Za darmo

La main froide

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Il resta à la place où le colloque venait d’avoir lieu et il attendit, sous l’œil du valet en livrée qui l’observait de loin.

L’homme noir revint au bout de quelques minutes et il lui dit:

– Allez! elle est seule maintenant.

– Je l’espère bien qu’elle est seule, pensa Paul qui tenait absolument au tête-à-tête et qui ne savait pas que la marquise venait de renvoyer une de ses amies pour le recevoir.

Il prit l’allée que l’homme lui indiqua. Au premier tournant, il croisa l’amie, et il la salua en passant.

Cette amie était une très jeune femme, modestement habillée, dont l’éclatante beauté l’éblouit: une brune au teint clair, avec des yeux qui n’en finissaient pas et un air de tristesse qui ne faisait que l’embellir encore.

Sans doute, une amie malheureuse, une amie d’enfance, à laquelle madame de Ganges s’intéressait.

Paul avait autre chose en tête que de chercher à deviner qui elle était. Il cherchait des yeux la marquise et il l’aperçut, assise au pied d’un acacia, sur un banc rustique.

Elle aussi l’aperçut et se leva vivement pour venir à sa rencontre.

– Vous ici, monsieur! s’écria-t-elle. Et vous osez vous y présenter sous prétexte de me remettre un message de mon mari! Est-ce ainsi que vous tenez votre parole? Vous m’aviez promis de ne pas chercher à me connaître. Vous aviez déjà manqué à votre promesse en me suivant jusque chez madame Dozulé… et Dieu sait dans quels embarras vous m’avez mise! Vous m’avez donc encore une fois épiée, puisque vous êtes parvenu à savoir où je demeurais?

– Non, madame!… je vous jure que non, s’écria Paul.

– Alors, comment avez-vous appris mon adresse? Vous n’avez pas eu, je suppose, l’audace de la demander, après mon départ, aux personnes qui avaient entendu le domestique de la baronne vous annoncer sous le nom que je porte!

– Je m’en serais bien gardé… quelqu’un a dit devant moi que votre hôtel était situé avenue Montaigne.

– Soit! je veux bien vous croire… et alors vous n’avez rien eu de plus pressé que de vous présenter ici. Qu’espériez-vous donc? Vous êtes-vous imaginé que je continuerais à me prêter à une confusion de personnes que je n’ai pas eu la présence d’esprit d’empêcher, en déclarant tout haut que je ne vous connaissais pas.

– Je ne l’espérais pas… mais je le désirais de tout mon cœur.

– Vous saviez bien que c’était impossible. Ni mon amie, ni les personnes qui se trouvaient chez elle, hier, ne connaissent mon mari; mes gens ne le connaissent pas non plus. Mais il y a ici quelqu’un qui le connaît.

– Oui… votre intendant, n’est-ce pas?… cet homme qui, hier, vous gardait au Luxembourg et que je viens de retrouver…

– M. Coussergues n’est pas mon intendant. C’est un ancien officier qui fut l’ami de mon père et qui est resté le mien.

– Il connaît M. de Ganges, mais il ne sait pas qu’on m’a pris pour lui. Donc pour le présent, vous n’avez pas à craindre que l’erreur soit découverte.

– Elle le sera forcément quand mon mari reviendra.

C’était le cas ou jamais de répondre: il ne reviendra jamais. Paul ne le fit pas. Avant d’en venir là, il voulait voir un peu plus clair dans les sentiments intimes de la marquise et il lui dit:

– Oserai-je vous demander ce que vous ferez quand reparaîtra M. de Ganges?

– Je n’en sais rien encore, murmura madame de Ganges. Je crois bien que je lui dirai la vérité. Le mensonge me répugne. Et du reste, je n’ai à me reprocher qu’une légèreté que mon mari excusera quand je lui aurai dit le motif qui m’a poussée à la commettre.

– C’est son affaire, répliqua peu poliment Paul, piqué d’entendre cette marquise parler de ses relations avec lui comme d’une aventure sans conséquence. Mais vos amies et vos amis… la baronne Dozulé… le vicomte de Servon… et les autres… comment leur expliquerez-vous que vous n’avez pas protesté contre l’erreur de ce valet qui m’a annoncé devant dix personnes sous le nom de M. de Ganges?

