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La main froide

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Ce diable d’homme en revenait toujours au soufflet et Paul vit bien qu’il serait inutile d’insister.

– Alors, finissons-en, dit Mirande et dépêchons-nous, car il fait frisquet ici… sans compter que si nous traînions, nous pourrions être dérangés.

Jules, les épées!

L’étudiant imberbe défit le paquet et mit au clair deux lames fourbies de frais, qui n’avaient encore jamais brillé sur le terrain.

– M. Cormier va être l’un de vos témoins. Veuillez choisir l’autre.

Le marquis désigna au hasard l’étudiant en médecine. Ces jeunes gens se valaient tous, car aucun d’eux n’avait jamais assisté à une affaire sérieuse.

Mais Paul était là et il s’était déjà battu. Il prit donc la direction du duel et personne ne s’avisa de la lui disputer.

La place était marquée d’avance. Le choix des armes n’était pas en question, puisqu’on n’avait qu’une paire d’épées.

Paul n’eut qu’à les mesurer pour s’assurer qu’elles étaient de même longueur.

Les deux adversaires mirent habit bas. Il ne restait plus qu’à les armer, à engager les fers et à donner le signal.

Le marquis s’approcha de Paul et lui dit à demi-voix:

– Savez-vous l’anglais?…

– Un peu, murmura Paul qui ne s’attendait guère à pareille question.

– Ça suffit. Je n’ai qu’un mot à vous dire… Remember!

Paul le comprit ce mot, le dernier que Charles Stuart, roi d’Angleterre, ait prononcé sur l’échafaud, ce mot qui veut dire: «souviens-toi!» et il comprit aussi à quoi le marquis faisait allusion.

Il s’agissait du portefeuille à remettre à la marquise et pour que M. de Ganges y pensât dans un pareil moment, il fallait qu’il tînt beaucoup à ce que Paul s’acquittât de la commission.

Et Paul, bien résolu à tenir sa promesse, vit comme un présage sinistre dans cette réminiscence très imprévue de la dernière parole d’un roi qui allait mourir.

Mais Paul n’eut pas le loisir de philosopher sur ce rapprochement entre un monarque condamné à mort par ses sujets révoltés et un déraillé de la vie qui tenait à ne pas quitter ce monde sans en informer sa femme.

Les combattants étaient face à face, les épées étaient croisées.

– Allez, messieurs, prononça Cormier, en se reculant un peu pour laisser le champ libre.

Ils avaient tous les deux très bonne mine sous les armes. Mirande, académiquement posé et ferme comme un roc sur ses grandes jambes; le marquis ramassé sur lui-même, le corps bien effacé, avait pris d’emblée une garde savante et se préparait à attaquer.

Rien qu’à son attitude on voyait qu’il était de première force. Il attaqua en effet, après quelques feintes, et avec une vivacité inquiétante pour Jean de Mirande qui eut fort à faire pour parer une série de coups très bien calculés et magistralement exécutés.

Il était moins leste et moins prompt que le marquis, mais il le tenait à distance, grâce à la portée de son bras, se bornant à lui présenter la pointe de son fer et, sous la menace incessante d’un coup d’allonge, le marquis n’avait pas encore trouvé le joint pour risquer une botte décisive.

Il le trouva enfin, après on dégagement trop large qui fit dévier de la ligne droite l’épée de son adversaire, et il en profita pour charger à fond, avec une telle furie que Mirande dut rompre en parant de son mieux, sans riposter. Le marquis ne lui en laissait pas le temps.

Le combat, mené de la sorte, ne pouvait pas se prolonger beaucoup et tout annonçait qu’il allait se terminer par une catastrophe. Ce n’était pas un de ces duels pour rire où les combattants cherchent à en finir par une piqûre à l’avant-bras. Le marquis tirait au corps et il tirait si bien que c’était un miracle que Jean n’eût pas encore été embroché.

Paul Cormier faisait maintenant des vœux sincères pour son ami et tremblait d’avoir à le ramasser, transpercé d’outre en outre.

Il était si ému qu’il ne pensait plus du tout à madame de Ganges.

