Za darmo

La main froide

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Jean de Mirande devait l’être au moment où le vicomte parlait et son camarade s’inquiétait déjà de ne pas le voir arriver. Que faire en attendant qu’il reparût? Comment différer encore de donner une réponse catégorique à M. de Servon qui, tout en affectant de se désintéresser de la situation, insistait pour tâcher d’en savoir plus long que Cormier ne voulait lui en dire?

– Je ne puis rien faire avant d’avoir revu mon camarade, répondit enfin Paul.

– Bon! mais quand le reverrez-vous?

– Il ne peut pas tarder beaucoup maintenant.

– J’ai entendu ce qu’il a dit tantôt, en vous quittant aux Champs-Elysées… qu’il serait au café Soufflot dans deux heures. C’est même ce qui m’a donné l’idée de vous y chercher. Mais il se peut qu’on le retienne plus longtemps qu’il ne pensait. Dans ce cas, je serais obligé de vous quitter.

Cormier devina que si le vicomte levait la séance, ce serait pour courir chez la marquise, afin de se donner le mérite de la renseigner le premier sur la tournure que semblaient prendre les événements.

Et, quoi qu’il en eût dit, Cormier n’était pas du tout disposé à se désintéresser des affaires de madame de Ganges.

D’un autre côté, il craignait de mettre le feu aux poudres en abouchant le vicomte avec Mirande qui était discret comme un coup de canon.

– Mais, le voici, votre camarade, s’écria M. de Servon. Je vois poindre là-bas l’étonnant chapeau pointu qu’il a l’habitude de porter.

La question était tranchée. L’explication à deux allait se continuer par une explication à trois, car c’était bien Jean de Mirande qui montait la rue Soufflot, en se balançant sur ses hanches comme un tambour-major d’autrefois.

Et grâce à sa taille de cinq pieds dix pouces, on l’apercevait d’aussi loin que s’il eût porté au haut de son feutre un plumet gigantesque.

– Eh! bien, monsieur, s’empressa de dire Paul Cormier, je vais me concerter avec lui, et si vous voulez bien me faire savoir où je pourrai vous rejoindre ce soir, dans une heure…

– A quoi bon perdre du temps? répliqua le vicomte. Présentez-moi ce jeune homme… ou présentez-moi à lui… comme il vous plaira… nous nous communiquerons les renseignements que chacun de nous a pu recueillir sur cette singulière affaire et après, nous délibérerons en connaissance de cause.

C’est un homme comme il faut, n’est-ce pas?

– Très comme il faut, mais…

– C’est bien. Je vais me présenter moi-même.

Ayant dit, le vicomte se leva, Paul se leva aussi et tout surpris de cet accueil cérémonieux, Mirande qui n’était plus qu’à deux pas ne put moins faire que de lever son chapeau en lançant à Cormier un regard qui signifiait évidemment:

– Qu’est-ce qu’il nous veut encore cet animal-là?… Et pourquoi est-ce que je le trouve sans cesse sur tes talons?

Paul jugea prudent de laisser M. de Servon s’expliquer, et M. de Servon commença par une explication qui ne fit qu’embrouiller la situation déjà fort embrouillée:

– Monsieur, dit-il, je n’ai pas encore l’honneur d’être connu de vous, mais vous savez comment j’ai connu votre ami, M. Cormier.

– Moi!… je ne m’en doute pas, répliqua sèchement Mirande.

– Nous nous sommes rencontrés, dimanche dernier, chez la baronne Dozulé, qui recevait ce jour-là quelques dames… entre autres madame la marquise de Ganges.

– Je n’en savais absolument rien, et il m’est tout à fait indifférent de l’apprendre.

– Alors, vous ne connaissez pas du tout cette marquise?

– De nom seulement… Ganges est un nom du Languedoc et j’en suis du Languedoc. J’ai vu aussi… dimanche soir… un monsieur qui prétendait être le marquis de Ganges… seulement, mes relations avec lui n’ont pas été de longue durée.

Mirande répondait avec une douceur et une prudence qu’on n’aurait guère attendues de lui.

Paul Cormier n’en revenait pas.

