Za darmo

La main froide

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– Il ne nous reste plus qu’à trouver un terrain propice, reprit ce gentilhomme entêté.

– Et à attendre qu’il soit jour, dit ironiquement Mirande.

– Pourquoi?… Il fait un clair de lune superbe.

– Le duel pourrait avoir lieu dans ma chambre, proposa le jeune étudiant, altéré du sang… des autres.

– Je ne dis pas non, répliqua l’offensé irréconciliable.

– Voyons! voyons, messieurs! s’écria Paul Cormier, tout cela, je pense, n’est pas sérieux; vous n’allez pas, de gaîté de cœur, vous exposer à passer en cour d’assises, si cette rencontre absurde se terminait par la mort d’un des deux adversaires. Battez-vous, si vous y tenez, mais battez-vous régulièrement. Je vous déclare, pour ma part, que je refuse d’être témoin dans un duel entre quatre murs et même dans un combat de nuit.

– Eh bien! nous nous contenterons de trois témoins. Deux suffiraient à la rigueur.

– Ah! ça, vous êtes donc enragé, vous, dit Paul.

Pour toute réponse, le giflé mit son doigt sur sa joue.

Et Paul comprit qu’il ne ferait pas entendre raison à ce diable d’homme.

Marquis ou non, ce pochard, complètement et subitement dégrisé, savait très bien ce qu’il disait et surtout ce qu’il voulait.

Et Mirande, toujours surexcité, n’était pas disposé à faire cause commune avec son ami pour empêcher la rencontre. Elle lui plaisait par son étrangeté même; il pensait à la première scène du roman de Dumas où les trois mousquetaires vont ferrailler derrière le Luxembourg et il se faisait une fête de mettre flamberge au vent, comme eux, pour vider au pied levé, une querelle ramassée par hasard.

Paul, qui ne renonçait pas encore à l’espoir de faire avorter le duel, chercha un biais et crut l’avoir trouvé.

Il pensait que s’il pouvait seulement gagner du temps, les têtes finiraient peut-être par se calmer et il dit au marquis:

– Vous ne voulez absolument pas attendre jusqu’à demain la réparation que monsieur vous doit et qu’il ne refuse pas de vous accorder?

– Non… et s’il persistait à demander un délai, je le tiendrais pour un lâche.

– Pas d’injures, monsieur!… et faites-moi la grâce de m’écouter, ou bien je croirai qu’en nous imposant des conditions inacceptables, vous cherchez à éviter ce duel.

L’offensé protesta d’un geste, mais il écouta. Et Paul reprit:

– Nous y sommes, à demain… attendu qu’il est minuit. Et nous sommes à la fin de mai. A trois heures, il fera jour ou du moins on y verra assez clair pour échanger des bottes sans s’éborgner. Vous pouvez bien attendre trois heures.

– Tiens! c’est une idée! s’écria Mirande qui se laissait toujours séduire par l’imprévu.

– Trois heures, c’est long, grommela le marquis. Et puis, je prétends ne pas quitter monsieur, jusqu’à ce qu’il m’ait rendu raison.

– Et qui vous parle de le quitter? Je compte bien que nous ne nous séparerons pas jusqu’au lever de l’aurore, dit Paul Cormier.

– Originale, ton idée, dit Mirande; mais nous ne pouvons pas battre le pavé de Paris, pendant trois heures.

– Nous monterons chez moi et nous ferons du punch au kirsch, s’écria l’étudiant de première année.

– Pourquoi ne proposes-tu pas, pendant que tu y es, d’aller souper tous ensemble? demanda Paul en haussant les épaules. Il ne s’agit pas d’un de ces duels qui ne sont que des prétextes à godaille. Tu vas monter chez toi, tout seul, tu y prendras tes épées de combat… elles ne t’ont jamais servi, je suppose.

– Elles sont toutes neuves. C’est un cadeau que m’a fait mon cousin qui est sous-lieutenant de dragons.

– Très bien! C’est ce qu’il nous faut. Tu les apporteras dans leur enveloppe et nous nous acheminerons tout doucement vers les fortifications. Je connais un endroit où nous ne serons pas dérangés… sur le boulevard Jourdan, à gauche de la porte d’Orléans.