– Je n’aurai rien à expliquer, car aussitôt que mon mari sera de retour, je quitterai avec lui Paris et la France.

– Mais vous y reviendrez.

– Je ne crois pas.

– Quoi! vous expatrier pour toujours!

– Vous y aurez contribué, en me plaçant dans une situation insoutenable.

– J’ai eu tort, je l’avoue… mais vous, madame, n’avez-vous donc rien à vous reprocher? Je ne vous connaissais pas quand je vous ai vue au Luxembourg et vous me rendrez cette justice que je ne me suis pas permis de vous aborder… c’est vous qui…

– Brisons là! monsieur, interrompit sèchement la marquise. Je regrette beaucoup ce que j’ai fait… Si vous saviez ce qui m’a déterminée à agir ainsi, vous excuseriez mon imprudence… et ce n’est pas à vous de me la reprocher. J’en supporterai les conséquences et je vous prie de ne plus vous occuper de moi.

– Ainsi, vous me défendez de vous revoir?

– Vous revoir! Je le voudrais que je ne le pourrais pas, vous devez le comprendre. Et si, comme je le crois, vous êtes un galant homme, vous ne chercherez pas à prolonger une fiction qui finirait par me compromettre gravement, et que la très prochaine arrivée de M. de Ganges va percer à jour. Je vous pardonne d’avoir cru que je n’y mettrais pas fin. Vous pensiez sans doute que j’étais libre. Vous savez maintenant que je ne le suis pas, puisque je suis mariée.

– Vous vous trompez, madame, répliqua Paul Cormier, vous êtes veuve.

Paul, emporté par un élan de passion, avait parlé trop vite et il se repentait d’avoir lancé cette grosse nouvelle qu’il comptait réserver pour le moment où il aurait suffisamment préparé madame de Ganges à la recevoir.

Il n’avait pas pris le temps de se préparer à l’expliquer et à tirer parti de l’effet qu’elle allait produire.

Il venait de mettre, comme on dit, les pieds dans le plat.

– L’effet, d’ailleurs, ne fut pas celui qu’il prévoyait, car la marquise répondit dédaigneusement:

– Vous vous permettez, monsieur, une plaisanterie très déplacée, souffrez que je vous le dise et que j’arrête-là cet entretien.

– A Dieu ne plaise que je plaisante après un pareil événement, s’écria Paul. Je vous répète que vous êtes veuve, madame… je vous le jure sur mon honneur!

– Vous ne prenez pas garde que vous êtes en contradiction avec vous-même, dit froidement madame de Ganges. Vous vous êtes introduit chez moi en prétextant que vous aviez à me remettre un message de mon mari et vous venez me dire maintenant qu’il est mort. L’une de vos deux déclarations est fausse.

– Elles sont vraies toutes les deux.

– Ah! c’est trop fort!…, et vous me permettrez, monsieur, de n’en pas entendre davantage.

– Je vous supplie de m’écouter jusqu’au bout, Après… vous ne douterez plus.

Ce fut dit avec tant de fermeté que madame de Ganges resta et attendit la suite.

– J’ai vu votre mari, cette nuit, reprit Paul.

– C’est impossible. Mon mari n’est pas à Paris.

– Il y est arrivé, hier… je l’ai rencontré… malheureusement.

– Comment avez-vous pu le reconnaître?… vous ne l’aviez jamais vu.

– C’est lui qui m’a abordé. Il a entendu M. le vicomte de Servon me présenter à un de ses amis en m’appelant; M. le marquis de Ganges. Alors, il est intervenu… il m’a demandé des explications que je n’avais garde de lui fournir.

– Où s’est passé cette scène? demanda la marquise, déjà mise en éveil par cet exposé inattendu.

– Dans un bal public, répondit Paul, après avoir un peu hésité.

– On vous a trompé, monsieur… quelqu’un aura trouvé drôle de se faire passer pour le marquis de Ganges qu’il avait peut-être vu autrefois et dont vous usurpiez le nom et le titre…

– J’aurais pu croire cela, si l’affaire n’avait pas eu de suites.