– Maintenant, reprit Mirande sans élever la voix, j’ai répondu, monsieur, à toutes les questions que vous m’avez posées. Il me semble que c’est à mon tour de vous demander: de quel droit m’interrogez-vous?…

– J’aurais dû, je le reconnais, commencer par vous le dire, puisque votre ami a oublié de me nommer à vous.

Je m’appelle le vicomte de Servon.

Et vous, monsieur?

– Moi, je suis Jean de Mirande, et je crois que mon nom vaut le vôtre. J’ignore quelles affaires vous pouvez avoir avec Cormier et je ne tiens pas à le savoir, mais je veux savoir ce que vous me voulez.

– Je suis venu renseigner votre ami et vous renseigner, vous aussi, monsieur.

– Sur quoi, je vous prie?

– Sur la mort de ce marquis de Ganges dont vous venez de parler… et cela dans votre intérêt comme dans l’intérêt de M. Cormier.

– Vous êtes vraiment trop bon, dit l’étudiant avec une grimace ironique, mais je n’ai que faire de vos renseignements, ni lui non plus, car je lui en rapporte… j’en ai les mains pleines de renseignements…

Et comme Paul lui lançait des regards pour le prier de se taire:

– Tant pis pour toi, mon cher! si tu m’avais prévenu qu’il y avait là-dessous je ne sais quelles histoires que je ne connais pas, je ne marcherais pas sur tes plates-bandes. Au contraire, tu m’as poussé à aller voir le juge d’instruction… eh! bien, j’en sors de son cabinet, après une séance de deux heures, et je lui ai tout dit. Il sait maintenant que c’est moi qui ai tué l’homme.

Jean de Mirande n’y allait plus, comme on dit, par quatre chemins. Il commençait par dire devant M. de Servon: «J’ai tué l’homme» et M. de Servon était déjà bien assez renseigné pour deviner que l’homme, c’était le marquis de Ganges.

Cette déclaration avait au moins l’avantage de simplifier la situation, en rendant inutiles les feintes et les réticences.

Il ne restait plus à Paul Cormier qu’à confesser franchement au vicomte le rôle qu’il avait joué dans cette affaire du duel.

Paul avait eu le tort de s’en tenir avec ce gentilhomme à des demi-confidences. Il aurait cent fois mieux fait de tout dire dès le commencement.

A Jean de Mirande non plus, il n’avait pas tout dit, puisqu’il lui avait caché son aventure du Luxembourg et les suites qu’elle avait eues.

De là, l’imbroglio inextricable où ils s’agitaient tous les trois. Il était temps que la brusque franchise de l’ami Jean y mît fin.

Maintenant qu’il était lancé, il ne s’arrêterait pas en si beau chemin.

Et du reste, ni le vicomte, ni l’étudiant n’avaient envie d’arrêter ce saint Jean Bouche d’or qui allait très probablement, si on le laissait continuer, leur épargner de longues explications.

– Oui, reprit-il, je lui ai dit que c’est moi qui me suis battu et que tu n’as fait que me servir de témoin. J’ai même commencé par là, sans attendre qu’il m’interrogeât. Et je n’ai pas oublié de parler du soufflet que j’ai campé à cet homme et qui a rendu le duel inévitable. Je me suis, comme tu vois, donné tous les torts… et j’ai bien fait, car il a pris assez tranquillement la chose.

Ça m’a l’air d’un brave garçon, ce fils de ce vieil avocat dont tu m’as tant rebattu les oreilles.

– Nous lui devons, toi et moi, une fière reconnaissance, dit Paul. Si nous avions eu à faire à un autre magistrat, nous ne causerions pas en ce moment devant ce café.

– Je crois qu’il a eu bonne envie de m’envoyer en prison, mais il est revenu de cette idée en causant avec moi. Je vais avoir à consigner vingt-cinq mille francs dont le dépôt garantira que je ne brûlerai pas la politesse à la justice de mon pays. C’est bête le Code!… comme si ça m’empêcherait de décamper, si je me croyais coupable!

Il paraît que de toi on n’exigera pas de caution… ni des trois farceurs qui nous ont si bien lâchés après le duel.

– Est-ce que tu les lui a nommés?

