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Le crime de l'Opéra 1

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– De plus, continua le juge, l’alibi sera la chose du monde la plus facile à établir. J’entendrai la femme de chambre qui a conduit mademoiselle Lestérel rue Caumartin, et le portier de la maison où demeure mademoiselle Lestérel. En dix minutes, je saurai si elle est allée chez sa sœur, et à quelle heure elle est rentrée rue de Ponthieu.

»Restera le poignard-éventail, et sur ce point capital, je ne puis rien préjuger avant d’avoir interrogé celle qui avait à la main, hier soir, cet étrange bijou.

– Vous allez donc l’interroger?

– Tu ne peux pas en douter, car tu as assez de bon sens pour comprendre que je dois tenir compte du fait si grave que tu m’as révélé, et aussi que je dois fournir à cette jeune fille le moyen de se justifier le plus tôt possible.

– Et vous la ferez appeler dans votre cabinet?

– C’est fait. Si on l’a trouvée chez elle, mademoiselle Lestérel sera ici dans quelques instants.

– Quoi! on l’a arrêtée! Des agents vont l’amener comme une coupable.

– Pas du tout. Je lui ai envoyé un commissaire de police qui se présentera de ma part et la priera très poliment de venir me voir pour une affaire urgente. Elle me connaît assez pour ne pas s’effrayer d’une entrevue avec moi. Et je n’ai pas besoin, je pense, de t’affirmer que je la recevrai avec tous les égards qu’elle mérite. Ce sera, je l’espère bien, une conversation et rien de plus.

Un huissier entra et vint parler bas à M.  Darcy qui lui répondit tout haut:

– Faites attendre jusqu’à ce que je sonne, et appelez mon greffier immédiatement.

Et quand l’huissier fut sorti:

– Elle est là, dit le juge à Gaston.

– Tu vas me faire le plaisir de t’en aller par la porte de dégagement de mon cabinet. Il ne faut pas que tu la rencontres.

– Ne pourriez-vous pas me permettre d’assister à l’entretien que vous allez avoir avec elle? demanda Gaston qui ne paraissait pas du tout disposé à quitter la place.

Et comme son oncle haussait les épaules, il reprit avec chaleur:

– S’il s’agissait d’un interrogatoire, je n’insisterais pas. Mais vous venez de me dire que tout se bornerait à une causerie. Mademoiselle Lestérel est très timide. Elle peut perdre la tête et s’embarrasser dans ses réponses… tandis que si j’étais là…

– Tu la soufflerais, n’est-ce pas? En vérité, tu perds l’esprit, car tu oublies que tu parles à un juge d’instruction. De ce que ce juge d’instruction est ton oncle, il ne s’ensuit pas qu’il soit disposé, pour t’être agréable, à transgresser les règles de la procédure criminelle.

– Criminelle! répéta machinalement Gaston.

– Je te répète que je crois, a priori, à l’innocence de mademoiselle Lestérel; que je serai pour elle le plus bienveillant des juges, et que je m’estimerai heureux de pouvoir, séance tenante, la mettre hors de cause. Mais je n’ai pas de temps à perdre, et je te prie de me laisser.

– Je pars… un mot encore… un seul, balbutia Gaston en reculant vers la porte. Si mademoiselle Lestérel, troublée, ne parvenait pas à se justifier complètement… si de nouvelles apparences l’accusaient… pardonnez-moi de vous demander cela… que feriez-vous?

– Mon devoir, dit le magistrat en poussant son neveu dehors.

Presque aussitôt, par une autre porte, entrèrent le greffier, qui se remit silencieusement à sa place, et un monsieur que M.  Darcy regarda d’un air qui équivalait à une question.

– Monsieur le juge d’instruction, dit ce personnage, j’ai demandé mademoiselle Lestérel. Le portier m’a répondu qu’elle était chez elle, mais qu’elle devait être encore au lit, attendu qu’elle était rentrée à quatre heures du matin.

– Prenez note, Pilois, dit M.  Darcy en s’adressant à son greffier.

– Bien entendu, je suis monté quand même. C’est mademoiselle Lestérel qui est venue m’ouvrir, et elle m’a fait d’abord très froide mine. Quand je lui ai dit que je venais de la part de M.  Darcy, son air a changé, mais elle ne m’a pas laissé entrer sans explications. Elle avait compris que j’étais envoyé par M.  Gaston Darcy, votre neveu.