En revanche, il pensait beaucoup à la responsabilité qui retomberait sur lui, en cas de malheur, car les autres témoins n’étaient là que des comparses, absolument incapables de le seconder.

Mirande était serré de si près que, pour empêcher un corps à corps, Paul allait prendre sur lui d’arrêter l’engagement.

Il n’eut pas besoin d’intervenir.

Le marquis, en se fendant à fond, mit le pied sur un caillou roulant qui le fit trébucher. Son épée dévia un instant de la ligne droite et il vint s’enferrer sur celle de Mirande qui lui troua profondément la poitrine.

Il lâcha la sienne, appuya ses deux mains sur sa blessure et dit avec effort:

– Toujours la série à rouge!… j’avais trente et un à noire… j’avais gagné… et voilà que j’attrape un refait.

Les assistants auraient pu ajouter, à l’instar des croupiers de Monte-Carlo:– «Rien ne va plus», car le marquis tomba comme une masse et ne se releva pas.

Tout cela s’était passé si vite que Mirande ne comprenait pas encore. Il resta en garde et il fallut que Paul lui criât de jeter son épée.

Les trois autres témoins avaient perdu la tête à ce point qu’ils se seraient enfuis, si Paul n’avait pas pris au collet l’étudiant en médecine pour le contraindre à examiner le corps étendu sur l’herbe ensanglantée.

Ils auraient été tous encore plus effrayés s’ils avaient levé les yeux vers le sommet de la butte au pied de laquelle on s’était battu.

Ils y auraient aperçu un homme qui s’était sans doute endormi là, que le bruit avait réveillé et qui avait dû tout voir.

La présence de ce témoin imprévu les aurait d’autant plus inquiétés qu’au lieu de dégringoler de là haut pour leur offrir ses services, après la catastrophe, il cherchait évidemment à se cacher, car il s’était couché à plat-ventre et il ne montrait guère que sa tête.

Ces messieurs avaient pour le moment d’autres soucis que celui de s’assurer que personne n’avait assisté au duel sans leur permission.

Il s’agissait avant tout de savoir si M. de Ganges était mort et le docteur en médecine déclara, après l’avoir examiné, qu’il avait été tué raide.

L’épée avait dû trancher l’artère aorte; l’hémorragie s’était faite en dedans, et le sang l’avait étouffé. L’étudiant ne comprenait pas qu’il eût encore pu prononcer quelques mots avant de tomber.

Le malheureux marquis n’était plus qu’un cadavre et tous les soins du monde ne l’auraient pas rappelé à la vie.

Il fallait maintenant prendre un parti: aller chercher des sergents de ville au poste le plus rapproché ou s’esquiver sans bruit.

Les trois jeunes témoins n’hésitèrent pas. Celui qui avait fourni les armes ramassa prestement les épées que lui avait prêtées son cousin le sous-lieutenant de dragons, et fila comme un lièvre. Les deux autres en firent autant et les deux amis restèrent seuls auprès du mort, sous les yeux de l’homme qui continuait à les espionner du haut de la butte.

Très émus tous les deux et très perplexes.

– Qu’allons-nous faire? demanda Mirande.

– Tout plutôt que d’attendre qu’on nous surprenne, répondit Paul Cormier. Un passant du chemin de ronde qui aurait l’idée de tourner la butte nous trouverait près d’un mort et nous aurions beau dire qu’il a été tué en duel, on nous prendrait pour des assassins.

– D’autant plus que ces clampins qui viennent de se sauver ont emporté les épées, grommela Mirande, en endossant son justaucorps qu’il avait ôté avant le combat. Mais nous ne pouvons pas en rester là. Il y a eu mort d’homme. Tout le quartier des Écoles saura l’histoire… ils vont la colporter ce soir dans les cafés du boul’Mich’… il faut absolument que je fasse ma déclaration au commissaire de police.

– Moi aussi. Seulement, il vaut mieux nous adresser à celui de notre quartier, où on nous connaît. Dans les parages où nous sommes en ce moment, on commencerait par nous arrêter. Mon avis est donc que nous rentrions d’abord chez nous.

