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Le crime de l'Opéra 1

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III. Pendant que Gaston Darcy employait si bien son temps…

Pendant que Gaston Darcy employait si bien son temps, madame d’Orcival ne perdait pas le sien.

Elle avait, on peut le croire, passé une nuit fort agitée. Les constatations et l’interrogatoire déguisé sous la forme d’une ample demande de renseignements l’avaient retenue fort tard. Le commissaire et les agents n’avaient quitté l’hôtel qu’à quatre heures; le corps du malheureux Golymine n’avait été enlevé qu’à cinq heures.

Et, quoique le supplice de revoir son ancien amant eût été épargné à Julia, elle n’était pas encore remise des émotions de la veille quand elle se leva, vers midi, juste au moment où Gaston recevait la lettre qu’elle lui avait écrite avant de se mettre au lit.

Elle déjeuna au thé, se fit raconter par Mariette les bruits qui couraient dans le quartier, lui recommanda encore de ne parler à personne de la visite de M.  Darcy, et lui donna ses instructions, qui étaient de ne pas sortir et d’introduire Gaston, s’il se présentait.

Julia était persuadée qu’il viendrait la remercier de sa discrétion, et elle ne désespérait pas encore de l’amener à un raccommodement. Elle croyait le connaître à fond, et elle savait bien ce qu’elle faisait en lui écrivant qu’elle avait pris son parti de la rupture. L’expérience lui avait appris que le plus sûr moyen de ramener un amant qui se dérobe, c’est de lui montrer qu’on ne tient pas à lui. Elle s’était donc décidée tout de suite à traiter le cas de Gaston par l’indifférence, et elle comptait que l’emploi de cette méthode produirait un prompt et excellent effet.

Elle attendit donc, après avoir fait une toilette appropriée à la circonstance; elle attendit dans ce boudoir où s’était jouée la veille la scène de la séparation.

Madame d’Orcival avait encore d’autres projets, mais l’exécution de ceux-là était subordonnée au résultat de l’entrevue qu’elle espérait avoir, le jour même, avec Darcy.

Les lettres de trois femmes qui avaient commis l’imprudence d’aimer Golymine étaient serrées dans un tiroir secret du petit meuble en bois de rose, et elle ne comptait pas les y laisser.

Seulement, rien ne pressait. Ces armes-là ne se rouillent pas.

Vers trois heures, Mariette parut avec la mine réservée qu’elle prenait toujours, quand il s’agissait de demander à madame si elle voulait recevoir un visiteur, et Julia put espérer, pendant une seconde, que ce visiteur était Darcy, lequel Darcy montait, à ce moment-là, l’escalier de madame Crozon, en compagnie de Berthe Lestérel.

– Je n’y suis pour personne, s’écria madame d’Orcival, en voyant que sa femme de chambre lui présentait une carte.

– Ce monsieur a tellement insisté pour être reçu que j’ai promis de vous faire passer son nom, répondit la soubrette. Il prétend qu’il a des choses très importantes à dire à madame.

Julia jeta un coup d’œil sur la carte et lut:

«Don José Simancas, général au service de la République du Pérou.»

– Je ne le connais pas, dit-elle, et n’ai que faire de le voir.

Puis, se ravisant:

– Quel homme est-ce?

– Oh! un homme très comme il faut. Cinquante à soixante ans; l’air riche et distingué. Un peu trop de bijoux. Mais ça se comprend, il est étranger. Il m’a donné un louis pour remettre sa carte à madame.

– C’est singulier, il me semble maintenant que j’ai déjà entendu prononcer ce nom-là. Que peut avoir à me dire ce général péruvien? Est-ce un prétexte qu’il prend pour s’éviter l’embarras de se faire présenter à moi?

Et, comme madame d’Orcival, en disant cela, regardait Mariette d’une certaine façon, la fine camériste répondit aussitôt:

– Je ne crois pas. Il gesticule et il ne tient pas en place. Et puis, s’il venait dans l’intention de faire la cour à madame, il aurait agi autrement. Madame connaît comme moi les étrangers. Ce n’est pas leur système. Ils sont plus positifs. Je supposerais plutôt que ce monsieur a une communication à faire à madame, au sujet de… l’événement.

