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Le crime de l'Opéra 1

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– Ça ne m’étonne pas; elle a la toquade des militaires; ça la perdra. Ah! monsieur, cette pauvre madame ne donnait pas dans ces bêtises-là; elle était sérieuse. M.  Darcy le sait bien. Je peux lui jurer sur les cendres de ma mère que madame ne lui a pas fait de traits pendant tout le temps qu’il a été avec elle… Oh! mais là, pas un seul.

– Je vous crois, Mariette, dit Gaston que les bavardages de Nointel impatientaient, et qui avait hâte d’aborder un sujet plus intéressant que les frasques d’une amie de Julia; je vous crois d’autant mieux que je sais dans quels termes vous viviez avec madame d’Orcival. Vous étiez moins sa femme de chambre que sa confidente. Elle ne vous cachait rien.

– C’est vrai. Madame avait confiance en moi. Elle avait raison, car pour elle je me serais mise au feu, et pour un million je n’aurais pas dit ce qu’elle m’avait défendu de dire. Monsieur en a eu la preuve. Madame m’avait recommandé de ne pas dire qu’il était chez elle quand le comte s’est pendu. Et le commissaire a eu beau me tourner et me retourner, il n’en a rien su.

– Vous me rappelez que je suis votre obligé, ma chère Mariette; il s’est passé tant d’événements depuis ce jour-là, que je n’ai pas eu le temps de faire pour vous ce que je me propose de faire; mais je vais réparer ma négligence aujourd’hui même… après que nous aurons causé.

– Monsieur est trop bon… et j’espérais bien que monsieur ne m’abandonnerait pas après un malheur pareil… car c’est mon avenir que j’ai perdu en perdant madame… elle m’avait promis qu’elle me laisserait une rente ou une somme… à mon choix… j’aurais préféré le capital, parce que je ne tiens pas à rester au service… je voudrais m’établir. Mais madame n’a pas dû penser à faire son testament… c’est tout naturel… à son âge, elle ne prévoyait pas qu’elle allait mourir si vite… et de quelle mort!… ah! la scélérate qui l’a assassinée n’aura pas volé l’échafaud.

– Et toi, fine mouche, pensa le capitaine, tu ne veux pas être volée en la dénonçant pour rien, et tu poses tes conditions. Si je ne m’en mêle pas, Darcy va s’enferrer.

– Comptez sur moi, Mariette, s’écria l’amoureux Gaston. Le service que vous m’avez rendu n’est rien en comparaison de celui que vous allez me rendre, en m’aidant à venger Julia, et je ne vous récompenserai jamais assez. Apprenez-moi donc…

– Monsieur me comble. Et je m’enhardis à parler à monsieur d’un fonds de lingerie qui est à vendre dans la rue Scribe… quarante mille francs.

– À deux pas de l’Opéra. C’est pour rien, dit Nointel avant que son ami eût le temps de répondre: c’est fait. Tu as là une bonne idée, petite. Darcy est au-dessus de quarante mille francs, et si ta maîtresse t’a dotée, comme elle te l’avait promis, te voilà devenue un bon parti. Tu pourras épouser un officier en retraite. Pourquoi madame d’Orcival n’aurait-elle pas fait de testament? C’était une femme d’ordre. Elle ne pensait pas à la mort, je le crois, mais elle a bien pu mettre ses affaires en règle.

– On ne saura rien tant que les scellés ne seront pas levés.

– Ah! oui, c’est vrai; elle ne laisse pas d’héritiers, m’a-t-on dit.

– Non, monsieur. Madame était enfant de l’amour. Elle n’avait pas de parents. Si elle n’a disposé de rien par écrit, on prétend que c’est le gouvernement qui aura tout. Une drôle de loi tout de même. Ah! monsieur, ce n’est pas par intérêt, puisque M.  Darcy ne me laissera pas dans la peine, mais je vous jure que ça me crèvera le cœur quand on vendra le mobilier, et les tableaux, et les porcelaines, et tout. Les tableaux, surtout. Elle les aimait tant. Tenez! le Fortuny, elle se levait des fois la nuit pour le regarder. Elle disait que ça lui remettait les yeux quand elle avait vu des gens laids dans la journée. C’est comme quand on a rapporté son corps, tout à l’heure, ça m’a donné un coup. Croiriez-vous qu’il l’avait charrié à la Morgue et qu’ils l’ont gardé vingt-quatre heures, pour l’ouvrir… des horreurs, quoi! J’en ai la chair de poule quand j’y pense. Et le commissaire n’a pas voulu qu’on la mît sur son lit, ma pauvre maîtresse. Elle est sur un matelas dans la bibliothèque. Claudine Rissler va venir aujourd’hui pour l’ensevelir. Moi, je n’aurais pas le courage d’y toucher. Elle a du cœur tout de même, madame Rissler.

