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Uranie

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Eh bien! pensez-vous que ce soit cela toute l’humanité? Pensez-vous qu’elle n’ait rien laissé de plus noble, de plus grand, de plus spirituel? Chacun de nous ne donne-t-il à l’univers, en rendant le dernier soupir, que soixante ou quatre-vingts kilos de chair et d’os qui vont se désagréger et retourner aux éléments? L’âme qui nous anime ne demeure-t-elle pas, au même titre que chaque molécule d’oxygène, d’azote ou de fer? Et toutes les âmes qui ont vécu n’existent-elles pas toujours?

Nous n’avons aucun droit d’affirmer que l’homme soit uniquement composé d’éléments matériels, et que la faculté de penser ne soit qu’une propriété de l’organisation. Nous avons, au contraire, les raisons les plus intimes d’admettre que l’âme est une entité individuelle, et que c’est elle qui régit les molécules pour organiser la forme vivante du corps humain.

Que deviennent les molécules invisibles et intangibles qui ont composé notre corps pendant la vie? Elles vont appartenir à de nouveaux corps. Que deviennent les âmes également invisibles et intangibles? On peut penser qu’elles se réincarnent, elles aussi, en de nouveaux organismes, chacune suivant sa nature, ses facultés, sa destinée.

L’âme appartient au monde psychique. Sans doute, il y a sur la Terre une quantité innombrable d’âmes encore lourdes, grossières, à peine dégagées de la matière, incapables de concevoir les réalités intellectuelles. Mais il en est d’autres qui vivent dans l’étude, dans la contemplation, dans la culture du monde psychique ou spirituel. Celles-là peuvent ne point rester emprisonnées sur la Terre, et leur destinée est de vivre de la vie uranique.

L’âme uranique vit, même pendant ses incarnations terrestres, dans le monde de l’absolu et du divin. Elle sait que tout en habitant la Terre elle est, en réalité, dans le ciel, et que notre planète est un astre du ciel.

Quelle est la nature intime de l’âme, quels sont ses modes de manifestation, quand sa mémoire devient-elle permanente et maintient-elle avec certitude l’identité consciente, sous quelle diversité de formes et de substances peut-elle vivre, quelle étendue d’espace peut-elle franchir, quel est l’ordre de parenté intellectuelle qui existe entre les diverses planètes d’un même système, quelle est la force germinatrice qui ensemence les mondes, quand pourrons-nous nous mettre en communication avec les patries voisines, quand pénétrerons-nous le secret profond des destinées? Mystère et ignorance aujourd’hui. Mais l’inconnu d’hier est la vérité de demain.

Fait d’ordre historique et scientifique absolument incontestable: dans tous les siècles, chez tous les peuples, et sous les apparences religieuses les plus diverses, l’idée de l’immortalité repose invulnérable au fond de la conscience humaine. L’éducation lui a donné mille formes, mais elle ne l’a pas inventée. Cette idée indéracinable existe par elle-même. Tout être humain, en venant au monde, apporte avec lui, sous une forme plus ou moins vague, ce sentiment intime, ce désir, cette espérance.

II
ITER EXTATICUM CŒLESTE

Les heures, les jours que je consacrais à l’étude de ces questions de psychologie et de télépathie ne m’empêchaient pas d’observer Mars au télescope et d’en prendre des dessins géographiques, chaque fois que notre atmosphère, si souvent nuageuse, voulait bien me le permettre. D’ailleurs, on peut reconnaître que non seulement toutes les questions se touchent, dans l’étude de la nature et dans les sciences, mais encore que l’astronomie et la psychologie sont solidaires l’une de l’autre, attendu que l’univers psychique a pour habitat l’univers matériel, que l’astronomie a pour objet l’étude des régions de la vie éternelle et que nous ne pourrions nous former aucune idée de ces régions si nous ne les connaissions pas astronomiquement. Que nous le sachions ou non, en fait, nous habitons en ce moment même une région du Ciel, et tous les êtres, quels qu’ils soient, sont éternellement citoyens du Ciel. Ce n’est pas sans une secrète divination des choses que l’antiquité avait fait d’Uranie la muse de toutes les sciences.

