mobiliers de salon ou de chambre à coucher. Était-il allé à un encan de tableaux qui se poursuivait dans une autre salle au fond du corridor? Nointel ne l’espérait guère; mais comme il ne voulait rien négliger, il poussa jusque-là.

À cette vente, le public était tout autrement composé. Peu ou point de femmes. Beaucoup de vieillards mal vêtus qui se passaient les tableaux de main en main, qui les frottaient avec un coin de leur mouchoir à carreaux et qui les regardaient de si près qu’ils avaient l’air de les lécher. Trois ou quatre rapins en rupture d’atelier, et une demi-douzaine d’amateurs venus là pour une seule toile et attendant avec impatience qu’on la mît sur la table.

Nointel entra au moment où le crieur annonçait avec aplomb la mise à prix de trente francs pour un intérieur hollandais attribué à Van Ostade. On riait, et on n’enchérissait pas. Mais la surprise du capitaine ne fut pas mince quand, au lieu de Simancas qu’il cherchait, il reconnut, rôdant au fond de la salle, Saint-Galmier qu’il ne cherchait pas. Le docteur paraissait s’ennuyer beaucoup en ce lieu. Il ne regardait pas les cadres qui tapissaient les murs, et il bâillait à se décrocher la mâchoire; mais il changea d’attitude aussitôt que Nointel parut. Il se précipita vers la table où on faisait circuler l’intérieur hollandais, et il demanda à voir.

–   On demande à voir, répéta le commissaire, et le Van Ostade fut incontinent apporté à Saint-Galmier, qui s’en saisit avec avidité et qui l’éleva jusqu’à la hauteur de ses yeux, de façon à s’en faire un écran.

–   Oh! oh! pensa Nointel, le drôle tient à m’éviter, et il s’imagine peut-être que je ne l’ai pas aperçu. Évidemment son acolyte n’est pas ici. S’il y était, les deux complices seraient réunis. Mais il va y venir. Le docteur l’attend, c’est bien clair. Pourquoi l’attend-il, au lieu d’aller le rejoindre? Probablement parce que Simancas tient à opérer seul… opérer quoi? et où?… du diable si je m’en doute. Je vais continuer ma tournée dans l’hôtel jusqu’à ce que je le rencontre. Et je vais laisser croire à Saint-Galmier que je n’ai pas reconnu sa vilaine face. Il ne déguerpira point, puisqu’il a rendez-vous ici avec l’autre, et, si je ne déniche pas le général, je reviendrai me mettre en faction auprès du Canadien.

Le capitaine sortit au moment où Saint-Galmier, pour se donner une contenance, mettait une enchère de cinq francs sur le Van Ostade, et il descendit en toute hâte au rez-de-chaussée.

Il y a là plusieurs salles réservées aux ventes courantes, des salles étroites, mal éclairées et plus mal fréquentées, où viennent échouer les meubles et les hardes des pauvres gens qui n’ont pas pu payer leurs billets ou leur terme. On y vend de tout, des draps et des pincettes, des manchons et des instruments de musique, des dentelles, des marmites et des édredons. Nointel avait résolu de les visiter consciencieusement, en prévision du cas assez improbable où le général, pour un motif à lui connu, serait venu là faire emplette de quelque ustensile de ménage. Deux seulement étaient ouvertes, et dans la première l’encan était commencé.

Un commissaire, flanqué d’un scribe, annonçait les objets d’un air ennuyé, et l’aboyeur criait à tue-tête pour accélérer l’opération. Des marchandes à la toilette maniaient avec une dextérité sans égale des robes de soie et des châles; des revendeuses moins élégantes tâtaient et flairaient la laine des matelas; des Auvergnats aux mains crasseuses tournaient et retournaient des casseroles. Tout ce monde-là formait autour des tables un cercle compact, et il n’était pas aisé d’approcher.