– Non… la police les a dénichés ce matin. Ils n’ont pas pu se tenir de raconter l’affaire à d’autres gamins… tout le quartier la connaît. On les a priés de passer au Palais et quand je suis sorti du cabinet de ton M. Bardin, il les y attendait. J’aime autant ne pas les y avoir rencontrés, car je n’aurais pas pu m’empêcher de leur dire ce que je pense d’eux.

Voilà où nous en sommes. Quant à la suite, je ne sais rien, je ne prévois rien. Ça peut finir par une ordonnance de non-lieu… mais ça finira plus probablement devant la Cour d’assises… où nous serons acquittés haut la main.

– Alors, l’accusation d’assassinat…

– Il n’en est plus question. Ça ne tenait pas debout. Te voilà rassuré, je crois.

Ah! j’oubliais!… il paraît que, décidément, c’est le marquis de Ganges que j’ai tué… le juge a reçu un télégramme de Nice qui ne laisse aucun doute… je suppose d’ailleurs que tu savais déjà à quoi t’en tenir puisque tu connais sa femme… c’est-à-dire sa veuve.

Quand il te plaira de me mettre au courant de tes relations avec elle, je t’écouterai volontiers.

Maintenant que j’ai parlé devant monsieur, comme si monsieur était un de tes plus anciens amis, devant monsieur que je n’avais jamais vu…

– Vous ne vous en souvenez pas, mais nous nous sommes déjà rencontrés, interrompit doucement le vicomte…

– Où donc?

– D’abord, à la Closerie des Lilas, dimanche dernier. Je causais avec M.

Cormier, et je venais de le quitter quand vous l’avez rejoint…

– Alors, vous avez dû assister à la querelle?

– Non, pas même au commencement. Et aujourd’hui, je vous ai revu près du rond-point des Champs-Elysées. Vous étiez assis sur un banc, à côté de votre ami…

– Oui, et quand je me suis aperçu que vous alliez aborder Cormier, j’ai filé sans vous regarder… mais je vous reconnais… et je ne mets pas en doute que vous soyez lié avec Paul. C’est pour cela que j’ai parlé devant vous de ma visite au juge d’instruction. Il me semble que le moment serait venu pour vous de me renseigner un peu… sur…

– Sur tout ce que vous voudrez, monsieur, dit avec empressement le vicomte, ou, pour mieux dire, sur tout ce qui peut vous intéresser. Je vous ai dit qui j’étais et où j’avais rencontré M. Cormier. Il me reste à vous expliquer les suites de cette rencontre et le rôle que madame de Ganges y a joué.

 

– Précisément.

– Mon rôle, à moi, a été très effacé et je ne l’ai pas cherché. Votre ami le sait bien. Et je tiens à le consulter avant de vous répondre au sujet de la marquise. M’engage-t-il à vous raconter des faits qu’il connaît aussi bien que moi ou bien préfère-t-il vous les raconter lui-même? Je m’en rapporte entièrement à sa décision.

– Il vaut mieux que ce soit moi, dit Paul sans hésiter.

– C’est aussi mon avis. Je laisserai donc M. Cormier vous éclairer sur une situation très délicate pour lui… pour madame de Ganges et pour moi, si je m’en mêlais, ce qu’à Dieu ne plaise.

Je n’en reste pas moins à votre disposition, messieurs. Vous me trouverez toujours prêt à vous servir.

Le vicomte n’alla pas jusqu’à la poignée de mains que Mirande aurait peut-être refusée. Il salua poliment et il s’en alla par le boulevard Saint-Michel.

Mirande le laissa filer avant de dire rageusement à Cormier:

– Ah! tu as un drôle d’ami, toi!… et tu t’y es si bien pris que si nous ne sommes pas tous coffrés, ce n’est pas ta faute. Comment! tu m’envoies chez le juge d’instruction, en me pressant de me déclarer et tu me caches les dessous de l’affaire!… tu me laisses croire que tu ne connaissais pas ce marquis de Ganges… et voilà que j’apprends que tu es au mieux avec sa femme… tu aurais dû au moins m’avertir. Et tu me permettras d’ajouter que puisque tu es son amant, c’était à toi de le battre.

– Je ne suis pas son amant et je te somme de m’écouter, au lieu de t’emporter et de m’adresser des reproches que je ne mérite pas.

– Soit!… qu’as-tu à me dire?