– Quand a lieu l’enterrement? demanda le capitaine pour couper court à ce débordement de lamentations inutiles.

– Demain matin à onze heures. J’ai peur qu’il n’y ait pas beaucoup de monde, et si M.  Darcy voulait venir…

– Nous irons, ma fille, dit vivement Nointel, et peut-être ne serons-nous pas les seuls de notre monde à y aller. Ta maîtresse avait beaucoup d’amis.

– Mais non, monsieur. Depuis qu’elle connaissait M.  Darcy, elle avait cessé toutes ses anciennes relations. Elle ne recevait plus que des femmes. Le soir où le comte Golymine s’est pendu dans l’hôtel, il était entré malgré moi; M.  Darcy peut vous le dire, puisqu’il était chez madame. Depuis la mort du comte, il n’est venu que deux messieurs; et si madame les a reçus, c’est qu’elle croyait qu’ils venaient de la part de M.  Darcy, et l’un d’eux, en effet, a été envoyé par M.  Darcy.

– Par moi! s’écria Gaston. Vous vous trompez. Je n’ai envoyé personne chez Julia.

– Cependant, ce docteur a assuré à madame que…

– Quel docteur? demanda Nointel.

– Le docteur Saint-Galmier… un médecin étranger qui soigne les maladies des nerfs.

– Ah! ah! Et l’autre visiteur, qui était-ce?

– Un étranger aussi. Un général Simancas. Celui-là venait demander à madame des renseignements sur le comte Golymine qu’il a beaucoup connu dans le temps. Madame l’a mis à la porte.

– Et le docteur? comment l’a-t-elle reçu?

– Mieux que le général, parce qu’elle le prenait pour un ami de M.  Darcy. Il devait même revenir le lendemain apporter des nouvelles de monsieur, mais on ne l’a pas revu.

– C’est le comble de l’impudence! murmura Gaston.

– Dis-moi, Mariette, reprit le capitaine, ces deux messieurs se sont présentés le même jour?

– Oui, et presque à la même heure. Le général n’était pas parti depuis vingt minutes, quand le docteur est arrivé. C’était mardi, dans l’après-midi. Madame m’avait envoyée le matin à l’administration de l’Opéra retirer son coupon de loge pour le bal. Ah! monsieur, si j’avais su…

– Le fait est que ta maîtresse a eu là une malheureuse idée. Que veux-tu! il était écrit là-haut qu’elle mourrait de la main d’une femme. Elle avait congédié ses amis et gardé ses amies. Il aurait mieux valu qu’elle fît tout le contraire.

– Ses amies, mon capitaine? Mais elle en avait très peu. Madame Rissler que vous connaissez, Delphine de Raincy, Jeanne Norbert, Cora Darling. Et encore elle ne les voyait pas souvent. Monsieur ne les aimait pas, et ça suffisait pour que madame les tînt à distance. Et pourtant… si elle n’avait jamais connu qu’elles, le malheur ne serait pas arrivé.

Darcy écoutait avec une attention émue cette énumération de noms dont aucun ne commençait par un B; et il allait passer à des questions plus directes, mais Nointel prit les devants.

– Je crois en effet, dit-il, que ces dames sont incapables de commettre un crime. Il n’en est pas moins vrai que c’est une femme qui a tué Julia. Pourquoi l’a-t-elle tuée? Du diable si je m’en doute!

