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Le crime de l'Opéra 2

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Mais il était écrit que ses méditations seraient troublées dès le début. À peine commençait-il à repasser dans sa tête les incidents de la soirée qu’on frappa discrètement à la porte. L’imagination du capitaine fit aussitôt des siennes, et il lui passa par l’esprit que madame de Barancos venait lui faire une visite. L’excentricité était à l’ordre du jour chez cette marquise, et il pouvait bien supposer qu’il lui avait pris la fantaisie de sauter à pieds joints par-dessus les convenances. Il se leva vivement, il courut ouvrir, et, au lieu du charmant visage de la châtelaine, il vit la figure déplaisante de Simancas.

– Que me voulez-vous? demanda-t-il brusquement au Péruvien qui se permettait de le relancer jusque chez lui.

– J’ai à vous parler de choses très sérieuses, répondit Simancas, sans se déconcerter, et je vous prie de m’accorder la faveur d’un entretien. Je sais que vous ne recherchez pas ma compagnie, mais je suis certain que, cette fois, vous ne regretterez pas d’avoir entendu ce que j’ai à vous dire.

Nointel hésita un instant, mais il se dit qu’il lui faudrait tôt ou tard s’expliquer définitivement avec ce drôle, et que mieux valait en finir tout de suite.

– Soit! dit-il, entrez. Je veux bien vous écouter, à condition que vous serez bref et surtout que vous irez droit au but. Je ne suis pas disposé à vous recevoir pour le plaisir de causer avec votre seigneurie.

– N’ayez crainte. J’ai beaucoup voyagé en Amérique, et je sais que le temps est de l’argent: time is money. Je me propose de monnayer les instants que vous consentez à m’accorder.

Sur cette promesse, Simancas se glissa dans la chambre, prit un siège que ne lui offrait pas le capitaine qui s’était replongé dans son fauteuil, et commença en ces termes:

– Vous souvient-il, monsieur, de certaine conversation que nous eûmes, il y a peu de jours, chez mon ami Saint-Galmier?

– Parfaitement, répondit Nointel assez surpris de ce début.

– Je ne l’ai pas oubliée non plus, et je vous demande la permission de vous rappeler qu’à la fin de cette causerie, il vous plut de me poser certaines conditions que je m’empressai d’accepter. Je vous fournis, séance tenante, tous les renseignements que vous me demandiez sur la conduite de madame Crozon, pendant la longue absence de son mari; je m’engageai de plus à m’abstenir de toute démarche auprès de M.  Crozon…

– Démarche est charmant, dit ironiquement le capitaine.

– Enfin, continua sans sourciller le Péruvien, je promis que vous seriez invité à bref délai chez madame de Barancos. Vous reconnaissez, je pense, que j’ai tenu tous mes engagements. M.  Crozon n’a plus reçu une seule lettre anonyme, et, au lieu d’une invitation, vous en avez reçu deux.

– Reste à savoir si c’est à vous que je les dois. Mais je ne chicanerai pas sur ce point. Où voulez-vous en venir?

– À vous dire que notre premier traité ayant été fidèlement exécuté de part et d’autre, je viens vous proposer d’en conclure un second.

– Je ne comprends pas.

– Vous allez comprendre; je vais jouer cartes sur table. L’heure des réticences est passée. Vous connaissez mes projets, et je ne serais qu’un sot, si je cherchais à vous les cacher, car vous ne prendriez pas le change. Vous savez très bien que je me suis implanté de force, ou peu s’en faut, chez la marquise, et que, par le même procédé, j’ai introduit avec moi, dans la maison, ce cher docteur. Vous savez cela, et vous êtes trop intelligent pour n’avoir pas deviné que, si j’ai obtenu mes deux concessions, c’est que je possède un secret qu’il me suffirait de divulguer pour perdre la marquise dans l’opinion publique. Je suis franc, vous le voyez.

– Franc jusqu’au cynisme. Continuez.