– Quelles suites?

– Il m’en coûte de vous le dire… mais il faut que vous sachiez tout… j’ai juré, et je dois tenir ma parole… une querelle s’est engagée.

– Entre mon mari et M. de Servon?

– Non, madame… M. de Servon n’était plus là… un de mes amis est survenu, au moment où M. de Ganges me menaçait de me souffleter… mon ami, qui est très violent, a pris les devants et l’a frappé au visage…

– Ce n’est pas vrai!… M. de Ganges n’est pas un lâche.

– Non, certes… Il ne l’a que trop prouvé… mais il a été surpris par cet acte de brutalité. Il ne lui restait qu’à demander raison à l’agresseur. C’est ce qu’il a fait.

– Et il en résultera un duel? demanda anxieusement la marquise.

– Le duel a eu lieu, madame, répondit Paul en baissant les yeux.

– Quand?… on ne se bat pas la nuit.

– Ils ont attendu que le jour commençât à poindre. Dieu m’est témoin que j’ai fait tout ce que j’ai pu pour empêcher la rencontre… ou pour la retarder. Tous mes efforts ont été inutiles… et…

– Achevez!…

– On s’est battu à l’épée… et M. de Ganges, frappé en pleine poitrine… est mort en brave…

– Mort!… Non, ce n’est pas possible!…

– J’y étais, madame… Je l’ai vu tomber…

– Ah!… je comprends, s’écria la marquise. C’est vous qui l’avez tué!… et vous osez vous présenter devant moi couvert du sang de mon mari!…

– Non, madame. Je n’étais pas son adversaire… j’ai été un de ses témoins… et c’est lui-même qui m’a choisi. Il ne nous connaissait ni les uns, ni les autres… il a eu confiance en ma loyauté et je l’ai assisté de mon mieux.

La marquise, pâle et tremblante, se taisait parce qu’elle n’avait plus la force de parler.

– Si vous en doutez, reprit Paul, je puis vous prouver que je ne dis que l’exacte vérité. Je suis venu chez vous parce que M. de Ganges m’y a envoyé. Comment aurais-je su votre adresse, s’il ne me l’avait pas donnée? Je n’ai pas pu la demander à M. de Servon, qui me prenait et qui me prend encore pour votre mari.

– Mort!… il est mort!… murmura la marquise en cachant son visage dans ses mains gantées.

– M. de Ganges a fait plus que de m’envoyer à vous. Il m’a raconté sa vie.

 

– Que dites-vous? demanda madame de Ganges stupéfaite.

– Toujours la vérité, madame. La querelle a commencé dans un bal, près du carrefour de l’Observatoire, et s’est vidée aux fortifications. J’ai fait ce long trajet à côté de M. de Ganges et en causant avec lui. C’est ainsi que j’ai reçu de lui des confidences que je n’avais pas provoquées.

– Comment a-t-il pu vous choisir pour les entendre, vous qui vous étiez emparé de son nom?

– Je lui ai dit qu’on m’avait fait la sotte plaisanterie de me le donner, et que je n’y étais pour rien. En vérité, je ne mentais pas. Il m’a cru, et, s’il n’y avait pas eu le soufflet, l’affaire se serait probablement arrangée… et j’aurais eu quelque mérite à pousser, comme je l’ai fait, à un accommodement, puisque sans ce duel fatal, vous ne seriez pas…

– Que vous a-t-il dit? interrompit la marquise.

– Son récit n’a été qu’une longue confession de ses torts envers vous. Il m’a dit qu’il s’était ruiné plusieurs fois, et qu’il avait abusé de votre bonté, sans jamais la lasser. Il m’a dit que depuis un an il n’a pas cessé de vous tromper en vous écrivant qu’il était en train de refaire sa fortune dans de grandes entreprises financières. C’était faux. Il était en dernier lieu à Monaco où il jouait et où, après avoir gagné une somme énorme, il a perdu jusqu’à son dernier louis. Il arrivait à Paris sans argent, et c’est la honte de vous avouer ce qu’il avait fait qui l’a empêché de se présenter, hier, à votre hôtel.

– Ah! c’est le coup de grâce! murmura madame de Ganges.