– Ici, rien. Ta vas me faire le plaisir de venir avec moi au Luxembourg. Nous causerons en nous promenant sous les arbres. Ce sera long et je ne veux pas qu’on nous dérange.

Mirande criait toujours plus fort que son ami Paul, mais toujours aussi, il finissait par se ranger à son avis.

Il se tut donc et il le suivit jusqu’au jardin qui, dans la saison où on était, reste ouvert très tard.

Paul lui fit traverser les allées qui entourent le bassin entre les deux terrasses. Il s’était mis en tête de lui raconter ses aventures avec la marquise à l’endroit où elles avaient commencé.

Le décor n’avait pas changé depuis le mémorable dimanche où Paul

Cormier, sans songer à mal, avait fait la connaissance d’une marquise.

Les grands marronniers de la Terrasse avaient toujours leurs panaches blancs et le soleil à son déclin éclairait obliquement la longue allée de l’Observatoire.

Seulement, il était tard et les promeneurs étaient moins nombreux. Les bourgeoises assises en famille avaient quitté le jardin et les étudiantes n’étaient pas encore en nombre.

C’est le chemin qu’elles préfèrent pour aller à Bullier, mais le bal ne commence guère avant dix heures et ces dames achevaient leurs cigarettes devant les cafés du Boul’Mich.

Les deux amis ne pensaient guère en ce moment aux plaisirs du quartier. Paul, fort ému et assez inquiet, cherchait un moyen de sortir des terribles embarras où il s’était mis et Jean, très rogue et très mal disposé, attendait des explications que son ami ne se pressait pas de lui fournir.

– Voyons, dit-il en s’arrêtant tout à coup, te décideras-tu à parler, oui ou non? J’en ai assez de rôder sur cette terrasse et je te prie de m’apprendre enfin ce que c’est que cette marquise de Ganges dont tout le monde me rabat les oreilles.

– Tu la connais, répondit Cormier.

– Moi!… allons!… pas de blagues!… je n’ai pas envie de rire.

– Je te répète très sérieusement que tu as vu la marquise de Ganges et que tu lui as parlé.

– Où?… quand?… vociféra Mirande, dont la voix avait l’éclat des cymbales.

– Pas si haut, je te prie. Il est au moins inutile que les promeneurs nous remarquent… et il peut y avoir des mouchards, ici comme ailleurs.

– C’est bon. Je me tais… mais explique-toi…

– Tu as vu madame de Ganges, dimanche dernier, pendant la musique, au Luxembourg. Elle était assise là-bas, au pied de cette statue…

– Comment! la pimbêche blonde qui m’a si bien blackboulé…

– C’était la marquise.

– Alors, parbleu! toi qui la connaissais, tu aurais dû m’avertir qu’elle était si farouche.

– J’ai fait tout ce que j’ai pu pour t’empêcher de l’aborder. Tu n’as pas voulu m’écouter. Mais, à ce moment-là, je ne la connaissais pas du tout. C’est après… bien après… quand tu étais déjà parti avec tes noceuses. C’est alors seulement que je l’ai revue et que j’ai eu avec elle une conversation…

– Ah! je te reconnais bien!… tu fais tes coups à la sourdine, toi… tu as attendu que je ne sois plus là pour me couper l’herbe sous le pied… je m’en moque, mais je tiens à te dire qu’on ne se conduit pas comme ça quand on pose pour le parfait gentleman.

– Laisse-moi donc parler… Je ne songeais pas à te supplanter.

– Mais tu y es arrivé tout de même… sans t’en douter… je comprends que tu te sois laissé aller… Une marquise, c’est ton rêve depuis que je te connais… et la première que tu as trouvée par hasard, tu ne l’as pas manquée.

– Tu raisonnes à faux, car au moment où elle m’a adressé la parole, je ne me doutais pas du tout qu’elle était marquise. Je la prenais même pour une grande cocotte.

– Et c’est une illumination d’en haut qui t’a fait apercevoir sous son chapeau une couronne de marquise!

– C’est plus tard que j’ai su qui elle était… et je l’ai su par hasard… c’est-à-dire…

– Ne patauge donc pas dans les blagues…

– Ah! tu m’ennuies, à la fin! s’écria Paul Cormier. Tu m’interromps sans cesse et je ne peux pas parvenir à placer un mot. Je te déclare que, si tu continues, je vais te planter là… tu iras te renseigner ailleurs… moi, je ne te reverrai plus.