– Et quand elle a su que vous étiez envoyé par M.  Darcy, juge d’instruction, quelle a été son attitude?

– Elle a paru assez émue d’abord, mais elle s’est remise bien vite, et elle m’a prié de l’attendre pendant qu’elle allait mettre son chapeau. Elle était déjà habillée quand je suis arrivé.

– Elle ne vous a pas demandé pourquoi je la faisais appeler?

– Je crois qu’elle a eu cette question sur les lèvres, mais elle ne me l’a pas adressée.

– Comment est-elle logée?

– Très modestement, autant que j’ai pu voir. L’appartement est petit, mais tenu avec beaucoup de soin.

– Et que vous a-t-elle dit pendant le trajet de la rue de Ponthieu à ici?

– Elle a peu parlé, mais elle s’exprime fort bien et avec beaucoup de mesure. Elle n’a pas prononcé un seul mot qui eût trait à la visite forcée qu’elle allait vous faire. Elle m’a demandé seulement si votre neveu était dans votre cabinet quand vous m’avez envoyé la chercher, et il m’a semblé qu’elle s’attendait à l’y rencontrer.

– Voilà qui est singulier, se dit M.  Darcy. Est-ce que cette pauvre enfant s’imaginerait que je la fais comparaître pour la fiancer à Gaston?

Puis tout haut:

– Vous ne savez pas de quoi il s’agit, et il est bon que vous le sachiez. Un hasard vient de m’apprendre que le poignard japonais appartient à mademoiselle Lestérel. Cependant, je connais les antécédents de cette jeune fille que je rencontre assez souvent dans le monde, et j’ai beaucoup de peine à croire qu’elle ait assassiné Julie Berthier.

»Maintenant que je vous ai mis au courant, qu’elle est votre opinion? La croyez-vous coupable?

Le commissaire hésita un instant et répondit:

– Monsieur le juge d’instruction, je n’ose pas me prononcer. Rien n’est plus difficile que ce genre d’appréciation, et tout le monde peut s’y tromper. J’ai vu des scélérats qui ont fini à la Roquette, rester calmes quand je les ai arrêtés, aussi calmes que s’ils n’avaient pas eu seulement sur la conscience un vol de mouchoir… tandis qu’un innocent peut perdre la tête et s’enferrer dans des explications qui le compromettront.

»Pourtant j’avoue que cette jeune personne ne me fait pas l’effet d’avoir commis un meurtre… surtout un meurtre aussi hardi que celui de l’Opéra.

– Je ne le crois pas non plus, mais enfin il faut voir. Vous l’avez fait entrer, comme je vous l’avais recommandé, dans le cabinet d’un de ces messieurs.

– Oui, monsieur le juge d’instruction, et j’ai mis un garde de Paris de planton à la porte. Cette demoiselle n’a pu communiquer avec personne.

– Très bien. Veuillez la conduire ici par le corridor de service. Il est très important qu’elle ne rencontre aucun des témoins que j’ai fait citer et qui sont arrivés, je le sais.

Le commissaire salua et sortit.

– Pilois, dit M.  Darcy à son greffier, vous allez minuter l’interrogatoire comme de coutume. Omettez seulement les formules de politesse par lesquelles je vais commencer. Arrangez-vous pour que la personne ne s’aperçoive pas que vous enregistrez mes demandes et ses réponses. Il faut qu’elle vous prenne d’abord pour un secrétaire ou pour un copiste. Je vous avertirai lorsque je jugerai qu’il n’y a plus d’inconvénient à ce qu’elle sache qui vous êtes.

Un juge d’instruction n’a de comptes à rendre à personne, et il est complètement indépendant: il peut exercer comme il l’entend ses redoutables fonctions. Ainsi le veut la loi, et la loi a raison. Quelle règle précise vaudrait les inspirations qu’un magistrat humain et éclairé puise dans sa conscience, et ne serait-il pas souverainement injuste de procéder de la même façon à l’égard de tous les prévenus?

M.  Darcy était pénétré de ces vérités. Il lui répugnait de traiter tout d’abord mademoiselle Lestérel comme si elle eût été coupable; il espérait qu’elle se justifierait dès le début de l’entretien, et, dans ce cas, il voulait lui épargner le désagrément de signer un interrogatoire qui devait rester au dossier.

– Si les choses tournent comme je le souhaite, ni elle ni Gaston ne figureront comme témoins au procès.

