Za darmo

Le crime de l'Opéra 2

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– Ainsi, dit mademoiselle Lestérel, très émue, M.  Darcy admet maintenant qu’il ne me serait pas impossible de me justifier.

– Il l’admet si bien qu’il n’attend qu’un mot de vous pour prendre une mesure définitive, un mot qui explique l’emploi de votre temps, pendant cette fatale nuit. Ce mot qu’il vous en coûte tant de prononcer devant lui, dites-le-moi, Berthe, confiez-moi tout, et je vous jure encore une fois que, sans livrer votre secret, je persuaderai M.  Darcy.

– Me jurez-vous aussi qu’un autre… que personne au monde ne saura ce que je vous révèlerai?

– Je vous le jure. Ni M.  Roger Darcy, ni M.  Gaston Darcy n’obtiendront de moi la plus petite confidence. Je ne vous trahirai pas… pas plus que vous ne me trahiriez si j’avais une faute à me reprocher et si je vous avouais cette faute.

Mademoiselle Lestérel hésitait, et ce fut d’une voix entrecoupée qu’elle répondit:

– Je voudrais parler. Je n’en ai pas la force.

Madame Cambry lui prit les mains, les serra dans les siennes, et lui dit doucement:

– Voulez-vous que je vous pose des questions, pour vous épargner l’embarras d’un récit long et pénible?

– Oui, balbutia la jeune fille, ce sera mieux ainsi; si vous ne m’interrogez pas, je ne pourrai pas rassembler mes souvenirs.

– Je commence donc, reprit la compatissante veuve. Cette femme vous avait écrit, n’est-ce pas? On a trouvé ici un fragment du billet qu’elle vous a adressé.

– C’est vrai… elle m’a écrit.

– Quelques jours avant le bal… un mardi?

– Je crois que oui.

– Par la poste?

– Non, c’est sa femme de chambre qui m’a apporté le billet.

– En effet, elle l’a déclaré et elle a ajouté qu’après l’avoir lu, vous aviez répondu: Dites que j’irai.

– C’est exact.

– Et sa maîtresse vous donnait rendez-vous à deux heures et demie. On a trouvé cette indication sur le morceau de papier qui a échappé au feu où vous l’aviez jeté.

– Oui… mais…

– Il s’agissait de lettres que cette femme avait en sa possession et qu’elle vous proposait de vous rendre.

– Qui vous fait croire cela? demanda Berthe avec agitation.

– Je l’ai deviné. Une jeune fille pure et fière n’aurait pas consenti à s’aboucher avec une femme galante, s’il ne s’était agi de sauver l’honneur d’une personne qui lui était chère. Je n’ai jamais pensé et je n’admettrai jamais que les lettres fussent de vous. M.  Darcy a pu le supposer, parce qu’il lui semblait étrange que, pour une négociation de ce genre, on se fût adressé à un intermédiaire. Mais celle qui les a écrites était sans doute hors d’état d’aller les chercher.

»Oh! je ne vous demande pas de qui elles sont, dit vivement madame Cambry pour répondre à un geste de Berthe. Il me suffit de savoir que, si vous êtes allée au bal, c’était, comme je l’ai toujours cru, pour accomplir un acte de dévouement. Et vous y êtes allée, n’est-il pas vrai?

Mademoiselle Lestérel fit un signe affirmatif.

– En sortant de chez moi?

– Oui.

– Vers minuit, alors. Mais vous n’étiez pas habillée pour le bal masqué?

– J’avais une robe noire. Le domino et le loup que j’avais achetés étaient dans le fiacre qui m’avait amenée et qui m’attendait à la porte de votre hôtel.

– Et vous les avez mis pendant le trajet. Le rendez-vous était fixé à deux heures et demie. Vous n’êtes donc pas allée directement à l’Opéra?

– Si. Un incident était survenu au dernier moment, un incident qui m’obligeait à passer une partie de la nuit dans un quartier éloigné, répondit Berthe d’une voix défaillante. Il s’agissait de sauver l’honneur… la vie de la même personne…

– Celle que les lettres compromettaient?

– Oui.