Ma pensée avait donc été longuement occupée de notre voisine la planète Mars, lorsqu’un jour, dans une promenade solitaire à la lisière d’un bois, après quelques chaudes heures de juillet, m’étant assis au pied d’un bouquet de chênes, je ne tardai pas à m’assoupir.

La chaleur était accablante, le paysage était silencieux, la Seine semblait arrêtée comme un canal au fond de la vallée. Je fus étrangement surpris, en m’éveillant après un instant de somnolence, de ne plus reconnaître le paysage, ni les arbres voisins, ni la rivière qui coulait au pied du coteau, ni la prairie ondulée qui allait se perdre au loin dans l’horizon. Le soleil se couchait, plus petit que nous n’avons coutume de le voir. L’air frémissait de bruits harmonieux inconnus à la Terre, et des insectes grands comme des oiseaux voltigeaient sur des arbres sans feuilles, couverts de gigantesques fleurs rouges. Je me levai, poussé par l’étonnement comme par un ressort, et d’un bond si énergique que je me trouvai subitement debout, me sentant d’une légèreté singulière. A peine avais-je fait quelques pas, que plus de la moitié du poids de mon corps me parut s’être évaporée pendant mon sommeil; cette sensation intime me frappa plus profondément encore que la métamorphose de la nature déployée sous mes regards.

C’est à peine si j’en croyais mes yeux et mes sens. D’ailleurs, je n’avais plus absolument les mêmes yeux, je n’entendais plus de la même manière, et je m’aperçus même dès ces premiers instants que mon organisation était douée de plusieurs sens nouveaux, tout différents de ceux de notre harpe terrestre, notamment d’un sens magnétique, par lequel on peut se mettre en communication d’un être à l’autre sans qu’il soit nécessaire de traduire ses pensées par des paroles audigibles: ce sens rappelle celui de l’aiguille aimantée qui, du fond d’une cave de l’Observatoire de Paris, frissonne et tressaille quand une aurore boréale s’allume en Sibérie, ou quand une explosion électrique éclate dans le Soleil.

L’astre du jour venait de s’éteindre dans un lac lointain, et les lueurs roses du crépuscule planaient au fond des cieux comme un dernier rêve de la lumière. Deux Lunes s’allumèrent à diverses hauteurs, la première en forme de croissant, au-dessus du lac dans le sein duquel le Soleil avait disparu; la seconde, en forme de premier quartier, beaucoup plus élevée dans le ciel et du côté de l’Orient. Elles étaient très petites et ne rappelaient que de bien loin l’immense flambeau des nuits terrestres. C’est comme à regret qu’elles donnaient leur vive mais faible lumière. Je les regardais tour à tour avec stupéfaction. Le plus étrange peut-être encore, dans toute l’étrangeté de ce spectacle, c’est que la Lune occidentale, qui était environ trois fois plus grosse que sa compagne de l’Est, tout en étant cinq fois moins large que notre Lune terrestre, marchait dans le ciel d’un mouvement très facile à suivre de l’œil, et semblait courir avec vitesse de la droite vers la gauche pour aller rejoindre à l’Orient sa céleste sœur.

On remarquait encore, dans les dernières lueurs du couchant qui s’éteignait, une troisième Lune, ou, pour mieux dire, une brillante étoile. Plus petite que le moindre des deux satellites, elle n’offrait pas de disque sensible; mais sa lumière était éclatante. Elle planait dans le ciel du soir comme Vénus dans notre ciel lorsqu’aux jours de son plus splendide éclat «l’étoile du berger» règne en souveraine sur les indolentes soirées du printemps aux tendres rêves.