– Mais nous y serons dans trois quarts d’heure, à la porte d’Orléans, grommela Mirande, et s’il faut battre la semelle sur le chemin de ronde, en attendant le jour, je n’en suis pas.

– Je sais dans ces parages un cabaret qui reste ouvert toute la nuit. Ou y vend la goutte aux maraîchers en route pour les halles.

– Et on nous la vendra aussi, n’est-ce pas? Merci! On nous prendrait pour ce que nous sommes… des gens qui viennent se rafraîchir d’un coup de pointe… et le cabaretier irait prévenir les sergents de ville. Je n’ai pas envie de me déranger pour rien.

– Ni moi non plus, dit le souffleté.

– J’aime encore mieux fumer des pipes sur un bastion, reprit Mirande. Il ne fait pas froid et je n’ai pas envie de dormir.

– Je me range à l’avis de mon adversaire, appuya le marquis.

Les trois autres témoins opinèrent dans le même sens et l’un d’eux qui étudiait la médecine eut soin d’ajouter, assez mal à propos, qu’il avait dans sa poche sa trousse de chirurgie.

Toute cette jeunesse était prête à aller là comme à une partie de plaisir. Le marquis restait résolu à en finir le plus tôt possible et Mirande, maintenant, se montrait aussi impatient que lui. Paul Cormier se trouvait être le seul homme raisonnable de la bande, lui qui d’ordinaire ne brillait pas par la prudence.

Le sort en était jeté. On allait se battre dans des conditions extravagantes et il n’y avait guère que Paul qui se préoccupât des conséquences de ce duel insensé.

On s’achemina vers le faubourg Saint-Jacques, deux à deux, le souffleté en tête avec l’étudiant aux épées.

Mirande s’arrangea pour rester en serre-file avec son ami Paul qu’il n’avait pu interroger en tête à tête depuis le commencement de la querelle et qui ne lui en laissa pas le temps, car il lui dit aussitôt:

– Mon cher, je ne te comprends pas. Quelle lubie t’a pris de frapper cet homme qui ne s’adressait pas à toi? Nous voilà tous embarqués dans une sotte affaire…

– Ah! parbleu! s’écria Jean, tu me la bailles belle! C’est toi qui t’es pris de bec avec ce pochard et tu viens me reprocher de t’avoir évité le soufflet qu’il te destinait!

– Je ne te reproche pas cela. Je te reproche de lui en avoir donné un qui a rendu le duel inévitable.

– Et puis, qu’est-ce que c’est que cette histoire?… Ce marquis de Ganges qui prétend que tu lui as volé son nom?… Est-ce vrai?

– Pas du tout. Il a entendu de travers.

– Et tu ne le connais pas?…

– Je ne l’ai jamais vu, quand il s’est levé pour m’interpeller grossièrement. Je l’ai pris d’abord pour un fou.

– Moi aussi, mais je me suis aperçu qu’il ne l’est pas. Je commence même à croire qu’il est bien marquis, quoi qu’il n’en ait pas l’air. Il y a là dessous quelque chose que je ne comprends pas. Ma foi! Tant pis pour lui, si je l’embroche. Il n’avait qu’à se tenir en repos.

– Je te conseille de le ménager, sur le terrain. Si tu le tuais, nous nous trouverions tous dans un très mauvais cas.

– Oh! je ne tiens qu’à lui donner une leçon. Il est brave, après tout. Un autre aurait reculé devant une rencontre où il n’a personne pour l’assister et c’est lui qui l’a exigée. Ce marquis doit avoir beaucoup roulé. Il n’y a que les déclassés pour se jeter tête baissée dans une aventure pareille.

– Toi qui connais le monde de la noblesse, puisque tu en es, avais-tu déjà entendu parler d’un marquis de Ganges?