– Alors, cette femme qui s’est présentée de la part de votre sœur malade…

– Venait m’annoncer qu’un grand danger menaçait la personne, et que je n’avais pas une minute à perdre pour y parer. Je le prévoyais depuis quelques jours, ce danger, et j’avais donné des instructions pour qu’on pût m’avertir à tout instant, s’il devenait imminent. Je ne m’absentais jamais sans dire où j’allais.

– Cela m’explique très bien pourquoi on est venu vous chercher chez moi, mais… pardonnez-moi d’insister… cela ne m’explique pas ce que vous avez fait après m’avoir quittée…

– Vous allez le comprendre, madame. Le péril était partout. Je voulais rapporter les lettres que madame d’Orcival me menaçait d’envoyer, si je ne venais pas les chercher, à…

– À un ennemi… peu importe son nom… à un ennemi de l’amie que vous cherchiez à sauver.

– Et je voulais aussi courir… là où on m’appelait et où ma présence allait être nécessaire pendant plusieurs heures. Alors j’ai pensé que mon entretien avec madame d’Orcival serait très court, qu’elle arriverait peut-être dans sa loge, dès le commencement du bal, que, si je l’y rencontrais, je pourrais reprendre les lettres et aller ensuite…

– Où vous êtes allée, interrompit madame Cambry, qui semblait s’efforcer délicatement d’épargner à Berthe des aveux inutiles à sa défense et embarrassants, puisqu’ils auraient mis en cause une autre femme. Voulez-vous me permettre maintenant de vous demander à quel moment vous êtes entrée dans la salle?

– À minuit et demi, je crois.

– Vous êtes allée tout droit à la loge de cette d’Orcival. Vous l’y avez trouvée seule?

– Oui.

– Elle ne vous a pas reproché d’avoir devancé l’heure du rendez-vous?

– Si, d’abord. Elle m’a même dit de dures paroles… elle m’a fait cruellement sentir qu’elle tenait entre ses mains l’honneur de… d’une de mes amies. Puis elle s’est radoucie. Elle m’a rendu les lettres, et elle m’a pressée de partir, parce qu’elle attendait une autre personne.

– Elle vous a dit cela! Vous en êtes sûre!

– Très sûre, madame, et c’était la vérité, car j’ai bien vu qu’il lui tardait de me renvoyer.

– Mais cette personne… elle ne vous l’a pas nommée… elle ne vous a pas dit pourquoi elle allait venir?

– Non, répondit Berthe, un peu surprise de l’insistance que mettait madame Cambry à l’interroger sur ce point.

– Comprenez le but de mes questions, reprit la veuve; s’il était prouvé qu’une femme est venue après vous dans la loge, et on le prouvera certainement, on ne pourrait plus douter que le meurtre eût été commis par cette femme. En sortant, vous ne l’avez pas rencontrée… à la porte de la loge?

– Non, madame, je n’ai remarqué personne; j’avais hâte de partir. Je me suis précipitée hors de la salle, j’ai pris une voiture, et je me suis fait conduire…

– À l’autre bout de Paris. Et, en route, vous vous êtes débarrassée de votre domino et de votre loup, vous les avez jetés par la portière du fiacre…

– Oui; je ne voulais pas conserver chez moi ces preuves de ma visite à madame d’Orcival, au bal masqué.

– Il est fort heureux que vous ayez eu cette idée. On les a ramassés avant trois heures… donc vous n’étiez plus à l’Opéra lorsque… car vous n’y êtes pas retournée, n’est-ce pas?

– Qu’y serais-je allée faire? J’avais les lettres.

– Et vous les avez brûlées, en rentrant chez vous, vers quatre heures.

– Oui.

Madame Cambry avait écouté les réponses de Berthe avec une attention émue, et elle les jugea si satisfaisantes qu’elle embrassa la jeune fille sur les deux joues en lui disant:

– Merci d’avoir eu foi en moi. Maintenant, je puis vous assurer que vous êtes sauvée.

– Vous m’avez promis que vous ne diriez rien à M.  Darcy, s’écria Berthe.

– Rien de ce qu’il faut lui taire pour ne pas compromettre l’amie à laquelle vous vous êtes sacrifiée, non, certes. Mais je pourrai lui jurer que vous êtes innocente, et il me croira… il faudra bien qu’il me croie.