– Moi, je le sais, riposta la femme de chambre. Elle l’a tuée pour l’empêcher de parler. Madame savait que la coquine avait eu un amant. Madame n’avait qu’un mot à dire pour la perdre. Et c’est bien ce que j’aurais fait, si j’avais été à la place de madame. Mais madame était cent fois trop bonne. Elle avait entre les mains des preuves, des lettres écrites à un homme par cette bégueule. Elle lui a donné rendez-vous au bal de l’Opéra pour les lui rendre, au lieu de la forcer à venir les chercher boulevard Malesherbes. Et elle les lui a rendues, puisqu’on ne les a pas trouvées sur son pauvre corps. Alors, l’autre s’est dit: Je les ai, mais madame d’Orcival a connu mon amant, et elle pourra toujours dire que moi, qui pose pour la femme honnête, je ne suis qu’une drôlesse. Je vais la tuer. C’est plus sûr. Et elle l’a tuée, la gueuse.

– Comment sais-tu que madame d’Orcival avait des lettres sur elle quand elle est allée au bal? demanda le capitaine en lançant un coup d’œil à Darcy pour le prier de le laisser mener l’interrogatoire jusqu’à la fin.

– Je les ai vues, monsieur. Pensez donc que c’est moi qui ai habillé madame pour le bal. Quand elle a été prête, elle a ouvert devant moi le meuble en bois de rose où elle serrait ses correspondances, elle y a pris les lettres dans un tiroir… il y en avait un gros paquet… si gros qu’elle n’a pas pu le fourrer dans son corsage et qu’elle l’a mis dans la poche de sa robe. Et elle m’a dit en riant: Sont-elles bêtes, ces femmes du monde, d’écrire si souvent!

– En effet, c’est assez clair. Tu ne sais pas de qui elle les tenait, les lettres?

– Non, madame ne disait que ce qu’elle voulait dire, et elle n’aimait pas qu’on lui fît des questions. Ça ne m’empêchait pas de deviner bien des choses. Ainsi, tenez, le jour où elle a écrit à cette créature, elle ne m’a pas fait de confidences, et pourtant j’ai compris tout de suite de quoi il retournait. Tenez! c’était justement le mardi, le lendemain de la mort du comte Golymine, le jour où les deux étrangers sont venus. Madame attendait monsieur… elle espérait toujours que monsieur n’était pas fâché pour tout de bon et qu’il reviendrait… et même c’est bien malheureux que monsieur ne soit pas revenu, car elle aurait certainement changé d’idée… elle ne serait pas allée au bal de l’Opéra, si elle avait été encore avec monsieur.

Darcy tressaillit. Il sentait bien qu’il y avait du vrai dans ce qu’avançait la soubrette, et qu’il avait peut-être dépendu de lui d’empêcher le crime que Berthe Lestérel était accusée d’avoir commis.

– Oui, soupira Nointel, c’est une fatalité. Tu disais donc qu’elle a écrit le mardi…

 

– Sur le coup de cinq heures, quand elle a commencé à désespérer de voir monsieur. Le général et le docteur étaient partis. Madame m’a sonnée, et quand je suis entrée dans son boudoir, elle achevait de mettre l’adresse sur la lettre. Elle en avait écrit d’autres qui étaient sur son buvard, et elle avait le coupon de la loge devant elle. Alors, elle m’a dit: Habille-toi. Tu vas porter ce billet. Et tu ne le remettras qu’à la personne elle-même. Si on fait des difficultés pour te laisser monter chez elle, tu insisteras; tu diras que tu viens de la part d’une de ses amies, d’une personne de sa famille… tout ce qui te passera par la tête… l’important, c’est que tu la voies elle-même. Du reste, je suis certaine qu’elle finira par te recevoir. Tu lui remettras la lettre, et tu regarderas bien la figure qu’elle fera en la lisant. Quand elle aura fini, tu lui demanderas une réponse. Je ne crois pas qu’elle te la donne par écrit. Elle est trop fière pour écrire à une femme comme moi.

– Ah! s’écria Darcy, radieux, c’est bien elle… c’est la marquise!

– Et que t’a répondu cette princesse? demanda Nointel, presque aussi content que son ami. Car tu l’as vue, n’est-ce pas?

– Oui, je l’ai vue, et elle m’a répondu: «C’est bien, dites à madame d’Orcival que j’irai.» Vous avez raison. Une princesse n’aurait pas fait plus de manières. Elle ne l’est pas pourtant, ni marquise non plus, cette coureuse de cachets.