– Jamais… j’ai bien lu autrefois, dans un recueil de causes célèbres, l’histoire d’une marquise de Ganges, qui fut assassinée, si je ne me trompe, par ses beaux-frères et par son mari… mais ça s’est passé du temps de Louis XIV. Cet ivrogne est-il de la même famille? Je n’en sais rien et je m’en moque comme d’une guigne. J’aurais préféré ne pas le rencontrer, mais maintenant que le vin est tiré, il faut le boire… et puisque je me bats, je veux que les choses se passent convenablement sur le terrain et même avant d’y arriver. Ainsi, je pense que nous ne devons pas le laisser faire le chemin avec ce blanc-bec pour unique compagnie. Nous en avons pour deux heures de faction, avant le point du jour. Je ne peux pas me charger de causer avec lui, en attendant le moment d’en découdre… il y a un soufflet entre nous deux… toi qui ne l’as ni donné, ni reçu, ce soufflet, rien ne t’empêche de distraire ce monsieur en lui parlant de n’importe quoi.

– Tu as raison! ce sera convenable… et d’ailleurs, je ne serais pas fâché de savoir au juste à qui nous avons affaire. Je vais m’y mettre, pendant que le petit montera chercher les épées. Nous voici devant sa porte. C’est le moment de m’accointer de notre homme. Ne t’occupe plus de moi.

Mirande se le tint pour dit et aborda les deux étudiants restés sur le trottoir du faubourg Saint-Jacques devant l’allée où leur camarade venait d’entrer.

Le marquis s’était isolé d’eux et on eût dit qu’il avait deviné l’intention de Paul Cormier, car il vint à lui, et quand Paul lui proposa de faire route à côté l’un de l’autre, il répondit:

– J’allais vous le demander.

Un dialogue ainsi entamé devait aller tout seul et Paul vit aussitôt qu’il n’aurait pas de peine à en venir à ses fins, c’est-à-dire à se renseigner sur un homme qui pouvait bien être, en dépit des apparences, le mari de Jacqueline, et qui ajouta:

– Je suis content d’avoir un autre adversaire que vous, car je ne vous en veux plus. Et puisque nous ne nous battrons pas, voulez-vous que nous causions à cœur ouvert du point de départ de cette querelle?

– Très volontiers.

– Eh bien, je vous prie de me dire pourquoi un monsieur que je ne connais pas vous a présenté à deux autres messieurs, sous un nom et sous un titre qui m’appartiennent. J’ai retenu les leurs… M. le comte de Carolles… M. de Baffé… Je ne les connais pas, mais je pourrai les retrouver et les interroger plus tard… Je ne doute donc pas que vous ne répondiez franchement à la question que je vous pose.

– Moi, non plus, je ne connaissais pas ces messieurs.

– Mais vous connaissiez l’autre… celui qui vous à présenté.

 

– Fort peu. Je l’ai rencontré dans un salon, où je mettais les pieds ce jour-là pour la première fois et où j’ai échangé quelques mots avec lui. En me retrouvant à la Closerie des Lilas, il s’est rappelé ma figure et il m’a abordé, mais je suppose qu’il m’aura pris pour un autre.

– Pour moi, alors, puisque je suis le marquis de Ganges… le vrai…, le seul. Nous ne nous ressemblons pourtant guère.

– Pas du tout, et je ne m’explique pas la méprise de ce monsieur. Il ne savait pas mon vrai nom et il ne le sait pas encore. Mais je tiens à vous l’apprendre. Je m’appelle Paul Cormier et j’achève mon droit. Vous voyez qu’il n’aurait pas dû confondre.

Et comme l’offensé paraissait accepter cette explication:

– Maintenant, reprit Paul, me permettrez vous d’ajouter que, si vous m’aviez interrogé tranquillement, au lieu de vous emporter comme vous l’avez fait… nous n’en serions pas où nous en sommes.

– Certainement, non… et je reconnais que j’ai eu tort… mais avouez que je suis excusable. J’arrive à Paris, après une très longue absence… à Paris où personne ne m’attendait… du moins, pas si tôt… Pour des raisons qu’il est inutile de vous dire, parce qu’elles ne vous intéresseraient pas, je m’étais décidé à ne pas descendre chez moi sans m’y faire annoncer… j’aurais pu, j’en conviens, mieux employer ma soirée, mais j’ai voulu la passer dans ce bal où je me croyais sûr de ne pas rencontrer de gens de ma connaissance… jugez de ce que j’ai dû éprouver quand j’ai entendu un monsieur vous appeler par mon nom… si je vous disais que j’ai cru entendre aussi qu’il parlait de la marquise de Ganges.