– C’est aussi le mien. En route!

Ils partirent, non sans remords d’abandonner ce cadavre, que le premier venu allait découvrir et qu’on ne manquerait de porter à la Morgue.

Ils se trouvaient dans un de ces mauvais cas où on se tire d’affaire comme on peut, et ce n’était pas le moment de faire du sentiment.

Ils reprirent le chemin par lequel ils étaient venus et ne s’aperçurent pas que l’homme couché sur le sommet de la butte artificielle se leva tout doucement, descendit de son observatoire et se mit à les suivre de loin.

Le voyage à pied était forcé, car au petit jour les fiacres ne circulent pas encore, et il n’était pas court, mais il n’y avait pas moyen de faire autrement.

Paul d’ailleurs n’était pas très pressé de passer au commissariat. Il préférait même n’y aller qu’après s’être acquitté de la mission que l’infortuné marquis lui avait confiée et il ne pouvait pas décemment aller réveiller la marquise à cinq heures du matin.

Il se proposait pourtant de s’y présenter vers midi, après avoir pris un peu de repos dont il avait grand besoin, et il tenait à commencer par cette visite.

Il ne pouvait pas parler de ses projets à son ami qui ne savait pas le premier mot de la vraie situation, car non seulement Mirande n’avait pas vu le marquis remettre son portefeuille à Paul, mais il en était encore à croire que la querelle avait eu pour point de départ un malentendu.

Et Paul n’avait garde de le détromper.

Il avait du cœur ce grand fou de Mirande et, en dépit de l’affectation qu’il mettait à paraître impassible, il sentait très vivement le regret de s’être mis sur la conscience la mort d’un homme.

Ce n’était pas qu’il redoutât beaucoup les suites fâcheuses que pouvait avoir pour lui ce tragique événement.

Le duel, après tout, avait été loyal. Il se trouverait des gens pour attester que l’affaire s’était engagée à Bullier et que la victime de cette rencontre improvisée avait eu les premiers torts.

Et, en définitive, Mirande qui avait de sa main tué le marquis était moins préoccupé des conséquences de cette mort que Paul Cormier qui n’avait fait qu’assister au combat.

 

Mirande pensait avoir eu pour adversaire un aventurier sans attaches mondaines, et même sans relations à Paris.

Il ne se trompait qu’à moitié, mais il ne croyait pas avoir eu à faire à un gentilhomme dont la race valait la sienne.

Les deux amis n’étaient ni l’un ni l’autre en train de parler et ils cheminaient côte à côte depuis plus d’une demi-heure, lorsque Paul dit:

– J’ai réfléchi et avant de rien faire, je voudrais consulter le père Bardin.

– Qu’est-ce que c’est que le père Bardin? demanda Jean.

– Un vieil avocat qui était l’ami et le conseil de mon père. Je croyais t’avoir déjà parlé de lui.

– C’est possible, mais je l’ai oublié. A quoi peut-il nous être bon?

– Il connaît comme pas un le Code, la procédure et tout ce qui s’ensuit. Je vais lui exposer notre cas, et il m’indiquera la marche à suivre. Il a, d’ailleurs, un fils qui est magistrat et qui, s’il le fallait, répondrait de nous.

– Tu as raison. Il faut que tu le voies, le plus tôt possible.

– Aujourd’hui, parbleu!… j’ai dîné, hier, avec lui chez ma mère. Il m’a même parlé de toi.

– A propos de quoi?

– Oh! rien… un renseignement qu’il m’a prié de te demander. Il sait que tu es du Midi et il voudrait savoir si tu as connu dans ta province une famille de… le nom m’échappe… un nom bizarre… ah! j’y suis!… de Marsillargues…

– Oui, j’ai entendu parler de ces gens-là… autrefois, car il y a beau temps que je l’ai lâchée, ma province… ils étaient très riches… et l’unique héritière de la fortune était une toute jeune fille, très jolie, qui avait je ne sais plus quelle infirmité… manchotte, je crois… ou paralysée d’une main… Moi, je ne l’ai jamais vue et je crois bien qu’elle est morte. Toute cette famille a disparu. Pourquoi Bardin te parlait-il d’elle?