On avait rassemblé pour cette vente des défroques de diverses provenances, de sorte qu’on voyait pêle-mêle avec des vieilles ferrailles et des torchons des armes, des fourrures et des pendules. Il y avait même quelques bijoux, et Nointel avisa un vieux juif sordidement vêtu qui examinait à la loupe une bague en brillants. Il venait de la payer cinq cents francs, et les habits qu’il portait ne valaient certainement pas trois pièces de cent sous.

Ce curieux tableau intéressait médiocrement le capitaine, et il allait passer à l’inspection de la seconde salle, quand, à force d’examiner tous les recoins de la première, il découvrit le Péruvien collé contre la tribune du commissaire-priseur et se dissimulant de son mieux. Il avait relevé le collet de son pardessus et enfoncé son chapeau jusqu’aux oreilles. On ne distinguait que ses yeux et son nez recourbé en bec de vautour. La position qu’il avait prise indiquait assez qu’il se proposait d’enchérir. S’il n’eût été là qu’en curieux, il serait resté à l’entrée de la salle, au lieu de se caser à un poste de faveur. Le problème commençait à se dessiner nettement.

– Que vient-il acheter? se demanda Nointel. Un objet à la possession duquel il attache une grande importance, car, tout à l’heure, il courait comme un lièvre pour ne pas manquer l’heure de la criée. Quel objet? Rien de ce qu’on vend ici ne vient de chez Julia. Il n’y a que des épaves saisies par les huissiers sur des naufragés de la vie.

En pensant aux saisies et aux huissiers, il en vint assez vite à penser à Golymine.

– Au fait, se dit-il, il est mort criblé de dettes, ce Polonais, et ses créanciers ont dû mettre arrêt sur tout ce qu’il a laissé… ses vêtements, ses bijoux. Et on les vend par autorité de justice. J’y suis maintenant. Simancas veut se procurer un souvenir de son ami. Il se sera tenu au courant, et il aura appris que le dernier acte de la procédure allait se jouer aujourd’hui à l’hôtel Drouot. L’y voici, mais ce n’est pas le sentiment qui l’y amène. Il se moque parfaitement de la mémoire du Polonais. Il a même été ravi d’apprendre que ce complice dangereux s’était pendu. Donc, il a un gros intérêt à entrer en possession de quelqu’une des défroques de Golymine. Je vais le voir travailler; lui, ne sait pas que je suis là. Tout va bien.

Cependant, les encans se succédaient avec une rapidité vertigineuse. Les objets ne faisaient que paraître et disparaître sur la table. Tous les marchands s’entendaient; ils avaient tout évalué d’avance, et ils se gardaient bien de se faire concurrence. On adjugeait après une seule enchère. Et mal en eût pris au profane qui se serait avisé d’essayer d’acheter. La bande noire se serait coalisée à l’instant même pour lui faire payer son emplette six fois sa valeur. Simancas allait avoir affaire à forte partie, à moins qu’il n’eût pris le sage parti de donner commission à quelque brocanteur.

Du reste, on ne vendait pour le moment que des robes et de la lingerie, et le général se tenait coi en attendant son heure.

Nointel s’occupa de se caser de façon à pouvoir le surveiller. Il trouva moyen de s’insinuer entre deux grosses marchandes qui lui firent place pour sa bonne mine, et il s’installa tout près de la table, mais du côté opposé à celui où se tenait Simancas. L’estrade où trônait le commissaire masquait le Péruvien et l’empêchait d’apercevoir son ennemi.

– Messieurs, dit l’officier ministériel en élevant la voix pour commander l’attention, nous allons mettre en vente une fort belle garde-robe à usage d’homme, une garde-robe comprenant des vêtements, des armes et des bijoux.

Il y eut des chuchotements. L’assistance évidemment savait que ce lot contenait des objets de valeur.

– Nous commençons par les armes, reprit le commissaire. Voyez, messieurs, une paire d’épées de combat presque neuves. À combien? Cent francs? Cinquante francs? Il y a marchand à quinze francs.

– Dix-huit, dit un Auvergnat.

– Dix-huit… nous disons dix-huit… Personne ne met au-dessus… Adjugé.