Darcy tomba brusquement du haut de ses illusions. Il avait cru que Mariette parlait de la marquise. La chute était rude.

Nointel n’était pas moins désagréablement surpris, car il avait espéré que le nom de Barancos allait arriver au bout du récit entamé par la femme de chambre.

Quant à Mariette, elle ne comprenait rien à l’air déconfit qu’avaient ces messieurs, car elle était persuadée qu’ils savaient fort bien de qui elle parlait. Darcy était le neveu du juge d’instruction; Darcy ne pouvait pas ignorer ce qui se passait, et lorsqu’elle lui avait dit la veille, à la porte du Palais de Justice, qu’elle connaissait la coupable, c’était Berthe Lestérel qu’elle lui aurait nommée, si l’agent de la sûreté ne fût pas venu interrompre la conversation.

Le capitaine pensa qu’il fallait lui laisser le temps de comprendre, et qu’on pouvait encore tirer d’elle des renseignements intéressants. Il sentait bien que la partie tournait mal, mais il voulait la jouer jusqu’au bout.

– Quelle coureuse de cachets? demanda-t-il tranquillement.

– La chanteuse, parbleu! répondit la soubrette, la Lestérel. Heureusement, le juge ne s’est pas trompé. Il l’a fait coffrer, séance tenante. Elle est à Saint-Lazare, la gueuse! Et j’espère qu’elle n’en sortira que pour aller à la Roquette.

Darcy se tenait à quatre pour ne pas étrangler cette misérable femme de chambre qui injuriait Berthe et qui la vouait au supplice. Il était pâle, il serrait les poings et il se serait peut-être porté à quelque extrémité, si Nointel ne lui eût adressé un regard expressif.

Ce regard voulait dire clairement: Si tu éclates, nous ne saurons rien. Tiens-toi en repos, et laisse-moi faire. Tout n’est peut-être pas perdu encore.

– C’est vrai, reprit-il, du ton le plus naturel du monde, on a arrêté une jeune fille qui chante dans les concerts. Tous les journaux le racontent. Mais ils n’affirment pas qu’elle soit coupable. Ils assurent même qu’il y a des doutes en sa faveur.

– Des doutes! s’écria la femme de chambre. Vous ne savez donc pas que le couteau qu’on a trouvé enfoncé dans le cou de ma pauvre maîtresse appartenait à cette coquine? Des doutes! après ce que je viens de vous dire, quand je peux prouver que madame lui avait donné rendez-vous au bal de l’Opéra.

– Tu as donc décacheté la lettre, petite?

– Moi! pour qui me prenez-vous, mon capitaine? Non, je ne me suis pas permis une chose pareille. Mais je me rappelle ce que m’a dit madame, quand elle m’a donné la commission, et puis, je l’ai portée, la lettre; j’étais là quand cette créature l’a lue, et sa figure de papier mâché disait assez ce qu’elle éprouvait en la lisant. Elle est devenue verte, et j’ai cru qu’elle allait s’évanouir. Et quand elle m’a répondu: «J’irai», je n’ai pas eu besoin de lui demander où. Je savais bien qu’il s’agissait du bal de l’Opéra. Ah! elle est rouée, allez! et hypocrite, et geigneuse. Fallait la voir dans le cabinet du juge quand on l’a amenée pour que je la reconnaisse. Elle pleurait comme une fontaine… et des grimaces et des gestes comme au théâtre… elle se tordait les mains… il ne lui manquait plus que de s’arracher les cheveux.

Darcy laissa échapper un cri de colère, et fit un mouvement pour se lever.

– Tu souffres, lui dit Nointel avec calme; tu penses à cette pauvre Julia. Du courage, mon cher. Écoute Mariette qui nous aidera à la venger.

»Et toi, petite, raconte-nous un peu comment la confrontation a fini. La demoiselle a-t-elle avoué que tu étais venue chez elle et que tu lui avais remis une lettre de madame d’Orcival?

