Za darmo

La main froide

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Elle était très troublée et il y avait de quoi, mais elle ne le repoussa pas et elle lui rendit tendrement ses baisers.

– Allons! pensait Cormier, elle avoue, parce qu’elle ne peut faire autrement… L’enfant est bien à elle, car si elle n’était pas sa mère, elle le chasserait.

– Tiens! s’écria le petit garçon, dès qu’il se fut rassasié d’embrassades. Bonjour, monsieur!… ça va bien depuis hier?

Il avait tout de suite reconnu Paul, quoiqu’il ne l’eût pas beaucoup vu la veille, et Paul, enchanté de l’incident, s’empressa de lui dire:

– Ça va très bien, et vous? Avez-vous bien dormi chez notre ami?

– Oh! oui. Je ne me suis réveillé que ce matin, très tard, et j’ai été soigné chez lui comme chez maman Jacqueline. Il m’a mené déjeuner dans un café où il y avait des glaces partout… J’ai mangé des fraises tant que j’en ai voulu… des belles grosses… Mais je suis joliment content tout de même de retrouver maman Jacqueline.

– Et où est-il, notre ami?… Il est venu avec vous au Luxembourg?

– Oui… mais au bas de l’escalier de la terrasse il a rencontré deux vilaines femmes… celles qui ont dîné avec nous, hier… il s’est mis à leur parler… ça m’ennuyait… alors j’ai monté les marches à cloche-pied… quand j’ai été en haut, j’ai vu maman Jacqueline… et me voilà!

– Il doit être inquiet de vous. Vous ferez bien d’aller le chercher.

Vous lui direz que je suis là.

– Faut-il, maman? demanda Roch en interrogeant des yeux la marquise.

– Va, mon enfant, répondit-elle avec calme.

Le gamin partit comme une flèche et se précipita dans l’escalier.

Paul n’attendait que son départ pour entamer l’explication décisive.

Madame de Ganges le prévint.

– Eh bien! monsieur, lui dit-elle, le voilà, cet enfant que vous prétendiez être à moi…

– Mais il me semble qu’il ne peut pas être à une autre.

– Pourquoi?… Parce qu’il m’appelle maman?

– Maman Jacqueline… il ne vous connaît sans doute que sous ce nom-là… le premier qui vous est venu à l’esprit, quand je vous l’ai demandé l’autre jour, disiez-vous tout à l’heure!

– Ce nom est à moi… j’en ai deux, je m’appelle Marcelle-Jacqueline.

– Marcelle, pour le monde… Jacqueline, pour votre fils?

– Vous persistez donc à croire que Roch est mon fils?

– Oseriez-vous encore soutenir le contraire?

– Oui, et je vous le prouverai bientôt.

– Alors, c’est un enfant trouvé que vous avez adopté?… Vous aviez déjà adopté une orpheline… c’est une manie!…

– La manie d’aimer, murmura la marquise.

Ce fut dit si doucement que Paul fit un retour sur lui-même. Madame de Ganges, au lieu de se fâcher de l’accusation qu’il lui jetait à la face, répondait sans s’émouvoir et sans prendre la peine de se justifier. Il recommençait à se demander si cette attitude résignée qu’il avait prise d’abord pour un aveu n’était pas une preuve d’innocence.

Et il reprit d’un ton moins assuré:

– Il est allé rejoindre un homme que vous connaissez… Jean de Mirande.

– Je le sais.

– Mais il va revenir… et Mirande ne manquera pas de vous aborder.

– Je m’y attends.

– Que ferez-vous, alors?

– Vous le verrez. Maintenant, je vous prie de rester. Je désire que vous assistiez à l’entretien que j’aurai avec votre ami. Vous serez libre d’y prendre part.

– Quoi!… en présence de l’enfant!

– L’enfant jouera autour de nous. Il ne comprendrait pas… et il ne cherchera pas à comprendre. J’espère que M. de Mirande n’amènera pas les femmes qu’il vient de rencontrer, ajouta en souriant tristement madame de Ganges.

– Il suffira qu’il vous aperçoive pour qu’il se débarrasse d’elles. Vous les avez déjà vues… dimanche… elles étaient ici et elles l’ont emmené…

– Je m’en souviens très bien.

