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Le crime de l'Opéra 1

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Madame Cambry accueillit fort bien Darcy, et après les politesses obligées, elle engagea la conversation par ces mots qui lui semblèrent de bon augure:

– Soyez le bienvenu, monsieur. Vous allez m’aider à défendre notre amie.

Darcy ne demandait pas mieux, mais le mot: défendre prouvait assez que le juge persistait à accuser Berthe, et Darcy doutait qu’il voulût bien lui permettre de plaider pour elle.

Avant de répondre à madame Cambry, il le regarda et il vit se dessiner sur ses lèvres un bon sourire qui le rassura. L’oncle Roger lui tendit affectueusement la main et lui dit:

– Je t’avais déclaré que je ne te parlerais plus de cette triste affaire; mais au point où elle en est, je n’ai plus rien à te cacher, car l’instruction est à peu près terminée. Tu peux donc entendre ce que je venais d’apprendre à madame Cambry qui s’intéresse vivement, tu le sais, à cette malheureuse jeune fille.

– Comment ne m’y intéresserais-je pas? s’écria madame Cambry. Je suis sûre qu’elle est innocente.

– Chère madame, reprit le magistrat après un silence, vous devriez bien me dispenser de vous exposer les raisons sur lesquelles je fonde une certitude tout opposée à la vôtre. Je voudrais partager vos idées, mais la suite vous prouvera qu’il ne reste plus même l’apparence d’un doute sur la culpabilité de la prévenue. Hier, je pouvais encore croire à une erreur fondée sur des apparences trompeuses. Aujourd’hui, je ne le puis plus. J’ai des preuves matérielles.

– Lesquelles? Ce poignard japonais?

– D’autres, beaucoup plus concluantes. Mais je vous en prie, chère madame, ne m’interrompez pas. Vous m’avez écrit pour me témoigner le désir de me voir et de connaître le résultat d’une épreuve décisive à laquelle mademoiselle Lestérel vient d’être soumise; je n’ai rien à vous refuser, et je suis venu vous dire que cette épreuve lui a été complètement défavorable. Je vous serai très reconnaissant de ne pas m’en demander davantage.

Madame Cambry hésita un instant, mais elle répondit d’un ton ferme:

– Pardonnez-moi d’insister. Je tiens à tout savoir.

– Soit! chère madame. Je pourrais arguer de mon devoir professionnel pour motiver mon silence, et si je croyais y manquer en vous apprenant ce que j’ai découvert, certes, je me tairais, quelque désir que j’aie de vous être agréable. Mais je ne vois aucun inconvénient à vous dire ce qui s’est passé ce matin. Nous vivons dans un temps où le secret de l’instruction n’est plus qu’un vain mot, et les journaux imprimeront demain tout au long ce que je vais vous raconter, puisque vous le voulez absolument.

»Hier, j’ai interrogé la femme de chambre de Julia d’Orcival. Cette fille m’a déclaré tout d’abord que, mardi dernier, elle était allée porter à mademoiselle Lestérel une lettre de sa maîtresse, que mademoiselle Lestérel avait paru très troublée en lisant cette lettre, et qu’elle avait répondu: Dites à madame d’Orcival que j’irai. Où? Elle n’a pas précisé, mais il était bien naturel de supposer qu’il s’agissait du bal de l’Opéra. Pourquoi ce rendez-vous? Sur ce point, la femme de chambre a été très explicite.

»Et ici, mon cher Gaston, ajouta M.  Darcy en regardant son neveu, je suis obligé de t’avertir que tu vas apprendre des choses qui t’affligeront. Rien ne te force à les écouter, et, si tu ne te sens pas le courage de les entendre, madame Cambry te permettra certainement de prendre congé d’elle.

– Je vous remercie de votre bienveillance, mon oncle; mais je prie au contraire madame Cambry de m’autoriser à rester, répondit Gaston.

– Très bien. Je t’ai prévenu. Tant pis pour toi, si je te blesse dans tes sentiments intimes. Madame Cambry me pardonnera d’entrer dans des détails qui l’amèneront, je le crains, à changer d’opinion sur mademoiselle Lestérel.