– Avouer! ah! on voit bien que vous ne la connaissez pas. Elle n’a seulement pas voulu répondre au juge. Il a eu beau la questionner de toutes les façons, il n’a pas pu en tirer un mot. C’est son système de faire la muette. Mais le juge ne s’y est pas laissé prendre, pas plus qu’à ses pleurnicheries. Ah! c’est un fameux magistrat que l’oncle de M.  Darcy. On ne le met pas dedans comme ça. Il est doux, il est poli, il parlait à cette créature comme si la conversation s’était passée dans un salon; mais il n’a pas bronché pour la coller en prison. Et elle y est, Dieu merci!

– Il me semble, ma chère Mariette, que tu peux te flatter de n’avoir pas peu contribué à l’y envoyer.

Si la femme de chambre avait pu savoir ce qui se passait dans le cœur de Darcy, elle n’aurait probablement pas répondu avec tant de netteté à l’insinuation du capitaine; mais sa finesse n’allait pas jusqu’à deviner que l’action dont elle se vantait allait lui faire un ennemi du dernier amant de madame d’Orcival, et elle s’écria:

– Je vous crois que j’y ai contribué. C’est-à-dire que sans moi le juge ne se serait peut-être pas décidé si vite. Mais j’ai tant appuyé sur mes conversations avec madame, je lui en ai tant raconté sur les relations qu’elle avait eues avec cette bégueule, que j’ai enlevé la chose. Ah! M.  Darcy doit être content.

Darcy ne répondit que par un rugissement étouffé. Nointel pensait:

– Mariette, ma fille, tu n’auras pas ton fond de lingerie. Tu viens de mettre le feu à ton magasin. C’est toujours autant de gagné pour mon ami, car il aurait été assez bête pour lâcher les quarante mille.

Et comme il ne perdait jamais la tête, il dit tout haut:

– Tu as fort bien manœuvré, à ce que je vois, et il est très heureux que madame d’Orcival t’ait chargée de l’invitation qu’elle a adressée à cette Lestérel. Maintenant, l’affaire me paraît claire. Mais où diable s’étaient-elles connues?

– En pension, mon capitaine. Madame avait été très bien élevée. La Lestérel aussi.

– Est-ce qu’elles avaient continué à se voir?

– Non. Cette pimbêche posait pour la vertu, et elle ne voulait pas fréquenter madame, qui valait cent fois mieux qu’elle. Elle est pourtant venue une fois à l’hôtel.

– Quand?

– Oh! il y a du temps… deux ans au moins… Madame lui avait écrit pour lui demander un renseignement sur une de leurs amies de pension. Vous croyez qu’elle lui a répondu? Pas si bête! Mademoiselle avait peur de laisser traîner sa signature chez une cocotte. Elle a préféré venir en personne. C’est moi qui l’ai reçue. Si vous aviez vu comme elle s’était arrangée… avec sa voilette épaisse et son waterproof en forme de sac: son amant ne l’aurait pas reconnue à deux pas. Ah! elle sait se déguiser, celle-là. Et ses manières de sainte nitouche avec madame qui la recevait à la bonne franquette! Tenez! j’ai dit à madame dès ce jour-là ce que je pensais d’une poseuse pareille.

– Le fait est que lorsque l’on va chez les gens, on n’a pas le droit de leur faire froide mine. Cette jeune personne est prudente, mais elle manque de logique. As-tu quelque idée de l’amant qu’elle s’était offert… celui qui avait reçu d’elle des lettres compromettantes, si compromettantes que, pour les ravoir, elle a tué son ancienne camarade du pensionnat?

– Son amant? ça doit être un pianiste, ou un ténor… quelque meurt-de-faim d’artiste. Un homme comme il faut ne se serait pas embarrassé d’une créature qui n’a ni toilette, ni chic, ni rien pour elle que la beauté du diable.

Darcy ne disait mot, mais il marchait furieusement à travers le cabinet de toilette, et chaque fois qu’il passait devant le capitaine, ses yeux lui demandaient d’abréger l’entretien.

Nointel avait ses raisons pour continuer, et il ne tint aucun compte de la prière que son ami lui adressait.

– Tu exagères un peu, Mariette, reprit-il. Des gens qui s’y connaissent m’ont affirmé que la demoiselle était fort jolie. Mais enfin, elle chantait pour de l’argent dans les concerts, elle donnait des leçons. Elle a bien pu en effet nouer une liaison avec un musicien quelconque. Seulement… si l’amant est un artiste, un meurt-de-faim, comme tu dis, madame d’Orcival ne devait pas le connaître.