– Mais depuis ce jour-là, il s’est passé des choses…

– Qui ont changé l’humeur de votre ami. C’est la grâce que je lui souhaite.

– Je ne vous cacherai pas que je comptais le trouver ici… et je savais qu’il y conduirait l’enfant, qui nous a dit, hier, que sa mère y venait tous les jours… sa mère! vous entendez, madame?

– J’entends très bien… et Roch vous a dit la vérité.

– Alors, c’est moi qui ne comprends plus. Mais, puisque tout va s’éclaircir, nous pouvons parler d’autre chose… De votre protégée, par exemple. Elle ne doit guère s’attendre à la nouvelle que vous allez lui apprendre… car je suppose que vous la verrez avant qu’elle ait vu cet excellent M. Lestrigou qui lui apporte six millions.

– Je la verrai certainement aujourd’hui.

– Et Lestrigou ne la verra que demain. Vous aurez donc le plaisir de lui annoncer qu’elle est millionnaire. Oserai-je vous demander si elle est mariée?

– Non, monsieur, elle ne l’est pas.

– Elle ne manquera pas de prétendants. Je vais bien vous étonner en vous disant qu’on m’a mis sur les rangs sans me consulter.

– Vous! murmura madame de Ganges en rougissant un peu.

– Mon Dieu, oui… et voici comme: l’ami de M. Lestrigou s’intéresse beaucoup à moi; il rêve de me marier, et dès qu’il a su que M. Lestrigou connaissait une héritière, il s’est mis en tête de me la faire épouser. Il m’a prêché longuement; il m’a menacé de me donner sa malédiction si je me dérobais.

– Puis-je savoir ce que vous lui avez répondu?

– Que je ne voulais pas de sa millionnaire… qui, très probablement d’ailleurs, ne voudrait pas de moi. Ai-je eu tort?

– Non, monsieur, Bernadette ne veut pas se marier.

– Ni moi non plus. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

– J’envie votre optimisme, soupira madame de Ganges.

– Que ne puis-je vous y convertir!

– Il faudrait pour cela des événements… qui n’arriveront pas… Mais il me semble que Roch tarde bien… Pourvu que M. de Mirande nous le ramène!

– Vous pouvez y compter… Le petit sait que vous êtes là et Mirande qui l’adore ne le quitterait pas pour un empire.

– Ah! il s’est déjà attaché à lui?

– C’est-à-dire qu’il en est fou!… Il a découvert tout à coup qu’il a une vocation prononcée pour la paternité… et je parierais qu’il a une peur atroce qu’on lui reprenne l’enfant. Si la mère l’avait abandonné, il serait ravi parce qu’il pourrait le garder… et si elle voulait le lui vendre, il l’achèterait au poids de l’or.

– Roch n’est pas à vendre.

– Oh! je le pense bien… mais il s’arrangerait à merveille de vivre avec mon ami. J’étais là, hier soir, quand Mirande l’a rencontré sur la terrasse. L’enfant était en train de se chamailler avec un gardien qui voulait le faire sortir du jardin, parce qu’on allait fermer. Dès que Mirande s’en est mêlé, il est devenu doux comme un mouton et il l’a suivi, sans faire l’ombre d’une difficulté. Ils se sont entendus tout de suite. Et j’ai pu m’apercevoir qu’ils ont le même caractère. Le petit est aussi rageur que le grand est violent.

– Ce n’est pas peu dire, je crois. Votre ami me fait l’effet d’un sauvage qu’on aurait jeté tout à coup au milieu des civilisés. Il n’obéit qu’à ses passions ou plutôt à ses instincts… il ne connaît aucun frein. Il marche à travers le monde sans se soucier des victimes qu’il écrase… Il m’effraie.

– Vraiment? Je croyais que vous vous intéressiez à lui.

– Comme on se préoccupe d’un dangereux ennemi… comme un berger s’inquiète du loup qui rôde autour du troupeau…

– Je vous assure, madame, que Jean vaut beaucoup mieux que vous ne pensez… les brebis qu’il a enlevées ne demandaient qu’à être croquées.

– Qu’en savez-vous? demanda vivement madame de Ganges.

– Celles que je connais du moins… des demoiselles du quartier Latin…

– Il n’a pas toujours vécu à Paris.

– Il n’en est pas sorti depuis qu’il a quitté le collège.