– Allons!… je t’écoute… raconte et sois bref. Tu en es resté au moment où tu as retrouvé la blonde que tu cherchais.

– Je ne la cherchais pas du tout. Je m’en allais tranquillement dîner chez ma mère, au Marais. Au moment où je montais dans un fiacre, près de la grille de la rue de Vaugirard, une femme voilée entrait dans ce fiacre par l’autre portière et me faisait signe de prendre place à côté d’elle. Naturellement, je ne me suis pas fait prier. Deux minutes après, elle relevait sa voilette, et je reconnaissais la dame de la terrasse. Alors, je l’avoue, je me suis cru en bonne fortune.

– Je m’y serais cru à moins!… une femme qui t’enlève en voiture!

– Eh bien, je me trompais complètement… Dès que j’ai essayé de lui faire une cour un peu accentuée, elle m’a rembarré de la belle façon, en me menaçant de descendre.

– Et tu as été assez nigaud pour te tenir tranquille!

– J’aurais peut-être insisté, si je ne m’étais promptement aperçu que je lui étais tout à fait indifférent et qu’elle ne m’avait fait monter que pour me parler d’un autre homme.

– Ça, c’est plus fort!

– Oui, mon cher, pour me demander une foule de détails sur la vie que cet homme mène à Paris…

– Un homme que tu connais?

– Bien entendu! Si je n’étais pas lié avec lui, elle se serait adressée à un autre que moi.

– Un de tes amis alors?… et tu ignorais qu’il a été l’amant de cette femme?

– Je l’ignore encore et j’ajouterai que je ne le crois pas.

– Alors, pourquoi s’intéresse-t-elle tant à lui?

– Je n’ai pu le savoir.

– Ah! décidément, tu me fais là des contes à dormir debout… et je commence à me lasser de deviner des énigmes. Finissons-en! Nomme-le moi cet ami qui a tourné la tête à ta marquise. Je suppose que je le connais, car autrement ce ne serait pas la peine de me dire un nom qui ne m’apprendrait rien.

– Personne ne le connaît mieux que toi.

– Alors, vas-y… comment s’appelle-t-il?

– Tu ne devines pas?

– Pas du tout.

– Il s’appelle Jean de Mirande.

– Te moques-tu de moi?

– En aucune façon. Je te répète qu’elle ne m’a parlé que de toi, tout le temps que le voyage a duré. Et sais-tu comment elle a commencé?… par me remercier de ne pas l’avoir abordée lorsqu’elle était assise sur la terrasse… et elle a ajouté en parlant de toi: «Quel dommage qu’un garçon si bien né soit si mal élevé».

– Qu’en savait-elle si j’étais bien né?

– C’est précisément ce que je lui ai demandé. Elle m’a répondu que tu lui avais jeté à la volée ton nom et ton adresse. Elle ignorait ton adresse, mais ton nom lui était parfaitement connu, parce qu’elle est, comme toi, du Languedoc. Seulement, si elle a beaucoup entendu parler de ta famille, il paraît, s’il faut l’en croire, que tu n’as jamais entendu parler de la sienne.

– Ça prouve que la sienne n’est guère illustre, car je suis encore assez ferré sur l’armorial de mon pays. Ainsi, je sais depuis longtemps qu’il existe des comtes ou marquis de Ganges.

– Elle a épousé le dernier du nom.

– Et cette noble alliance ne me paraît pas lui avoir réussi, ricana Mirande. Mais pourquoi s’occupe-t-elle de moi?

– Je ne suis pas en mesure de te répondre, répondit Paul Cormier. Elle m’a questionné sur la vie que tu mènes à Paris. Elle a été jusqu’à me demander si tu avais une maîtresse… et il m’a semblé qu’elle était contente d’apprendre que tu courais beaucoup, sans t’attacher à aucune femme.

– Si c’est comme ça que tu as fait mon panégyrique, je ne te remercie pas.