Il se disait cela, en se promenant dans son cabinet, et il s’était bien gardé de reprendre place dans son fauteuil de juge, pour recevoir mademoiselle Lestérel, car il tenait beaucoup à ne pas l’intimider.

Il vint à sa rencontre dès qu’elle entra et il lui tendit affectueusement la main.

Cet accueil rassura la jeune fille qui était pâle et un peu tremblante. Les couleurs revinrent à ses joues et le sourire à ses lèvres.

– Excusez-moi, mademoiselle, lui dit M.  Darcy, excusez-moi de vous avoir imposé un dérangement pour vous demander une explication. Je suis retenu à mon cabinet par une grave affaire, et l’explication est urgente. Prenez-vous-en à mon neveu Gaston du voyage que je vous fais faire.

Ce début fit rougir mademoiselle Lestérel.

– En vérité, pensa M.  Darcy qui l’observait attentivement, je crois que j’avais deviné. Elle se flatte que je vais lui parler mariage. Il serait cruel à moi de la laisser dans cette illusion.

Il prit le poignard-éventail qu’il avait remis sur son bureau, et, le tendant à la jeune fille:

– Gaston assure que ceci vous appartient, dit-il.

Berthe parut troublée; elle changea de visage, mais elle répondit sans hésiter:

– C’est vrai, monsieur. Cet objet est à moi. Je l’avais hier chez madame Cambry, et j’ai dit à M.  Gaston Darcy pourquoi je l’avais. Mon beau-frère venait de me le donner, et j’étais si contente…

– Que vous êtes allée dans le monde avec un poignard à la ceinture ni plus ni moins qu’une Espagnole de romance, dit gaiement M.  Darcy.

Il était ravi de la franchise avec laquelle mademoiselle Lestérel avait reconnu l’arme japonaise, et il ne doutait plus du tout qu’elle ne fût innocente. Il espérait même qu’en répondant à la question qu’il se préparait à lui adresser, elle allait lui fournir une explication utile pour retrouver le, ou plutôt la coupable.

 

– Alors, vous l’avez perdu? demanda-t-il simplement.

– Oui, monsieur, répondit Berthe d’une voix moins assurée, et je suis fort heureuse de le retrouver.

– Vous l’avez perdu en sortant de chez madame Cambry?

– Probablement… à moins que ce ne soit dans la voiture… je crois même que c’est dans la voiture… et je l’aurais déjà réclamé, si je n’avais oublié le numéro du fiacre…

– Qui vous a conduit chez madame votre sœur? Vous l’avez renvoyé, ce fiacre?

– Oui, monsieur.

– Sans vous apercevoir que vous y aviez oublié votre éventail.

– Je ne m’en suis aperçue qu’en rentrant chez moi… très tard… je n’ai quitté ma sœur qu’à trois heures du matin.

– C’est précisément l’heure à laquelle votre couteau-éventail a été trouvé. On n’aurait sans doute jamais su qu’il vous appartenait, si mon neveu n’était venu me voir dans mon cabinet où il ne met pas les pieds trois fois par an. Moi, je ne l’avais pas remarqué entre vos jolies mains, cet ustensile meurtrier.

»Vous ne devineriez jamais où on l’a trouvé?

– Ce n’est donc pas le cocher qui l’a rapporté?

– Non, mademoiselle. Votre poignard a été trouvé au bal de l’Opéra… dans une loge… dans la loge des premières qui porte le numéro 27.

Pendant que le juge parlait ainsi, la jeune fille se troublait visiblement, et M.  Darcy, qui s’en aperçut, reprit tout à coup sa figure de magistrat, pour dire:

– Dans la loge où Julia d’Orcival a été assassinée.

– Julie assassinée! ce n’est pas possible! s’écria Berthe. Elle était devenue livide, elle chancelait, et elle serait certainement tombée sur le parquet, si M.  Darcy ne l’eût soutenue.

Il la fit asseoir sur une chaise, la chaise des prévenus, et il prit place lui-même dans son fauteuil.

Il n’y avait plus en lui qu’un juge d’instruction.

– Cette nouvelle vous cause, je le vois, une impression très vive, commença-t-il après avoir fait un signe au greffier qui suivait tous ses mouvements du coin de l’œil.

– Elle me bouleverse, répondit Berthe avec effort.

– Vous l’ignoriez donc?