– Je dois ajouter, reprit Paul, qu’il se repentait de vous avoir offensée et qu’il m’a chargé de vous demander de lui pardonner le mal qu’il vous a fait. C’était là une mission qui ne me plaisait pas, vous le croirez sans peine, mais je ne pouvais pas refuser de l’accepter… et je m’en acquitte.

Abîmée dans sa douleur, ou tout au moins dans son émotion, la marquise semblait avoir été changée en statue. Pâle, immobile, le regard fixe, elle ne trouvait pas une parole à adresser à Paul Cormier, qui attendait.

– Qui donc l’a tué? demanda-t-elle lentement, comme si elle sortait d’un rêve.

– Un homme que vous connaissez, madame, répondit Paul. Il était avec moi, hier, au Luxembourg, quand je vous ai vue pour la première fois… et il a osé vous parler.

– Jean de Mirande! s’écria la marquise; lui, toujours lui!… c’était donc écrit qu’il troublerait encore une fois ma vie!

– Que voulez-vous dire, madame? demanda vivement Paul Cormier. Que vous a donc fait Mirande, avant de…

– A moi, rien, murmura la marquise; mais il a fait le malheur de… d’une personne à laquelle je m’intéresse… et vous venez m’apprendre qu’il a tué mon mari!…

– Qu’il ne connaissait pas, même de nom. Je l’ai interrogé après le duel et il m’a affirmé qu’il n’avait jamais entendu parler de M. de Ganges.

Cette assurance ne parut pas déplaire à la marquise et Paul reprit vivement:

– Vous le voyez, madame… c’est la fatalité qui a tout fait… et dans ce malheur, vous pouvez du moins vous dire que vous ne serez pas compromise, car personne ne sait que l’homme qui a succombé dans ce duel était votre mari.

– On le saura… on trouvera sur lui des papiers… des cartes de visite… que sais-je?

– Rien, madame. M. de Ganges, avant le duel, m’a remis son portefeuille… Le voici, dit Paul, en le tirant de sa poche, pour le présenter à la marquise. Il porte une couronne et des armes gravées sur le cuir. Les reconnaissez-vous?

– Oui… ce sont les siennes, balbutia madame de Ganges.

– Ai-je besoin de vous jurer que je ne l’ai pas ouvert?

– Non… je vous crois… mais que va-t-il arriver, mon Dieu!… La justice poursuit les duellistes, quand le duel a causé la mort de l’un des combattants… vous serez interrogés… vous et votre ami… que direz-vous? La vérité, n’est-ce pas?… On vous demandera pourquoi vous aviez pris ce nom qui ne vous appartenait pas… et vous ne pourrez pas cacher ce qui s’est passé hier, chez mon amie, madame Dozulé… Ah! je suis perdue!

– Si on m’interroge, je ne parlerai pas de vous… Mirande non plus… par une excellente raison, c’est qu’il ignore que vous existez. Les trois autres témoins sont trois étudiants qui n’étaient pas présents au moment où M. de Ganges m’a grossièrement reproché de lui avoir volé son nom… Ils savent que ces messieurs se sont battus à propos d’un soufflet… Ils ne savent pas pourquoi ce soufflet a été donné. Ce n’est pas moi qui le leur apprendrai… et, d’ailleurs il n’est pas certain qu’on nous interrogera… personne ne nous a vus sur le terrain.

Paul oubliait, peut-être volontairement, la lettre du maître-chanteur, qui menaçait de le dénoncer. Il ne pensait qu’à rassurer la marquise et à tirer parti, pour entrer dans son intimité, de la bizarre situation que le plus étrange des hasards venait de leur créer.

Il sentait très bien que le moment eût été mal choisi pour lui parler encore de son amour, comme il n’avait pas craint de le faire avant de lui annoncer qu’elle était veuve, mais il constatait déjà que si la nouvelle de la mort tragique de M. de Ganges avait bouleversé la marquise, elle ne l’avait pas affligée outre mesure, car elle n’avait pas versé de larmes.

Et il lui savait gré de ne pas feindre une douleur que ne pouvait guère lui causer la lamentable fin d’un homme qui s’était presque vanté, avant de mourir, d’avoir été le plus détestable des maris.