Les épées avaient été données pour rien, et Simancas n’avait pas soufflé mot. Nointel s’y attendait; mais quand on apporta une boîte de pistolets, il prêta l’oreille. La boîte pouvait contenir un secret. Simancas resta muet, et les pistolets furent vendus pour le quart de leur valeur.

Un nécessaire de voyage n’obtint pas plus de succès, et le Péruvien le laissa adjuger sans proférer un son.

Nointel ne doutait plus que tout cela eût appartenu à Golymine. Le nécessaire venait de passer sous ses yeux, et il y avait vu gravées les initiales W.  G., au-dessous d’une couronne de comte. Et Simancas gardait le silence. Simancas, blotti derrière l’estrade comme une araignée au fond de sa toile, ne montrait pas le bout de son nez.

 

– Il n’est cependant pas venu ici pour rien, se disait le capitaine. Quelle pièce guette-t-il? Le secret qu’il veut s’approprier est-il caché dans la poche d’un pantalon ou dans la doublure d’un gilet?

– Messieurs, cria le commissaire, nous allons passer aux hardes. Une magnifique paire de bottes en cuir de Russie. Des bottes de chasse ayant à peine servi… imperméables à l’eau… voyez l’objet, messieurs. Trente francs! Vingt francs? On a dit cent sous? Adjugé!

– Allons, pensait Nointel, encore une déception. Je ne pouvais guère espérer que ces bottes contenaient les billets doux des maîtresses de Golymine, mais enfin…

– Ah! cette fois, messieurs, voici une fourrure d’une grande valeur; une superbe pelisse, entièrement doublée de peaux de loutre avec collet, parements et bordure en martre zibeline. À combien? Mille francs?

– Il y a marchand à cent francs, dit une voix que Nointel reconnut aussitôt.

– Enfin! murmura le capitaine, c’est donc cette pelisse qu’il veut acheter. La pelisse de Golymine, parbleu! Il n’y a jamais eu que les aventuriers pour étaler des pardessus de cette espèce. J’ai d’ailleurs un vague souvenir d’avoir vu Golymine promener celui-là aux Champs-Élysées. Mais du diable si je devine pourquoi Simancas tient à en faire l’acquisition. S’il voulait conserver un souvenir de son coquin d’ami, il aurait pu tout à l’heure en acheter de plus portatifs. Il n’avait que l’embarras du choix. Le drôle ne fait rien sans motif, et il vient d’offrir cent francs d’une défroque usée. Il y a un mystère là-dessous.

– Il y a marchand à cent francs, messieurs, dit le commissaire-priseur en regardant du coin de l’œil l’acheteur qui se révélait tout à coup.

La bande des brocanteurs et des revendeuses était déjà en émoi. Un intrus osait faire mine d’acquérir sans passer par leur intermédiaire. Il fallait à tout prix le dégoûter de cette audacieuse entreprise et l’empêcher à tout jamais d’y revenir. Dans ces cas-là, quelqu’un de la corporation se charge de pousser, et si l’objet lui reste au-dessus de sa valeur réelle, on partage la perte. La coalition était toute formée. Un vieux juif qui vendait habituellement des lorgnettes se chargea de la représenter.

– Cent cinq, dit-il d’une voix éraillée.

– Cent dix, riposta Simancas du fond de son embuscade.

– Cent quinze.

– Cent vingt.

– Vingt-cinq.

– Trente.

Ces chiffres se succédèrent coup sur coup, comme des ripostes d’épées dans un duel.

– Messieurs, dit le commissaire qui commençait à flairer une lutte dont la caisse de sa compagnie allait bénéficier, messieurs, examinez l’objet. Cette fourrure est magique. Zibeline pure. Provenance directe. Le propriétaire du vêtement arrivait de Russie.

– Il s’est donc arrêté en route? ricana une marchande à la toilette; la doublure est usagée aux vers.

– Faites passer pour que ces messieurs puissent toucher.

Le juif feignit de palper la peau de loutre et reprit:

– Cent trente-cinq francs.

– Cent cinquante, répliqua le Péruvien.

Il y eut un court silence. Le juif consultait du regard ses associés avant d’aller plus loin.