– Oui, ce doit être cela. Et je pourrais peut-être regretter de ne l’avoir pas reçu. Fais-le entrer au salon. Je vais y aller. Si M.  Darcy vient, tu le prieras de m’attendre dans la galerie…

Non, non, pas là, reprit vivement Julia, tu le conduiras dans ma chambre à coucher.

Elle s’était rappelé tout à coup que le malheureux Golymine avait rendu l’âme dans cette galerie, et que le lieu serait mal choisi pour jouer avec son successeur la comédie de la réconciliation.

Mariette disparut. Après avoir imposé cinq minutes d’attente au visiteur, madame d’Orcival passa au salon et répondit par une inclination assez légère au salut du général.

– À quoi dois-je, monsieur, l’honneur de vous voir? dit-elle froidement.

La physionomie de M.  Simancas lui avait déplu tout d’abord, et elle se demandait si ce guerrier de l’Amérique du Sud n’était pas un agent de police déguisé.

Le général avait très bonne mine, mais il avait des yeux inquiétants.

– Madame, commença-t-il d’un air dégagé, je ne suis ni un créancier, ni un mendiant, ni un voleur, et, pour que je puisse vous expliquer le but de ma visite, vous voudrez bien, je l’espère, vous asseoir et me permettre d’en faire autant.

M.  Simancas, en le prenant sur ce ton, pensait intimider Julia, et il avait ses raisons pour en user ainsi. Mais il s’aperçut qu’il faisait fausse route.

– Monsieur, riposta la dame, je n’ai pas de créanciers, je fais faire aux mendiants l’aumône par mon valet de pied, et je ne crains pas les voleurs. Vous auriez pu vous dispenser de ce préambule déplacé, et je vous invite à me dire très vite ce qui vous amène, car j’ai fort peu de temps à vous donner.

Le Péruvien, voyant qu’il avait affaire à forte partie, changea de note et d’attitude.

– Je n’ai pas eu l’intention de vous offenser, madame, reprit-il, sans plus faire mine de s’établir dans un fauteuil. Vous le croirez certainement quand vous saurez que j’ai été le compagnon d’armes et l’ami de ce pauvre Wenceslas.

– Je ne comprends pas, dit madame d’Orcival, qui comprenait fort bien.

– De ce pauvre Wenceslas Golymine qui est mort d’une manière si tragique.

– Que m’importe que vous ayez été ou non son ami?

– Il vous importe beaucoup. Je connaissais tous les secrets de Golymine.

– Ses secrets n’étaient pas les miens.

– Pas tous, mais il y en a bien quelques-uns qu’il ne vous a pas cachés.

– Pardon, monsieur, vous n’êtes pas venu, je suppose, pour m’entretenir de vos relations avec le comte Golymine qui a vécu autrefois dans mon intimité, mais que j’ai cessé depuis longtemps de recevoir. Où voulez-vous en venir?

– À vous demander si Wenceslas ne vous aurait pas confié des lettres à lui écrites par des personnes que ces lettres compromettent gravement.

– Et ce sont ces personnes qui vous ont chargé de la mission dont vous vous acquittez si bien?

– Peut-être. Mais, quoi qu’il en soit, je vous serais très reconnaissant de me remettre ces correspondances, et cela dans l’intérêt de la mémoire du comte.

– Est-ce tout ce que vous avez à me dire?

– Non. Golymine portait toujours sur lui, je le sais, certaines pièces écrites qu’il conviendrait de détruire. Je voudrais savoir si vous les avez trouvées après sa mort, et dans le cas où elles seraient en votre possession, je serais disposé à payer pour les avoir le prix que vous en demanderiez.

»Je puis bien vous apprendre de quoi il s’agit. J’ai quitté mon pays parce qu’une conspiration dont j’étais le chef n’a pas réussi. Golymine, qui a séjourné au Pérou, conspirait avec moi. Nous songions tous les deux à retourner à Lima pour y tenter une révolution. Ces papiers contiennent le plan de notre entreprise, la liste des conjurés… et s’ils tombaient entre les mains de la police française…

– Cette fois, c’est bien tout, je pense?