– Comment l’aurais-je sue? Je ne reçois pas de journaux et je ne suis pas sortie ce matin.

– C’est un épouvantable événement, et je conçois qu’il vous affecte, car vous connaissiez sans doute madame d’Orcival, puisque vous venez de l’appeler par son prénom de Julie… son vrai prénom qu’elle avait italianisé.

– Oui… j’ai connu Julie Berthier… autrefois… nous avons passé trois années dans le même pensionnat… à Saint-Mandé.

– Alors, votre douleur est bien naturelle. Apprendre tout à coup la mort d’une amie… et quelle mort!

– Madame d’Orcival n’était plus mon amie, dit vivement Berthe. J’ai cessé de la voir aussitôt après sa sortie de pension. Elle a voyagé à l’étranger, et, depuis qu’elle était revenue habiter Paris, elle vivait dans un monde où je ne pouvais pas… où je ne voulais pas aller.

– Je comprends cela, mademoiselle, et tout ce que je sais de vous s’accorde avec ce que vous me dites. Madame Cambry vous aime et vous estime. Je ne puis donc pas croire que vous ayez continué à fréquenter madame d’Orcival, et je suis tout disposé à admettre que ce n’est pas vous qui avez oublié ce couteau dans la loge où on l’a tuée. Vous l’avez perdu. Quelqu’un l’a trouvé. C’est entendu.

»Veuillez seulement préciser les faits qui ont suivi votre départ du salon de madame Cambry.

Berthe baissa la tête et ne répondit pas.

– Je vais aider votre mémoire, reprit M.  Darcy. La domestique de votre sœur est venue vous chercher à onze heures et demie à peu près. Vous êtes montée avec elle dans une voiture de place qu’elle avait gardée, et vous vous êtes fait conduire en toute hâte rue Caumartin. Madame Crozon vous a retenue jusqu’à trois heures. Son mari sans doute était auprès d’elle.

– Non, monsieur, dit la jeune fille avec un peu d’hésitation.

– Quoi! il avait laissé sa femme seule dans l’état de santé où elle se trouvait.

– La crise s’est déclarée subitement… mon beau-frère ne pouvait la prévoir… il est rentré fort tard.

– Fort tard, en effet, si vous ne l’avez pas vu. Mais vous avez vu du moins cette femme de chambre qui vous a accompagnée rue Caumartin. Eh bien, son témoignage suffira. Je l’ai fait appeler, et nous allons l’entendre.

– Elle est ici! murmura Berthe d’une voix éteinte.

– Oui, mademoiselle; je vais donner l’ordre de la faire entrer, et si, comme je n’en doute pas…

– Non, dit avec effroi mademoiselle Lestérel, non… c’est inutile… je ne veux pas la voir.

– Mademoiselle, dit froidement M.  Darcy, il me semble que vous ne vous rendez pas très bien compte de votre situation… ni de la mienne.

»Un crime a été commis cette nuit. Je suis juge et chargé d’instruire l’affaire. Or, le couteau avec lequel on a tué madame d’Orcival vous appartient…

– Quoi! c’est ce couteau, murmura Berthe.

– On l’a laissé dans la blessure, et, si je le tirais de ce fourreau qui imite si bien un éventail, vous y verriez le sang de Julie Berthier… votre amie de pension.

– C’est horrible.

– Oui, c’est horrible… si horrible que personne n’aurait jamais pensé à vous accuser. Un hasard malheureux, une coïncidence fatale vous ont mise en cause… passagèrement, je l’espère. Il faut vous justifier, et j’ai à cœur de vous en fournir les moyens. Le meilleur de tous, c’est de prouver que vous étiez chez votre sœur à l’heure où on a frappé madame d’Orcival dans sa loge. La domestique de madame Crozon peut attester votre alibi. Pourquoi refusez-vous de la voir?

Mademoiselle Lestérel se tut.

– Comprenez donc, reprit M.  Darcy, que le témoignage de cette femme sera décisif. Vous craignez peut-être qu’en vous rencontrant dans ce cabinet, elle ne vous prenne pour une accusée. Rassurez-vous. Je puis éviter de vous confronter avec elle. Vous allez, si vous le désirez, passer dans la pièce voisine, et l’interrogatoire aura lieu en votre absence.