Il espérait qu’une fois remise de l’émotion bien naturelle qu’elle venait d’éprouver, cette victime d’une union mal assortie comprendrait qu’elle aurait tort de faire un éclat et il se préparait à lui proposer, en temps et lieu, le modus vivendi que lui avait suggéré sa cervelle d’amoureux.

Il attendait toujours qu’elle prît ce portefeuille qui, à vrai dire, lui brûlait les doigts.

On a beau ne pas être sentimental à l’excès, on ne garde pas volontiers sur soi les reliques d’un homme qu’on a vu tomber, frappé à mort, dans un duel dont on a été la cause première.

Et, de son côté, la marquise répugnait évidemment à toucher ce legs de son indigne mari.

Paul Cormier se décida enfin à le placer sur le banc où elle était assise quand il avait paru dans le jardin.

Il pensait bien qu’elle ne l’y laisserait pas et il tenait à s’en débarrasser le plus tôt possible.

– Vous ne m’accuserez plus de mentir, dit-il doucement, et maintenant que j’ai rempli la pénible mission qui m’a été imposée, je vous supplie, madame, de me faire connaître votre volonté. A tout ce que vous me commanderez, j’obéirai, quoi qu’il m’en puisse coûter. Dans la situation où les événements nous ont placés, c’est à vous de donner des ordres. Et je vous demande en grâce de ne penser qu’à vous en prenant une décision. Peu importe ce qu’il m’arrivera, pourvu que vous n’ayez pas à souffrir des conséquences de ce duel.

– Souffrir! répéta tristement la marquise, voilà des années que je souffre… il ne peut rien m’arriver de pis que de vivre comme j’ai vécu depuis que je me suis mariée. Si vous saviez!…

– Je sais. Croyez-vous donc que je ne devine pas qu’on vous a sacrifiée à un homme que vous n’aimiez pas et qui a fait de vous une martyre… s’il ne me l’a pas dit, il m’en a dit assez pour que je ne le plaigne pas… c’est Dieu qui l’a puni… et c’est vous que je plains… vous pour qui je mourrais avec joie, si ma mort pouvait vous épargner un chagrin… vous que…

La marquise arrêta d’un geste la déclaration brûlante que Paul avait sur les lèvres.

– Pas un mot de plus, lui dit-elle d’une voix ferme. Je vous crois, mais je ne dois pas vous écouter. Je subirai mon sort sans murmurer… et je compte que vous n’aurez pas moins de courage que moi.

– Est-ce à dire que vous persistez à me défendre de vous revoir?

Et comme madame de Ganges se taisait:

– C’est impossible! s’écria Paul. Comment feriez-vous? Que diriez-vous à vos amies… à vos amis… à ce monde où vous vivez et où j’ai été présenté sous le nom de votre mari? Espérez-vous leur persuader que je suis retourné à l’étranger?… Ils s’apercevraient bien vite que je n’ai pas quitté Paris… je me suis déjà trouvé face à face avec M. de Servon dans un lieu où je ne devais pas m’attendre à le rencontrer…

– C’est moi qui partirai… je m’éloignerai de la France… je vous l’ai déjà dit.

– Mais j’y resterai, moi. Que dirai-je à ceux qui me parleront de vous? Faudra-t-il que j’échafaude des mensonges pour tâcher de leur expliquer ce chassé-croisé du marquis et de la marquise de Ganges? Ils ne me croiraient pas… ils sauraient bientôt la vérité… on dirait partout que j’ai été votre amant… et que nous avons à nous deux, inventé cette supercherie… ils ne vous pardonneraient pas de vous être moquée d’eux.

– Pourquoi ne leur diriez-vous pas tout simplement la vérité?… que vous m’avez suivie, que vous êtes entré chez madame Dozulé, en même temps que moi qui ne vous avais pas vu… et que l’erreur d’un valet de pied a fait tout le mal…

– Ils me croiraient encore moins.

– Mais rien ne vous oblige à les voir, vous n’avez qu’à reprendre la vie que vous avez toujours menée. Pour eux, le quartier que vous habitez est aussi loin que la Chine. Vous y avez rencontré M. de Servon par un de ces hasards qui n’arrivent pas deux fois.