– Il me reste à ajouter que je suis riche et que rien ne me coûtera pour…

– Assez, monsieur, dit Julia. Je vous ai laissé parler parce que je voulais savoir jusqu’où vous pousseriez l’audace. Comment avez-vous pu supposer que le comte Golymine déposait chez moi les lettres de ses maîtresses? Et comment osez-vous me demander si j’ai pris les papiers qu’il portait sur lui? Vous croyez donc que j’ai fouillé son cadavre? Et, pour me donner le change, vous inventez je ne sais quelle ridicule histoire de conspiration péruvienne! Il faut, en vérité, qu’on vous ait bien mal renseigné sur moi. Je ne sais pas qui vous êtes, quoique je me souvienne vaguement d’avoir entendu le comte parler de vous. Mais je vais vous parler un langage très net.

»Il se peut que M.  Golymine ait gardé les lettres des femmes qui l’ont aimé; il se peut même qu’il les ait gardées pour en faire un mauvais usage. Mais il ne m’a pas choisie pour confidente.

»Et, quant aux prétendues listes de conjurés qui vous préoccupent tant, s’il les portait sur lui, c’est à la Préfecture de police qu’il vous faut aller pour les réclamer.

– Alors, madame, les vêtements que portaient Golymine quand il est mort…

– Ne sont pas restés chez moi; non, monsieur. Et, à mon tour, il me reste à ajouter que je vous prie de vous retirer.

Ce fut dit d’un tel air qu’un visiteur ordinaire aurait pris incontinent le chemin de la porte; mais M.  Simancas ne se déconcertait pas pour si peu.

Il resta planté devant madame d’Orcival, et il se mit à la regarder comme on regarde un chef-d’œuvre dans un musée.

– Excusez-moi, madame, dit-il avec une politesse humble. Je m’étais trompé sur vous, ou plutôt on m’avait trompé. Nous autres étrangers, nous sommes sujets à commettre de ces bévues, faute de bien connaître le monde parisien. Les Français ont le tort impardonnable de mal parler des femmes, et nous avons le tort, le plus impardonnable encore, de nous en rapporter à leurs appréciations. De sorte qu’en me présentant chez vous, je croyais…

 

– Prenez garde, monsieur, vous allez me dire une impertinence.

– À Dieu ne plaise, madame. Je veux, au contraire, vous supplier de me pardonner. Et vous me pardonnerez, si vous voulez bien réfléchir à la situation que nous fait, à moi et à quelques-uns de mes compatriotes, la mort de ce pauvre comte.

– Vous tenez donc à cette histoire de conspiration? demanda ironiquement madame d’Orcival.

– Hélas! madame, elle n’est que trop vraie.

»Et je puis bien vous avouer maintenant que le véritable but de ma visite était de savoir si notre malheureux ami n’avait pas déposé chez vous des papiers politiques. Quant aux lettres de femmes que Golymine peut avoir conservées, je m’en soucie fort peu, et si je me suis servi de ce prétexte, c’est que je n’osais pas tout d’abord me fier à vous. Le secret du complot que nous avons formé pour rendre l’indépendance à notre patrie n’est pas à moi seul.

»Je vois que je m’alarmais à tort et que j’aurais mieux fait de vous dire tout de suite la vérité.

– Oui, car vous auriez su plus tôt à quoi vous en tenir. Je vous répète que le comte ne m’a jamais dit un mot des affaires auxquelles il a pu se trouver mêlé. Et je vous prie encore une fois, monsieur, de mettre fin à une entrevue qui n’a plus aucun but.

– C’est ce que je vais faire, madame, en vous priant de nouveau d’agréer mes excuses. Permettez-moi seulement, avant de prendre congé de vous, de vous adresser une question, qui vous paraîtra peut-être étrange. Oserai-je vous demander… comment le comte était habillé, quand il est venu chez vous hier soir?

– Quelle est cette plaisanterie?

– Je ne plaisante pas, je vous le jure, chère madame. Mes amis et moi nous avons le plus grand intérêt à savoir si Golymine portait une pelisse en fourrures?