– Je croyais qu’il avait un oncle dans la province où je suis née…, en

Languedoc.

– Il ne l’a pas vu depuis cinq ans, cet oncle… et il s’est brouillé avec lui pendant un voyage à Montpellier…, le seul qu’il ait fait depuis sa majorité.

– Vous a-t-il parlé quelquefois de ce voyage?

– Très peu. Il en a gardé un mauvais souvenir et c’est un sujet qu’il évite d’aborder. J’ai cru comprendre qu’il lui est arrivé là-bas une aventure désagréable, mais il ne me l’a jamais racontée.

– Le contraire m’étonnerait beaucoup.

– Vous la connaissez donc, cette aventure?

– Dispensez-moi, monsieur, de vous répondre.

– Vous préférez répondre à Jean que vous allez voir bientôt, et qui ne va pas manquer de vous interroger…

– Sur quoi, je vous prie?

– Mais… quand ce ne serait que sur cet enfant qui, tout à l’heure, viendra se jeter dans vos bras.

– Se jeter dans mes bras?… non… je ne crois pas, murmura madame de Ganges qui, depuis quelques instants, regardait avec persistance du côté où, la veille, les deux amis avaient rencontré le petit Roch.

Mais, reprit-elle, quoi qu’il arrive, je remercierai M. de Mirande.

– De quoi le remercierez-vous?… d’avoir été inconvenant, lorsqu’il vous a abordée, dimanche dernier, sur cette terrasse?

– Je le remercierai d’avoir recueilli ce pauvre petit.

– Il vous répondra en vous demandant s’il est à vous.

– Je dois m’y attendre, puisque vous m’avez adressé la même question.

– Une question qui ne paraît pas vous embarrasser.

– Oh! pas du tout. Et vous ne tarderez guère, monsieur, à savoir à quoi vous en tenir.

– Qu’attendez-vous pour me dire la vérité?

– J’attends que votre ami soit là. Il est plus intéressé que vous à la connaître.

– Voilà un commencement d’aveu! s’écria Cormier; mais tenez!… Le voici!… ou plutôt les voici!

Mirande, en ce moment, apparaissait en haut de l’escalier, tenant par la main le petit Roch et délivré de la compagnie des donzelles qui l’avaient accosté près du bassin.

Sans doute, il venait de les congédier en apprenant de la bouche de l’enfant que l’énigmatique maman Jacqueline était sur la terrasse.

 

Paul Cormier se leva pour l’appeler du geste. La marquise ne bougea pas, et Roch lâcha la main de Mirande pour courir à elle; mais tout à coup, obliquant à droite, il se lança à toutes jambes vers les quinconces où ne manquaient ni les gamins de son âge, ni les femmes assises au pied des marronniers.

Mirande n’essaya point de le rattraper. Il avait aperçu son ami et la blonde qui s’était naguère montrée si revêche à ses galanteries à la hussarde. Il savait par Paul que cette blonde récalcitrante était la marquise de Ganges, mais il ne se doutait pas qu’elle était aussi maman Jacqueline, et il ne résista pas à l’envie qui lui prit de s’expliquer avec elle avant de courir après l’enfant.

Il avait tué son mari. Ce n’était pas une raison pour la fuir, et il vint à elle avec toute la bravacherie de Don Juan invitant à souper la statue du Commandeur qu’il avait envoyé dans l’autre monde.

Pâle, mais résolue, madame de Ganges le regardait, sans baisser les yeux. Elle attendait qu’il parlât et ce fut Cormier qui dit à son ami:

– Madame te connaît. Il est inutile que je te présente.

– Parfaitement inutile, appuya Mirande. Je sais que j’ai l’honneur d’être le compatriote de madame qui s’appelait autrefois mademoiselle de Marsillargues… et je sais aussi qu’elle m’accuse d’avoir troublé sa vie… c’est à toi qu’elle l’a dit et c’est toi qui me l’as répété.

Et comme la marquise continuait à se taire, il reprit d’un ton moins assuré:

– Si ce reproche s’appliquait à un malheur récent que je déplore, je prierais madame de me pardonner… mais, si je ne me trompe, il s’agirait de torts graves que j’aurais eus autrefois…

– Il y a cinq ans, interrompit madame de Ganges.