– Ce serait trop long à t’expliquer et ça ne t’intéresserait pas.

Revenons à notre affaire. Me donnes-tu carte blanche jusqu’à ce soir?

– Oh! très volontiers. Je vais me coucher en rentrant chez moi, car je ne tiens plus sur mes jambes. Tu me trouveras au lit quand tu viendras. Et tout ce que ton homme t’aura conseillé de faire, nous le ferons de concert. Ce sera mieux que si nous agissions séparément.

– Beaucoup mieux. C’est convenu.

Paul se disait:

– D’ici, à ce soir, j’aurai vu la marquise.

Ils étaient arrivés à la hauteur de l’Observatoire, lorsque Mirande avisa un fiacre qui revenait à vide de quelque gare où il était allé attendre inutilement les voyageurs d’un train de nuit.

Mirande l’appela et voulut y faire monter Paul avec lui, mais Paul refusa. Il n’était plus très loin de la rue Gay-Lussac et la marche lui faisait du bien.

Il n’était pas fâché d’ailleurs de se retrouver seul, pour tâcher de remettre un peu d’ordre dans ses idées.

Les deux amis se séparèrent donc. Un magistrat aurait dit: les deux complices, puisqu’ils pouvaient être impliqués tous les deux dans une affaire qui se dénouerait peut-être en Cour d’assises.

Jean se fit voiturer au boulevard Saint-Germain où il avait son domicile. Paul continua de cheminer à pied vers la rue Gay-Lussac.

L’homme qui les avait épiés du haut de la butte les avait filés à distance sans qu’ils s’en fussent aperçus.

Il les filait, dans un but qui ne pouvait pas être de leur rendre service, car il se dissimulait en rasant les maisons et on ne se cache que pour mal faire.

Quand ces messieurs se quittèrent, il dut forcément lâcher une des deux pistes pour s’attacher à l’autre, et il n’avait pas le choix, car les chevaux du fiacre où Mirande était monté allaient plus vite que lui.

Il se rabattit donc sur Paul Cormier qui s’en allait pédestrement et qui ne s’avisa pas une seule fois de se retourner, car il ne se doutait pas qu’un curieux mal intentionné était à ses trousses.

Ce suspect individu suivit Paul jusqu’à la porte de la maison qu’il habitait.

Il ne poussa pas l’audace jusqu’à y entrer sur ses talons, comme Paul était entré, la veille, chez la baronne Dozulé, en même temps que la marquise de Ganges. Mais il n’abandonna pas la partie et Paul s’aperçut, dès le lendemain, qu’il aurait désormais à compter avec un dangereux drôle.

III. Quoique ses moyens le lui permissent…

Quoique ses moyens le lui permissent, Paul Cormier ne s’était pas encore mis dans ses meubles, comme son ami Jean de Mirande qui s’était payé une installation superbe.

Il ne vivait pas non plus dans un hôtel garni, comme un simple étudiant, pourvu d’une maigre pension.

Il avait loué, dans une honnête maison, un joli appartement meublé, composé de quatre pièces, au premier sur le devant, et n’eût été l’écriteau jaune pendu à la porte de la rue, les personnes qui venaient le voir pouvaient croire qu’il était là chez lui.

Une femme comme il faut pouvait y entrer sans se compromettre.

En fait de domestiques, il se contentait d’une femme de ménage, évitant ainsi la dépense obligatoire d’une tenue de maison, afin de garder plus d’argent de poche, le seul qu’il appréciât.

Il avait un certain mérite à se gouverner de la sorte, car madame Cormier, la mère, était restée usufruitière de toute la fortune; et son fils, qui aurait pu exiger sa part de l’héritage, ne l’avait jamais réclamée.

Depuis qu’il avait gagné huit mille francs au vicomte de Servon, il s’était déjà demandé s’il ne les emploierait pas à se créer un intérieur confortable où il pourrait, sans rougir de la mesquinerie de son ameublement, recevoir un jour ou l’autre la marquise de Ganges.