– Oui, monsieur, il la portait, et vous pouvez croire qu’il ne l’a pas laissée ici.

– Je vous remercie d’avoir bien voulu me répondre, et je vous serai encore plus reconnaissant de me garder le secret sur la démarche que je viens de faire auprès de vous. Une indiscrétion de votre part compromettrait bien des gens qui sont mes amis et que vous trouverez toujours disposés à vous servir en toutes choses.

Et, sans laisser à madame d’Orcival le temps d’ajouter un mot, le général salua courtoisement et sortit.

Julia rentra dans son boudoir, assez troublée par les singuliers discours de ce Péruvien plus ou moins authentique.

– Si c’était un agent de police, pensait-elle, il s’y serait pris autrement pour me questionner. Cet homme doit avoir connu Golymine, et Dieu sait ce qu’ils ont fait ensemble. Je ne crois pas un mot de cette invention de complot. Golymine ne s’est jamais occupé de politique. Ce qui me paraît clair, c’est que ce général, vrai ou faux, n’ignore pas que le comte avait sur lui les lettres de ses anciennes maîtresses.

»Et je conclus que ces lettres, je risquerais gros en les gardant chez moi. Heureusement, elles n’y resteront pas longtemps.

»Le moment est venu de préparer ce que j’ai résolu de faire samedi, pour en finir d’un seul coup avec ces trois femmes.

Julia sonna sa femme de chambre, et lui demanda si M.  Darcy était venu; à quoi Mariette répondit que non.

– Tiens-toi prête à porter une lettre, lui dit sa maîtresse.

– Mais, madame, il n’est que quatre heures, objecta la soubrette. M.  Darcy ne vient jamais sitôt.

– Qui t’a dit que cette lettre est pour lui? Et de quoi te mêles-tu? Va t’habiller pour sortir.

Madame d’Orcival jouait l’indifférence à l’endroit de Gaston, mais elle se demandait avec inquiétude s’il allait se montrer chez elle avant la fin de la journée, car elle sentait bien que, si vingt-quatre heures se passaient sans qu’elle le vît, elle ne devait plus espérer le revoir jamais.

Pour qu’on puisse raccommoder une liaison rompue, il faut que la cassure soit fraîche.

Et madame d’Orcival tenait beaucoup à Gaston. D’abord, il lui plaisait plus qu’elle ne se l’avouait à elle-même, et peu s’en était fallu qu’elle ne l’aimât. Elle l’eût certainement aimé, s’il eût été pauvre. Mais elle avait pour principe de ne jamais confondre les affaires de cœur avec les affaires sérieuses.

Et Gaston était on ne peut plus sérieux, dans le sens que donnent à ce mot les femmes galantes. Il dépensait sans compter, et il ne se prévalait pas de sa générosité pour imposer plus que de raison sa compagnie. Julia savait bien qu’elle trouverait difficilement un adorateur aussi prodigue et aussi commode. Elle avait donc d’excellentes raisons pour regretter ce phénix des amants.

Et son orgueil souffrait encore plus que ses intérêts. Être brusquement abandonnée par un garçon que toutes les femmes lui enviaient, c’était un affront qu’elle ne pouvait pas se résigner à subir, sans essayer de ressaisir le cœur qui lui échappait.

– Pour qui veut-il me quitter? se demandait-elle, en regardant le meuble où elle avait serré la veille les lettres trouvées dans la poche de Golymine. Il n’a pas rompu, comme il le prétend, pour se faire magistrat. Je le connais. Il est trop paresseux pour avoir de l’ambition. Je suis sûre qu’il va se marier. Avec qui? Je n’en sais rien, mais je le saurai, et alors je me vengerai.

»Comment?… Je trouverai un moyen.

»Ah! s’il s’agissait de cette marquise dont j’ai là les lettres, ma vengeance serait toute prête… une vengeance raffinée. Je les laisserais se marier, et après je montrerais à Darcy, par preuves écrites, qu’il a épousé l’ancienne maîtresse d’un homme qu’il méprisait.