– Envers vous, madame?… Je pensais vous avoir vue pour la première fois, dimanche dernier, à la place où vous êtes assise en ce moment.

– Vous avez donc oublié que vous êtes venu à Fabrègues?

– À Fabrègues! répéta Mirande en fronçant le sourcil.

– Oui… au village près duquel mon père avait un château.

– Je sais… mais je ne me rappelle pas vous avoir rencontrée pendant le très court séjour que j’ai fait tout près de là, dans un domaine qui appartient encore à mon oncle.

– Vous y étiez le jour de l’ouverture des vendanges?

– Oui… je crois…

– Vous croyez! répéta la marquise; vous n’êtes pas sûr?… alors, vous n’avez pas gardé de ce jour un souvenir distinct!… il aurait dû pourtant marquer dans votre vie.

Paul fut très étonné de voir que Mirande changeait de visage. Il le fut bien plus encore de l’entendre répondre:

– C’est vrai… ce jour-là, j’ai commis une mauvaise action.

– Non, monsieur… pas seulement une mauvaise action… un crime, car vous pouviez la réparer et vous ne l’avez pas fait.

Paul tombait de son haut. Il se demandait de quelle espèce de crime son camarade avait pu se charger la conscience, en Languedoc. C’était bien assez d’avoir tué le marquis sur le boulevard Jourdan.

Il commençait pourtant à deviner qu’il ne s’agissait pas d’un autre meurtre et que la première victime de Mirande n’était pas un homme.

– Comment l’aurais-je réparée? balbutia le coupable. Je suis parti le lendemain.

– Et vous n’êtes jamais revenu… et vous ne vous êtes jamais inquiété de savoir ce qu’il adviendrait de la malheureuse enfant que vous aviez indignement trompée!

– Vous pourriez ajouter qu’elle n’a rien fait pour se rappeler à moi.

– Qu’aurait-elle pu faire?… vous aviez pris un faux nom, parce qu’elle ne vous aurait pas cédé si elle avait su que vous étiez le neveu du comte de Mirande, le plus riche propriétaire du département de l’Hérault. Mais elle a cru à vos promesses de mariage… car vous êtes allé jusqu’à lui jurer de l’épouser… et quand elle a connu la vérité… c’est moi qui la lui ai apprise… il était trop tard… elle avait été obligée de m’avouer sa faute.

– Elle aurait pu m’écrire.

– Pourquoi? pour vous demander un secours? elle n’y a pas pensé… et si cette pensée lui était venue je l’aurais détournée de tenter une démarche humiliante. Ce n’était pas de l’argent qu’elle voulait de vous… qu’en aurait-elle fait d’ailleurs?… depuis son malheur, je me suis chargée d’elle, et elle n’a jamais eu à souffrir de la misère… c’eût été trop!… elle a assez souffert par le cœur…

– Oh! par le cœur!… murmura ironiquement Mirande, déjà las de supporter des reproches sans y répondre.

– Oui, monsieur, répliqua madame de Ganges. Elle vous aimait et vous l’avez trahie.

– Elle m’aimait, dites-vous?

– Et elle vous aime encore.

– Singulier amour qui ne lui a pas inspiré l’idée si simple de me donner de ses nouvelles. Un silence de cinq ans!… j’avais bien le droit de me croire oublié.

– Elle n’a pas cessé un seul instant de penser à vous… mais elle n’était plus en France… elle voyageait avec moi, car elle ne m’a jamais quittée… et elle ne me quittera jamais…

– Elle est donc à Paris?

– Depuis que j’y suis revenue, oui, monsieur.

– Et elle n’a pas cherché à me voir?

– Elle vous a vu.

– Sans que je la voie, alors.

– Vous l’avez peut-être vue sans la reconnaître.

– Je ne crois pas… ou il faudrait qu’elle fût bien changée.

– Elle est aussi belle qu’au temps où on l’appelait: la perle de

Fabrègues.

– Eh bien! pourquoi se cache-t-elle?

– Elle ne se cache pas, répondit madame de Ganges qui regardait du côté où le petit Roch avait couru.

Paul Cormier commençait à comprendre.

Depuis l’entrée en scène de son camarade, il n’avait pas dit un mot, mais il avait vu où était allé l’enfant, et il attendait avec anxiété que la marquise se décidât à expliquer une situation qu’il croyait deviner.