»Donc, la femme de chambre s’est expliquée très nettement. Elle affirme que sa maîtresse avait entre les mains des lettres adressées par mademoiselle Lestérel à un… à un homme… des lettres qui ne laissaient aucun doute sur la nature des relations qui ont existé entre cet homme et cette jeune fille.

– La femme de chambre ment, s’écria madame Cambry. Berthe a toujours vécu honnêtement. Jamais sa conduite n’a donné prise au moindre soupçon.

Au grand étonnement de M.  Roger Darcy, Gaston ne s’associa point à cette protestation véhémente. Gaston avait ses raisons pour se taire. Gaston se disait:

– Mon oncle est encore aux affirmations de Mariette. Il les prend pour des preuves. Quand nous lui démontrerons que ces prétendues preuves ne signifient rien, que mademoiselle Lestérel, si elle est allée à l’Opéra, y est allée pour retirer les lettres de sa sœur, qu’une autre femme est entrée dans la loge, et que c’est cette autre femme qui a frappé Julia, mon oncle changera d’avis. En attendant, je puis le laisser parler sans le contredire. Tout va bien.

– Ma première impression a été la même que la vôtre, chère madame, reprit le magistrat. J’ai pensé que la soubrette affirmait à la légère. Elle a eu beau m’assurer qu’elle avait vu madame d’Orcival, au moment de partir pour le bal, mettre dans sa poche un gros paquet de lettres, je n’ai accepté son témoignage que sous bénéfice de vérification ultérieure, et c’est à cette vérification que j’ai procédé ce matin.

– Comment cela? demanda vivement madame Cambry.

– J’ai dirigé moi-même la perquisition qui vient d’être faite dans l’appartement de mademoiselle Lestérel.

– Eh bien?

– Eh bien, je dois dire que j’ai été d’abord très favorablement impressionné. Il est rare que la tenue d’un logement, les objets qui le garnissent, n’indiquent pas assez exactement le caractère, les habitudes, les mœurs de la personne qui l’habite. Les meubles ont une physionomie. Dans l’exercice de mes fonctions, il m’est arrivé de sentir le crime, en entrant dans la chambre d’un assassin. En entrant chez mademoiselle Lestérel, il me semblait que j’entrais dans la cellule d’une sœur converse. Une couchette d’enfant garnie de rideaux de mousseline blanche, des chaises de paille, une commode en noyer, des images de première communion, des rameaux de buis bénit à la glace de la cheminée, une photographie du commandant Lestérel en uniforme, un portrait de femme qui doit être celui de la sœur aînée. Le seul meuble profane est un piano, chargé de partitions. Pas d’autres livres que des livres de prix du pensionnat et des livres de piété.

– J’en étais sûre, murmura madame Cambry.

– Les tiroirs ont été ouverts, les papiers examinés minutieusement. Mon devoir m’y obligeait. Nous n’avons trouvé que des lettres de son père.

– Que disiez-vous donc?

Veuillez, chère madame, m’écouter jusqu’au bout. Tout semblait innocenter mademoiselle Lestérel. Une garde-robe des plus modestes, du linge de jeune fille. Pas trace de domino, de loup, ni des autres accessoires indispensables pour aller au bal masqué. Il est vrai qu’elle a pu les louer et les rendre dans la même nuit. J’ai ordonné des recherches chez les costumiers et chez les marchandes à la toilette.

Je commençais à croire que je m’étais laissé prendre à des apparences accusatrices, lorsqu’une malheureuse trouvaille a tout gâté. L’appartement se compose de cinq petites pièces, une antichambre, une cuisine, une salle à manger, un cabinet de toilette et une chambre à coucher. Il y avait eu du feu dans la chambre, mais on voyait qu’on n’en n’avait jamais fait dans la cheminée du cabinet. Pas de tisons, ni de cendre dans l’âtre. Rien qu’un tas de papiers brûlés tout récemment… les lettres rendues par madame d’Orcival, c’est évident.