»Malheureusement, il n’est pas probable qu’il l’épouse. Elle est trop titrée pour consentir à s’appeler madame Darcy tout court. Mais elle pourrait prendre Gaston pour amant. Il va beaucoup chez elle, et le petit Carneiro, qui sait ce monde-là par cœur, prétend qu’elle le trouve à son goût.

»D’où il suit que j’ai raison de m’aboucher avec la marquise, et que j’aurais tort de lui rendre toutes ses lettres. Je veux qu’elle soit mon obligée, mais je veux aussi garder une arme contre elle.

Le timbre argentin d’une pendule de vieux saxe interrompit ce monologue.

– Quatre heures et demie, murmura madame d’Orcival. Viendra-t-il?

Et, pour tromper les impatiences de l’attente, elle ouvrit un élégant pupitre qui se trouvait à portée de sa main.

– Il est temps, dit-elle tout bas. La question est de savoir si j’ai ici du papier et des enveloppes sans chiffres. Je ne veux pas que ces dames se doutent que c’est moi qui leur écris.

»Ah! voilà ce qu’il me faut. Il ne s’agit plus que de rédiger l’invitation. Je vais commencer par la marquise.

Et elle écrivit:

«Madame, un hasard a mis entre mes mains les lettres que vous avez adressées autrefois au comte Wenceslas Golymine. Je veux vous les rendre à vous-même, mais je crois plus prudent et plus convenable de ne pas me présenter chez vous et de ne pas vous recevoir chez moi.

«Je serai samedi prochain au bal de l’Opéra, dans la loge 27, aux premières de côté. J’y serai seule, absolument seule, et j’aurai un domino noir et blanc. Je vous y attendrai…»

– Voyons, se dit Julia, faut-il lui donner rendez-vous avant ou après cette bourgeoise que je ne connais pas?… Après, ce sera mieux. Avec l’autre, la conversation durera cinq minutes tout au plus, puisque je veux lui remettre sa correspondance sans conditions, tandis qu’avec la marquise l’entrevue sera peut-être longue et orageuse.

Et elle écrivit:

«Je vous y attendrai à une heure et demie.»

Puis, s’arrêtant pour réfléchir:

– Si elle allait s’imaginer qu’on lui tend un piège et ne pas venir! Il faut que je la rassure par un post-scriptum bien senti.

Voici, murmura-t-elle en reprenant la plume:

«C’est une femme qui vous écrit, une femme qui vous dira son nom, si vous tenez à le savoir, et qui n’aspire qu’à vous sauver d’un grand danger.

«L’ouvreuse sera prévenue. Il vous suffira de lui dire que la personne qui est dans la loge vous attend.»

Et elle signa: «Une amie.»

Puis elle relut sa prose et elle se dit:

– Elle viendra. Il est impossible qu’elle ne vienne pas. J’ai lu les lettres. Ces Havanaises ont le diable au corps. Je n’ai jamais rien écrit de pareil à l’homme que j’ai le plus aimé. Il y a de quoi la perdre sans rémission. Et pour ravoir sa correspondance, elle donnerait, j’en suis sûre, la moitié de sa fortune. On calomniait Golymine. Il aurait pu lui demander un million en échange de ces épîtres de haut goût. Et je crois que si ce général péruvien les tenait, il en tirerait bon parti.

»Cinq heures moins un quart, murmura-t-elle, en regardant la pendule, et Gaston n’est pas encore ici. Allons! c’est la guerre. Eh bien, je la ferai.

»À l’autre, maintenant. Que vais-je dire à cette inconnue qui a commis aussi la sottise d’aimer Golymine? Elle n’écrit pas du même style que la marquise, celle-là. Ses lettres sont des chefs-d’œuvre de prudence. On jurerait qu’elle a prévu qu’on pourrait être tenté de s’en servir contre elle. Et si Golymine n’avait pas pris la peine de mettre sur le paquet le nom et l’adresse de la dame, nul n’aurait jamais su que cette tendre correspondance était de madame… un nom que je ne connais pas du tout, pas plus que je ne sais si celle qui le porte est mariée ou veuve. Je suis sûre, du moins, que c’est une femme bien élevée et une femme intelligente.