– Pourquoi l’interroger? dit Berthe d’une voix étouffée. Elle vous dira qu’elle n’est pas venue cette nuit chez madame Cambry. Épargnez à ma sœur, je vous en supplie, la douleur d’apprendre que je me suis servie de son nom pour… mentir.

M.  Darcy tressaillit. Il ne s’attendait pas à cette réponse.

– Ainsi, reprit-il lentement, vous convenez maintenant que madame Crozon ne vous a envoyé personne hier soir. Alors l’histoire de la maladie subite de votre sœur a été inventée par vous, et vous n’avez pas mis les pieds rue Caumartin?

Mademoiselle Lestérel garda le silence, un silence qui en disait assez.

– Quelqu’un cependant est venu vous demander… une femme qui avait l’air d’une domestique… une femme qui savait que vous passiez la soirée avenue d’Eylau et qui avait une grave nouvelle à vous apprendre, car elle était fort émue; madame Cambry me l’a dit. Nommez donc cette femme, afin que je la cite comme témoin, si sa déposition peut vous justifier.

– Je ne la connais pas, balbutia Berthe.

– Vous ne la connaissez pas, et vous l’avez suivie au milieu de la nuit! Vous m’obligez à vous dire que votre système de défense est bien maladroit, et que j’arriverai vite à découvrir la vérité. On retrouvera le cocher du fiacre où vous êtes montée, et on saura où il vous a conduite. On retrouvera aussi la personne qui était avec vous, et si par hasard cette personne était la femme de chambre de madame d’Orcival, elle parlera. Elle racontera que sa maîtresse l’a envoyée chercher mademoiselle Lestérel, qui voulait… pourquoi pas?… qui voulait voir le bal de l’Opéra.

C’était une perche que M.  Darcy, en parlant ainsi, tendait à la pauvre enfant qui se noyait dans les réticences et dans les mensonges.

Berthe, au lieu de la saisir, secoua tristement la tête et murmura:

– Ce n’était pas la femme de chambre de Julie Berthier.

– C’est ce que je saurai bientôt, car j’entendrai tous les domestiques de madame d’Orcival. Je visiterai son hôtel, et je prendrai connaissance de tous les papiers qui s’y trouveront.

»Vous n’avez jamais écrit à votre ancienne amie?

– Jamais, monsieur, articula nettement Berthe.

M.  Darcy sentit que, sur ce point, elle disait vrai, et il passa aussitôt à une question qu’assurément elle ne pouvait pas prévoir.

– Avez-vous entendu parler du suicide du comte Golymine? demanda-t-il.

Mademoiselle Lestérel pâlit, mais elle n’hésita pas à répondre:

– Oui, monsieur. J’ai lu dans un journal le récit de cet événement.

– Vous ne connaissiez pas ce comte Golymine?

– Non, monsieur. On me l’a montré une fois, à cheval, aux Champs-Élysées. Voilà tout.

– Qui vous l’a montré?

– Une artiste italienne, madame Crisini, qui a souvent chanté avec moi dans des concerts.

Ce fut dit si franchement que le juge n’insista pas.

Dès le début de l’affaire, il avait eu l’idée que l’assassinat de Julia pouvait se rattacher au suicide de son ancien amant, s’y rattacher par un lien qui restait à découvrir, et il se promettait bien de faire des recherches dans ce sens.

Mais il était convaincu maintenant qu’il n’y avait jamais rien eu de commun entre mademoiselle Lestérel et le Lovelace polonais.

Il revint donc à l’attaque directe, quoiqu’il doutât encore de la culpabilité de la jeune fille.

– Mademoiselle, commença-t-il, je vous ai signalé le danger auquel vous vous exposez en refusant de vous expliquer. Pour mieux vous montrer ce danger, je vais résumer en quelques mots la situation.

»Vous avez quitté à onze heures et demie le salon de madame Cambry. Vous l’avez quitté pour suivre une femme que vous prétendez ne pas connaître. Vous n’êtes pas allée chez votre sœur, et vous êtes rentrée chez vous, rue de Ponthieu, à quatre heures du matin.

»Qu’avez-vous fait de onze heures et demie à quatre heures? Toute l’affaire est là.

Et, après une courte pause, il reprit:

– Vous persistez à ne pas répondre. Je poursuis.