– Pourquoi évident? demanda Gaston.

– Très probable, du moins. Il est facile de s’imaginer la scène. Mademoiselle Lestérel revient du bal. Elle tient les lettres, et il lui tarde de les anéantir. Son feu est éteint. Elle passe dans son cabinet de toilette pour se déshabiller. Elle allume une bougie, elle jette le paquet dans le foyer, elle y met le feu, et elle surveille avec beaucoup de soin l’incinération, car pas une bribe de papier n’a échappé à la flamme. Si elle eût été arrêtée quelques heures plus tard, nous n’aurions trouvé aucun vestige de cet auto-da-fé; mais elle venait de se lever quand le commissaire s’est présenté de ma part, et le ménage n’était pas encore fait.

– Et c’est sur des débris impalpables, sur des cendres oubliées au fond d’une cheminée qu’on prétendrait baser une certitude!

– Pas du tout. Cette découverte constitue une présomption, et rien de plus. Mais on en a fait une autre. En visitant avec soin la cheminée de la chambre à coucher, un agent a trouvé une lettre, ou plutôt un fragment de lettre, qui était allé se loger sous le manteau, où il était resté incrusté dans un interstice de briques. La combustion rapide a de ces hasards. Après le départ de la femme de chambre, mademoiselle Lestérel a voulu brûler tout de suite l’invitation de madame d’Orcival. Le feu flambait, elle y a jeté la lettre que la flamme a saisie et que le courant d’air du tuyau a emportée. Le papier était du papier à la mode du jour, très épais et, partant, très peu combustible.

Madame Cambry suivait ce récit avec une attention impatiente, et ne paraissait pas y croire beaucoup. Gaston y croyait, lui, car il ne doutait pas que Mariette n’eût dit la vérité; mais il n’était pas trop effrayé, et même il entrevoyait presque une lueur d’espérance. Il pensait:

– Julia a dû écrire que les lettres compromettantes étaient de madame Crozon. Si elle a écrit cela sur le fragment de billet qui a échappé au feu, Berthe sera du moins justifiée d’un soupçon infâme, justifiée malgré elle, justifiée aux dépens de sa sœur, mais qu’importe?

– Malheureusement, reprit M.  Roger Darcy, il ne restait de la lettre que les dernières lignes, mais elles sont assez claires.

– Que disent-elles donc? demanda madame Cambry très émue.

– D’abord, elles sont signées: Julie Berthier, le véritable nom de madame d’Orcival, et cette signature est précédée de cette qualification presque amicale: Ton ancienne camarade. Donc, pas de doute possible sur l’auteur de la lettre, ni sur la personne à laquelle cette lettre était adressée.

 

– Mais ce n’est pas tout, je suppose, dit Gaston qui était sur des charbons ardents.

– Non. Il y a aussi cette phrase que j’ai retenue mot pour mot: «Je compte que tu prendras la peine de te déranger. Tu peux bien aventurer ta précieuse personne au bal de l’Opéra pour avoir les jolis billets doux que je consens à te rendre par pure bonté d’âme, car je n’ai guère à me louer de toi. Si tu poussais la pruderie jusqu’à refuser de venir les chercher, je t’avertis que je ne me croirais plus tenue à aucun ménagement.» Est-ce assez significatif, chère madame? demanda M.  Darcy qui eut la délicatesse de ne pas adresser à l’amoureux de Berthe cette terrible question.

Madame Cambry était trop troublée pour y répondre catégoriquement. Elle ne put que murmurer:

– C’est étrange!… bien étrange…

– Hélas! non, se disait tristement Gaston, ce n’est pas assez significatif, car il est impossible de savoir si les lettres sont de mademoiselle Lestérel ou de sa sœur.

– Viennent ensuite, avant la formule finale, l’indication du numéro de la loge et de l’heure du rendez-vous, reprit l’oncle.

– Et quelle est l’heure indiquée? demanda le neveu avec une anxiété inexprimable.

– Deux heures et demie, répondit le magistrat. Or, le crime a été commis vers trois heures.