– Va donc, Mardochée, lui souffla un marchand d’habits dont les décisions faisaient autorité. Mène le bourgeois jusqu’à cinq cents.

– Soixante glapit l’homme aux lorgnettes.

– Quatre-vingts.

– Allons, messieurs, nous n’en resterons pas là. Mais pressez-vous. La vacation est très chargée. À cent quatre-vingts francs la pelisse qui en vaut au moins mille. Nous disons cent quatre-vingt. C’est pour rien.

– Deux cents, soupira Mardochée en prenant l’air désolé d’un homme qui se résigne à un sacrifice pour ne pas manquer une bonne affaire.

– Trois cents, grommela Simancas, toujours invisible.

– Trois cents francs, messieurs, proclama le commissaire en interrogeant de l’œil le vieux juif. Vous dites?… vingt-cinq.

»À vous, monsieur, reprit-il en regardant le général. Cinquante; on a dit cinquante à ma gauche… soixante-quinze, là-bas, en face… quatre cents à gauche.

Et il continua ainsi à recueillir des enchères de vingt-cinq francs qu’il provoquait en se tournant alternativement vers les deux enchérisseurs qui ne répondaient plus que par signes.

Ce langage est parfaitement compris à l’hôtel des ventes, et un sourd-muet n’y serait pas du tout embarrassé. Il suffirait qu’on lui expliquât le chiffre de la mise à prix. Chacun de ses hochements de tête passerait pour une enchère. On a vu adjuger des mobiliers superbes et des tableaux de maîtres à des gens affligés d’un tic nerveux qui se trouvaient avoir acheté sans le savoir.

Nointel assistait à cette lutte, sans s’y mêler, mais il y prenait le plus vif intérêt, et il se rendait parfaitement compte de la situation. Il connaissait les mœurs de la tribu des brocanteurs, et il comprenait que le juif ne poussait que pour taquiner le bourgeois, qu’il cherchait à lui faire payer la pelisse beaucoup plus cher qu’elle ne valait, et qu’il allait le lâcher dès qu’il jugerait la leçon assez sévère pour lui ôter l’envie de recommencer. Nointel prévoyait donc que la victoire resterait finalement à Simancas, qui entrerait ainsi en possession du pardessus fourré de son défunt ami. Et Nointel se demandait s’il allait le lui abandonner; Nointel se creusait la tête pour deviner le secret de l’étrange conduite du Péruvien.

Sur ces entrefaites, le chiffre rond de cinq cents francs tomba de la bouche du commissaire-priseur traduisant le dernier hochement de tête du client de gauche. Il riait sous cape, cet officier ministériel, et il ne demandait qu’à tirer parti d’une fantaisie qu’il ne s’expliquait guère.

– Messieurs, dit-il en se levant pour donner plus de solennité à ses paroles, nous sommes arrivés à cinq cents et nous irons à mille. Je dis mille francs, et cette admirable fourrure a coûté mille roubles. Elle a dû appartenir à un grand dignitaire de la cour de Russie.

Le marchand de lorgnettes resta froid. La cour de Russie ne le touchait guère.

– Ou à un exilé polonais qui l’a rapportée de Sibérie, reprit le facétieux commissaire. Si vous n’en voulez pas, messieurs, je vais adjuger.

Ici, le marteau d’ivoire entra en jeu. Le priseur saisit cet instrument par le manche et se mit à le brandir, comme s’il se fût proposé de s’en servir pour casser la tête au père Mardochée, qui confabulait avec son voisin au lieu d’entretenir le feu sacré des enchères.

– Cinq cent vingt, cria un revendeur. J’aime la Pologne, moi.

»Et je n’aime pas les bourgeois qui viennent mettre le nez dans nos affaires, ajouta-t-il tout bas.

– À la bonne heure, messieurs. Je savais bien que nous ne nous arrêterions pas en route. Seulement, dépêchons-nous. Il est tard. Cinq cent vingt. On ne dit rien à gauche?