– Ce secret, Saint-Galmier et moi, nous sommes seuls à le connaître, et il peut faire notre fortune. La marquise possède beaucoup de millions, et elle en donnerait volontiers deux ou trois pour acheter notre silence. Nous ne les lui avons pas encore demandés, parce que nous tenions avant tout à sa protection. Je ne me dissimule pas que nous avions besoin de nous relever aux yeux du monde. C’est fait. On nous a vus à sa fête; elle s’est montrée avec moi au bois de Boulogne; tout Paris saura que nous venons de passer quelques jours à son château de Sandouville. Elle ne peut plus rompre avec nous sans provoquer un éclat qu’elle évitera certainement. Bientôt donc, nous serons en mesure d’aborder la grande question de la rémunération qui nous est due. En échange d’une somme qui nous fera riches et qui ne l’appauvrira guère, nous lui offrirons des garanties; nous nous engagerons même, si elle l’exige, à repasser l’Océan, quoiqu’il nous en coûte de quitter la France. Et elle acceptera le marché, n’en doutez pas.

– Fort bien. Dans quel but, s’il vous plaît, m’exposez-vous ce joli plan de chantage?

– Mon Dieu, c’est très simple. Notre plan a les plus grandes chances de succès, mais vous pouvez empêcher qu’il réussisse.

– Vraiment? Eh bien, vous m’étonnez.

– Votre étonnement cessera si vous voulez bien m’écouter. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la marquise a pour vous un goût très vif. Elle ne se donne même plus la peine de déguiser ses sentiments, et parmi tous ses hôtes, il n’en est pas un seul qui ne croie que vous êtes ou que vous serez son amant. C’est aussi mon humble avis, seulement je suppose que vous visez plus haut.

– Ah! alors, selon vous, je me propose…

– D’épouser madame de Barancos, cela ne me paraît pas douteux, et je trouve que vous avez cent fois raison. Je pense même que vous parviendrez à l’épouser, si vous vous y prenez bien. Or, si elle vous accepte pour mari, il arrivera infailliblement que vous exigerez qu’elle nous mette à la porte, mon ami et moi.

– J’admire votre perspicacité.

– Dites plutôt ma franchise. Vous commencerez donc par demander qu’on nous chasse, et j’avoue que vis-à-vis de vous, nous sommes sans défense; vous avez barre sur nous, et vous pouvez nous faire beaucoup de mal; mais si madame de Barancos, entraînée par la passion que vous lui inspirez, oublie qu’elle est à notre merci, si elle rompt avec nous, alors, je dois vous en prévenir, il arrivera que, n’ayant plus de ménagements à garder, nous publierons ce que nous savons d’elle, et je vous affirme qu’une fois le secret publié, vous renoncerez de vous-même à épouser les millions de la marquise.

– Dans ce cas, moi aussi je n’aurai plus de ménagements à garder, et je raconterai à qui de droit ce que je sais sur votre compte.

– Naturellement. Et la rupture de notre traité aura de déplorables résultats. Nous serons obligés, Saint-Galmier et moi, de passer la frontière, votre mariage manquera, et Dieu sait ce qu’il adviendra de la marquise. Ne vaudrait-il pas mieux nous entendre?

Nointel tressaillit de colère, et peu s’en fallut qu’il ne se levât pour jeter dehors le drôle qui lui tenait ce langage. Mais il réfléchit presque aussitôt qu’il serait toujours temps d’en venir là, et que l’occasion était bonne pour amener Simancas à démasquer complètement son jeu.

– Nous entendre? dit-il avec hauteur. Pourquoi? Je n’ai nul besoin de vous.

– Peut-être, répondit le Péruvien. Supposez, par exemple, que madame de Barancos n’ait pour vous qu’une fantaisie, et qu’elle ne soit pas disposée à se donner un maître. Le veuvage a des charmes qu’elle apprécie infiniment, et rien ne prouve qu’elle songe à y renoncer. Il est même probable qu’elle préfère rester libre. Si elle a cette idée, comment l’amènerez-vous à vous épouser? Je connais son caractère, et vous avez déjà pu l’apprécier aussi. Elle vous démontrera que vous serez parfaitement heureux sans aliéner votre indépendance, que le mariage tue l’amour et bien d’autres choses encore. Que lui objecterez-vous? Dire que vous voulez absolument être son mari, ce serait confesser que vous tenez plus à sa fortune qu’à sa personne. Tandis que si vous possédiez, comme moi, son secret…

– Et si je la menaçais d’en abuser, elle n’aurait rien à me refuser. C’est juste. Mais, j’y pense, pourquoi n’usez-vous pas de ce talisman pour la contraindre à vous épouser, vous, don José Simancas, général au service de la République péruvienne?

– Vous vous moquez de moi. Je sais fort bien que madame de Barancos braverait tous les dangers plutôt que de m’accepter pour époux. Vous, c’est autre chose. Vous n’avez qu’à vouloir pour la décider, si vous savez vous servir de l’arme que je suis prêt à vous fournir… à des conditions très acceptables.