– De la marquise de Ganges, répéta Paul; non, je ne crois pas qu’il ait parlé d’elle, mais… excusez mon indiscrétion… vous êtes donc marié?

– Mon Dieu, oui, répondit le souffleté. Ça vous étonne, parce que vous venez de me retrouver à Bullier, buvant avec des drôlesses. Ça vous étonnerait moins si vous connaissiez mon histoire.

Paul grillait d’envie de répondre: racontez-la moi; mais c’eût été un peu prématuré, au début d’une conversation qui devait se prolonger puisqu’ils allaient faire route ensemble jusqu’au lieu du combat.

D’ailleurs, l’étudiant de première année venait de reparaître, portant sous son bras les épées enveloppées de serge verte et tout fier de ce fardeau.

– Quand il vous plaira, messieurs, dit Jean de Mirande. Je prends les devants avec nos camarades… Toi, Paul, tu connais le chemin et tu n’as qu’à nous suivre en tenant compagnie à monsieur.

Cet arrangement était accepté d’avance, et on s’achemina, dans l’ordre indiqué, vers les fortifications, par l’interminable rue du Faubourg-Saint-Jacques.

Le marquis et Paul formaient l’arrière-garde, et ils n’eurent pas plutôt fait cent pas côte à côte que le marquis reprit, en haussant les épaules:

– Au fait!… pourquoi ne vous la dirais-je pas, mon histoire? Je n’ai rien contre vous, après tout… Vous me plaisez, même, et je veux vous prouver que je ne suis pas simplement une brute avinée, comme vous avez pu le croire.

– Je suis déjà convaincu du contraire, dit Paul et je sois très flatté de la confiance que vous m’accordez, mais je n’ai aucun droit à recevoir des confidences que vous pourriez plus tard regretter de m’avoir faites.

– Non, car vous n’en abuserez pas, j’en suis sûr. J’ai vu tout de suite que vous étiez un galant homme et de plus, vous n’êtes pas du monde où je suis né. Je n’ai donc pas d’indiscrétions à redouter de votre part et… pourquoi ne vous le dirais-je pas? J’ai un certain intérêt à vous renseigner sur ma personne et sur mon passé.

Et comme Paul le regardait d’un air étonné, M. de Ganges reprit:

– Voici pourquoi. Je suis de première force à l’épée et j’espère bien tuer votre camarade… je ne vous cacherai pas que je le souhaite… mais enfin, tout arrive et je puis être tué, moi aussi. En prévision de ce cas, je tiens à vous apprendre certaines choses, à seule fin de ne pas disparaître comme un chien errant qu’on tue derrière une haie.

– Je ne puis pas, monsieur le marquis, refuser de vous entendre, mais vous voudrez bien vous souvenir que je ne vous ai rien demandé.

– Je le sais et je commence. Je suis bien le marquis de Ganges, vous n’en doutez plus, et j’ai sur moi des papiers qui le prouvent.

J’ai été riche et j’ai épousé, étant très jeune, une femme encore plus riche que moi. Je m’étais marié en province et j’aurais pu y tenir mon rang, mais j’ai préféré mener la grande vie à Paris et dans d’autres capitales… Je m’y suis ruiné complètement. Je n’ai pas pu ruiner ma femme parce que ses biens étaient sous le régime dotal… et je me suis relevé plus d’une fois par des spéculations heureuses… ainsi, tenez!… il n’y a pas huit jours, j’avais refait un million… mais j’en voulais trois… et vous devinez le reste.

Paul commençait à comprendre pourquoi ce mari n’était pas allé tout droit chez sa femme. En rapprochant ce récit des propos qu’il avait entendus chez la baronne Dozulé, Paul s’expliquait comment s’était propagé le bruit des succès financiers du marquis de Ganges à l’étranger, succès qui avaient été suivis d’un désastre. Il n’apercevait pas encore ce qu’il allait résulter, pour la marquise, de cette catastrophe qui ne le touchait qu’à cause d’elle.