– Monsieur, reprit-elle, toujours en s’adressant à Mirande, vous ne nierez plus maintenant que vous avez troublé ma vie. Je vous ai pardonné le mal que vous m’avez fait. Il me reste à vous dire que je vous suis reconnaissante d’une bonne action… Sans vous, Dieu sait ce que serait devenu l’enfant dont vous avez pris soin, depuis hier…

– Quoi!… vous savez…

– Votre ami m’a renseignée.

– Il est ici, cet enfant… Je l’ai amené… Il vient de me quitter.

– Il n’est pas loin, murmura Paul.

– Et il paraît que sa mère y est aussi… il me l’a dit… et je suppose que l’ayant aperçue, il aura couru la rejoindre…

Puis, se reprenant, Mirande ajouta:

– Non, il s’est trompé… ce n’est pas elle, car le voilà qui revient.

Roch arrivait, en effet, lancé à fond de train, et sans s’inquiéter de son bon ami Jean, comme il l’appelait déjà, il sauta d’un bond sur les genoux de madame de Ganges, en criant:

– Ne me gronde pas maman Jacqueline!… c’est petite mère qui m’a retenu.

Le «maman Jacqueline» fit encore une fois son effet. Mais ce fut Mirande qui reçut le coup.

Comme tout à l’heure Paul Cormier, il crut comprendre que Roch était le fils de la marquise et cette découverte n’était pas faite pour lui plaire. Il n’était pas amoureux de madame de Ganges, lui, et peu lui importait qu’elle eût caché la naissance d’un enfant illégitime; mais il ne pouvait guère espérer qu’elle le lui laisserait, cet enfant qu’il aurait voulu garder.

Et il ne se gêna pas pour exprimer tout haut ce qu’il ressentait.

– Allons! dit-il, décidément, je n’ai pas de chance! je m’étais attaché à ce petit et je ne le reverrai plus.

– Qu’en feriez-vous, s’il restait avec vous? demanda la marquise, en le regardant fixement.

– J’en ferais un homme.

– Un homme à votre image! soupira maman Jacqueline.

– Non, madame; un homme qui vaudrait mieux que moi… ce ne serait pas difficile… et je l’aurais adopté, pour qu’il héritât de mon nom et de ma fortune… je cherchais à me persuader qu’il n’avait personne pour l’aimer… Je vois que je me suis trompé… c’était un rêve… je tâcherai de l’oublier.

– Vous y parviendrez… vous avez déjà oublié tant de choses!

– Pas tant que vous croyez… mais que voulez-vous!… il paraît que j’ai la bosse de la paternité et que je n’ai pas la bosse du mariage…

– En d’autres termes, vous avez de la sympathie pour cet enfant, et s’il était orphelin, vous seriez heureux de vous charger de lui…

– Vous devinez ma pensée… mais il a au moins une mère… et une mère qui ne consentirait pas à se séparer de lui.

– Oh! non, murmura madame de Ganges, en étreignant le petit Roch.

– Vous voyez bien que je n’ai plus qu’à essayer de me consoler. On ne lutte pas contre sa destinée. Il était écrit là-haut que je finirais seul… comme mon oncle, qui mène depuis des années la vie d’un vieux sanglier solitaire… C’est dans le sang des Mirande… personne ne les aime… eux, n’aiment pas souvent et quand ça leur arrive, ça ne leur réussit pas… ma foi! je me résigne.

– C’est dommage! vous aviez la vocation… il a suffi de quelques heures pour que vous vous attachiez à cet enfant que vous n’aviez jamais vu. Que serait-ce donc s’il était votre fils!

– S’il était mon fils, je le prendrais, quoi qu’on fît pour m’en empêcher; aucun sacrifice ne me coûterait…

– Même celui de votre liberté?

– Oui, madame, j’irais jusqu’à épouser sa mère… Mais vous savez mieux que personne que c’est impossible.

– Pourquoi mieux que personne? Cet enfant n’est pas le mien.

Mirande s’inclina en souriant pour exprimer qu’il ne voulait pas donner un démenti à une femme.

– Maman Jacqueline, s’écria tout à coup le petit Roch, je ne sais pas pourquoi maman Bernadette a du chagrin… elle ne fait que pleurer… allons la consoler veux-tu?…

Ce nom de Bernadette fit tressaillir les deux amis.