Et le marteau commença à se balancer à quelques pouces de la tablette qu’il menaçait de heurter. Mais Simancas se taisait. Il ne renonçait pas à la pelisse; seulement, il se demandait si, au lieu de poursuivre une lutte qui pouvait le mener très loin, il ne ferait pas mieux de laisser adjuger et de s’entendre ensuite avec l’acquéreur.

La figure du revendeur, ami de la Pologne, commençait à s’allonger, car ses confrères ne lui avaient pas donné commission de dépasser le chiffre de cinq cents, et il craignait que la fourrure ne lui restât pour compte.

– Il a de la chance, l’Auverpin, dit en riant une grosse marchande. Toutes les bonnes affaires sont pour lui. Il doit avoir de la corde de pendu dans sa poche.

De toutes les facultés de l’esprit, la mémoire est certainement la plus capricieuse. Elle a des sommeils inexplicables et des réveils imprévus. Comment la plaisanterie d’une brocanteuse rappela-t-elle tout à coup au capitaine un fait oublié? Pourquoi se souvint-il subitement que, le soir où il s’était pendu chez Julia, Golymine portait cette pelisse à collet de martre? Darcy lui avait même raconté qu’en apprenant au cercle la nouvelle de la mort de son ami, Simancas s’inquiétait de savoir comment Golymine était habillé à son heure dernière, et qu’il avait assez mal dissimulé son émotion lorsque Lolif lui avait assuré que Golymine était mort dans sa fourrure. Ces détails étaient sortis de la tête de Nointel. Ils lui revinrent avec une netteté singulière, et il se dit aussitôt:

– Tout s’explique. La pelisse est bourrée de secrets.

– Cinq cent vingt! reprit le commissaire. Cinq cent vingt francs la fourrure de mille roubles. Personne n’en veut plus? Une fois? Deux fois?

– Cinq cent cinquante, dit Nointel.

L’entrée en lice de ce nouveau jouteur fit sensation. L’officier ministériel le connaissait de vue pour l’avoir souvent aperçu aux ventes d’objets d’art, et il lui adressa un sourire gracieux. Les marchands se mirent à le regarder avec une curiosité railleuse et s’entendirent aussitôt pour laisser les deux bourgeois se disputer à coups de billets de banque un vêtement dont aucun d’eux n’aurait donné trois louis. Mais de tous les assistants, le plus étonné fut encore Simancas. Il ne se doutait guère que le capitaine était là, car, du coin où il se tenait, il ne pouvait pas le voir, mais il reconnut sa voix claire et mordante; il la reconnut, il fit un pas en avant, il sortit de sa cachette, il se découvrit, et les deux adversaires se trouvèrent en présence.

Le Péruvien était pâle, car il se sentait pris. Et Nointel le toisait d’un air narquois. Il avait l’air de lui dire: Allez! enchérissez! je vous attends.

– Six cents, grommela Simancas.

– Sept cents, riposta Nointel.

– Sept cents à droite! proclama le commissaire-priseur. La réponse de la gauche… nous perdons du temps, messieurs… suivez, s’il vous plaît.

– Mille! articula non sans effort le complice de Golymine.

– Voyons à droite! nous ne sommes pas au bout.

– Ce coquin va me coûter gros, pensait le capitaine, mais il ne sera pas dit que je lui ai cédé. Douze cents, dit-il tout haut.

– Douze cent cinquante.

Le clan des trafiquants ne se sentait pas de joie.

– Le vieux mollit, ricana la revendeuse qui avait parlé de corde de pendu. Il ne met plus que par cinquante.

– Ça doit être la pelisse de sa mère, dit une autre marchande à la toilette.

– Treize cents, cria Nointel.

Et tout bas:

– Gredin, va. Les trois mille que j’ai mis dans ma poche ce matin y passeront. Je voulais me payer un cheval au Tattersall, et je n’aurai qu’une loque… si je l’ai.

– Monsieur désire examiner la fourrure, demanda l’officier ministériel, qui crut que Simancas faiblissait. Passez à monsieur.

– À moi d’abord, dit vivement Nointel.