– Je ne pouvais rien dire qui te fût plus favorable, car j’ai très bien vu qu’elle craignait que tu n’eusses le cœur pris. Enfin, elle m’a tant et tant parlé de toi que j’ai fini par me fâcher. Je lui ai demandé pour qui elle me prenait. Alors, elle s’est excusée en me jurant que je venais de lui rendre un immense service et que plus tard, elle me dirait tout, à condition que, pour le moment, je ne lui en demanderais pas davantage.

– Et tu t’es soumis à la condition?

– Faute de pouvoir faire autrement. Je suis descendu de la voiture sans avoir rien obtenu que la promesse d’une lettre qu’elle devait m’écrire et que j’attendrais encore si je m’en étais tenu là… Ah! j’oubliais de te dire que, pour me calmer, elle m’avait juré qu’elle ne t’aimait pas, et qu’elle ne t’aimerait jamais, parce qu’elle ne pouvait pas t’aimer… Je n’ai pas compris.

– Et moi, je ne comprends pas… à moins que cette marquise ne soit une sœur que feu mon père m’aurait donnée jadis sans me prévenir. Mais ça m’est égal. Arrive au dénouement de l’aventure. Tu en es toujours à peu près au même point. On dirait que tu ménages tes effets.

– Je vais abréger. Elle m’a planté là près du rond-point des Champs-Elysées, mais je l’ai suivie si adroitement qu’elle ne m’a pas vu. Elle est entrée dans une maison de l’avenue d’Antin. J’y suis entré sur ses talons et je suis arrivé en même temps qu’elle au seuil d’une espèce de hall en plein vent où un domestique m’a pris pour son mari et a annoncé bravement: M. le marquis et madame la marquise de Ganges..

– Ça, c’est amusant, dit Mirande en riant.

– Pas si amusant que tu crois. C’est à la méprise de cet imbécile de larbin que nous devrons, toi et moi, des ennuis sans nombre. Je suppose que tu commences à deviner la suite.

– Je l’entrevois, mais…

– Tu y as assisté… tu y as même joué le principal rôle dans une scène à laquelle j’arrive. Chez la dame qui recevait avenue d’Antin, se trouvait ce vicomte de Servon que je viens de te présenter. Il n’avait jamais vu l’autre marquis de Ganges, le vrai… il a cru que c’était moi… je ne pouvais pas le détromper sous peine de mettre la marquise dans un terrible embarras. Je l’ai laissé dire et j’ai pu, au bout de deux heures, m’esquiver sans qu’il y eût de scandale. Je me croyais quitte; j’ai été dîner chez ma mère et après, je suis venu te rejoindre à Bullier. Je ne prévoyais pas que la fatalité y amènerait ce vicomte de Servon, qu’il m’appellerait très haut par mon faux nom et par mon faux titre, que le mari, arrivé à Paris le jour même, se trouverait là tout à point pour entendre… maintenant, tu sais le reste.

– Oui… et je conviens que tu es moins coupable que je ne pensais. Je te reproche pourtant de ne pas m’avoir dit la vérité avant le duel.

– Tu ne m’en as pas laissé le temps. Le soufflet que tu as donné au marquis m’a coupé la parole.

– Bon!… J’ai été trop vif… mais après l’affaire, pourquoi m’avoir laissé croire que tu ne connaissais pas ce malheureux que je venais d’embrocher?… c’était si simple de m’apprendre que…

– C’était impossible. Avant le combat, pendant le trajet que j’ai fait côte à côte avec lui, il m’avait raconté son histoire et il m’avait chargé de remettre, s’il lui arrivait malheur, son portefeuille à sa femme. J’avais accepté et je ne pouvais rien te dire avant de m’être acquitté cette triste mission.

 

– C’est juste, et il est survenu un tas d’incidents que tu m’as racontés tantôt aux Champs-Elysées… entre autres l’intervention de ce chenapan qui nous a vus au bastion et qui t’a dénoncé. Tout ça commence à se débrouiller. Mais la marquise… cette marquise dont tu viens de me parler ce soir pour la première fois, tu l’as revue, puisque tu lui as remis le message de son mari.

– Je l’ai revue, hier, chez elle, et notre entrevue a duré plus d’une heure.

– Alors, tu dois être fixé sur son compte.