»Comment l’arme dont l’assassin s’est servie pour égorger madame d’Orcival a-t-elle passé de votre main dans la sienne? Si vous me disiez que vous l’avez perdue dans la salle de l’Opéra, l’explication serait plausible, et j’en tiendrais grand compte. On peut admettre que cette arme a été ramassée dans un corridor, ou au foyer, par la femme qui s’en est servie… car c’est une femme… on l’a vue entrer dans la loge… on l’a vue en sortir. Mais il est impossible d’admettre que le poignard oublié par vous dans un fiacre ou dans la rue ait été trouvé précisément par une femme qui allait au bal pour tuer madame d’Orcival.

– Je reconnais que c’est improbable, dit enfin Berthe, qui avait repris un peu de sang-froid. Mais je vous jure, monsieur, que je ne suis pas coupable. Je me défends mal, je le sais… je ne trouve rien à vous répondre quand vous m’interrogez. Mais si j’avais commis ce crime abominable, croyez-vous que je n’aurais pas pensé qu’on m’accuserait? Croyez-vous que j’aurais choisi une arme si facile à reconnaître? Croyez-vous que j’aurais porté cette arme chez madame Cambry… que je l’aurais montrée à M.  Gaston Darcy?

– Non, sans doute, dit le juge frappé par ces raisons si simples et si justes. À une autre que vous, j’objecterais cependant que le meurtre a pu ne pas être prémédité, qu’il a peut-être suivi une querelle imprévue, et que, par conséquent, le fait d’avoir montré le poignard n’est pas une preuve absolue d’innocence.

»Mais je préfère vous répéter que vous pouvez fournir une explication beaucoup plus naturelle, explication qu’un sentiment très louable vous empêche de donner.

»Je vous l’ai dit déjà, on concevrait très bien que vous eussiez laissé tomber ce couteau dans la salle de l’Opéra. C’est probablement ce qui vous est arrivé, et si vous ne voulez pas en convenir, c’est que vous craignez de nuire à votre réputation, qui, je me plais à le reconnaître, est excellente.

»En vérité, vous avez tort. Le bal de l’Opéra n’est pas une école de mœurs, et vous n’y étiez pas à votre place. Mais de ce que vous y êtes allée, personne ne conclura que vous y avez laissé votre honneur. La curiosité vous y a entraînée. C’est fort excusable. Bien d’autres, et du meilleur monde, ont cédé à la tentation. Elles ne s’en sont pas vantées, mais celles qu’on y a reconnues n’ont pas été pour cela mises au ban des honnêtes femmes.

Tout en parlant avec une chaleur communicative, M.  Darcy suivait sur le visage de Berthe l’effet de son discours, et il crut voir qu’il avait touché juste.

– C’est une simple confidence que je vous demande, reprit-il, une confidence dont je n’abuserai pas, croyez-le. Dites-moi que vous êtes allée au bal. Dites-moi que vous y êtes allée avec une amie qui vous a envoyé sa femme de chambre pour vous prier de l’accompagner. Et quand vous m’aurez dit cela, quand vous m’aurez nommé cette amie, je ferai en sorte de vérifier votre dire, sans que vous soyez compromise.

 

La figure de mademoiselle Lestérel s’était éclaircie pendant que le juge parlait pour excuser les imprudents qui s’aventurent au bal masqué; elle redevint sombre dès qu’il parla de contrôler le récit qu’il sollicitait.

– Je n’ai pas d’amies, murmura Berthe.

M.  Darcy ne chercha point à cacher la surprise douloureuse que lui causait cette réponse. On put lire sur sa physionomie qu’il commençait à penser que la jeune fille n’avait pas la conscience nette, et qu’il était temps de la traiter comme une prévenue ordinaire.

Et pourtant il lui semblait encore impossible que cette douce et frêle créature eût frappé mortellement Julia d’Orcival, que sous son front si pur eût germé un dessein homicide, que sa main blanche et délicate se fût souillée de sang.

Il lui vint une idée, et il voulut tenter un dernier effort.

– Il paraît que je me trompais, dit-il lentement. Vous persistez à soutenir que vous n’êtes pas allée à l’Opéra. Vous avez avoué que vous n’êtes pas allée chez votre sœur. Où donc avez-vous passé les heures qui se sont écoulées entre votre départ de l’avenue d’Eylau et votre rentrée rue de Ponthieu? Vous sentez bien qu’il faut que vous expliquiez l’emploi de votre temps, et cependant vous ne fournissez aucune explication.

»Il y a en une à laquelle je suis forcé de m’arrêter, puisque vous refusez de m’en donner une autre.