Il se défiait des mains du Péruvien.

Le garçon qui, depuis un quart d’heure, promenait triomphalement la pelisse, vint la remettre au capitaine.

– Quinze, reprit aussitôt Simancas.

Nointel, sans se presser, se mit à palper le collet et la doublure. Il savait bien qu’on n’adjugerait pas avant qu’il eût fini, et il soufflait gravement sur la martre zibeline que ses doigts exploraient en dessous.

– Seize, dit-il en relevant la tête.

Il venait de reconnaître au toucher qu’il y avait des papiers cachés sous la fourrure.

– Seize cent cinquante, répondit rageusement Simancas, qui comprenait fort bien pourquoi son adversaire tâtait la pelisse avec tant de soin.

– Dix-sept cents, répliqua le capitaine.

Il pensait:

– Toutes mes économies y passeront, s’il le faut, mais je tiendrai bon.

– Demande-t-on à voir à ma gauche?… Non. C’est inutile. On est fixé sur sa valeur. Alors, nous disons?

– Dix-sept cent cinquante.

– Dix-huit, répondit Nointel.

– Dix-huit cent cinquante.

Simancas se défendait pied à pied. À ce moment, il sentit qu’on le tirait par la manche, et il se retourna furieux contre l’importun qui venait le déranger si mal à propos. L’importun, c’était Saint-Galmier, et il devait avoir quelque chose de très grave et de très pressé à dire au Péruvien, car il l’entraîna, bon gré, mal gré, jusqu’à la porte de dégagement, et il se mit à lui parler bas.

– Dix-neuf cents, dit le capitaine, sans trop élever la voix.

En même temps, il regardait le commissaire-priseur qui semblait assez disposé à en finir. Le marteau d’ivoire s’agitait.

– Dépêchons, messieurs. Je vais adjuger. C’est bien vu? Bien entendu?

Simancas se taisait. Il écoutait le docteur, et la dernière enchère soufflée par Nointel n’était pas arrivée jusqu’à ses oreilles. Il croyait qu’on en était resté à la sienne.

– Pour la troisième et dernière fois, messieurs, personne ne met plus?… Voyons!… le mot?…

Il y eut une courte pause, et comme le mot ne vint point, le marteau s’abattit avec un bruit sec.

– Adjugée la superbe pelisse fourrée… dix-neuf cents francs et le frais.

 

– Pardon! s’écria Simancas qui reparut subitement, dix-huit cent cinquante.

– Dix-neuf cents… à monsieur, répondit l’officier ministériel en désignant le capitaine.

– Mais non… à moi… il y a erreur…

– J’en appelle à tout le monde. Monsieur a eu le dernier mot. Dix-neuf cents.

– Oui, oui! nous l’avons entendu, répondirent en chœur les marchands et les marchandes.

– Cette adjudication est une supercherie… je proteste.

– Monsieur, je vous prie de ne point troubler la vente. Crieur, annoncez deux couvertures de voyage en peau d’ours.

Puis, s’adressant au capitaine qui tenait d’une main la pelisse et de l’autre cherchait son portefeuille:

– On paie et on emporte? Oui. Très bien. Monsieur, veuillez régler avec mon secrétaire.

Le capitaine grimpa sans cérémonie sur la table, sauta de l’autre côté et s’avança vers le bureau, portant sa pelisse sur l’épaule gauche, comme un dolman de hussard. Il avait l’air si crâne, qu’une marchande à la toilette se mit à dire assez haut:

– Enfoncé, le vieux!

Simancas était vert, et Saint-Galmier ne faisait pas meilleure figure que son acolyte.

Nointel fut obligé de passer fort près de ces deux drôles pour régler son compte avec le secrétaire, mais il ne daigna pas les regarder. Que lui importait la mine qu’ils faisaient, maintenant qu’il tenait la pelisse? Il paya sans la lâcher, et deux billets de mille francs y passèrent; mais en vérité ce n’était pas trop cher, et, n’eût été l’heureuse distraction de Simancas, la fourrure de Golymine aurait pu lui coûter bien davantage. Il l’emporta, plus fier que s’il eût conquis l’épée d’un général prussien, et il sortit de la salle par une porte de dégagement. Il lui tardait de rentrer chez lui pour examiner son acquisition.