Il serait difficile de dire lequel, de Gaston Darcy ou de madame Cambry, fut le plus consterné par cette déclaration précise.

Gaston s’était attaché à l’idée suggérée par Nointel comme un homme qui se noie se cramponne à une perche qu’on lui tend du rivage. La perche cassait, et l’amoureux sombrait dans les profondeurs de la désespérance. Il courba la tête, et il prit son front dans ses deux mains.

Moins accablée, mais plus agitée, la belle veuve regardait M.  Darcy avec des yeux qui semblaient chercher à lire, sur la figure sévère du magistrat qu’elle avait choisi pour mari, l’arrêt dont la justice humaine devait infailliblement frapper la coupable.

Il y était écrit, cet arrêt effrayant, et cependant madame Cambry ne renonça pas à défendre Berthe Lestérel.

– À deux heures et demie, s’écria madame Cambry, mais c’est impossible. Berthe a quitté mon salon avant minuit. Elle l’a quitté en toute hâte. Pourquoi se serait-elle pressée de partir, si le rendez-vous donné par madame d’Orcival eût été fixé à deux heures et demie?

– Vous oubliez, chère madame, qu’une femme est venue la chercher, une femme qui prétendait être au service de madame Crozon.

– Mais qui n’était certainement pas au service de madame d’Orcival. C’est une preuve de plus que mademoiselle Lestérel n’est pas allée au bal.

– Non, c’est un fait inexpliqué, pas autre chose. Cette femme jusqu’à présent n’a pas été retrouvée. On la cherche et on la découvrira, je n’en doute pas. Si la prévenue a refusé de la désigner, c’est évidemment parce qu’elle redoute son témoignage.

– Ainsi, s’écria douloureusement madame Cambry, vous croyez que cette malheureuse enfant est perdue?

– Perdue de réputation, hélas! oui, elle l’est déjà. Condamnée, elle le sera. Mais, je l’ai déjà dit à Gaston, je suis certain que le jury et la Cour auront pitié d’elle.

– Cela signifie sans doute que sa tête ne tombera pas… qu’elle sera condamnée à vivre détenue. Quelle affreuse consolation! La mort ne vaut-elle pas mieux que le bagne à perpétuité… et c’est au bagne que l’enverrait l’indulgence de ses juges!

M.  Roger Darcy, visiblement affecté, eut quelque peine à se décider à répondre:

– Elle serait placée dans une des maisons de réclusion destinées aux femmes, et probablement pas pour toujours… pour vingt ans… pour dix ans peut-être, si la Cour consent à abaisser la pénalité de deux degrés. La loi le lui permet.

– Dix ans, répétait madame Cambry, dix ans de tortures épouvantables. On m’a dit que les femmes enfermées dans ces enfers n’y résistaient pas… que celles qui survivaient devenaient folles.

Cette fois, le juge ne répondit pas du tout.

– Vous vous taisez, s’écria-t-elle; c’est donc vrai: on y meurt, on y perd la raison… et ce serait là le sort réservé à une innocente! car Berthe est innocente, je vous le jure. Ah! c’est effroyable à penser! Dites-moi au moins, dites-moi, je vous en supplie, qu’elle serait graciée promptement.

M.  Darcy secoua la tête et dit avec une émotion profonde:

– Vous auriez tort, madame, d’espérer cela. Mademoiselle Lestérel, après sa condamnation, paraîtra encore digne d’intérêt. Mais son procès aura un retentissement énorme. Par son éducation, par ses relations, elle appartient aux classes élevées de la société. Une commutation de peine immédiate heurterait l’opinion publique. Les journaux crieraient à l’injustice. Le chef de l’État peut gracier une ouvrière, sans qu’on l’accuse de partialité. Il est presque forcé de se montrer impitoyable pour une femme du monde.

C’en était trop pour Gaston. Il se leva, serra silencieusement la main de madame Cambry, et s’enfuit, laissant son oncle en tête-à-tête avec la généreuse veuve qui pleurait à chaudes larmes.