»Et, avant de vous demander si celle que j’ai trouvée est la vraie, je dois vous rappeler, si vous l’avez oublié, ou vous apprendre, si vous l’ignorez, qu’un juge est un confesseur, et que la discrétion la plus absolue est le premier de ses devoirs professionnels.

»Mon greffier, qui écrit au bout de cette table, est lié par les mêmes obligations que moi.

»Vous pouvez donc parler sans crainte. Nul ne saura ce que vous me confierez, car ma mission se borne à rechercher par qui le crime a été commis, et je ne dois pas me souvenir des déclarations d’un témoin, quand ces déclarations n’ont pas trait à l’affaire que j’instruis.

»Ainsi, mademoiselle, si vous me disiez… pardonnez-moi d’en venir là… si vous me disiez que, de minuit à quatre heures, vous êtes restée chez… un ami, je m’assurerais du fait, je m’en assurerais avec toute la prudence possible… et je l’oublierais ensuite.

La jeune fille tressaillit, et de grosses larmes roulèrent sur ses joues pâles.

– Je comprends, monsieur, murmura-t-elle. Vous croyez que j’ai un amant. Il me manquait cette humiliation.

– À Dieu ne plaise que je veuille vous humilier, dit M.  Darcy très ému. Je cherche la vérité, et ce n’est pas ma faute si je suis obligé de la chercher là où elle n’est pas… je le vois maintenant. Vous ne me ferez pas l’injure de penser que je vous soupçonnerais d’avoir failli, si ce soupçon ne m’était, pour ainsi dire, imposé par les refus obstinés que vous m’opposez.

Mademoiselle Lestérel ne répondit pas. Elle pleurait.

– Mademoiselle, reprit le digne magistrat, je ne veux pas profiter de l’émotion qui vous égare. Remettez-vous. Réfléchissez. Envisagez sérieusement les conséquences de l’attitude qu’il vous a plu de prendre envers un juge bienveillant. Peut-être ne comprenez-vous pas encore que je vais être forcé de vous traiter comme si vous étiez coupable, puisque vous ne voulez pas prononcer le mot qui démontrerait votre innocence.

»Qui vous retient? Craignez-vous de compromettre quelqu’un? Vous ne songez pas que, si je suis réduit à vous faire arrêter, j’userai de toutes les ressources dont je dispose pour découvrir ce que vous tenez tant à me cacher. Et j’y parviendrai, n’en doutez pas. Tout apparaîtra au grand jour, et il ne dépendra plus de moi d’empêcher l’éclat que vous redoutez.

»Tenez! mademoiselle, je puis bien vous le dire. J’entrevois qu’il y a dans cette affaire un mystère que vous êtes seule en état d’éclaircir. J’entrevois que vous vous sacrifiez pour un autre. Eh bien, vous obéissez à une idée fausse. Si, avant de sortir d’ici, vous consentiez à m’avouer la vérité, je pourrais peut-être sauver la personne pour laquelle vous vous dévouez si généreusement… je devrais dire si follement. Dans quelques instants, il sera trop tard. L’affaire suivra son cours naturel, et la justice atteindra le but, sans se préoccuper de considérations qui peuvent me toucher, moi, homme, mais qui n’existent pas pour elle.

Berthe sanglotait. Sur ses traits décomposés, on lisait qu’elle soutenait une violente lutte intérieure, mais elle se taisait toujours.

– Ainsi, continua M.  Darcy, vous persistez à ne pas vous justifier. Ainsi, je vais être forcé d’apprendre à madame Cambry que mademoiselle Lestérel, qu’elle appelait son amie, a été arrêtée comme prévenue d’assassinat.

Il avait réservé pour la fin cette adjuration, et il put croire un instant que la jeune fille allait y céder.

Berthe tendit vers lui des mains suppliantes, sa bouche s’ouvrit pour parler, mais l’aveu expira sur ses lèvres…

– Non, murmura-t-elle, non… c’est assez d’un meurtre… je ne peux pas… je ne peux pas…

Et elle ajouta, si bas qu’on l’entendit à peine:

– Faites de moi ce que vous voudrez.

M.  Darcy eut un geste de douloureuse surprise, et dit à son greffier, en lui désignant une formule imprimée:

– Écrivez sur ce mandat d’arrêt le nom de mademoiselle Berthe Lestérel.