Dans le corridor qui aboutit à la rue Drouot, il rencontra le Péruvien, et il aperçut un peu plus loin Saint-Galmier, conférant avec son domestique, le nègre en livrée rouge et verte.

– Monsieur, lui dit Simancas, je désirerais vous entretenir un instant.

– Qu’avez-vous à me dire?

– Beaucoup de choses. Et s’il vous plaisait de monter au cercle avec moi…

– Merci. Je n’ai pas le temps. Expliquez-vous ici, et soyez bref.

– Monsieur, j’ai une proposition à vous faire.

– Laquelle?

– Je ne sais dans quel but vous avez acheté ce vêtement qui ne peut vous être d’aucune utilité.

– Vous croyez?

– Vous n’avez certainement pas l’intention de le porter… et ce n’est pas non plus pour m’en servir que je désirais l’avoir, mais j’attache un grand prix à sa possession, parce qu’il a appartenu à un ami malheureux.

– À Golymine. C’est précisément pour cela que j’y tiens. Ce Polonais a été un personnage très extraordinaire, et ses reliques sont précieuses.

– Vous ne parlez pas sérieusement, et j’espère que vous consentirez à me céder cette pelisse… au prix qu’il vous plaira.

Le capitaine regarda Simancas d’un tel air que ce guerrier d’outre-mer baissa les yeux.

– Vous êtes le plus impudent coquin que j’aie rencontré de ma vie, lui dit-il tranquillement. Vous mériteriez que je vous fasse arrêter, séance tenante. On nous mènerait tous les deux chez le commissaire de police. Je ferais prévenir M.  Roger Darcy, juge d’instruction. Il viendrait, et il procèderait sans retard à l’inventaire des papiers que votre digne camarade a cachés dans son pardessus.

– Des papiers! vous vous trompez, monsieur. Quels papiers?

– C’est ce que je saurai dans une demi-heure. En attendant, je veux bien ne pas rompre la trêve que je vous ai accordée sur le boulevard, quand vous couriez si vite. Partez donc, mais que je ne vous revoie plus et que je n’entende plus parler de vous. Si vous aviez l’audace de vous présenter chez madame de Barancos, je ne garderais aucun ménagement avec vous.

Simancas aurait volontiers insisté, mais il vit que Saint-Galmier lui faisait des signes de détresse, et il se décida fort à contrecœur à se replier sur le petit corps de réserve que formaient, à l’autre bout du corridor, le docteur et son nègre.

Nointel, sans plus s’occuper d’eux, gagna la porte qui donne sur la rue Drouot. Là, il fut obligé d’attendre qu’un fiacre passât, car il ne se souciait pas de circuler avec la pelisse du Polonais sur le bras, et pour rien au monde, il ne l’eût endossée.

– Si je la mettais, pensait-il en souriant, il me semblerait que j’entre dans la peau de Golymine. C’est égal, je dois faire une singulière figure, et si la marquise me voyait, elle me trouverait souverainement ridicule. J’ai l’air d’un marchand d’habits.

Le fiacre ne se fit pas trop attendre, et il y monta avec empressement. Il avait d’abord pensé à aller chez Gaston pour lui montrer le trophée qu’il rapportait et pour l’examiner avec lui; mais il n’était pas certain de rencontrer son ami, et il ne voulait pas perdre de temps. Il dit donc au cocher de le mener rue d’Anjou, et, pendant le trajet, pour distraire son impatience, il se mit à chercher l’explication des derniers agissements de Simancas.