– Non, murmurait-il en se précipitant dans l’escalier, non, Berthe n’ira pas mourir dans une de ces infâmes prisons. Qu’importent ces lettres, ces coïncidences d’heures! Elle n’est pas coupable, je le vois, je le sens… et je le prouverai… ou sinon, c’est moi qui mourrai… je me brûlerai la cervelle.

Son duc l’attendait. Il s’y jeta, et ce fut un grand miracle s’il n’écrasa personne en rentrant chez lui, car il descendit l’avenue des Champs-Élysées avec la rapidité d’un train express.

X. L’heure indiquée par Mariette était passée lorsque le capitaine arriva à l’église Saint-Augustin…

L’heure indiquée par Mariette était passée lorsque le capitaine arriva à l’église Saint-Augustin, pour assister à l’enterrement de Julia d’Orcival.

Ce n’était pas précisément un devoir pieux qu’il venait remplir, car Julia ne lui avait jamais inspiré beaucoup de sympathie. Elle lui déplaisait pour plusieurs raisons, d’abord parce qu’elle s’était emparée de Gaston Darcy pour le mener à grandes guides sur le chemin de la ruine, ensuite parce qu’elle appartenait à une catégorie de femmes galantes qu’il ne pouvait pas souffrir.

Il prétendait que le premier devoir d’une irrégulière est de se donner franchement pour ce qu’elle est et de ne pas singer les femmes du monde. Les grands airs de Julia l’agaçaient; ses prétentions lui semblaient ridicules, et il s’était souvent moqué de Darcy qui se soumettait à certaines exigences de la dame. Par exemple, elle ne voulait pas que son amant la tutoyât; l’obéissant Gaston lui disait: vous, même dans l’intimité, et la saluait devant le monde comme il aurait salué madame Cambry.

Il retardait sur les idées de son temps, ce hussard entêté; il en était encore aux bonnes filles chantées par Béranger, et peu s’en fallait qu’il ne regrettât la race disparue des grisettes.

Donc, il ne se sentait pas porté à s’attendrir sur la fin prématurée d’une institutrice passée millionnaire par la grâce de ses charmes, et la curiosité seule l’attirait aux obsèques de la fière d’Orcival; une curiosité intéressée, car il espérait recueillir pendant la cérémonie quelques indications utiles.

Il se doutait bien qu’il y rencontrerait des gens de sa connaissance, et, par considération pour son ami Darcy qu’il représentait presque, il s’était mis en grande tenue de circonstance, pardessus noir très long, chapeau de mérinos noir, cravate et redingote noires, gants noirs. Il ne se serait pas habillé autrement pour enterrer la marquise de Barancos.

Du reste, il n’eut pas à regretter d’avoir fait une toilette correcte, car l’assistance était aussi choisie que nombreuse. Vingt voitures de maître stationnaient aux abords de l’église, et les tentures du portail annonçaient aux passants qu’il s’agissait d’un convoi de première classe.

– Oh! oh! se dit Nointel, en apercevant de loin cet apparat, on n’en ferait pas tant pour un général de division. Aux frais de qui ces somptueuses funérailles? Je ne le devine pas. L’État, qui hérite de la d’Orcival, n’est pas si généreux d’ordinaire. Est-ce que les anciens amis de Julia se seraient cotisés? Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

À dix louis par tête, ils n’auraient pu avoir tout ce qu’il y a de mieux en fait de pompes funèbres. Ma foi! il est heureux que Darcy ne soit pas venu. On n’aurait pas manqué de dire que c’était lui qui payait ce luxe mortuaire, et son oncle ne serait pas content.

Ce fut bien autre chose quand il entra dans l’église.

La nef était pleine, et si les femmes s’y trouvaient en majorité, les hommes n’y manquaient pas non plus. Il y avait là des oisifs élégants, de ceux qui vont à un enterrement qui fera du bruit, comme ils iraient à une première, quelques pratiquants de la religion du souvenir, venus là en mémoire d’une liaison passagère avec Julia, et force reporters de journaux, car le compte rendu des obsèques devait fournir au moins une colonne et demie dans le numéro du soir ou du lendemain. Ce n’était certes pas trop pour la victime du crime de l’Opéra.