– Oh! il n’y a pas de danger. Madame avait horreur de ce monde-là. Elle ne recevait que des messieurs bien posés. Jamais un cabotin n’a mis les pieds chez elle.

– Alors, comment se fait-il qu’elle eût les lettres de cette Lestérel!

– Ça, monsieur, je n’en sais rien du tout; madame ne me contait pas toutes ses affaires.

– Je le crois, mais enfin quelle est ton idée sur celle-là?

– Mon Dieu!… je n’en ai pas.

– Eh bien, moi, j’en ai une. Julia avait été la maîtresse de ce Golymine…

– Avant de se mettre avec M.  Darcy, oui, c’est la vérité. Mais, depuis, je peux bien jurer qu’entre elle et le comte, il n’y a jamais eu ça, riposta vivement la soubrette en faisant craquer son ongle sous ses dents blanches.

– Bon, mais ils se voyaient quelquefois.

– Jamais. Le comte n’est entré dans l’hôtel que le soir où il s’est tué.

– Soit! il avait peut-être ce soir-là les lettres de mademoiselle Lestérel dans sa poche; Julia a pu les y prendre, s’il ne les lui a pas remises.

Mariette réfléchit un instant. Madame d’Orcival prenant des lettres dans la poche de Golymine mort: évidemment, cette idée n’était jamais entrée dans sa cervelle de femme de chambre.

– Non, dit-elle, non, c’est impossible. Le comte n’est pas resté un quart d’heure avec madame, et ils se sont querellés tout le temps. M.  Darcy le sait bien. Il était dans le boudoir. Et après le malheur, c’est moi qui ai trouvé le comte pendu. Madame n’a seulement pas vu le corps. Elle n’a jamais voulu entrer dans la bibliothèque, et le commissaire est arrivé tout de suite.

– Alors, reprit le capitaine, je n’y comprends plus rien, et, ma foi, je renonce à comprendre. Quelle drôle d’histoire! Ces lettres qui se trouvent dans un des tiroirs de madame d’Orcival sans qu’on sache comment elles y sont venues! Dans tous les cas, elles ne devaient pas y être depuis longtemps. Julia ne les aurait pas gardées, puisqu’elle voulait les rendre. Tu les as vues, m’as-tu dit?

– Oui, au moment où madame allait partir pour le bal.

– Et il y en avait beaucoup?

– Une masse… et bien en ordre… elles étaient divisées en paquets et attachées avec des faveurs roses.

– Il faut que cette demoiselle Lestérel ait une fameuse rage d’écrire pour avoir noirci tant de papier.

– Ça n’a rien d’étonnant. Les filles qui ont reçu de l’éducation sont toutes comme ça. Elles veulent montrer à leurs amants qu’elles ont du style, et il leur en cuit. Madame en avait aussi, du style, et elle écrivait le moins possible.

– Oh! Julia était très forte. Mais tu as raison, les femmes du monde ont la rage d’écrivasser. On m’en citait une qui use une rame de papier à lettres par mois. Il est vrai que cette marquise de Barancos se croit obligée d’exagérer tout.

– La marquise de Barancos! madame ne l’aimait guère.

– Bah! Est-ce qu’elle la connaissait?

– Pour la rencontrer au Bois et au théâtre, voilà tout. Seulement, madame ne pouvait pas souffrir les étrangères. Elle trouvait que cette marquise avait l’air insolent.

– Julia n’avait pas tort.

– Et puis, il y avait une autre raison… je peux bien vous la dire maintenant que ma pauvre maîtresse est morte. Madame s’était figuré que M.  Darcy faisait la cour à madame de Barancos, et même, quand M.  Darcy a quitté madame, elle a cru que c’était pour épouser cette Espagnole. Pensez donc si elle devait la détester!

Depuis que Nointel avait prononcé le nom de la marquise, Darcy s’était arrêté court au milieu de sa promenade furibonde, et il écoutait avec une très vive attention les réponses de la soubrette.

 

– C’est vrai, dit-il en cherchant à prendre un air dégagé pour cacher son émotion; le jour de notre séparation, Julia m’a fait une scène de jalousie à propos de madame de Barancos. Elle vous en avait donc parlé?