– Je n’avais plus de quoi faire la guerre à la fortune, reprit M. de Ganges; je me suis décidé brusquement à revenir à Paris où on ne m’a pas vu depuis longtemps et j’y suis arrivé nu comme un petit Saint-Jean. Vous allez rire quand vous saurez que j’ai dû laisser mes malles en gage dans le pays où j’étais et qu’il ne me reste pas cinq louis dans ma poche. Aussi ne suis-je pas descendu à l’auberge… je comptais passer ma nuit au bal et dans quelque restaurant… j’aurais pu descendre chez moi… c’est-à-dire chez ma femme, mais je ne l’avais pas prévenue de mon arrivée… j’ai préféré remettre ma visite à demain… non pas, comme vous pourriez le croire, parce que je craignais de mal tomber… ma femme est cuirassée de vertu… sans compter qu’elle a un garde du corps en la personne d’un vieux soldat que sa famille a comblé de bienfaits et qui veille sur elle comme sur un trésor…

– Bon! se dit Paul, c’est l’homme du Luxembourg… celui qui s’est interposé quand Mirande l’a abordée.

– Non, continua le marquis, je n’ai pas fait le mari prudent… j’étais bien sûr de ne pas déranger cette pauvre Marcelle qui vit comme une sainte… mais j’ai de si gros aveux à lui faire que j’ai voulu réfléchir avant de la voir.

– Aurait-il quelque crime ou quelque vilenie sur la conscience? se demandait l’étudiant.

– S’il ne s’agissait que de ma ruine totale, ce ne serait rien… je me suis déjà ruiné trois on quatre fois… elle y est accoutumée… et puis elle est si bonne!… mais j’ai aggravé mes torts en lui écrivant que j’étais en passe de faire une immense fortune, avec une concession de chemins de fer que j’avais obtenue en Turquie… où entre nous, je n’ai jamais mis les pieds… elle me croyait à Constantinople, tandis que j’étais…

Paul n’osa pas demander: où, mais ses yeux interrogèrent M. de Ganges qui lui dit brusquement:

– Êtes-vous joueur?

– Je l’ai été, répondit évasivement Paul qui n’avait garde de parler des huit mille francs gagnés au baccarat, presque sous les yeux de la marquise.

– Si vous ne l’êtes plus, je vous en félicite, mais puisque vous l’avez été, vous allez me comprendre… et m’excuser.

J’étais à Monaco.

– Oh! murmura Paul.

– Oui, à Monaco… au trente et quarante… et j’ai cru plus d’une fois la tenir cette fortune que j’annonçais à ma femme. J’étais en pleine veine… le diable s’est mis de la partie et j’ai tout perdu. Cette fois, c’est la fin finale… non seulement parce que je n’ai plus un sou, mais parce que je suis las de la vie que je mène depuis quatre ans. S’il m’était resté seulement de quoi payer mon passage, je me serais embarqué pour l’Australie et ma femme n’aurait plus entendu parler de moi. Je vais la revoir, mais ce sera pour lui faire mes adieux… et pour lui conseiller de demander le divorce… j’ai peur qu’elle n’entende pas de cette oreille-là, car elle a tous les préjugés de sa caste… mieux vaudrait pour elle que je fusse mort et ma foi! si votre ami me tuait, ça liquiderait une situation inextricable.

Paul comprenait maintenant le caractère du marquis de Ganges et il ne pouvait se défendre d’une certaine sympathie pour ce gentilhomme dévoyé qui n’avait pas perdu tout sentiment de l’honneur et de l’équité, puisqu’il risquait gaiement sa vie pour venger un outrage reçu et puisqu’il rendait justice à sa femme.

Paul devinait aussi l’existence de sacrifices et de dévouement de cette marquise blonde qu’il avait prise d’abord pour une coquette et qui méritait si bien d’être aimée et respectée.