– Dieu le veuille, madame. Si M.  Darcy exigeait des aveux, que je suis résolue à ne pas lui faire, je me résignerais à subir mon sort plutôt que de parler.

– Je vous approuverais, dit madame Cambry d’un ton ferme. Si vous parliez, le devoir de M.  Darcy serait de faire rechercher la personne pour laquelle vous vous êtes dévouée, et il est probable qu’il la trouverait. Mieux vaut qu’il devine à peu près la vérité. Il pourra alors se contenter des preuves morales qui sont toutes en votre faveur, et que la découverte du domino, trouvé avant trois heures sur le boulevard de la Villette, complète de la façon la plus heureuse. En l’état des choses, il me paraît impossible qu’il n’abandonne pas l’affaire, alors même qu’il lui resterait des doutes sur votre innocence.

»Mais, ajouta-t-elle, après une courte pause, il y a un détail dont nous avons à peine parlé et qui a cependant une grande importance…

– Lequel, madame?

– Ce poignard… qu’on a trouvé dans la loge… il est à vous?

– Oui, répondit tristement mademoiselle Lestérel, ce poignard m’appartenait. Je l’ai reconnu dès que M.  Darcy me l’a montré. Comment ne l’aurais-je pas reconnu? Il n’y en a peut-être pas un pareil dans tout Paris. Mon beau-frère, qui me l’a donné, l’a rapporté du Japon.

– Vous le portiez quand vous êtes venue chez moi, m’a-t-on dit?

– Oui, madame; je l’ai montré à M.  Gaston Darcy.

– Je ne l’ai pas remarqué. Alors vous l’aviez quand vous êtes arrivée au bal.

– Malheureusement. Je ne prévoyais pas qu’il servirait à…

– Et vous l’avez perdu?

– Non. Je le tenais à la main quand je suis entrée dans la loge. Il a attiré l’attention de madame d’Orcival. Elle l’a pris, elle l’a examiné, et elle m’a dit en riant que je lui devais bien une récompense pour le service qu’elle rendait à… mon amie.

– Et elle vous a demandé de le lui donner?

– Oui, je ne pouvais pas le lui refuser. J’étais trop heureuse d’avoir les lettres.

– Quelle étrange fatalité! Cette malheureuse a préparé elle-même sa mort tragique en se faisant remettre par vous l’arme qui devait la frapper. Qui sait si la vue de ce poignard n’a pas inspiré l’idée du meurtre à la femme qui l’a tuée? Ne voyez-vous pas la scène? Cette femme n’a rien prémédité, elle ne songe pas à commettre un crime, mais une querelle s’engage, une querelle violente. Madame d’Orcival, après l’avoir insultée, la menace avec ce couteau… la femme, emportée par la colère, le lui arrache des mains, et alors…

 

– Mon Dieu! interrompit Berthe, je me souviens maintenant que Julia m’a dit, en tirant le poignard de sa gaine: Je vais avoir tout à l’heure un entretien orageux. S’il prenait envie à la personne qui va venir de me faire un mauvais parti, cet éventail me servirait à me défendre.

»Et elle jouait avec l’arme meurtrière… elle essayait la pointe sur sa main gantée… Ah! c’est horrible!

– Oui, c’est horrible, murmura en frissonnant madame Cambry. Si vous aviez répété ces paroles à M.  Darcy, l’instruction aurait tourné tout autrement. Mais pour les répéter, il aurait fallu…

– Convenir que j’avais vu Julia, et M.  Darcy m’aurait demandé de prouver que j’étais sortie de la loge presque aussitôt après y être entrée. Pour prouver cela, il aurait fallu lui dire où j’étais allée… et, même à présent, si je lui avouais la vérité, il exigerait encore des explications que je ne veux pas lui donner. Je me tairai.

– Et peut-être aurez-vous raison. Le silence vaut mieux qu’une justification incomplète. Dans le doute où l’ont jeté tant d’incertitudes, M.  Darcy ne tiendra compte que du fait qui vous innocente… un fait que je lui rappellerai souvent. Le domino trouvé avant trois heures du matin vous sauvera. Vous vous tairez, ma chère Berthe; je me chargerai de parler pour vous.