»Viendra-t-elle au bal de l’Opéra? C’est douteux. Sa vie n’est peut-être pas arrangée de façon à lui permettre une excursion nocturne. Mais que m’importe? Je n’ai rien à lui demander. Ce que j’en fais, c’est par pure charité. Il faut bien se soutenir un peu entre femmes… et on dit qu’une bonne action porte bonheur. Si elle ne vient pas, je garderai les lettres, ou je les brûlerai, mais je ne risque rien de lui donner rendez-vous dans la loge 27, et je ne vois pas pourquoi je changerais ma formule. Je n’ai qu’à copier mon billet à la marquise, sauf un mot.

Julia se remit à l’œuvre.

– La marquise à une heure et demie, murmura-t-elle. La bourgeoise à une heure. Je ne veux pas l’obliger à se coucher tard.

Quand elle eut fini, elle relut avec attention les lettres, les plia, et mit les adresses sur les enveloppes.

– Je les jetterai moi-même à la poste, dit-elle. Il est au moins inutile que Mariette voie les noms.

Précisément, Mariette parut, quoique sa maîtresse ne l’eût pas sonnée.

– M.  Darcy est là? demanda Julia en cachant les lettres dans le pupitre sur lequel elle venait de les écrire.

– Non, madame, répondit la soubrette. C’est le docteur que madame a fait appeler.

– Quel docteur?

– Le docteur Saint-Galmier.

– Je ne le connais pas, et je n’ai pas fait appeler de médecin. Renvoie-le.

– Bien, madame. Seulement, je dois dire à madame que ce monsieur assure qu’il est l’ami de M.  Darcy. Alors j’ai pensé…

– Qu’il venait de la part de Gaston. Ce serait bien étonnant. N’importe. Fais-le entrer.

Un instant après, Saint-Galmier montrait à madame d’Orcival sa figure placide et souriante. Il avait fort bonne mine, ce gradué de la Faculté de Québec, et sa physionomie inspirait la confiance à première vue.

– Excusez-moi, madame, de me présenter ici, dit-il avec une rondeur engageante. Je n’ai pas l’habitude d’aller chercher les clientes chez elles, mais j’ai appris que vous étiez souffrante… je l’ai appris par M.  Darcy.

– Vous le connaissez?

– Beaucoup. Et cette nuit, au cercle dont nous faisons partie tous les deux, quelqu’un a raconté devant nous le fatal événement qui venait de se passer chez vous…

– Comment! cette nuit, on savait déjà…

– Oui, madame. Les nouvelles se répandent vite à Paris. Celle-là nous a été apportée par un original qui est à l’affût de tous les faits de ce genre, et qui s’est trouvé par hasard passer devant votre hôtel au moment où les gens de la police y entraient.

– Ah! fit Julia, surprise et attentive. Et alors, M.  Darcy…

– A été fort ému, madame, vous devez le penser. S’il n’est pas venu aujourd’hui, car je suppose qu’il n’est pas venu…

– Non, monsieur, pas encore.

– C’est qu’il a cru que, dans cette triste circonstance, il convenait de remettre sa visite. Il s’est abstenu par un sentiment de délicatesse que vous comprendrez. Mais il a pensé que vous deviez avoir été fort éprouvée par une si violente secousse, et comme il sait que je possède une méthode infaillible pour traiter les affections nerveuses, il m’a prié de vous voir.

– Je lui suis fort obligée et je vous remercie de la peine que vous avez prise. Mais M.  Darcy vous a sans doute chargé de me dire autre chose?

– Il m’a chargé uniquement de m’informer de votre santé et de vous offrir mes soins.

 

– Fort bien. Vous le verrez aujourd’hui, je pense?

– Ce soir, très certainement.

– Eh bien, veuillez le rassurer sur l’état de mes nerfs. Ils sont très calmes. Veuillez aussi, puisqu’il a jugé à propos de vous prendre pour ambassadeur, veuillez lui demander quel jour il se propose de passer chez moi.

– Si vous le permettez, madame, je reviendrai demain vous apporter sa réponse.

– Soit! dit Julia, après avoir un peu hésité. Je serai chez moi à deux heures.

– Vous pouvez compter, madame, sur mon exactitude et sur mon dévouement, s’empressa de répondre le docteur, qui salua et s’en alla satisfait.