– Quelques mots seulement, répondit Mariette. Madame disait qu’elle se vengerait si monsieur se mariait avec la marquise.

– Elle ne disait pas comment elle se vengerait?

– Oh! ce n’était pas sérieux. Madame ne pouvait rien contre une personne du grand monde.

– Elle ne vous a jamais envoyée chez madame de Barancos?

– Mais non, monsieur. Pour quoi faire? répondit très naturellement la femme de chambre.

– Dis donc, Mariette, reprit le capitaine en riant, tu prétendais que madame d’Orcival n’écrivait jamais. Ai-je rêvé que tu nous as raconté tout à l’heure que, le jour où elle t’a envoyée chez mademoiselle Lestérel, elle avait devant elle un tas de lettres qu’elle venait de cacheter? Il me semble que, cette fois-là, elle ne se privait pas d’écrire.

– Un tas, non, mon capitaine, répondit gaiement la soubrette. Il y en avait deux ou trois, pas plus, j’en suis sûre. Je me souviens même que j’ai demandé à madame si elle voulait me charger de les porter en allant rue de Ponthieu, et qu’elle m’a répondu: Non, c’est inutile, je dîne chez madame Rissler qui demeure à deux pas. Je vais y aller à pied. J’ai besoin de prendre l’air. Je jetterai moi-même les lettres à la boîte.

À ce moment, le valet de chambre de Darcy entra pour annoncer le déjeuner, et Darcy allait le renvoyer en lui disant de ne pas servir, car il commençait à prendre goût aux discours de Mariette depuis qu’elle avait parlé de la haine de madame d’Orcival pour la marquise, et il voulait l’interroger lui-même. Mais Nointel, tout au rebours de son ami, jugeait que l’interrogatoire de la soubrette avait donné tout ce qu’il pouvait donner, et qu’il serait maladroit d’insister.

– Mon cher, dit-il en prenant le bras de Darcy, je déteste les côtelettes brûlées autant que cette pauvre Julia détestait la marquise. Remercie Mariette, qui t’a rendu un vrai service et qui t’en rendra encore. Dis-lui qu’elle te trouvera toujours chez toi le matin, et… allons déjeuner.

La soubrette s’était levée et faisait mine de partir, mais elle regardait Darcy en dessous, et il ne fallait pas être sorcier pour deviner qu’elle se demandait s’il allait la laisser partir sans récompenser ses mérites.

– Lâche cinquante louis, cent louis, si tu veux, souffla le capitaine à son ami. Nous pourrons encore avoir besoin d’elle.

Darcy avait la somme dans la poche de son veston. Il s’exécuta, quoiqu’il n’eût pas à se féliciter de ce que Mariette venait de lui apprendre. Mais il avait à payer sa discrétion dans l’affaire du suicide, et il pensait d’ailleurs qu’il valait mieux ne pas se brouiller avec elle.

La femme de chambre empocha les deux billets de mille francs d’un air médiocrement satisfait. On vit fort bien qu’elle attendait mieux, et qu’elle comptait toujours sur les futures générosités de Darcy pour s’établir lingère. Elle partit, en souriant au capitaine qui avait fait sa conquête, et en lui promettant qu’elle reviendrait.

– J’en sais assez maintenant, dit Nointel, et nous allons causer sérieusement.

Darcy ne demandait pas mieux, car il lui tardait de savoir ce que pensait son ami des déclarations de la soubrette.

Avant d’aborder ce sujet palpitant, il lui fallut pourtant souffrir que son valet de chambre servît les deux plats classiques d’un déjeuner de garçon, les côtelettes panées et les œufs au beurre noir. C’est le supplice des riches que la présence obligée des domestiques à certains moments de la journée. Mais Darcy s’astreignait le moins possible à ces règles intérieures de la vie élégante, et dès que lui et son convive n’eurent plus affaire qu’à un pâté de perdreaux truffés du Périgord, il renvoya François.

– Mon cher, dit-il tristement lorsqu’il se trouva en tête-à-tête avec Nointel, je commence à ne plus rien espérer.