Mais depuis la mort tragique du mari, il pensait beaucoup moins à la jolie somme qui gonflait son portefeuille qu’à un autre portefeuille qu’il s’était chargé de remettre à la veuve du marquis.

Celui-là lui pesait cent livres sur la poitrine et quand il le retira de sa poche en se déshabillant, c’est à peine s’il osa y toucher.

Il fut pourtant violemment tenté de l’ouvrir.

M. de Ganges, en lui recommandant de le porter à sa femme, ne lui avait pas défendu d’en examiner le contenu, et il y trouverait peut-être d’autres secrets que celui de la personnalité du défunt.

Il ne savait presque rien de la marquise et il ne tenait peut-être qu’à lui de tout savoir.

Mais il lui répugnait de fouiller dans les papiers d’un mort et après avoir un peu trop hésité, il sut résister à la tentation.

Il le serra avec ses billets de banque dans l’armoire à glace qui lui servait de coffre-fort et il se mit au lit où il dormit d’un sommeil très agité, jusqu’à l’heure où sa femme de ménage le réveilla pour lui apporter son chocolat, c’est-à-dire à midi précis.

Paul se hâta de se lever et d’expédier ce frugal déjeuner. Il lui tardait de courir à l’avenue Montaigne et il avait encore à faire une toilette plus soignée que de coutume, avant de se présenter chez la marquise.

Le noir était indiqué, puisqu’il avait à remplir le pénible rôle du page de la chanson de Marlborough.

«La nouvelle que j’apporte fera vos yeux pleurer».

Encore fallait-il que les vêtements de deuil qu’il allait mettre fussent neufs et coupés par un bon tailleur.

Il était content du sien qui n’habillait que des messieurs élégants et il choisit une tenue appropriée à la circonstance.

S’il l’eût osé, il aurait mis un crêpe à son chapeau.

Et il n’eut pas de peine à prendre la figure que doit avoir un homme chargé d’annoncer une catastrophe, car il n’avait pas le cœur à la joie. Il commençait à se préoccuper fortement des conséquences du drame nocturne auquel il avait pris une trop large part. Il se demandait ce qu’il était advenu du cadavre abandonné sur le talus des fortifications et si l’on n’avait pas trouvé sur le mort des preuves de son identité; toutes n’étaient peut-être pas dans son portefeuille. Et dans ce cas, la police arriverait bien vite à découvrir qu’il existait à Paris une marquise de Ganges ayant des relations dans le beau monde et pignon sur rue, ou plutôt sur avenue, ce qui est encore mieux.

Donc, Paul Cormier devait se hâter, s’il voulait avoir tout le bénéfice de la mission qu’il avait acceptée; mission délicate, s’il en fut, puisqu’il était la cause involontaire de la mort du marquis. Il est vrai que la marquise partageait ce tort avec lui, puisqu’elle s’était tacitement prêtée à la confusion de personnes qui avait amené la malencontreuse présentation au bal de la Closerie des Lilas. Et Paul espérait que cette complicité passive lui vaudrait quelque indulgence de la part de la veuve. Elle l’avait laissé se mettre dans son jeu; après la scène qu’il allait avoir avec elle, en s’acquittant du message que le mort lui avait confié, il ne pouvait pas manquer d’y entrer plus avant et il y comptait bien.

Non pas certes qu’il songeât à se prévaloir de la situation pour lui imposer son intimité, mais elle aurait forcément besoin de lui et elle ne pourrait pas moins faire que de le revoir.

Il avait renvoyé sa femme de ménage et il allait sortir quand il avisa sur sa table de nuit une lettre qu’elle y avait posée en entrant, comme elle avait coutume de le faire chaque matin, lorsqu’elle apportait le courrier.

Peu s’en fallut qu’il ne l’y laissât sans l’ouvrir. Il n’avait ni affaires, ni créanciers, et les femmes qui lui écrivaient de temps à autre lui étaient maintenant complètement indifférentes.