Ce gredin, chassé par la marquise, avait dû songer à se retourner d’un autre côté. Évidemment, il savait fort bien que Julia d’Orcival avait été tuée par une autre maîtresse de Golymine, une femme dont il ignorait le nom et qu’il aurait bien voulu exploiter, maintenant qu’il ne pouvait plus rien tirer de madame de Barancos. Il savait aussi que le Polonais avait emmagasiné dans sa pelisse des papiers importants, parmi lesquels pouvaient se trouver quelques échantillons de la correspondance de ces dames. Il savait que cette pelisse avait été saisie, comme toute la défroque de Golymine, à la requête des nombreux créanciers que laissait cet aventurier. Il savait qu’elle serait vendue par autorité de justice, et il s’était arrangé de façon à être informé du jour de la vente. Ce jour s’étant trouvé coïncider avec son retour de Sandouville, il avait à peine pris le temps de rentrer chez lui pour changer de costume et courir ensuite à l’hôtel Drouot. Saint-Galmier l’y avait accompagné, mais ils s’étaient séparés pour ne pas attirer l’attention, au cas où ils rencontreraient des gens de leur connaissance. Le docteur était allé flâner au premier étage pendant que le général prenait position au rez-de-chaussée.

Pourquoi le docteur était-il venu tout à coup rejoindre le général? Quelle nouvelle lui apportait son nègre? Nointel conjectura qu’un incident imprévu les forçait à changer leurs plans, qu’ils se sentaient menacés par quelqu’un, et qu’ils avaient éprouvé le besoin de se réunir en toute hâte pour aviser ensemble à rétablir leur situation compromise. Et le capitaine en conclut qu’il n’y avait plus à se préoccuper d’eux. Il espérait d’ailleurs que, dans le vêtement fourré qu’il tenait sur ses genoux, il allait trouver des armes contre ces deux drôles.

Le groom, qu’il avait amnistié, était à son poste et déployait un zèle inaccoutumé pour effacer le souvenir de son escapade. Il arriva au premier coup de sonnette, et il ouvrit de grands yeux en voyant son maître traîner une immense houppelande qui avait l’air de sortir du magasin de costumes d’un théâtre de drame. Mais son étonnement devint de la stupéfaction, quand il entendit le capitaine lui dire:

– Apporte-moi une paire de ciseaux et laisse-moi. Je n’y suis pour personne, excepté pour M.  Darcy.

Deux minutes après, Nointel, enfermé dans son cabinet, étalait la pelisse sur sa table à écrire et commençait un petit travail dont un tailleur se serait beaucoup mieux acquitté que lui. Il retourna les poches, il tâta la doublure, et cette inspection préalable acheva de le convaincre que le secret, s’il y en avait un, était caché dans le collet, un collet assez vaste pour qu’on y pût loger des archives. Il se mit alors à le découdre avec précaution, et ses peines ne furent pas perdues.

Il en tira d’abord une liasse de papiers assez sales qu’il examina rapidement. Quelques-uns étaient écrits en espagnol, et le capitaine connaissait assez la langue du Cid pour comprendre ce qu’ils disaient. Il lut avec un vif plaisir deux extraits de jugements rendus par le tribunal de Lima, des jugements qui condamnaient aux galères un certain José Simancas, déserteur de l’armée péruvienne et voleur de grand chemin. Il y avait aussi un fragment d’un journal publié à Québec, un journal qui rendait compte d’un procès en escroquerie intenté au nommé Cochard, dit Saint-Galmier, et la peine prononcée contre ledit Cochard était de neuf mois de prison. Cela suffisait pour établir les antécédents de ces deux honorables personnages, mais ce n’était pas tout. Nointel trouva encore des lettres, portant le timbre de la poste de Paris et signées simplement José, des lettres où don Simancas renseignait le comte Golymine sur les habitudes nocturnes de quelques membres de son cercle, gros joueurs, rentrant chez eux fort tard et portant presque toujours sur eux de fortes sommes. Darcy, Prébord et bien d’autres étaient nominativement désignés. Nointel connaissait l’écriture de Simancas, et il possédait une pièce de comparaison: le billet que ce chenapan lui avait écrit pour l’engager à ne plus revenir chez la marquise. Nointel était donc d’ores et déjà en mesure de prouver que Simancas avait dirigé les opérations des routiers parisiens qui, depuis plusieurs mois, détroussaient les gens dans les rues.