– Tu as tort, répondit le capitaine. La situation est évidemment plus mauvaise que nous ne le supposions avant d’avoir vu Mariette, mais je ne crois pas qu’elle soit perdue sans ressource. Me permets-tu de te dire franchement comment je l’envisage?

– Quelle question!

– Je te préviens que je vais t’affliger. Je vais être dur… dur et salutaire comme l’outil du dentiste qui vous extirpe une molaire. C’est une illusion que je vais essayer de t’arracher. Peut-être n’y réussirai-je pas, mais je suis malheureusement sûr de te faire souffrir. Ainsi, tâte-toi. Si tu préfères éviter l’opération, je me tairai et je n’en agirai pas moins.

– Au point où j’en suis, peu m’importe une douleur de plus ou de moins. Parle.

– Eh bien, je te déclare que, selon moi, il n’est plus possible de douter de la présence de mademoiselle Lestérel dans la loge de Julia, pendant la nuit du bal.

– Alors, mademoiselle Lestérel est coupable… mon oncle a eu raison de la faire arrêter… les jurés auront raison de la condamner.

– Pardon! je n’ai pas dit cela. J’ai dit que mademoiselle Lestérel est allée au rendez-vous que son ancienne amie de pension lui a donné par écrit; et je n’ai tiré de ce fait aucune conclusion.

– Mais la conclusion se tire d’elle-même. Si Berthe y est allée, c’est Berthe qui a tué Julia.

– Il est possible que ce soit elle. Cela n’est pas certain, je vais te le démontrer tout à l’heure. En attendant, je reviens à mon point de départ. Admets-tu comme je l’admets, que cette femme de chambre a porté à mademoiselle Lestérel une lettre de madame d’Orcival; que cette lettre contenait une invitation pressante, une assignation à comparaître, comme disent les gens de justice, et que mademoiselle Lestérel a répondu: J’irai? En un mot, admets-tu que Mariette a dit la vérité à ton oncle et à nous?

– Je n’en sais rien, balbutia Darcy qui cherchait à se tromper lui-même.

– C’est l’évidence même, reprit l’impitoyable Nointel. Cette fille n’a aucun intérêt à mentir. J’ai même été frappé de cette circonstance: qu’elle ne cherche pas à se faire passer pour mieux informée qu’elle ne l’est en réalité. Ainsi, elle ne prétend pas que sa maîtresse lui a confié ce qu’elle écrivait à mademoiselle Lestérel. Preuve de sincérité. D’autres auraient enjolivé l’histoire. Elle raconte simplement ce qu’elle a vu, elle répète uniquement ce qu’elle a entendu: mademoiselle Lestérel se troublant pendant qu’elle lisait le billet de madame d’Orcival, et disant: J’irai. Madame d’Orcival, habillée pour le bal, bourrant ses poches de lettres. Tu conviendras que si on approche tout cela de la découverte du poignard japonais qui est resté dans la blessure, on est logiquement amené à croire que mademoiselle Lestérel est entrée dans la loge.

– Et qu’elle a assassiné Julia, dit amèrement Darcy. L’un est la conséquence de l’autre.

– Pas du tout, et voici pourquoi. Mademoiselle Lestérel y est entrée, c’est clair; une autre femme a pu y entrer aussi.

– Oui… j’ai déjà pensé à cela, mais… sur quoi fondes-tu cette supposition?

– Sur certaines observations que j’ai faites, des remarques de détail qui ne sont presque rien, prises isolément, mais qui, réunies, acquièrent une grande valeur, car elles concordent toutes.

– Explique-toi. Tu me fais mourir d’impatience avec tes déductions.

– Mon cher, ce n’est pas ma faute, je suis né méthodique. J’arrive aux faits. Tu étais au bal, n’est-ce pas? Tu t’es assis dans la loge du Cercle, et de là, tu as vu une femme en domino entrer chez Julia.

– Oui.

– Quelle heure était-il à peu près?

– Minuit et demi… peut-être un peu plus.

– Et le crime a été commis à trois heures, c’est parfaitement établi. Il n’est pas probable qu’une entrevue entre Julia et la personne qui venait reprendre des lettres compromettantes ait duré deux heures et demie. Aussi est-il prouvé qu’il y a eu plusieurs entrevues. La Majoré déclare qu’elle a ouvert trois ou quatre fois.