– Oui, reprit M. de Ganges, je suis un homme fini. Autant vaut que je crève tout de suite. Mais j’aime mieux que ce ne soit pas de votre main, car je suis bien persuadé maintenant que je n’ai aucun sujet de vous en vouloir. Ce n’est pas votre faute si je ne sais quel écervelé a cru faire une jolie plaisanterie en vous appelant par mon nom. Il était écrit que je me battrais cette nuit… c’est fatal, ces choses-là, comme le retour du zéro à la roulette, il en arrivera ce qu’il pourra. Je me défendrai de mon mieux et j’espère ne pas laisser ma peau sur l’herbe des fortifications, mais enfin, si j’y restais, j’ai un devoir à remplir. Ma femme deviendrait veuve et ce serait fort heureux pour elle. Encore faudrait-il qu’elle le sût. Voudriez-vous, le cas échéant, vous charger de le lui annoncer?

– Moi!… vous n’y songez pas, monsieur!

– J’y songe si bien que je vais vous remettre des papiers que j’ai sur moi et qui serviront à faire constater authentiquement le décès de Pierre-Constantin, marquis de Ganges et seigneur de divers autres lieux où je ne possède plus un arpent. Je tiens beaucoup à ne pas être jeté à la fosse commune.

C’est une faiblesse, je le sais. Je ne devrais pas m’inquiéter de ce que deviendra ma carcasse. Si je m’étais brûlé la cervelle à Monte-Carlo, on ne m’aurait pas consacré un monument… ni même une plaque commémorative sur la façade du Casino. Mais si je meurs à Paris, je voudrais que cette pauvre Marcelle vînt de temps en temps voir ma tombe… je suis sûr que, malgré tout le mal que je lui ai fait, elle y apporterait des fleurs… C’est bête, ce que je vous dis là, mais que voulez-vous!… on n’est pas parfait.

Paul se sentait ému d’entendre ce marquis déchu parler avec tant de désinvolture de sa mort prochaine et il se surprenait à souhaiter de tout son cœur qu’il revînt vivant du combat où il allait si gaiement.

Et pourtant, l’amoureux Paul ne pouvait pas s’empêcher de penser aux conséquences de cette mort qui ferait libre une femme malheureuse, touchante victime d’un mariage mal assorti avec un débauché, lequel se rendait justice en déclarant qu’il n’avait plus qu’à quitter ce monde où il n’avait fait que du mal.

S’il survivait à la rencontre, ses bonnes résolutions s’évanouiraient bien vite et Marcelle n’aurait plus qu’à se résigner, à souffrir encore, à souffrir toujours.

S’il y succombait, l’avenir était à elle et à Paul qui ne demandait qu’à l’aimer… qui l’aimait déjà.

– Il me reste, reprit M. de Ganges, à vous indiquer ce que vous aurez à faire pour remplir la mission que, je l’espère, vous voudrez bien accepter. Madame la marquise de Ganges habite avenue Montaigne, 22, un hôtel qui lui appartient. Vous vous y présenterez de ma part et elle vous recevra certainement. Je n’ai pas à vous dicter ce que vous lui direz pour lui annoncer la nouvelle de ma mort. Je suis sûr que vous y mettrez tous les ménagements possibles. Je me fie pour cela à votre tact. Le point essentiel, c’est que vous lui remettiez ce portefeuille. Elle y trouvera tout ce qu’il faut pour établir mon identité. Elle se chargera de faire le reste.

Le marquis l’avait tiré de sa poche et le tendait à Paul qui se défendit de le prendre, en disant:

– Il m’en coûte, monsieur, de vous refuser, mais vous me demandez là un service si délicat que j’hésiterais à le rendre à un ami intime.

– Et vous ne me connaissez pas du tout, je le sais, mais l’aventure où nous nous trouvons engrenés sort tellement de l’ordinaire, que vous pouvez bien faire une exception en ma faveur.

Prenez, je vous en prie. Je vois là-bas vos amis qui se sont arrêtés pour nous attendre et il est inutile qu’ils sachent que je vous ai chargé d’aller voir ma femme.

Si, comme j’y compte bien, je reviens sans accroc de cette promenade aux remparts, vous me rendrez mon portefeuille et tout sera dit.

Ce dernier argument décida Paul, qui, très à contrecœur, empocha l’objet.

Jean de Mirande et les trois étudiants qui lui faisaient cortège étaient arrivés au rond-point où était jadis la barrière Saint-Jacques, et où on a exécuté de 1832 à 1851 les condamnés à mort, qu’on guillotine maintenant sur la place de la Roquette.