– Pas beaucoup mieux que je ne l’étais le premier jour. D’abord, j’ai eu beaucoup de peine à arriver jusqu’à elle. Je ne voulais pas faire passer ma carte de peur qu’elle refusât de me recevoir. J’ai dit que je venais de la part du marquis de Ganges. Je ne mentais pas. Mais l’homme à qui j’ai eu à faire a commencé par me dire que c’était impossible… tu le connais celui-là… tu as eu maille à partir avec lui, dimanche, au Luxembourg.

– Cet escogriffe qui a l’air d’un gendarme en bourgeois?

– Précisément. Il paraît que c’est un ancien officier qui a été jadis l’ami du père de la marquise et il occupe chez elle les fonctions de garde du corps ou de porte-respect… Bref! madame de Ganges a fini par me recevoir… dans le jardin de son hôtel où elle était avec une jeune femme de ses amies, qui m’a cédé la place et que j’ai saluée en passant… une merveilleuse beauté, mon cher, aussi brune que la marquise est blonde… Je n’ai pas osé demander qui elle était.

– Et moi je ne tiens pas à le savoir. Arrive à ton explication avec la marquise.

– Elle a été longue et orageuse, l’explication. Madame de Ganges m’a amèrement reproché ma conduite de la veille. J’ai essayé de me justifier en lui déclarant que j’étais amoureux d’elle… et c’est vrai, mon cher… je suis pris…

– Tant pis pour toi!… Continue. Comment a-t-elle pris la nouvelle de la mort de son mari?

– Elle a d’abord refusé d’y croire. Mais quand je lui ai remis le portefeuille, elle a changé de note. Elle a été très émue, très troublée… il ne m’a pas paru qu’elle fût très affligée… ce marquis était un fort mauvais mari qui lui a joué tous les tours imaginables et qui lui a mangé une partie de sa fortune. Elle ne peut pas le regretter beaucoup.

– Lui as-tu raconté comment il est mort?

– Il le fallait bien, et je lui ai tout dit: les confidences que son mari m’avait faites… les incidents qui ont amené la rencontre… et même le nom de l’adversaire du marquis… Elle me l’a demandé.

– Et quand elle a su que c’était moi?

– Elle a eu un cri parti du cœur… une exclamation que je tiens à te répéter comme je l’ai entendue… elle a dit: «Jean de Mirande! c’était donc écrit qu’il troublerait encore une fois ma vie!…» Et comme je lui ai naturellement demandé ce que tu lui avais fait, elle m’a répondu: «Il a fait le malheur d’une personne à laquelle je m’intéresse».

– Du diable si je devine qui! Elle aurait bien dû prendre la peine de me le dire quand je l’ai abordée dimanche sur cette terrasse où tu m’as ramené, ce soir.

– Nous n’en serions probablement pas où nous en sommes. Mais laisse-moi te raconter comment s’est terminée mon entrevue. La marquise y a mis fin en me congédiant, assez sèchement, sans me rien promettre et en me laissant entendre qu’elle allait quitter Paris.

J’ai eu beau lui dire que rien ne la forçait à partir, que cette affaire serait vite oubliée et que, s’il le fallait pour la tranquilliser, je m’abstiendrais de la revoir; elle n’a rien voulu entendre et j’ai dû me retirer sans avoir rien obtenu d’elle qui ressemblât à un engagement.

– Ça vaut mieux pour toi, dit philosophiquement Mirande. Cette marquise ne porte pas bonheur. Ce que tu as de mieux à faire, c’est de ne plus penser à elle.

– J’ajoute, reprit Cormier, toujours plein de son sujet, qu’on est venu, pendant que j’étais là, apporter une lettre adressée au marquis de Ganges— c’est-à-dire, à moi— une lettre contenant de l’argent… huit mille francs que, la veille, j’avais gagnés sur parole à ce vicomte de Servon chez la dame de l’avenue d’Antin. La marquise l’a renvoyée…

– Et tu n’en as plus entendu parler? demanda Mirande en éclatant de rire.

– M. de Servon m’a remis la somme aujourd’hui, quand je l’ai rencontré aux Champs-Elysées.

– Alors, tu roules sur l’or!… Je ne t’ai jamais connu tant d’argent à la fois.

– Et je n’en ai jamais eu dont la possession m’ait fait si peu de plaisir. Je le donnerais sans regret au premier mendiant que je rencontrerai.