Paul savait par Lestrigou que c’était celui de l’héritière. Il ne l’avait pas prononcé devant Mirande, mais Mirande le connaissait de longue date, ce nom, assez répandu dans le midi de la France, et presque ignoré à Paris. Mirande avait eu de bonnes raisons pour le retenir, et il s’étonnait de l’entendre sortir de la bouche de cet enfant.

– Il parle de sa mère, dit madame de Ganges, et sa mère est ma meilleure amie… je vais le lui ramener.

– Elle est donc ici? demanda Mirande, fortement troublé.

– Oui, monsieur; et je me reprocherais de la priver plus longtemps de son fils.

Madame de Ganges ajouta en se levant:

– Je ne vous empêche pas de me suivre, messieurs.

Ils profitèrent de la permission, sans trop savoir où elle allait les conduire, car ils n’apercevaient sous les quinconces que des bandes de gamins et des bonnes qui les surveillaient.

Roch courait devant la marquise et ils le virent disparaître derrière le tronc d’un gros marronnier qui leur cachait en partie une femme assise à l’ombre de ce vétéran des plantations du Luxembourg.

Ils pressentaient tous les deux qu’ils touchaient au dénouement d’une situation qui, depuis trois jours ne faisait que se compliquer de plus en plus, et ils étaient trop émus pour échanger leurs impressions, même à voix basse.

Paul fut le premier à apercevoir le profil de Bernadette, entre deux embrassades du petit garçon qui la tenait par la tête et la couvrait de caresses pour sécher ses larmes.

Et, du premier coup d’œil, Paul reconnut la charmante jeune femme qu’il avait rencontrée dans le jardin de l’hôtel de l’avenue Montaigne, le jour de sa visite à la veuve du marquis.

La vérité éclatait enfin. L’enfant qui avait oublié ses jouets sur un banc était l’enfant de l’amie de madame de Ganges, qui n’avait pas à rougir d’une maternité clandestine.

Paul se reprochait déjà de l’avoir soupçonnée.

Mirande reçut un coup au cœur.

Lui aussi, il reconnut Bernadette, et pas pour l’avoir entrevue un instant, l’avant-veille.

C’était Bernadette qu’il avait séduite à Fabrègues, pendant ce fatal voyage d’où il avait rapporté la malédiction de son vieil oncle et le remords d’avoir abusé de l’innocence d’une jeune fille sans défense.

Son passé se dressait tout à coup devant lui, et, devant cette apparition, il restait immobile et sans voix.

Il aurait voulu demander pardon à sa victime et il ne trouvait pas une parole.

Elle le regardait, pâle, éperdue, et elle serrait contre son cœur le petit Roch, comme si elle eût craint que Mirande le lui arrachât.

– Il est à vous, monsieur, dit madame de Ganges, en montrant l’enfant.

L’aimerez-vous moins parce que vous êtes son père?

Le beau Mirande, le brillant champion des Écoles, le Don Juan du quartier Latin, passa un cruel moment. Sa fierté se révoltait encore à la pensée de confesser ses torts et de s’humilier devant celle qu’il avait offensée, en la suppliant de lui rendre cet enfant qu’il avait abandonné comme il avait abandonné la mère.

 

– Demandez-lui donc de choisir entre elle et vous, reprit la marquise.

Et comme il se taisait:

– Roch, demanda-t-elle, veux-tu aller demeurer chez monsieur, ou bien rester avec maman Bernadette?

– Je veux rester avec maman, répondit sans hésiter l’enfant, mais je veux bien qu’il vienne chez nous, parce que je l’aime bien.

– Il a choisi, dit madame de Ganges. Vous ne le verrez plus, car vous ne verrez plus sa mère. Et votre fils, qui ne portera pas votre nom, aura le droit de vous maudire.

L’orgueil de Mirande ne tint pas contre cette évocation de l’avenir qui attend les pères coupables.

Il fléchit le genou, sans se soucier de l’étonnement des promeneurs du Luxembourg, où les amoureux ne s’agenouillent guère, et prenant la main de Bernadette il lui dit:

– Pardonnez-moi et… soyez ma femme.

Les derniers mots se firent un peu attendre, mais il les prononça très distinctement et très résolument.