– J’avais bien compris… vous ne voulez plus me connaître… je vous gêne, murmura Paul Cormier.

– Je n’ai pas dit cela, répliqua vivement la marquise.

– Vrai?… vous ne me chassez pas? merci!… oh! merci!… alors, il n’y a qu’un moyen… un seul… c’est de rester comme nous sommes.

– Je ne comprends pas.

– Pourquoi ne continuerais-je pas à passer pour votre mari? demanda Paul, emporté par son ardeur amoureuse, au point de ne pas s’apercevoir de l’énormité de la proposition qu’il osait faire à la marquise.

– D’abord, parce que c’est impossible. A la rigueur, mes amis pourraient s’y laisser prendre; mais les vôtres?… mais votre mère?… car vous avez encore votre mère, vous me l’avez dit… Comment leur persuaderez-vous que vous n’êtes plus vous-même?… Cesserez-vous de les voir?…

– Non… Mais je les verrai moins souvent… Je ne dîne chez ma mère qu’une fois par semaine… le dimanche… elle ne vient presque jamais chez moi… et elle ne me demande pas de lui rendre compte de ce que je fais.

– Encore votre mère, reprit la marquise, serait-elle bien étonnée et probablement très affligée si elle venait à apprendre que son fils va dans le monde sous un faux nom et porte un titre qui ne lui appartient pas. J’admets qu’elle n’en saura rien, mais M. de Mirande, votre ami intime, comment pourrait-il ignorer que vous vivez en partie double?… Étudiant sur la rive gauche et marquis sur la rive droite…

– Paris est si grand! murmura Paul, à bout d’arguments.

– Oui, Paris est immense, mais tout y arrive… vous en avez eu la preuve hier, puisque vous avez trouvé sur votre chemin M. de Servon. Et si vos camarades venaient à découvrir que vous vous faites passer pour le marquis de Ganges, de quoi ne vous accuseraient-ils pas!… Convenez donc, monsieur, que votre projet est fou, si tant est que vous l’ayez conçu sérieusement.

Paul baissa la tête et ne trouva rien à répondre.

– Ce n’est pas tout, reprit madame de Ganges; alors même qu’il serait praticable, je ne me prêterais pas à une imposture… je ne trouve pas d’autre mot pour qualifier le plan de conduite que vous me proposez d’adopter.

– Vous préférez me désespérer!

– Non, monsieur. Seulement, je veux rester maîtresse de mes actions. Je ne sais ce que vous pensez de moi, mais je vous prie de croire que j’ai toujours été irréprochable.

Mon mari, lui-même, mon mari qui m’a fait tant de peines, me rendrait cette justice, s’il vivait encore.

– Il me l’a dit avant de mourir.

– Vous devez donc comprendre que je ne puis ni ne dois rester avec vous dans les termes où nous a mis la méprise d’un domestique. Je suis décidée à dire la vérité à mon amie madame Dozulé. Elle a assisté à la scène et je lui expliquerai qu’un manque de présence d’esprit m’a empêchée de rectifier immédiatement l’erreur.

Elle rira de l’aventure et elle se chargera de la présenter sous son véritable jour à ses invités d’hier.

– Dieu sait ce qu’ils penseront de moi, murmura l’étudiant.

Qu’importe?… tout ce que vous ferez sera bien fait, madame.

– Je serais désolée que vous eussiez à souffrir de ma franchise, mais je ne puis agir autrement. Je ferai, d’ailleurs, en sorte de prendre sur moi la responsabilité de ce désastreux malentendu. Personne n’aura rien à vous reprocher. Il aura, du reste, duré si peu de temps qu’il ne saurait avoir de bien graves conséquences.

– S’il en a, je les supporterai, quelles qu’elles soient… pourvu que vous ne me défendiez pas de vous revoir.

 

– Plus tard, peut-être… mais vous sentez comme moi que pendant un temps nos relations doivent cesser.