– Voyons les conditions.

– Je vous livrerai le secret de la marquise contre votre parole de me faire remettre dans le délai d’un mois après la célébration de votre mariage la somme de deux millions, et je m’engagerai, moi, par écrit, à retourner en Amérique avec Saint-Galmier aussitôt que j’aurais touché, et à ne plus remettre les pieds en Europe. Si nous nous avisions d’y revenir, vous auriez toujours une garantie contre nous, puisque vous pourriez nous dénoncer à… à qui de droit, comme vous venez de le dire poliment. Voilà tout, monsieur. J’attends, pour me retirer, que vous veuillez bien me répondre.

Le capitaine étouffait d’indignation, et il avait eu bien de la peine à se contenir pendant que Simancas développait cette insultante proposition. Mais son esprit était resté lucide comme toujours, et il commençait à se demander s’il ne ferait pas bien, dans l’intérêt même de la malheureuse marquise, d’arracher à ce coquin une confidence sans réserve. Si le Péruvien et son complice avaient vu la marquise frapper Julia d’Orcival, il ne tenait qu’à eux de la perdre, et de sauver, par ricochet, mademoiselle Lestérel. Nointel ne demandait pas mieux que de sauver Berthe, mais il lui répugnait horriblement de perdre madame de Barancos. Ne valait-il pas mieux l’avertir, la presser de fuir? Ne valait-il pas mieux aussi savoir à quoi s’en tenir avant de pousser plus loin une liaison dangereuse?

 

– Oui, se disait-il, il faut que j’aie le courage de laisser croire à ce misérable que j’accepterai l’odieux marché qu’il ose me proposer. Et s’il m’apprend qu’il a été témoin du meurtre, je dirai demain à la marquise que je lui accorderai le temps de quitter la France, de disparaître pour toujours, si elle consent à écrire une lettre qui contiendra l’aveu de son crime et que je remettrai au juge d’instruction un mois après son départ. Mademoiselle Lestérel est déjà en liberté; elle peut bien attendre un mois que l’aveu de la coupable proclame son innocence.

En raisonnant ainsi, Nointel cédait au sentiment qui l’entraînait vers madame de Barancos, et en vérité il était assez excusable de vouloir épargner la cour d’assises à une femme qu’il aurait adorée si elle n’eût pas été criminelle.

– Avant de vous répondre, dit-il brusquement, je veux savoir ce que vaut ce secret, dont vous faites sonner si haut l’importance. S’il s’agissait par exemple d’une liaison qu’aurait eue la marquise, vous ne m’apprendriez rien en me la révélant. Je n’ignore pas qu’elle a été la maîtresse de ce Golymine qui fut votre complice.

Simancas changea de couleur. Il ne s’attendait pas à cette botte. Mais il répondit sans trop hésiter:

– Il s’agit d’une révélation beaucoup plus grave.

Nointel avait été merveilleusement servi par son instinct en jetant le nom de Golymine à la face du Péruvien, qui se promettait de ne livrer qu’une partie de son secret. Ce calcul assez machiavélique se trouvait déjoué du premier coup, et Simancas était mis en demeure d’aller plus loin dans la voie des confidences.

Encouragé par un premier succès, le capitaine le poussa vigoureusement.

– Vous convenez donc, dit-il, que Golymine a été l’amant de la marquise?

– Oui, répondit le Péruvien; mais il n’y a que moi et Saint-Galmier qui le sachions.

– Vous vous trompez. D’autres le savent; moi, par exemple. Si tous vos secrets ressemblent à celui-là, ils n’ont aucune valeur, et madame de Barancos serait bien folle d’acheter votre silence au prix où vous prétendez le lui vendre.

– Il me semble pourtant qui si on la menaçait de publier les lettres qu’elle a écrites au comte…

– Elle irait tout simplement trouver le procureur de la République: elle lui dirait que vous voulez la faire chanter, elle se mettrait sous sa protection, et le moins qui pourrait vous arriver, ce serait d’être expulsé de France. J’ajoute que si je me décidais à conclure le marché, j’y mettrais pour première condition que ces lettres me soient remises.

– Cela ne souffrirait aucune difficulté.

– Vous les avez donc toutes?

– J’en ai une; cela suffit.

– Où sont les autres?