– Non, répondit Bernadette, c’est trop. Vous regretteriez peut-être de m’avoir épousée. Que notre fils reconnu puisse porter votre nom, et je vous bénirai. Je vous ai déjà pardonné.

– Si je me bornais à le reconnaître, Roch de Mirande ne serait que mon fils naturel. Notre mariage le légitimera.

Madame de Ganges, trop émue pour parler, tendit silencieusement la main à son compatriote qui la prit et qui, en la serrant, ne put pas dissimuler un tressaillement de surprise.

– Oui, dit-elle en souriant tristement, j’ai la main froide. Ne le saviez-vous pas, vous qui êtes de mon pays? C’est à cela qu’on reconnaît les filles de ma race… Ma mère était ainsi…

– Il y a un proverbe sur les mains glacées, essaya de dire Mirande.

Elle ne le laissa pas achever, et elle reprit:

– Aurez-vous le courage de tenir l’engagement que vous venez de prendre? Vous êtes noble et Bernadette est du peuple… vous êtes riche et elle n’a rien…

– Je me moque des préjugés de caste, et je suis très heureux qu’elle soit pauvre. Si elle était plus riche que moi, j’hésiterais à l’épouser.

– Non, dit vivement la marquise, vous n’hésiteriez pas. Vous ne renonceriez pas à être heureux par crainte d’être accusé de vous être mésallié par intérêt. Vous êtes au-dessus d’un tel soupçon et votre ami est témoin que vous ne vous êtes pas occupé de savoir si Bernadette avait de la fortune.

– Petite mère ne pleure plus, interrompit Roch. Veux-tu me permettre d’aller jouer, dis, maman Jacqueline?

– Va, mon ami, mais ne t’éloigne pas.

L’enfant ne se le fit pas dire deux fois. Il se précipita pour aller se joindre à une bande de gamins qui jouaient à la toupie, et en courant, il se jeta dans les jambes de deux messieurs qu’il faillit renverser.

Le plus grand trébucha si bien qu’il lâcha de sonores jurons; et comme il jurait en patois languedocien, madame de Ganges et Bernadette se retournèrent pour le regarder, car elles s’étonnaient d’entendre parler la langue d’oc sous les marronniers du Luxembourg.

Paul Cormier se retourna aussi et il ne put retenir un cri de surprise en voyant M. Lestrigou, flanqué de son vieux confrère Bardin.

Les deux vétérans du barreau étaient venus achever au Luxembourg leur tournée à travers le quartier Latin et ils s’attendaient un peu à y rencontrer Paul; mais ils ne s’attendaient guère à y rencontrer l’héritière des six millions.

Lestrigou la reconnut plus vite qu’elle ne le reconnut; mais, pour madame de Ganges, il y mit plus de temps, parce qu’elle avait changé, à son avantage, depuis qu’elle n’était plus mademoiselle de Marsillargues.

Il les aborda toutes les deux à la fois: la marquise respectueusement et Bernadette familièrement. Et après de courtes salutations, il entama un exorde ex-abrupto:

– P_étite, dit-il en se frottant les mains,– c’était son tic— jé t’apporte dé_ quoi trouver un mari à ton goût… tu n’auras qu’à choisir.

Ce début fit froncer le sourcil à Mirande et Bernadette rougit jusqu’aux oreilles.

L’ancien bâtonnier venait de mettre, comme on dit, les pieds dans le plat.

– Si tu commençais par me présenter? interrompit Bardin.

– C’est juste, répondit l’imperturbable Lestrigou.

Madame la marquise… et toi p_é_tite… jé vous présente mon ami Bardin, qui fut jadis une des lumières du barreau parisien et qui est aussi l’ami dé M. Paul Cormier qué j’ai le plaisir dé voir en votre compagnie… Es-tu content? demanda d’un air goguenard l’ancien bâtonnier.

– Très content. Il ne me reste qu’à prier Paul de nous mettre en rapport avec monsieur?

– Monsieur Jean de Mirande, commença Paul, en regardant le vieil avocat dans le blanc des yeux.

Bardin fit la grimace, mais il ne dit plus mot.

– Mais si j_é né mé trompe, M. dé_ Mirande est un compatriote? reprit Lestrigou.

– Originaire du Languedoc, oui, monsieur, répondit froidement l’étudiant, qui donnait à tous les diables les deux vieux avocats, survenus si mal à propos.