– Si j’étais sûr qu’elles ne seront qu’interrompues?…

– Je ne puis rien vous promettre. La catastrophe que vous venez de m’annoncer va bouleverser ma vie et je ne sais pas encore quel parti je prendrai… je n’ai même pas la certitude que je suis veuve…

– Si vous ne l’étiez pas, je ne vous aurais pas parlé comme je viens de le faire… Mais M. de Ganges est tombé sous mes yeux et je vous ai apporté la preuve qu’il est mort, dit Paul Cormier, en montrant du doigt le portefeuille auquel la marquise n’avait pas encore osé toucher.

Il était resté sur le banc ce portefeuille armorié et elle ne pouvait pas douter qu’il eût appartenu à son mari.

– Ouvrez-le, madame, reprit Paul, vous y trouverez certainement des papiers qui ne vous laisseront pas de doutes.

La marquise ne semblait pas pressée de suivre le conseil que lui donnait l’amoureux qui aspirait à remplacer son mari. Peut-être s’y serait-elle décidée, mais son garde du corps se montra tout à coup. Au lieu de prendre l’objet, elle se plaça de façon à l’empêcher de le voir et elle l’interrogea des yeux.

L’homme noir comprit la signification du regard qu’elle lui lança, car il répondit comme si elle lui eût adressé la parole:

– C’est le valet de chambre de M. de Servon qui apporte une lettre pour M. de Ganges. J’ai eu beau lui dire que M. de Ganges n’est pas encore arrivé. Il prétend que son maître l’a vu hier.

La marquise changea de visage et Paul Cormier comprit.

Le vicomte envoyait les huit mille francs qu’il avait perdus sur parole à M. de Ganges qui les lui avait gagnés.

– Il paraît que la lettre contient de l’argent, reprit le chevalier noir et que c’est très pressé.

La situation se corsait encore. Le domestique de M. de Servon attendait une réponse et ce n’était pas à Paul Cormier de la lui donner. La marquise ne pouvait pas faire moins que de s’en charger.

– Dites-lui que M. de Ganges n’est pas là et que je ne reçois pas les lettres adressées à mon mari, répondit-elle, après un silence.

– Bien. Je vais le congédier, dit l’impassible personnage.

Et il tourna les talons en pivotant tout d’une pièce, militairement, comme un soldat qui vient de faire son rapport à son supérieur.

Paul le laissa s’éloigner avant de dire à demi-voix:

– C’est à moi que cette lettre était destinée.

– A vous! s’écria la marquise.

– Oui, madame. Depuis la partie de baccarat chez madame Dozulé, M. de Servon est mon débiteur.

– Et c’est chez moi qu’il envoie la somme qu’il vous doit!

– Naturellement, puisqu’il croit la devoir à M. de Ganges.

La marquise tressaillit. C’était le premier effet de l’erreur du valet de pied de madame Dozulé et elle pouvait maintenant mesurer ce que cette fatale méprise allait lui coûter.

– Il reviendra l’apporter lui-même, cette somme, continua avec intention Paul Cormier qui ne désespérait pas encore d’amener la marquise à accepter son projet de rester dans le statu quo; et vous en verrez bien d’autres. C’est la conséquence forcée de ce qui s’est passé chez votre amie.

– Vous avez raison, monsieur, dit-elle; la situation où nous nous trouvons tous les deux est intolérable. Je n’ai que deux partis à prendre: ou dire la vérité, ou quitter Paris et n’y jamais revenir. J’ai besoin de réfléchir avant de me décider, et je désire être seule.

C’était un congé en bonne forme, et la marquise le signifia d’un ton si ferme que son amoureux comprit qu’il n’avait qu’à se retirer.

– Je vous obéis, madame, dit-il tristement.

Il se flattait que pour adoucir cette injonction, elle allait lui tendre la main, mais elle ne la lui offrit pas plus que la veille, au moment où il l’avait quittée tout près du rond-point des Champs-Elysées.

Elle la retira même, comme si elle eût craint qu’il ne la prît, sans sa permission.

Décidément, cette marquise n’aimait pas les contacts, même du bout des doigts.

Après ce refus, presque décourageant, Paul Cormier n’avait plus qu’à s’en aller, sans ajouter un mot à ce qu’il avait dit.

Ainsi fit-il, très mortifié et très mécontent du résultat de sa première visite à la marquise de Ganges.