– Je l’ignore, répondit Simancas, non sans avoir hésité quelque peu.

– Vous l’ignorez? Voulez-vous que je vous l’apprenne? Je suis très bien informé, je vous en préviens; si bien informé que j’ai deviné le secret que vous croyez posséder seul, le grand secret qui met la marquise à votre discrétion.

– Vous me permettrez d’en douter; si vous l’aviez deviné, vous auriez déjà coupé court à notre entretien.

– Pourquoi donc? Votre conversation m’intéresse beaucoup. Il se peut d’ailleurs que j’aie deviné de quoi il s’agit, et qu’il me reste cependant beaucoup d’explications et de renseignements à vous demander. Tenez! je vais vous mettre sur la voie. La nuit où la d’Orcival a été assassinée au bal de l’Opéra, vous occupiez avec votre ami Saint-Galmier une loge qui touchait à celle où le crime a été commis.

À ce nouveau coup, Simancas perdit tout à fait contenance.

– Sans doute, balbutia-t-il, j’étais là… mais quel rapport voyez-vous entre cette circonstance et le secret?

– Je vais vous le dire. On a accusé de ce crime une jeune fille dont l’innocence vient d’être reconnue. Elle a dû être mise avant-hier en liberté provisoire, et l’ordonnance de non-lieu ne se fera pas attendre. Cependant, la d’Orcival a été tuée par quelqu’un… par une femme évidemment, puisqu’il est prouvé qu’elle n’a reçu dans sa loge que des femmes. Or… suivez bien mon raisonnement, je vous prie… la d’Orcival avait été la maîtresse de votre ami Golymine, lequel avait été, vous venez de me le dire, l’amant de madame de Barancos. Ce Golymine s’est pendu chez Julia peu de jours avant la nuit du bal. Il avait des lettres de la marquise. Vous en possédez une, à ce qu’il paraît. Il est assez naturel de supposer que les autres sont tombées entre les mains de la d’Orcival, soit que le Polonais les lui ait confiées, soit qu’elle les ait trouvées sur lui après sa mort. Il est tout aussi naturel de penser que madame de Barancos, avertie de cet incident… vous me suivez toujours, n’est-ce pas?… de penser, dis-je, qu’elle a tout risqué pour les reprendre. Maintenant, je vous laisse le soin de conclure.

– Permettez!… tout cela ne prouve pas…

– Que j’aie deviné votre secret. En effet, je ne l’ai pas deviné. C’est vous qui venez de me le livrer.

– Comment cela?

– Eh! Pardieu! en m’avouant que vous teniez la preuve d’une correspondance entre la marquise et votre canaille d’ami. Avec ce point de départ que vous m’avez fourni, je n’ai pas eu de peine à découvrir que la marquise avait un gros intérêt à se débarrasser de la d’Orcival; et que vous saviez, pour l’avoir vu, qu’elle s’en est débarrassée en effet.

Et comme Simancas, tout interloqué, se taisait et s’agitait sur son fauteuil, le capitaine reprit en le regardant fixement:

– Vous voyez que je suis aussi fort que vous et que je pourrais me passer de vos révélations. Allons! convenez que j’ai touché juste.

– J’aurais beau en convenir, cela ne vous mettrait pas en mesure de tirer parti de mon secret. Des conjectures ne sont pas des faits.

– Et vous seul avez été témoin du fait capital, vous et votre acolyte, Saint-Galmier. D’accord. Cependant, j’ai vu aussi quelque chose, et je n’ai aucun motif pour ne pas vous dire ce que j’ai vu, car je ne cherche pas à trafiquer des informations que je possède. J’ai vu madame de Barancos entrer au bal de l’Opéra. Je l’ai parfaitement reconnue, malgré son voile de dentelles. Je lui ai parlé, je lui ai donné le bras pour la protéger contre des impertinents qui la serraient de trop près, et je l’ai quittée à l’entrée du couloir des premières, à cinquante pas de la loge n°  27, celle où Julia a été assassinée. Je n’en sais pas plus long, mais c’est bien suffisant, et si je voulais aller raconter mon aventure au juge d’instruction, en le priant de s’adresser à vous pour les renseignements complémentaires…

– Vous ne ferez pas cela! s’écria le Péruvien.

– Non, si vous me donnez ces renseignements. Et, en vérité, vous auriez grand tort de me les refuser, au point où nous en sommes.