»Et maintenant, ajouta madame Cambry, après avoir un peu hésité, permettez-moi de vous adresser une question… à laquelle vous pouvez répondre, je crois, sans compromettre votre amie. Je ne vous ai pas demandé de qui étaient les lettres que madame d’Orcival vous a rendues, mais je vous demande si vous savez à qui elles étaient adressées.

Mademoiselle Lestérel rougit beaucoup.

– Je le sais, répondit-elle avec embarras, mais je vous supplie de me dispenser de vous l’apprendre. C’est un secret qui ne m’appartient pas. J’ai brûlé les lettres. Je veux oublier le nom de celui qui les a reçues.

– Vous connaissiez donc cet homme?

– Non, madame. Je l’ai vu… on me l’a montré… je ne lui ai jamais parlé.

– C’est singulier… mais j’y pense, comment se fait-il qu’il se tienne à l’écart? Il est impossible qu’il ignore ce qui se passe. Il a été, sinon la cause, du moins l’occasion d’un meurtre, il sait qu’une jeune fille est accusée de ce meurtre… et il n’intervient pas, alors que son intervention pourrait la sauver… il se cache.

– Il est mort.

Madame Cambry tressaillit et retint une exclamation qui allait lui échapper. Puis, d’une voix émue:

– Je comprends tout, dit-elle. Je m’explique comment madame d’Orcival possédait ces lettres. Peu de jours avant le bal où elle a été tuée, les journaux ont raconté qu’un étranger venait de se suicider chez elle. Les lettres qui vous ont coûté si cher étaient du…

– Par pitié, madame, ne le nommez pas, s’écria mademoiselle Lestérel. Ma malheureuse amie a tant souffert par lui… ce nom me rappelle de si cruels souvenirs que je ne puis l’entendre prononcer sans que mon cœur se serre.

– Calmez-vous, ma chère Berthe, je ne le prononcerai pas. À Dieu ne plaise que je veuille vous affliger.

Il y eut un silence. La jeune fille baissait la tête, et madame Cambry hésitait visiblement à la questionner encore.

– Un mot, dit-elle enfin, un seul. À quelle époque remonte la liaison du… de cet homme avec la personne qui vous est chère?

– Cette liaison avait commencée il y a un an; elle a pris fin il y a quelques mois, répondit Berthe, un peu étonnée.

– C’est dans votre intérêt que je vous demande cela. Je suis votre avocat. Il faut que je sache tout. Mais j’en sais déjà assez pour gagner la cause que je vais plaider auprès de M.  Darcy. Parlons de vous, de votre avenir.

– Mon avenir! quel avenir puis-je attendre? Je n’aurais plus qu’à mourir si votre amitié ne me rattachait encore à la vie. Et rien ne me rendra ce que j’ai perdu.

– Vous n’avez pas perdu l’amour de M.  Gaston Darcy. Ses sentiments n’ont pas changé. Votre malheur n’a fait que les rendre plus vifs. Il est résolu de vous épouser, et je n’ai pas besoin de vous dire que je l’approuve. Son oncle ne s’y opposera pas, et ce mariage se fera en même temps que le mien. Je veux que vous soyez heureuse, ma chère Berthe, et il manquerait quelque chose à mon bonheur si je n’assurais pas le vôtre.

– Je ne puis être la femme de M.  Darcy, dit mademoiselle Lestérel d’un ton ferme.

– Pourquoi? Il vous aime, vous l’aimez… car vous l’aimez, j’en suis certaine. Vous ne me répondez pas. Me serais-je donc trompée?

Berthe baissait la tête et fondait en larmes.

– Non, reprit madame Cambry, je ne me suis pas trompée. Pour n’avoir pas su lire dans votre cœur, il faudrait que je n’eusse pas aimé.

– Vous n’avez pas souffert, murmura la jeune fille, vous ne pouvez pas comprendre ce que je souffre.

– Qu’en savez-vous? Je suis femme, et toute femme a sa part des amertumes de la vie. Dieu m’a épargné l’horrible épreuve que vous traversez. Peut-être m’en réserve-t-il d’autres. S’il me les envoie, je les accepterai sans me plaindre, et je ne perdrai pas courage. Désespérer est lâche. Ne vous laissez pas abattre. Votre conscience ne vous reproche rien. Méprisez l’opinion du monde. M.  Gaston Darcy la méprise. Pourquoi seriez-vous moins courageuse que lui? Les sots le blâmeront de vous épouser. Que vous importe, si vous l’aimez?