– Garde-le pour une meilleure occasion. Maintenant que tu m’as tout dit…, car je suppose que c’est tout…

– Oui… tu sais le reste… ma visite au père Bardin et l’interrogatoire dans le cabinet de son fils… l’entrée en scène de cet abject coquin…

– Je connais tout ça. Maintenant, résumons-nous. Me voilà fortement compromis, toi un peu moins, et ta marquise, pas du tout, jusqu’à présent. Que comptes-tu faire? as-tu toujours l’intention de te faire son champion, sans qu’elle t’y ait convié, ni même autorisé?

– Je ne peux pas la défendre malgré elle, mais je l’ai quittée en lui jurant qu’elle me trouverait toujours prêt à faire ce qu’elle me demanderait, et je tiendrai ma parole.

– Alors, tu en es décidément amoureux?

– Amoureux fou.

– Bien fou, en effet; mais ça te regarde. Je n’entreprendrai pas de te guérir. Je n’ai qu’une simple question à t’adresser et je te prie d’y répondre nettement.

– Parle!

– Trouveras-tu mauvais que moi qui ne suis pas amoureux de la dame en question et qui ne le deviendrais jamais, je t’en réponds… trouveras-tu mauvais que j’aille la voir?

– Non… mais tu ne la verras pas.

– C’est mon affaire. Je te demande seulement si tu ne m’en voudras pas d’essayer.

– Pourquoi t’en voudrais-je?

– Tu aurais bien tort, car je te jure que je ne lui ferai pas la cour.

– Je te crois… mais tu peux bien me dire pourquoi tu tiens à la connaître. Il me semble d’ailleurs que tu oublies un peu trop que tu as tué son mari. Elle le sait, puisque je le lui ai dit, et je suis très sûr qu’elle s’en souvient.

– C’est un rude service que je lui ai rendu là.

– Peut-être, mais il ne serait pas décent qu’elle en convînt… et encore moins qu’elle te reçût..

– Qu’elle me reçoive ou non, je trouverai bien le moyen de lui parler.

– Lui parler de quoi?

– Du passé, parbleu!… de sa vie que, s’il faut l’en croire, j’ai déjà troublée sans m’en douter… de cette personne enfin qui l’intéresse et dont j’ai fait le malheur!… Je te cite ses propres paroles que tu m’as répétées tout à l’heure.

– Et tu espères qu’elle t’en dira davantage?

– Non seulement je l’espère, mais je n’en doute pas. Il ferait beau voir qu’elle refusât de s’expliquer. J’ai la prétention de n’avoir fait le malheur de personne et je n’admets pas qu’on m’accuse sans preuves, même quand c’est une femme qui m’accuse. Je sommerai donc catégoriquement ta marquise de me nommer ma prétendue victime… quand ce ne serait que pour me mettre à même de réparer mes torts, si, par impossible, j’en avais eu. Je soupçonne qu’il y a là-dessous un malentendu, mais je veux en avoir le cœur net… et si, comme elle le prétend, elle est du Languedoc, nous arriverons vite à nous entendre.

Je n’ai pas, je pense, besoin d’ajouter que mes relations avec elle en resteront là.

C’est tout au plus si je profiterai de cette première et unique entrevue pour lui faire de toi un éloge bien senti, conclut en riant Jean de Mirande.

– Comme tu voudras, dit Paul. Pourvu que je ne m’en mêle pas.

– Je l’espère bien. Tu me gênerais.

– Moi, je vais tâcher de voir notre juge. Il viendra peut-être ce soir chez son père… je vais m’y transporter.

– Et dîner? interrogea Mirande.

– Tu penses à dîner, toi!

– Parfaitement. Et je te déclare que je vais de ce pas prendre chez Foyot quelque nourriture.

– Eh! bien, moi, qui n’ai pas faim, je vais prendre… une voiture qui me conduira au Marais…

– Alors, viens avec moi jusqu’à la rue de Vaugirard… Nous n’avons que le temps… la retraite est battue… on va fermer les grilles.

En effet, la nuit tombait, la terrasse s’était vidée peu à peu, et les gardiens avaient commencé leur ronde pour faire sortir les retardataires.