Il n’ignorait pas que Darcy avait définitivement rompu avec madame d’Orcival, et il avait maintenant ce qu’il voulait, un prétexte pour revenir chez la dame, un moyen de s’insinuer peu à peu dans son intimité et l’espoir de gagner sa confiance.

Il avait été plus adroit que Simancas.

Julia ne savait trop que penser de sa visite. Elle inclinait pourtant à se persuader que Gaston, en lui détachant un messager, avait pris un moyen détourné pour rentrer en grâce auprès d’elle.

Les femmes croient volontiers ce qu’elles désirent.

– Oui, se disait-elle, c’est bien cela. Il a trop d’orgueil pour faire lui-même le premier pas. Il le fait faire par un autre. Et puis, il voulait savoir comment j’ai pris la rupture. Quand ce docteur lui aura dit que je n’ai pas du tout l’air d’une Ariane éplorée, il reviendra. Les hommes sont tous les mêmes. Donc, je verrai Gaston demain ou après-demain, mais je ne le verrai pas aujourd’hui, et je puis me remettre à mes correspondances.

»Il faut encore que j’écrive à mademoiselle Lestérel… car elles sont de sa sœur, les lettres du troisième paquet, et, en vérité, je suis trop bonne de les lui rendre. Berthe mériterait que je lui tinsse la dragée haute pour lui apprendre à se donner de grands airs avec moi. Quand elle est venue ici l’année dernière, pour m’apporter le renseignement que je lui avais demandé, on aurait juré qu’elle avait peur d’attraper la peste. Mes tableaux la faisaient loucher, et mes tapis lui brûlaient les pieds. Et si elle est venue, c’est, je le parierais, parce qu’elle croyait qu’une visite la compromettrait moins qu’une réponse écrite.

»Maintenant, si je voulais, elle ne ferait pas tant de façons, car il s’agit de la vie de sa sœur. Cette bécasse de Mathilde est mariée à un brutal qui la tuerait, s’il savait qu’elle a eu un amant. Où Golymine a-t-il pu la rencontrer? Je n’en sais rien; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle a été folle de lui, et j’en ai la preuve. Golymine l’avait quittée depuis six mois, mais le mari n’admettrait pas cette circonstance atténuante. Donc, ma bégueule d’amie de pension serait à mes genoux, si je l’exigeais, car elle adore sa sœur.

La pauvre Berthe ne se doutait guère qu’à l’heure même où elle venait de sauver madame Crozon par un pieux mensonge, elle qui n’avait jamais menti, Julia d’Orcival se demandait à quel prix elle allait lui faire acheter les lettres de la coupable.

Mais Julia, heureusement, ne prenait pas plaisir à faire le mal pour le mal, et d’ailleurs l’espoir de renouer avec Gaston la portait à la clémence.

– Après tout, murmura-t-elle, pourquoi en voudrais-je à ces deux femmes? Berthe a raison de ne pas me voir, puisqu’elle tient à jouer les ingénues, et sa sœur ne m’a pas pris Golymine, puisqu’il n’était plus avec moi quand elle l’a connu. J’ai bien envie de renvoyer tout simplement la correspondance… Bon! mais pas chez Mathilde. Son jaloux doit tout décacheter. Chez Berthe? Ma foi! non. Elle prendra la peine de se déranger. Je vais lui écrire de venir chercher les lettres de sa sœur, samedi, au bal de l’Opéra, loge 27… comme ces dames. Oui, mais à quelle heure? Bah! je la ferai passer la dernière. Rendez-vous à deux heures et demie à mademoiselle Lestérel. Elle viendra, j’en suis sûre, et elle en sera quitte pour se promener dans le foyer en attendant le moment où je la recevrai. S’il lui arrivait des aventures sous le masque, ce serait drôle.

Julia se mit à écrire, et quand ce fut fait:

– Je vais faire porter cette lettre par Mariette. De cette façon, Berthe ne pourra pas nier qu’elle l’ait reçue, puisque Mariette la lui remettra elle-même.

»Il est toujours bon de prendre ses précautions avec les prudes.