L’église était tapissée de noir du haut en bas, et le cercueil disparaissait sous les fleurs. Il y avait des bouquets de camélias blancs qui avaient dû coûter cent écus.

– Un mois de la solde d’un capitaine, pensait philosophiquement Nointel.

Et tous ces flâneurs, tous ces indifférents, tous ces viveurs, toutes ces affolées de plaisir avaient une attitude édifiante. Du côté des hommes, on causait bien un peu, mais à voix basse. Du côté des femmes, on priait.

L’orgue tonnait ses graves harmonies, et les chants sévères de l’office des morts retentissaient sous les voûtes. Il y avait du recueillement dans l’air.

Nointel prit place au dernier rang des chaises, tout au bas de la nef. Il tenait beaucoup plus à voir qu’à être vu, et il se mit à chercher s’il reconnaîtrait quelqu’un dans cette foule. Les hommes ne lui montraient guère que des dos, mais les femmes se présentaient à lui de profil ou de trois quarts, et il ne tarda pas à découvrir des étoiles galantes. Toute l’aristocratie du demi-monde était là. Celles qui jalousaient Julia vivante n’avaient pas cru pouvoir se dispenser de rendre les derniers devoirs à Julia morte. Les amies pleuraient, et parmi celles-là, le capitaine remarqua cette Claudine Rissler qu’il avait quittée jadis parce qu’elle le trompait avec un fourrier du régiment.

C’était une fort jolie fille, une brune rieuse, une de ces créatures qu’on ne peut pas voir sans penser à boire du vin de Champagne et à casser les verres après, une femme selon le cœur de Nointel qui tenait pour les Frétillon du bon vieux temps, et Nointel ne fut pas médiocrement surpris de voir qu’elle fondait en larmes.

– Elle a pourtant ruiné sans pitié trois braves garçons de ma connaissance, se disait le plus sceptique des officiers démissionnaires: deux engagements forcés aux chasseurs d’Afrique et un suicide qui ne lui ont pas coûté un soupir. C’est peut-être parce qu’elle a économisé ses pleurs qu’il lui en reste tant à répandre.

Claudine était flanquée d’un monsieur, le seul qui se fût mêlé aux personnes du sexe faible, un monsieur de haute taille et de belle mine, cheveux rares, moustaches grisonnantes, favoris taillés à la russe, un monsieur roide et grave comme un diplomate en tenue d’audience.

Nointel pensa que ce personnage était le boyard rapporté de l’Exposition universelle par la séduisante Rissler, et il admira le savoir-faire de son ancienne maîtresse, qui avait persuadé à ce seigneur moscovite d’honorer de sa présence le convoi de Julie Berthier.

Il reconnut aussi Mariette, qui essuya ses yeux dès qu’elle l’aperçut, et qui lui fit un petit signe d’intelligence. Il avait quelques renseignements complémentaires à lui demander, et il se promit de lui parler après le service.

En attendant, il continua à examiner la partie féminine de l’assistance, et il avisa, dans le coin le plus sombre de l’église, tout à fait en dehors du groupe qui occupait les chaises, une femme agenouillée sur le pavé. Il la voyait assez mal; un bénitier la lui cachait à moitié; il put cependant reconnaître qu’elle portait une élégante toilette de deuil, et il s’étonna qu’une personne si bien mise ignorât l’usage des prie-Dieu ou dédaignât de s’en servir. De sa figure, il ne pouvait rien dire, car elle se cachait sous une voilette opaque; mais il pouvait juger à sa taille qu’elle était jeune et bien faite. Elle priait ardemment, courbée comme une pénitente, et à certains tressaillements de ses épaules, on eût dit qu’elle sanglotait.