– Tous pays! s’écria Lestrigou. Jé puis donc parler sans contrainte d’un_é nouvelle qui va révolutionner notré province. Six millions qui tombent dans lé_ tablier d’une honnête fille.

Des cinq personnes qui écoutaient ce brave homme, Bernadette seule ignorait la grande nouvelle et elle ne devina pas du tout qu’il s’agissait d’elle.

Lestrigou s’empressa de mettre les points sur les i.

– Oui, p_étite, reprit-il, té_ voilà six fois millionnaire.

Cette fois, tous furent étonnés, excepté peut-être Bardin, qui venait d’entendre, un instant auparavant, son vieil ami appeler par son nom l’héritière, et Paul Cormier, qui savait depuis le matin que ce nom était celui de la protégée de la marquise.

– Moi! murmura Bernadette, ce n’est pas possible!… De qui donc me viendrait cette fortune?… Je n’ai plus de parents…

– Tu avais encore ton père, il y a six mois, répondit Lestrigou. Tu l_é croyais mort parce qu’il né t’a jamais donné dé_ ses nouvelles… Eh bien! il vivait très bien à San-Francisco où il s’était enrichi et il y est décédé… subitement… C’est heureux, car il n’a pas eu le temps de tester et il t’aurait peut-être déshéritée… la loi américaine lui en donnait lé droit depuis qu’il s’était fait naturaliser citoyen des Etats-Unis… Mais il n’a pas laissé d_é testament et toute la fortune de François Lamalou t’appartient… les formalités ont été remplies là-bas, par l’intermédiaire du consul dé France. Il né reste plus qu’à t’envoyer en possession et cé né_ sera pas long.

Eh bien! pétité Bernadette, avais-je raison de t_é_ dire tout à l’heure qu’en fait dé maris, tu n’aurais qu_é_ l’embarras du choix.

Depuis qu_é je suis arrivé à Paris, c’est-à-dire dé_puis hier soir, on m’en a déjà recommandé un, ajouta l’ancien bâtonnier on regardant du coin de l’œil Paul Cormier, qui le donnait mentalement à tous les diables.

Personne ne comprit l’allusion, si ce n’est celui qu’elle concernait et aussi le père Bardin qui en fut charmé.

La marquise avait entendu Paul lui dire, quelques instants auparavant, que Bardin rêvait de la marier à l’héritière languedocienne, mais elle n’y pensait déjà plus et elle se hâta de prendre la parole pour couper court aux projets des deux vieux avocats.

– Bernadette a choisi, messieurs, dit-elle simplement. Bernadette est fiancée à M. Jean de Mirande que M. Cormier vient de vous présenter.

– Vous badinez! s’écria Lestrigou.

Badiner! Madame de Ganges n’y songeait guère et dans la situation le mot était grotesque; mais les méridionaux le mettent à toutes sauces et Lestrigou l’avait dit si naturellement qu’il n’y avait pas lieu de se fâcher.

– Si vous en doutez, messieurs, reprit la marquise, interrogez M. de Mirande.

Il était très troublé, Mirande, et il hésita avant de répondre:

– Quand j’ai demandé la main de mademoiselle, j’ignorais qu’elle avait des millions…

– Et qu’importe qu’elle soit riche! s’écria la marquise.

– Je ne le suis pas assez pour l’épouser.

Bernadette pâlit; sa protectrice fronça le sourcil et Lestrigou ne manqua pas l’occasion de dire, comme aurait pu le faire en pareil cas le légendaire M. Prud’homme:

– Voilà un trait de désintéressement qui devrait servir d’exemple à la jeunesse d’à-présent.

Bardin approuva du geste la sentence émise par son ami. Il n’avait pas encore renoncé tout à fait à sa toquade de marier Paul aux millions de Bernadette, et il trouvait fort bon que Mirande retirât sa candidature.

A ce moment, le conciliabule fut dérangé tout à coup par un survenant qu’on n’attendait pas si tôt.

Roch, après avoir bousculé les deux vieillards, était allé se mêler à une bande enfantine qui l’avait mal reçu. Il n’était pas du jeu et on ne voulut pas l’y admettre. Dans le petit monde, c’est comme dans le grand. Il y a des coteries.