– C’est parce que je l’aime que je repousse ses offres généreuses. Je ne veux pas que la fatalité qui m’accable retombe sur lui. Il porte un nom respecté, il a un passé sans tache. Je ne veux pas qu’il partage la disgrâce où je suis tombée.

– Est-ce à vous de céder à des considérations qu’il foule aux pieds? Croyez-moi, Berthe, ne prenez pas tant de souci d’un préjugé qu’il brave. Mariez-vous, et, quand vous serez unis, marchez la tête haute, la main dans la main. Votre amour vous soutiendra. L’amour est tout. Le reste n’est que fumée. Je vous jure que si, comme vous, j’avais été atteinte par la calomnie, je n’hésiterais pas une seconde à devenir la femme du galant homme qui m’a fait l’honneur de me demander ma main.

– Hélas! soupira Berthe, profondément troublée, vous oubliez que je suis encore une prévenue, que demain peut-être on me ramènera dans cette affreuse prison d’où je ne sortirai plus que pour subir les hontes d’un jugement public. Quand donc pourrais-je épouser M.  Darcy? Est-ce pendant que je suis sous le coup d’une accusation infamante? Sera-ce après qu’on m’aura traînée à l’audience, lorsque je serai devenue l’héroïne d’un procès criminel, lorsque l’affaire Lestérel figurera parmi les causes célèbres? Que je sois condamnée ou acquittée, le déshonneur sera le même.

– Vous épouserez M.  Gaston Darcy quand M.  Roger Darcy aura reconnu votre innocence en déclarant officiellement qu’il n’y a plus lieu de poursuivre. Et ne me dites pas que cette déclaration serait insuffisante à vous réhabiliter. Nous serons trois pour imposer silence aux malveillants: votre mari, le mien et moi. Nul ne s’avisera de contester l’honorabilité d’une femme que nous couvrirons de notre protection. Promettez-moi donc, ma chère enfant, que vous consentirez dès à présent à recevoir M.  Darcy, votre fiancé. Je tenais à vous voir seule, d’abord, mais je vous l’amènerai demain. Et, en attendant que vous lui accordiez cette joie, dites-moi en quoi je puis vous servir. Je vous verrai chaque jour; si vous avez à faire une démarche délicate, si vous jugez que, pour la faire, ma présence vous soit utile, disposez de moi.

La figure de mademoiselle Lestérel s’éclaira:

– Quoi! s’écria-t-elle, vous consentiriez…

– À tout, pour vous venir en aide. Parlez.

– J’ai une sœur que j’aime tendrement…

– Et que vous n’avez pas vue depuis votre arrestation, je le sais.

– Elle ignore sans doute que j’ai été mise en liberté ce matin, et moi j’ignore si elle vit, car elle était gravement malade lorsqu’on m’a arrêtée, et je n’ai pas pu recevoir de ses nouvelles… j’étais au secret.

– Rassurez-vous, ma chère Berthe. Je suis certaine qu’il ne lui est rien arrivé de fâcheux. M.  Roger Darcy m’a parlé d’elle plusieurs fois. Il a recueilli sa déposition et celle de votre beau-frère… qui est officier de marine, n’est-ce pas?

– Il commande un navire de commerce… et puisque vous me parlez de lui, madame, je m’enhardis à vous avouer que je tremble à la seule pensée de l’accueil qu’il me fera. C’est un excellent homme, mais il est d’une violence excessive, et je crains qu’il ne soit très mal disposé pour moi après ce qui s’est passé. Déjà, auparavant, je l’avais irrité involontairement. J’avais pris contre lui le parti de ma sœur… dans une circonstance…

– Que je n’ai pas besoin de connaître. Mais votre sœur… vous devez avoir hâte de l’embrasser.