En traversant la cour qui précédait le jardin, il y retrouva l’homme habillé de noir, cet étrange personnage qui se tenait à l’écart pour apparaître de temps en temps comme la statue du Commandeur.

Paul savait maintenant que ce garde du corps n’était pas un simple domestique, mais il n’eut pas la moindre envie de le saluer en passant et il crut voir que ce chevalier de la dame de l’avenue Montaigne le regardait d’un air soupçonneux.

Il se demandait sans doute ce que ce jeune homme était venu faire chez madame de Ganges, et c’était bien la preuve qu’elle n’avait pas jugé à propos de lui parler de ses aventures à la sortie du Luxembourg et chez la baronne Dozulé.

Peu importait du reste à Paul Cormier, mais il ne fut pas plutôt hors de l’hôtel, qu’il lui arriva, comme la veille, en descendant de voiture aux Champs-Elysées, d’envisager la situation sous un tout autre aspect.

La veille, après le voyage en fiacre, il s’était repenti de s’être laissé trop facilement éconduire et maintenant il apercevait dans le langage et dans l’attitude de la marquise des côtés qui le choquaient.

– Elle n’a pas sourcillé quand je lui ai annoncé que son mari avait été tué, cette nuit, se disait-il en s’acheminant vers le véhicule numéroté qui l’attendait à vingt pas de la porte de l’hôtel; je sais bien que ce mari était un chenapan et que sa mort la débarrasse de lui. J’ai trouvé tout naturel qu’elle ne jouât pas la comédie en faisant semblant de se désoler, mais à défaut de larmes, elle aurait pu montrer de l’émotion, ne fût-ce que par convenance… et c’est tout au plus si elle a été troublée un instant. Elle s’est mise tout de suite à examiner avec moi les conséquences de cette mort… en ce qui la touche personnellement, car elle ne s’est pas beaucoup inquiétée de savoir comment j’allais me tirer de ce mauvais pas. Et pourtant, si on poursuit les acteurs du duel, c’est Mirande et moi qui paierons les pots cassés.

Cette marquise ne s’est pas seulement informée de ce qu’était devenu le corps du malheureux que nous avons laissé étendu sur l’herbe d’un bastion du boulevard Jourdan. Je commence à croire qu’elle n’a pas de cœur.

Il était temps du reste que Paul pensât à ses propres affaires qui pouvaient très mal tourner, surtout depuis qu’il avait reçu la lettre anonyme où un gredin le menaçait de le dénoncer à la Justice.

Il y allait de son repos; presque de son honneur, car un duel nocturne, suivi de l’abandon du cadavre, devait forcément donner lieu à une instruction criminelle, et quoiqu’il ne fût pas le plus compromis, il risquait certainement de passer en cour d’assises ou en police correctionnelle, ce qui eût été bien pis, car les jurés acquittent presque toujours les duellistes que les magistrats condamnent très volontiers.

Et ne sachant pas du tout comment il fallait s’y prendre pour parer à ce danger on tout au moins pour l’atténuer, il ne pouvait mieux faire que d’aller prendre l’avis de son ami Bardin.

Il dit donc au cocher qui l’avait amené, avenue Montaigne, de le conduire au boulevard Beaumarchais, au coin de la rue Saint-Claude, où s’embranche la rue des Arquebusiers.

Il aurait bien pu profiter de l’occasion pour aller voir sa mère, puisque la rue des Tournelles est à deux pas, mais il craignait qu’elle ne remarquât l’état d’agitation où l’avaient mis les événements qui venaient de se succéder, événements dont l’entretien avec madame de Ganges n’était pas le moins troublant.

Il était donc décidé à ne voir, ce jour-là, que le vieil avocat, et pendant le trajet, il prépara la consultation qu’il allait chercher au Marais.

Il ne se souciait pas de dire du premier coup toute la vérité à Bardin. Il voulait d’abord tâter le terrain en lui demandant ce qu’il penserait d’un cas analogue au sien; s’il conseillerait à un homme compromis, en pareille occasion, de se tenir coi ou d’aller, au contraire au-devant de l’action judiciaire, en déclarant spontanément qu’il avait pris part à la rencontre et quelle part il y avait prise.