 

Là s’arrêtaient les connaissances topographiques de Jean qui ne poussait guère ses excursions plus loin que l’Observatoire et il attendait Cormier pour lui demander le chemin du boulevard Jourdan, où se trouvait la place indiquée comme devant leur fournir un terrain excellent.

Paul dit qu’on n’avait qu’à prendre la rue de la Tombe-Issoire qui fait suite au faubourg Saint-Jacques et qui aboutit directement aux fortifications.

On la prit, en se rapprochant les uns des autres, sans cependant que les deux groupes se fondissent en un seul, mais assez pour faire cesser les apartés.

Le marquis, du reste, ne tenait plus à continuer la conversation avec

Paul. Il lui avait dit tout ce qu’il avait à lui dire et de son côté,

Paul aimait mieux réfléchir que de parler.

Mirande continuait à blaguer, à haute voix, sur tous les sujets qui lui passaient par la tête, mais ses compagnons lui donnaient peu la réplique.

Ces messieurs commençaient à regretter de s’être embarqués dans une affaire qui pouvait très mal finir.

A la chaude, après la dispute, et encouragés par l’attitude agressive de Mirande, champion des Écoles, ils avaient été tout feu, tout flammes, et s’il l’avaient pu, ils auraient pris pour champ-clos un des quinconces plantés devant la porte la Closerie.

La marche les avait calmés peu à peu, et maintenant ils pensaient moins à la gloriole d’être témoins dans un duel sérieux qu’aux suites menaçantes de ce duel improvisé.

Cela pouvait les mener devant la justice et les faire expulser, l’un de l’Ecole de médecine, et les deux autres de l’École de droit.

Ils n’osaient pas déserter en route, mais ils en avaient bonne envie, et Cormier, qui s’en aperçut, se promit d’utiliser sur le terrain leurs dispositions pacifiques, c’est-à-dire d’en profiter pour empêcher le combat ou tout au moins pour le renvoyer à une heure moins nocturne.

Et Paul avait quelque mérite à souhaiter un arrangement, car tout valait mieux pour lui que de rester dans la situation où il s’était mis vis-à-vis du mari de Jacqueline.

On allait lentement, très lentement, afin d’employer le temps jusqu’au petit jour et ce piétinement sur un chemin désert n’avait rien de récréatif.

Mirande en avait assez quand on déboucha sur le chemin de ronde, plus désert encore que la rue qu’ils venaient de suivre dans toute sa longueur, et il demanda brusquement à Paul:

– Où se trouve-t-il donc, ton fameux terrain?

– A deux cents pas d’ici, répondit Paul. Vois-tu là-bas, cette butte qui fait bosse au milieu d’un bastion?

– Bon!… et après?… Tu ne vas pas, je suppose, nous proposer de monter dessus pour nous battre?

– Non, mais entre la butte et le rempart, il y a une place excellente… assez d’espace pour rompre… un sol ferme sous le gazon sec… on est là comme chez soi, et personne ne peut vous voir… Le cavalier sert d’écran…

– Ça s’appelle un cavalier, cette espèce de monticule?

– Oui, et ça servait pendant le siège contre les obus.

– Le lieu me paraît très bien choisi, dit le marquis.

– Alors, allons-y! conclut Jean.

Et on y alla.

On n’avait pas marché vite et, à la montre de Paul Cormier, il était deux heures passées. Il faisait encore pleine nuit, mais l’attente ne serait pas longue, car le ciel blanchissait déjà du côté de l’est.

Ces messieurs commencèrent par prendre position dans le coin signalé par Paul et accepté à l’unanimité.

Tout le monde était fatigué et chacun s’assit par terre, les uns au pied du rempart, les autres au pied de la butte.

Le marquis fit mieux, il se coucha sur la pente gazonnée du cavalier, en disant à Paul:

– Ces messieurs m’excuseront. J’ai passé la nuit dernière en wagon et j’ai plus marché ce soir que je n’avais marché pendant toute cette année. Je tombe de sommeil. Il ne fera pas jour avant trois quarts d’heure. Je demande qu’il me soit permis de dormir, et je compte que vous voudrez bien me réveiller aussitôt qu’on y verra clair.