 

Une idée bizarre se présenta à l’esprit très aiguisé du capitaine. Il avait lu dans quelque roman judiciaire que les meurtriers ont une tendance naturelle à venir rôder autour du théâtre de leur crime et même à s’en aller voir à la Morgue le cadavre de leur victime. Il ne croyait pas beaucoup à ces affirmations des auteurs qui exploitent les causes célèbres, mais il se mit à raisonner par analogie, et il se dit:

Si c’était la coupable qui se repent et qui vient demander pardon à la morte? Pourquoi pas? Julia a certainement été tuée par une femme, et les femmes sont capables de toutes les excentricités. Il faut que je tâche de me rapprocher de celle-ci. Elle finira bien par se lever, et j’ai de bons yeux; j’aurais du malheur si je ne parvenais pas à voir la couleur des siens.

Il allait mettre à exécution ce louable projet, mais l’office tirait à sa fin, et il se fit un grand mouvement dans la foule qui commençait à refluer vers les bas côtés de l’église pour laisser la place libre au clergé et aux employés des pompes funèbres.

Le capitaine fut puni de son inexactitude. Dérogeant ce jour-là à ses habitudes de ponctualité militaire, il était arrivé en retard, et il avait manqué la moitié de la messe. Impossible de traverser la nef et de passer dans le camp féminin sans attirer l’attention de ses voisins, dont quelques-uns le connaissaient de vue. Il se résigna à surveiller de loin l’inconnue, qu’il comptait bien rejoindre à la sortie.

Elle priait toujours, et elle ne bougeait pas plus que les statues agenouillées sur les tombeaux du moyen âge dans les vieilles cathédrales.

Des figures nouvelles vinrent distraire Nointel du curieux spectacle que lui donnait cette inconsolée. On défilait déjà devant le catafalque, et parmi les premiers qui jetaient de l’eau bénite sur le cercueil fleuri de Julia, l’infatigable observateur vit poindre Simancas et Saint-Galmier.

– Je ne puis plus aller quelque part sans rencontrer ces deux drôles, murmura-t-il. Que sont-ils venus faire ici? Ils ne doivent pas regretter Julia, si sa mort leur a procuré leurs entrées chez la marquise. Mais j’aime autant qu’ils ne me voient pas, et je vais me tirer de leur chemin.

Nointel recula au troisième rang et sut se placer de façon à ne pas être aperçu des gens qui s’en allaient. Il vit passer le général et le docteur, l’inévitable Lolif et bien d’autres qui ne le remarquèrent point. Puis vinrent les femmes, Claudine Rissler en tête, toujours escortée par son majestueux protecteur. L’église se vidait rapidement et l’inconnue ne faisait pas mine de se lever.

– Tant de ferveur et une robe de la bonne faiseuse, une robe à la mode de demain, ce n’est pas naturel se disait le capitaine. Il n’y a qu’en Espagne et en Italie que les belles dames se passent de chaises pour prier Dieu. Une Parisienne craindrait de s’écorcher les genoux et surtout de gâter sa toilette. En Espagne? Eh! mais, j’y pense… la Barancos est espagnole… Si c’était elle? Voilà qui serait significatif.

»Parbleu! j’en aurai le cœur net. Je vais l’attendre à la sortie et, s’il le faut, je la suivrai.

Nointel, fendant la foule, cherchait à gagner la sortie, mais les gens qui portaient le cercueil lui barrèrent le chemin. Force lui fut de les laisser passer, et il eut le crève-cœur de voir la femme agenouillée se lever enfin, se glisser vers une porte latérale et disparaître. À peine eut-il le temps de remarquer sa tournure et sa taille, qui s’accordaient assez bien avec l’idée dont il s’était coiffé. De là à conclure avec certitude que cette inconnue était madame de Barancos, il y avait très loin, et le capitaine n’hésita pas à courir après elle, pour savoir à quoi s’en tenir.