Il la décacheta cependant, pour l’acquit de sa conscience et il ne fat pas peu surpris de ce qu’il y lut.

On lui écrivait ceci:

«J’ai vu tout ce qui s’est passé, ce matin, au petit jour, sur un bastion du boulevard Jourdan. Vous avez tué un homme et vous étiez deux contre un. C’est bel et bien un assassinat et vous savez où ça mène. Je n’ai qu’un mot à dire pour vous faire arrêter. Mais je suis bon enfant et je ne demande qu’à m’entendre avec vous. Le silence est d’or, à ce qu’on dit. J’estime que le mien vaut au moins dix mille francs. Si vous êtes disposé à me les donner, vous me trouverez, de midi à deux heures, dans le jardin des Thermes de Cluny, au coin du boulevard Saint-Germain et du boulevard Saint-Michel. Si vous n’y venez pas, vous coucherez ce soir au dépôt de la Préfecture. Ce sera vous qui l’aurez voulu».

Cette aimable épître n’était pas signée, mais elle était très correctement rédigée, sans la moindre faute d’orthographe ni de français et parfaitement adressée à M. Paul Cormier.

Elle n’était pas signée,– on ne signe pas ces choses-là,– mais il y avait un post-scriptum ainsi conçu:

«Je m’adresse à vous de préférence, parce que c’est vous que j’ai sous la main, mais je saurai retrouver votre complice et il ne perdra rien pour avoir attendu».

C’était clair et net. Il s’agissait d’un chantage.

Le maître-chanteur se trompait, peut-être volontairement, quand il disait que Paul avait tué un homme, puisque Paul n’avait été qu’un des témoins du duel.

Il s’adressait à celui-là parce qu’il ne connaissait pas encore l’adresse de l’autre, mais la menace d’une dénonciation n’en était pas moins redoutable.

Évidemment, ce drôle s’était renseigné chez le portier du numéro 9 de la rue Gay-Lussac sur son locataire, et il n’avait qu’à signaler M. Cormier au commissaire de police pour qu’on l’envoyât chercher à domicile par deux agents.

C’était ce que Paul redoutait par-dessus tout, car s’il se flattait de fournir à ce commissaire des explications satisfaisantes, il tenait absolument à pouvoir disposer de sa journée, d’abord pour aller voir la marquise de Ganges et ensuite pour aller consulter le vieil ami de sa mère, l’avocat Bardin.

Quant à acheter le silence du gredin qui le menaçait de le dénoncer, Paul n’y songea pas un seul instant; non qu’il n’eût volontiers donné de l’argent pour que ce drôle le laissât en repos, mais c’eût été se mettre à sa merci, car il n’aurait pas manqué de recommencer.

C’est le système de tous les maîtres-chanteurs. Plus l’homme qu’ils exploitent les paie, plus croissent leurs exigences. Ils ne le lâchent qu’après l’avoir ruiné et lorsqu’il en est là, ils le dénoncent quand même.

Paul savait cela et d’ailleurs, au fond, il ne demandait qu’à être appelé à s’expliquer devant un magistrat sur ce duel malheureux. Il faudrait bien en venir là tôt ou tard, mais il préférait que ce ne fût pas immédiatement.

Comment ce misérable était-il si bien informé? Paul ne s’en doutait pas. Et c’était d’autant plus incompréhensible pour lui que, à en juger pas le style et l’orthographe de la lettre, il n’avait pas affaire à un rôdeur de barrières. Mais Paul n’avait pas le loisir de chercher le mot de cette énigme, et sa résolution fut bientôt prise.

 

Le chanteur ne l’attendait pas dans la rue, devant sa maison, puisqu’il annonçait que de midi à deux heures il se tiendrait dans le jardin du musée de Cluny. Paul n’avait qu’à le laisser s’y morfondre et à prendre un fiacre pour se faire conduire avenue Montaigne.

Après son entrevue avec madame de Ganges, il comptait aller chez Bardin, puis chez Mirande, que très probablement, il trouverait encore au lit, et, quand il se serait entendu avec lui, alors il serait temps d’aviser.