– Je vous le promets, monsieur, dit Paul, tout étonné.

Il ne songeait guère à dormir, ni Mirande non plus, et sans se le dire, ils admiraient ce gentilhomme qui, au moment de jouer sa vie dans un duel, imitait le grand Condé, lequel, comme chacun sait, ne fit qu’un somme pendant toute la nuit, la veille de la bataille de Rocroy.

Et ce n’était pas de la pose car, au bout d’une minute, il ronflait déjà comme un tuyau d’orgue.

Les petits étudiants étaient bien trop émotionnés pour en faire autant, quoique leurs précieuses personnes ne courussent aucun danger. Ils se repentaient d’être venus et ils auraient bien voulu s’en aller.

L’un d’eux osa même dire à l’oreille de Mirande qu’une très jolie farce ce serait de décamper et de laisser le dormeur se réveiller tout seul. Sur quoi, Mirande le tança vertement et déclara que le premier qui filerait aurait affaire à lui.

La proposition du jouvenceau n’était pas héroïque, mais elle était sage.

Aussi n’avait-elle aucune chance d’être adoptée.

Paul, lui-même, la repoussa, mais pas pour le même motif que son ami Jean.

Jean de Mirande tenait à se battre, pour l’honneur du quartier latin, surtout, car il n’avait pas d’outrage personnel à venger, et il était incontestablement l’offenseur.

Paul, qui se serait très bien contenté d’un arrangement, ne pouvait pas accepter cette façon d’éviter le combat, depuis qu’il s’était chargé, un peu malgré lui, du portefeuille de M. de Ganges. Et, d’ailleurs, l’expédient proposé n’aurait pas amélioré la situation. Le duel eût été retardé, sinon évité, mais le marquis aurait pris ces messieurs pour des drôles, et il n’aurait pas manqué de raconter l’histoire à sa femme, en nommant Paul Cormier, qui aimait mieux tout que cette honte.

Il soutint donc avec Mirande qu’il fallait attendre le réveil du dormeur, et il ne fut plus question de l’idée saugrenue de l’étudiant de première année.

Le jour ne venait pas vite, et le froid du matin se faisait sentir. On alluma des pipes et on piétina pour se réchauffer. L’excitation était tombée. Chacun raisonnait à part soi et on n’échangeait plus de réflexions.

Les instants qui précèdent une bataille sont toujours silencieux; les braves se recueillent, les autres cherchent à se monter la tête pour faire bonne figure quand le combat s’engagera. Mais tous trouvent le temps long.

Cette veillée des armes prit fin à la voix de Mirande.

– Allons! dit-il, on y voit maintenant bien assez clair pour se tailler réciproquement des boutonnières dans le casaquin.

A toi, Paul, l’honneur de réveiller M. le marquis!

Mets-y des égards.

Paul ne pouvait pas décliner cette mission qui lui revenait de droit, puisqu’il devait être le second de M. de Ganges.

Il se baissa et poussa doucement par l’épaule le dormeur, qui se redressa, en disant vivement:

– Je fais le maximum à rouge.

Le ponte incorrigible croyait être attablé au trente-et-quarante, et il se hâtait d’annoncer sa mise, de peur de manquer la série.

En toute autre circonstance, Paul aurait ri de la méprise, mais il n’avait pas le cœur à la joie et il tendit la main à M. de Ganges pour l’aider à se remettre sur pied.

Dès qu’il y fut, ce singulier marquis se frotta les yeux, se secoua comme un braque mouillé par la rosée dans un champ de luzerne qu’il vient de battre, s’étira les bras et reprit en saluant à la ronde:

– Je vous demande pardon, Messieurs, si je vous ai fait attendre. J’étais tellement éreinté, que j’aurais dormi vingt-quatre heures, si on avait oublié de me réveiller.

Mirande eut un bon mouvement:

– Si vous êtes éreinté, la partie ne serait pas égale et nous pourrions la remettre pour vous laisser le temps de vous reposer.

– Du tout! du tout! j’ai fait un somme qui m’a délassé… vous êtes trop bon… mais je ne veux pas de remise. Ma joue ne peut pas attendre.