– Ma première visite eût été pour elle… J’ai pour Mathilde une affection… qu’elle me rend bien, et mon malheur la tue… elle n’a de confiance qu’en moi… sans moi, elle ne peut pas veiller à… des intérêts qui lui sont personnels… ma présence lui rendrait la vie, et le courage me manque pour me présenter chez elle. Que répondre à son mari quand il m’interrogera, quand il me demandera compte de cette accusation qu’il doit croire fondée, quand il me reprochera de l’avoir déshonoré? Si sa colère ne devait tomber que sur moi, je n’hésiterais pas; mais je crains d’être l’occasion d’une brouille entre ma sœur et lui. Il refusera peut-être de me croire, lorsque j’essaierai de me justifier. S’il me chasse, s’il défend à Mathilde de me recevoir, elle lui résistera, et…

– Voulez-vous que nous y allions ensemble? Quand je lui aurait dit qui je suis et affirmé que vous êtes innocente, il me croira. La parole de la future femme de votre juge aura de l’autorité, je l’espère.

– Oh! madame, si vous faisiez cela, si vous l’apaisiez, si vous parveniez à me réconcilier avec lui, vous nous sauveriez, ma sœur et moi… car vous ne savez pas, vous ne pouvez pas savoir…

– Je devine tout, interrompit en souriant madame Cambry. Partons. Votre sœur souffre de mortelles inquiétudes. Il ne faut pas la faire attendre.

– Quoi! vous voulez dès à présent…

– Sans doute. J’ai ma voiture en bas. Nous allons y monter ensemble. Votre sœur demeure…

– Rue Caumartin.

– C’est tout près d’ici. Nous y serons dans quelques minutes. J’opèrerai la réconciliation, et quand elle sera faite, je vous laisserai aux joies de la famille. Il n’y a que M.  Gaston Darcy qui ne s’accommodera pas de cet arrangement. Il espérait vous voir dès ce matin, mais il patientera bien jusqu’à demain. Venez; vous n’avez pas de toilette à faire, puisque vous n’aviez pas encore ôté votre chapeau quand je suis arrivée. Qui vous retient?

– Une prière à vous adresser, madame. Je vous supplie de ne pas parler à mon beau-frère de ma présence au bal de l’Opéra, ni de ces lettres…

– Ne craignez rien de pareil, ma chère Berthe. Je comprends la situation. Mais, avant de sortir, ne feriez-vous pas bien de recommander à votre portier… pour le cas où M.  Gaston viendrait pendant votre absence… de lui dire que vous êtes allée chez madame votre sœur? Si vous ne preniez pas cette précaution, je le connais, Gaston se forgerait mille chimères.

– Vous avez raison, madame. Je vais suivre votre conseil, répondit mademoiselle Lestérel.

Madame Cambry était déjà dans l’escalier. La consigne fut donnée au concierge, une consigne générale, car Berthe ne voulait pas la spécialiser pour un monsieur. C’eût été se donner l’air de lui assigner un rendez-vous chez madame Crozon. Le concierge fut donc averti d’avoir à répondre la même chose à toutes les personnes qui se présenteraient.

En mettant le pied dans la rue, Berthe eut la joie de ne plus apercevoir l’agent de police et de penser que Gaston avait déjà tenu sa promesse, en obtenant de son oncle la suppression de ce surveillant incommode.

L’agent d’ailleurs, eût-il été encore à son poste, n’aurait certainement pas pu suivre en fiacre un coupé attelé de deux excellents chevaux.

Berthe se réjouissait d’autant plus d’être débarrassée de lui qu’elle avait absolument besoin d’aller le plus tôt possible dans un quartier de Paris fort éloigné, et qu’il lui importait beaucoup que ce voyage restât discret.

Et elle avait encore d’autres sujets de joie. L’appui que lui donnait si généreusement madame Cambry la rassurait presque sur l’avenir. L’amour de Gaston la touchait profondément et ouvrait son cœur à l’espérance. L’horizon s’éclaircissait.