– Mais, en admettant que je les possède, vous engageriez-vous, si je vous les livrais…

– Je ne m’engagerais à rien; il ne me convient pas de m’engager, puisque vous êtes d’ores et déjà à ma discrétion, tandis que je ne serai jamais à la vôtre. Mais vous devez comprendre que je ne tiens pas à vous écraser, et que vous avez tout intérêt à marcher d’accord avec moi.

– Soit! dit Simancas, poussé dans ses derniers retranchements. Je m’en rapporte à votre conscience. Quand je vous aurai appris ce que je sais, vous évaluerez vous-même le prix que vaut mon silence. D’ailleurs, je sais à qui j’ai affaire, et je suis certain que je n’aurai pas à me repentir de m’être fié à vous. Apprenez donc que nous avons, non pas vu, mais entendu tout ce qui s’est passé dans la loge. J’ai reconnu la voix de la marquise, et, de plus, Julia, pendant la discussion qui s’est engagée entre elles, l’a plusieurs fois appelée par son nom. Elle a été vive, cette discussion, et il s’agissait des lettres adressées par madame de Barancos au comte. Nous ne distinguions pas toutes les paroles, mais nous pouvions cependant suivre à peu près la conversation. Enfin, les lettres ont été restituées, et la marquise est sortie de la loge…

– Comment! c’est tout?

– Elle est sortie, mais elle est rentrée une minute après. Elle s’était ravisée sans doute. Elle s’était dit que la d’Orcival avait pu garder une lettre, et qu’il serait prudent de l’empêcher à tout jamais de parler. Alors la scène a été très courte. Madame d’Orcival a dit: Quoi! madame, c’est encore vous! La marquise, au lieu de répondre, a frappé avec ce poignard-éventail que l’autre tenait probablement sur ses genoux… il en avait été question pendant le premier colloque. Nous avons entendu un cri étouffé, deux ou trois gémissements, puis rien que le bruit de la porte, ouverte et refermée rapidement. La marquise s’était enfuie, et l’ouvreuse ne s’était aperçue de rien. J’avais à peu près compris ce qui avait dû se passer. J’ai regardé par-dessus la séparation, et je n’ai rien vu. Le coup avait été fait dans le petit salon qui est au fond de la loge. Alors, nous sommes partis…

– Sans vous inquiéter de la malheureuse Julia qui expirait derrière la cloison. Mes compliments bien sincères! Vous êtes très fort. Un autre aurait crié: Au meurtre! Vous et votre digne ami le docteur, vous êtes sortis tranquillement, et vous avez conçu aussitôt l’ingénieux projet d’exploiter madame de Barancos.

– À quoi bon la dénoncer? dit cyniquement le Péruvien. En la livrant à la justice, nous aurions causé un gros scandale, et nous n’aurions pas ressuscité madame d’Orcival.

– C’est juste. Il est vrai qu’on a accusé une innocente, qu’on l’a jetée en prison, et qu’elle aurait probablement été condamnée, si, par un hasard extraordinaire, son innocence n’eût pas été démontrée. Mais c’est là un détail insignifiant. Je reviens à votre découverte. Vous vous êtes, je suppose, présenté chez la marquise dès le lendemain!

– Mon Dieu, oui. En pareil cas, on ne saurait agir trop tôt.

– Et comment a-t-elle accueilli vos ouvertures?

– Assez mal, je dois le dire. J’avais pourtant procédé avec infiniment de délicatesse. Au lieu d’employer de gros mots, de parler de crime, d’assassinat, de cour d’assises, j’ai tout bonnement prévenu madame de Barancos que je l’avais reconnue dans la loge 27, que j’avais entendu le bruit de la querelle qui s’était engagée entre elle et la d’Orcival; enfin, qu’ayant été très lié autrefois avec Golymine, je connaissais la cause de cette querelle. Elle a compris bientôt que je savais tout, et elle est venue d’elle-même à composition.

– Alors vous avez posé vos conditions?