Il sortit donc et en sortant, il eut soin de donner un coup d’œil à droite et à gauche: il ne vit personne. La rue Gay-Lussac n’est pas très fréquentée et dans le voisinage du numéro 9, il n’y avait aucun de ces établissements où on vend à boire et à manger, et, où on peut s’installer pour espionner à travers les vitres de la devanture.

Cormier aurait bien pu interroger son portier pour savoir qui avait apporté la lettre et si quelqu’un était venu demander des renseignements. Mais c’eût été laisser voir qu’il craignait d’être surveillé et il préféra s’abstenir.

Il passa donc devant la loge sans s’y arrêter et tournant à gauche, il déboucha sur le boulevard Saint-Michel, tout près de la station où il avait pris la veille la voiture qui l’avait mené avec madame de Ganges, au rond-point des Champs-Élysées.

Avant d’y arriver, il en vit une arrêtée au coin de la rue Gay-Lussac, mais elle devait être occupée, car les stores étaient baissés et il lui fallut pousser jusqu’à la station de la rue de Médicis.

Cette fois aucune femme ne monta dans le fiacre qu’il choisit.

Ces aventures-là n’arrivent pas tous les jours.

Paul, bien entendu, n’avait pas oublié de se munir du portefeuille à lui confié par le pauvre marquis et il n’avait pas non plus laissé le sien dans son armoire à glace où ses billets de banque n’auraient pas été en sûreté.

Le voyage ne lui parut pas long, car il l’employa à se préparer à paraître devant la marquise, et plus le moment solennel approchait, moins il se sentait rassuré sur le résultat de la démarche qu’il allait tenter, démarche scabreuse s’il en fut.

D’abord, madame de Ganges consentirait-elle à le recevoir? Il commençait à en douter.

Sous quel prétexte et sous quel nom se présenterait-il? Elle savait qu’il s’appelait Paul Cormier. Il le lui avait dit. Peut-être était-ce une raison pour qu’elle lui fermât sa porte, si elle reconnaissait ce nom sur la carte qu’il remettrait au domestique chargé de répondre aux visiteurs.

Mieux valait sans doute se faire annoncer sous un nom inconnu d’elle, en ajoutant qu’il avait absolument besoin de l’entretenir d’affaires graves et urgentes.

Paul payait assez de mine pour ne pas avoir à craindre d’être pris pour un mendiant ni même pour un commis-voyageur qui vient offrir à domicile des vins de propriétaire.

Une fois qu’il serait en présence de la marquise, le reste irait tout seul. Elle n’aurait garde de le renvoyer car, après ce qui s’était passé chez la baronne Dozulé, elle devait souhaiter autant que lui une explication en tête à tête.

La seule difficulté était donc d’arriver jusqu’à elle. Après réflexion, il résolut de s’inspirer des circonstances et il descendit de son fiacre, un peu avant le numéro 22, à seule fin de se donner le temps d’examiner l’extérieur de la place, avant d’essayer d’y pénétrer par surprise.

En s’approchant, il vit un grand et bel hôtel dont la façade à deux étages était imposante. On devinait tout de suite qu’il n’avait pas été construit pour abriter une de ces horizontales enrichies qui peuplent l’avenue de Villiers et les rues adjacentes.

L’hôtel de la marquise était un hôtel sérieux comme on n’en bâtit guère pour ces demoiselles.

Il avait même l’air un peu triste avec ses hautes fenêtres closes et sa majestueuse porte cochère dont les deux battants étaient fermés.

On n’entrait pas là comme chez la baronne de l’avenue d’Antin qui laissait libre l’accès du sien, les jours où elle recevait ses nombreux amis.

Chez madame de Ganges, il fallait montrer patte blanche et son salon n’était pas ouvert à tout venant.

Paul, un instant intimidé par l’aspect de ce logis seigneurial, doutait de plus en plus d’y être admis.

Il se décida pourtant à sonner et le cordon fut tiré immédiatement.

Il poussa le battant mobile et se trouva dans un large vestibule aboutissant à un jardin qui semblait s’étendre très loin.