 

Le trajet fut rapidement fait, et la conversation ne languit pas en chemin. Madame Cambry, qui était arrivée le front soucieux chez sa jeune amie, se rassérénait à vue d’œil, et s’efforçait avec sa bonté accoutumée de détourner mademoiselle Lestérel des pensées tristes qui l’assiégeaient encore. Elle lui demandait des détails sur M.  Crozon, sur son passé, sur son caractère, sur son mariage; elle voulait, disait-elle, le connaître avant de l’aborder, afin de ne pas faire fausse route en lui parlant. Berthe la renseignait de son mieux, et elle n’eut pas de peine à lui expliquer ce qu’était son beau-frère. Madame Cambry comprenait à demi-mot, et en arrivant à la porte de la maison habitée par le ménage Crozon, elle en savait aussi long sur le capitaine baleinier que si elle eût été en relation avec lui depuis des années.

En montant l’escalier, elle proposa à mademoiselle Lestérel de la laisser un instant dans l’antichambre et de se présenter seule pour épargner à madame Crozon l’émotion trop vive qu’elle aurait éprouvée en voyant apparaître sa sœur qu’elle n’attendait pas, et aussi pour préparer à l’entrevue le terrible beau-frère, pour sonder ses dispositions, et pour tâcher de les modifier, si elles étaient hostiles.

Berthe accepta cet arrangement très sage, et quand la bonne de Mathilde se présenta, elle la pria de ne point s’exclamer, comme elle commençait à le faire, et d’annoncer seulement à M.  Crozon qu’une dame désirait lui parler d’une affaire pressante.

– Monsieur et madame sont à table, répondit cette fille; ils vont être bien contents de revoir mademoiselle.

Berthe, surprise et charmée, demanda tout bas ce qui s’était passé depuis son arrestation, et elle apprit qu’une révolution d’intérieur s’était accomplie, une révolution dans le meilleur sens du mot. M.  Crozon était réconcilié avec sa femme qui se portait beaucoup mieux, et ils parlaient souvent de l’absente.

Ce colloque fut cause que le plan de madame Cambry ne put pas s’exécuter. L’appartement était petit, la porte de la salle à manger donnait directement dans l’antichambre, et M.  Crozon n’avait pas, sur la façon de recevoir des visites, les idées des gens du monde. Il ne dédaignait pas d’aller au besoin ouvrir lui-même la porte quand on sonnait et de se lever de table pour aller voir qui était là, quand il entendait qu’on parlait à sa domestique. Il se montra tout à coup, et dès qu’il aperçut Berthe, il lui tendit les deux mains sans prendre le temps de saluer madame Cambry qui souriait d’aise à cette réconciliation spontanée.

Ce fut bien autre chose encore lorsque parut madame Crozon, attirée par une voix qu’elle hésitait à reconnaître: elle poussa un cri et se jeta au cou de mademoiselle Lestérel en la couvrant de baisers. Les deux sœurs pleuraient de joie; le capitaine au long cours riait, sautait et battait des mains comme un enfant, et la future femme du juge d’instruction contemplait avec attendrissement cette scène touchante.

Berthe eut beaucoup de peine à s’arracher aux étreintes des siens pour présenter sa généreuse protectrice. Madame Crozon la connaissait de nom, et devina tout de suite qu’elle avait contribué à la délivrance de la prisonnière. Le marin ne comprit pas tout d’abord, et il fallut qu’on lui expliquât brièvement à qui il avait affaire, mais il fut pris d’un véritable accès d’enthousiasme qui se traduisit par des effusions de joie et de tendresse. Il fit mine d’embrasser madame Cambry, et comme elle se dérobait, il s’empara de son bras sans cérémonie et il l’entraîna dans la salle à manger.

La belle veuve eut beau s’en défendre, elle fut obligée de s’asseoir à table entre Berthe et Crozon, qui ne tarissait pas en exclamations et en remerciements. Mathilde causait à demi-voix avec sa sœur, et la bonne tout émue contemplait ce tableau curieux. Les restes d’un déjeuner bourgeois fumaient encore sur la toile cirée. Jamais madame Cambry ne s’était trouvée à pareille fête, elle qui ne sortait de son hôtel que pour aller chez des personnes de son monde. Le loup de mer lui versait à boire et la suppliait de trinquer à Berthe avec un certain vin de Pisco qu’il avait rapporté de l’Amérique du Sud. Il jurait qu’elle ne partirait pas sans en goûter, et il lui demandait quel jour elle viendrait dîner sans cérémonie.