– Oh! pas toutes. Je ne voulais pas l’effrayer. J’ai demandé seulement à être admis chez elle, ainsi que ce cher Saint-Galmier, et j’ai obtenu sans difficulté nos grandes entrées. Nous en sommes là, et le moment est venu de frapper un grand coup, car je sens que le terrain sur lequel nous marchons n’est pas très solide. La marquise nous supporte impatiemment, et elle voudrait bien reconquérir son indépendance. Je la soupçonne même de méditer une fugue… un brusque départ pour les Antilles ou pour les grandes Indes. Cette fuite dérangerait fort nos projets et les vôtres, et nous voulons l’empêcher. Pour ce faire, il n’y a qu’un moyen, c’est de lui dire nettement ce que je lui ai seulement laissé entendre, c’est de lui déclarer que nous avons été témoins du meurtre et de lui donner le choix entre une arrestation immédiate ou le paiement, immédiat aussi, de deux malheureux millions… une bagatelle, pour une femme qui en a huit ou dix. Et c’est la nécessité où nous nous trouvons d’en finir qui m’a décidé à vous proposer d’agir de concert avec nous. L’union fait la force. Si vous consentez à nous prêter votre concours, nous réussirons sans aucun doute; si nous nous divisons, tout peut manquer.

»Pourquoi ne vous chargeriez-vous pas de porter la parole, de lancer à la dame cette déclaration qui doit nous assurer la victoire? Vous aurez demain une foule d’occasions de causer seul à seul avec la marquise. Pourquoi n’en profiteriez-vous pas pour poser un ultimatum… une bonne demande en mariage, habilement amenée après une conversation où il aurait été question du crime de l’Opéra, de Golymine et de votre serviteur… peut-être n’auriez-vous pas besoin de mettre les points sur les i… Madame de Barancos est femme à entendre à demi-mot et à conclure, séance tenante, car son goût s’accorde avec son intérêt pour vous épouser… et nous nous en rapporterions parfaitement à vous pour le reste, car nous serions bien sûrs qu’une fois marié, vous ne voudriez pas que votre femme restât sous la menace d’une dénonciation, et vous vous empresseriez de vous débarrasser de nous en payant le prix convenu.

– Est-ce tout? dit froidement le capitaine.

– Oui. Vous acceptez?

– Je demande vingt-quatre heures de réflexion.

– Alors, demain soir…

– Demain soir, je vous ferai connaître ma réponse. Et je compte que d’ici là vous vous abstiendrez d’agir et de parler. C’est une condition sine qua non. Si vous ne l’observiez pas, j’userais sans pitié des armes que j’ai contre vous. Vous pourriez dénoncer madame de Barancos, mais je vous jure que je prendrais les devants, et que j’irais trouver M.  Darcy, juge d’instruction, pour lui raconter le dialogue édifiant que j’ai entendu à la porte du cabinet de votre ami Saint-Galmier.

 

– Vous n’aurez pas cette peine, dit avec vivacité le Péruvien. Le docteur et moi nous observerons jusqu’à demain soir la neutralité la plus complète. Nous ne dirons pas un mot à la marquise, et nous ne paraîtrons même pas à la chasse.

– C’est bien. Maintenant, veuillez me laisser seul, conclut Nointel en se levant.

Simancas n’osa pas essayer de prolonger l’entretien. Il ne se dissimulait pas qu’il s’en allait battu, et que le capitaine, qui possédait maintenant le grand secret, n’avait rien promis. Mais ce Péruvien jugeait les autres d’après lui-même, et il faisait fonds sur les intentions qu’il prêtait à Nointel, à l’endroit de la marquise, pour espérer que tout s’arrangerait au mieux de leurs intérêts réciproques.

– Il y viendra, se dit-il en regagnant tout doucement le hall, et s’il n’y vient pas… mal lui en prendra… j’aurai recours au grands moyens… et je vais prendre mes précautions à tout événement.

Pendant que le drôle s’éloignait sur la pointe du pied, Nointel arpentait à grands pas ce petit salon où il s’était flatté de passer une soirée si tranquille, et donnait des signes non équivoques d’une violente agitation.

– Je n’en puis plus douter, disait-il entre ses dents, c’est elle qui a tué Julia, et, si je n’y mets ordre, ces gredins vont la rançonner d’abord et la dénoncer ensuite, car ils ne se contenteront pas de deux millions. Ils voudront tout, elle refusera, et alors… alors elle est perdue. Et moi qui allais l’aimer!… je ne suis même pas très sûr de ne pas l’aimer déjà. Je voudrais bien savoir ce que ferait Gaston s’il était à ma place… mais je ne le consulterai pas… qu’il sauve mademoiselle Lestérel, j’en serai ravi… et je l’aiderai de tout mon cœur à la sauver… mais demain matin, sans plus tarder, j’avertirai la marquise.

»Je ne veux pas qu’elle aille aux galères.