Il sortit de la nef aussi vite qu’il le put, mais la porte était encombrée, et quand il déboucha sur les marches du perron, la dame voilée avait disparu. Il eut beau regarder de tous les côtés, courir au boulevard Malesherbes, puis, revenant sur ses pas, pousser une pointe du côté des rues qui aboutissent au square de Laborde, sur l’autre flanc de l’église; il ne l’aperçut point. Évidemment, une voiture attendait cette mystérieuse personne et l’avait emportée à toute vitesse. C’est du moins ce que pensa Nointel, qui se dit:

– Raison de plus pour que ce soit la marquise. Elle a de bons chevaux et elle est déjà loin. Je n’ai plus que faire de la chercher, mais je note l’incident, et quand je la verrai, ce qui ne tardera guère, je n’oublierai pas de lui parler de l’enterrement de Julia.

Sur cette résolution, le capitaine se disposait à filer, pour éviter des rencontres inopportunes, mais il sentit qu’on le tirait par la manche de son pardessus, et, en se retournant, il se trouva en face de Claudine Rissler, qui lui dit:

– Bonjour, Henri. C’est gentil à toi d’être venu, mais ton ami Darcy est un sans-cœur. Il aurait bien pu se déranger pour Julia qui est restée un an avec lui. Et laisser un étranger payer les pompes funèbres de sa maîtresse, quand on a cinquante mille livres de rente, non, là, vrai, ce n’est pas chic. Après ça j’aime autant qu’il ne s’en soit pas chargé. Il aurait lésiné, et nous n’avons pas regardé à la dépense. N’est-ce pas que c’était bien?

– On ne peut pas mieux, chère amie, mais…

– Pardon si je te quitte, mon petit. Wladimir me cherche. Wladimir s’avance. Veux-tu que je te présente? Il est jaloux comme un ours de son pays, mais tu vas voir comme je l’ai apprivoisé. Non? Tu ne veux pas? Alors, je retourne à mon Cosaque. Je lui dirai que je causais avec mon cousin.

Le capitaine allait réclamer. Il ne tenait pas à cousiner avec Claudine. Mais Claudine était déjà accrochée au bras de son seigneur russe, qu’elle entraînait vers sa voiture. Elle marchait aussi vite qu’elle parlait. Le colloque n’avait pas duré trente secondes; la fugue ne dura pas davantage.

Nointel aurait ri de bon cœur des propos décousus de cette écervelée, mais le moment eût été mal choisi. On chargeait sur un corbillard empanaché la bière qui contenait les tristes restes de la pauvre Julia, et le scepticisme du ci-devant hussard n’allait pas jusqu’à le rendre inaccessible à toute émotion. Il écoutait le bruit sourd du coffre de chêne heurtant les planches de la voiture mortuaire, et il se prenait à donner un regret à cette reine de beauté qui s’en allait dormir oubliée sous six pieds de terre. La dernière fois qu’il l’avait vue, c’était à la porte de son hôtel; elle montait dans sa fameuse victoria à huit ressorts que lui enviait Mme  de  Barancos. Elle partait pour sa promenade au Bois, et les passants se retournaient pour l’admirer. Et maintenant, c’était le dernier voyage, le voyage d’où on ne revient pas. Plus rien qu’un nom sur une pierre, et à peine un souvenir, plus vite effacé que l’inscription. Puis, l’herbe pousse et le nom s’efface aussi.

– Bah! se dit le capitaine un peu honteux de s’être laissé aller à philosopher sur un sujet si mélancolique, elle est morte dans le plein éclat de la jeunesse et du succès. Elle n’a pas eu le chagrin de se voir vieillir. C’est comme si j’avais été tué sur un champ de bataille, colonel à trente ans. Et on m’aurait mis dans la fosse avec moins de cérémonie.

Il en était là de ses réflexions, quand il fut abordé par Mariette. La rusée femme de chambre ne l’avait pas perdu de vue à la sortie, et elle attendait pour lui parler qu’il fût seul.

– N’est-ce pas, monsieur, que c’était bien, lui dit-elle en s’essuyant les yeux avec un mouchoir de baptiste qui avait dû servir autrefois à sa maîtresse.

– Elles disent toutes la même chose, pensa Nointel. Il paraît que c’est un refrain.

Et il répondit gravement:

– Admirable et touchant. J’en suis tout ému.