Elle se défendait doucement, et, tout en répondant à ces politesses maritimes, elle regardait Berthe à la dérobée. Elle aurait bien voulu l’interroger sur la cause de cet heureux changement, mais Berthe n’aurait pas pu lui répondre, car Berthe ignorait l’histoire récente du ménage. Berthe en était restée au retour du mari, au drame qui s’était joué en présence de Gaston Darcy, spectateur invisible, et à la paix un peu boiteuse par laquelle s’était terminé ce premier acte de la campagne ouverte contre la pauvre Mathilde par un dénonciateur anonyme.

Madame Crozon en savait davantage. Elle savait qu’elle devait son repos à l’habile intervention de Nointel, et elle brûlait du désir de mettre sa sœur au courant des divers incidents qui s’étaient produits depuis la fatale nuit du bal de l’Opéra. Mais la présence de son mari lui fermait la bouche.

– Je le savais bien, que Berthe était innocente, s’écria le capitaine en frappant du poing sur la table. Le juge a mis du temps à le reconnaître, mais enfin il nous a rendu notre petite sœur, et elle ne nous quittera plus. C’est à vous, madame, que nous devons cette joie, et je vous jure que Jacques Crozon, ici présent, sera toujours prêt à se jeter à l’eau pour vous.

– Vous la devez surtout à M.  Darcy, s’empressa de dire la belle veuve, qui avait hâte de poser la situation de manière à dispenser mademoiselle Lestérel de fournir des explications difficiles.

Elle ne voulait pas attrister cette première entrevue en apprenant au marin et à sa femme que la mise en liberté de Berthe n’était que provisoire, et cependant il fallait bien leur toucher un mot de la mesure prise par le juge. Elle tourna la difficulté.

– M.  Darcy, reprit-elle, n’a pas encore statué définitivement sur l’affaire qu’il est chargé d’instruire; mais sa conviction est faite, et il ne tardera guère à prendre une décision qui déchargera complètement mademoiselle Lestérel d’une accusation injuste. Il y a, avant d’en venir là, des formalités à remplir qui peuvent être assez longues.

– N’importe, s’écria Crozon. Berthe est libre. C’est tout ce qu’il faut. Aussi, c’était trop absurde… accuser de meurtre une enfant qui ne ferait pas du mal à une mouche… J’en suis à me demander comment un magistrat éclairé a pu croire à de pareilles calomnies.

– Il a été induit en erreur par des indices malheureux.

– Oui, je sais, ce poignard que j’ai rapporté de Yeddo. Un joli cadeau que je lui ai fait là, à ma pauvre Berthe. On aurait bien dû se douter qu’elle l’avait perdu.

Mademoiselle Lestérel baissait les yeux et commençait à pâlir. Madame Cambry vint à son secours.

– Perdu, c’est bien cela, dit-elle vivement, perdu en sortant de chez moi, au moment où le bal de l’Opéra commençait, et, par une fatalité extraordinaire, c’est une femme qui l’a trouvé et qui s’en est servie pour commettre le crime.

– On la connaît, cette femme?

– Non, pas encore; mais si elle échappait à la justice, l’innocence de mademoiselle Lestérel n’en serait pas moins bien établie. Elle a été victime d’une sorte de complot ourdi par des misérables qu’on découvrira, je l’espère.

– C’est moi qui les découvrirai. Je suis sûr que le coup part d’un drôle que je cherche et que je finirai bien par trouver. Ah! madame, j’ai vu, moi aussi, qu’il ne fallait pas se fier aux apparences. Vous ne m’en voudrez pas de vous parler des chagrins qui ont empoisonné ma vie et qui ont pris fin, Dieu merci! Sur une dénonciation anonyme, j’ai soupçonné ma femme. J’ai été assez fou pour croire qu’elle m’avait trompé, et j’allais faire un malheur, quand le hasard m’a mis face à face avec un ancien camarade, le capitaine Nointel. C’était précisément lui qu’un coquin me désignait comme ayant été l’amant de Mathilde. Nous nous sommes expliqués loyalement, et tout s’est éclairci bien vite. Nous avons reconnu que nous étions tous les deux en butte aux persécutions d’un ennemi caché qui avait imaginé de nous amener à nous couper la gorge. Et Nointel est maintenant mon meilleur ami.