Un valet en livrée de couleur sombre vint à la rencontre du visiteur et lui demanda son nom, ce qui semblait indiquer que madame de Ganges était chez elle.

Paul, pris de court, allait donner sa carte, lorsqu’il aperçut à l’entrée du jardin un homme vêtu de noir qu’il reconnut aussitôt pour l’avoir déjà vu la veille au Luxembourg, sur la terrasse.

Cet homme, c’était celui qui avait eu maille à partir avec Jean de Mirande, à propos de la chaise occupée si cavalièrement par cet audacieux étudiant et que Mirande avait traité du haut en bas.

La rencontre était fâcheuse. Ce personnage qui gardait si bien la marquise hors de chez elle, devait se tenir là pour la protéger à domicile contre les importuns et contre les indiscrets.

– S’il allait me reconnaître pour m’avoir vu hier avec Jean? se disait

Paul, de moins en moins rassuré.

Il oubliait qu’il s’était tenu à distance pendant l’altercation et que ce chevalier de la marquise n’avait pas pu le remarquer.

Il eut bientôt la preuve qu’il avait tort de s’alarmer, car ce grave personnage s’approcha et lui dit très poliment que madame de Ganges, un peu souffrante, ne recevait personne.

Paul ne se tint pas pour battu et parlant d’abondance, il dit qu’il n’avait pas l’honneur d’être connu de madame la marquise, mais qu’il était chargé de lui faire une communication importante.

L’homme l’interrompit pour lui demander brusquement:

– De la part de qui?

Paul ne pouvait pas répondre: de la mienne, après avoir dit que madame de Ganges ne le connaissait pas.

On l’aurait évidemment mis à la porte.

Il eut une idée qui aurait pu lui venir plus tôt, et qu’il crut bonne, car il n’hésita pas une seconde à dire:

– De la part de M. le marquis de Ganges.

En parlant ainsi, Paul Cormier ne mentait pas, puisque le malheureux marquis l’avait expressément chargé d’aller remettre son portefeuille à sa femme et c’était bien le seul moyen qui lui restât d’arriver jusqu’à madame de Ganges. Mais il avait oublié de se demander comment le chevalier noir allait prendre cette déclaration qui devait l’étonner beaucoup, pour peu qu’il fût au courant des affaires de ménage de la noble dame dont il semblait s’être constitué le garde du corps.

– C’est impossible, dit brutalement ce personnage rébarbatif, M. le marquis n’est pas à Paris.

C’était bel et bien un démenti. En toute autre occasion, Paul l’aurait vertement relevé, mais il dut filer doux, sous peine de manquer son but en se faisant expulser, et il se contenta de répondre:

– Tout ce que je puis vous dire, c’est que je l’ai vu et qu’il m’a confié une mission que je tiens à remplir consciencieusement. Or, je ne puis m’en acquitter que si madame me fait l’honneur de me recevoir, car j’ai promis à monsieur de ne remettre qu’à elle seule un objet qu’il m’a chargé de lui apporter.

Ce fut dit d’un ton ferme qui parut faire impression sur le fidèle gardien de la marquise. Peut-être crut-il que ce messager inattendu arrivait d’un pays étranger où il avait rencontré M. de Ganges. Paul, en affirmant qu’il l’avait vu, s’était bien gardé de dire où. Et il se pouvait que madame de Ganges eût intérêt à recevoir le message.

– Je veux bien lui répéter ce que vous venez de me déclarer, et prendre ses ordres, grommela le serviteur récalcitrant. Elle est au fond du jardin; je vais lui demander si elle veut vous recevoir. Si elle y consent, je viendrai vous chercher. Attendez-moi ici.

Paul n’avait qu’à obéir sans élever d’objections, trop heureux d’avoir décidé ce cerbère à consulter sa maîtresse.

Ainsi fit-il. Bien persuadé d’ailleurs que, dans la situation d’esprit où elle devait être depuis la veille, elle ne refuserait pas de voir un monsieur qui lui apportait des nouvelles de son mari.