Déjà les plus brillantes étoiles s’allumaient dans les cieux; on reconnaissait Arcturus aux rayons d’or, Véga, si blanche et si pure, les sept astres du septentrion, et plusieurs constellations zodiacales. L’étoile du soir, le nouveau Vesper, rayonnait alors dans la constellation des Poissons. Après avoir étudié pendant quelques instants sa situation dans le ciel, m’être orienté moi-même d’après les constellations, avoir examiné les deux satellites et réfléchi à la légèreté de mon propre poids, je ne tardai pas à être convaincu que je me trouvais sur la planète Mars et que cette charmante étoile du soir était… la Terre.

Mes yeux s’arrêtèrent sur elle, imprégnés de ce mélancolique sentiment d’amour qui serre les fibres de notre cœur lorsque notre pensée s’envole vers un être chéri dont une cruelle distance nous sépare; je contemplai longuement cette patrie où tant de sentiments divers se mélangent et se heurtent dans les fluctuations de la vie, et je pensai:

«Combien n’est-il pas regrettable que les innombrables êtres humains qui habitent en ce petit séjour ne sachent pas où ils sont! Elle est charmante, cette minuscule Terre, ainsi éclairée par le Soleil, avec sa Lune plus microscopique encore, qui semble un point à côté d’elle. Portée dans l’invisible par les lois divines de l’attraction, atome flottant dans l’immense harmonie des cieux, elle occupe sa place et plane là-haut comme une île angélique. Mais ses habitants l’ignorent. Singulière humanité! Elle a trouvé la Terre trop vaste, s’est partagée en troupeaux et passe son temps à s’entre-fusiller. Il y a, dans cette île céleste, autant de soldats que d’habitants! ils se sont tous armés les uns contre les autres, quand il eût été si simple de vivre tranquillement, et trouvent glorieux de changer de temps en temps les noms des pays et la couleur des drapeaux. C’est là l’occupation favorite des nations et l’éducation primordiale des citoyens. Hors de là, ils emploient leur existence à adorer la matière. Ils n’apprécient pas la valeur intellectuelle, restent indifférents aux plus merveilleux problèmes de la création et vivent sans but. Quel dommage! Un habitant de Paris qui n’aurait jamais entendu prononcer le nom de cette cité ni celui de la France ne serait pas plus étranger qu’eux dans leur propre patrie. Ah! s’ils pouvaient voir la Terre d’ici, avec quel plaisir ils y reviendraient et combien seraient transformées toutes leurs idées générales et particulières. Alors ils connaîtraient au moins le pays qu’ils habitent; ce serait un commencement; ils étudieraient progressivement les réalités sublimes qui les environnent au lieu de végéter sous un brouillard sans horizon, et bientôt ils vivraient de la véritable vie, de la vie intellectuelle.»

 

«Quel honneur il lui fait! On croirait vraiment qu’il a laissé des amis dans ce bagne-là!»

Je n’avais point parlé. Mais j’entendis fort distinctement cette phrase qui semblait répondre à ma conversation intérieure. Deux habitants de Mars me regardaient, et ils m’avaient compris, en vertu de ce sixième sens de perception magnétique dont il a été question plus haut. Je fus quelque peu surpris, et, l’avouerai-je? sensiblement blessé de l’apostrophe: «Après tout, pensai-je, j’aime la Terre, c’est mon pays, et j’ai du patriotisme!»

Mes deux voisins rirent cette fois-ci tous les deux ensemble.

«Oui, reprit l’un d’eux avec une bonté inattendue, vous avez du patriotisme. On voit bien que vous arrivez de la Terre.»

Et le plus âgé ajouta:

«Laissez-les donc, vos compatriotes, ils ne seront jamais ni plus intelligents ni moins aveugles qu’aujourd’hui. Il y a déjà quatre-vingt mille ans qu’ils sont là. Et, vous l’avouez vous-même, ils ne sont pas encore capables de penser… Vous êtes vraiment admirable de regarder la Terre avec des yeux aussi attendris. C’est trop de naïveté.»

N’avez-vous pas, cher lecteur, rencontré parfois, sur votre passage, de ces hommes tout pénétrés d’un imperturbable orgueil et qui se croient sincèrement et inébranlablement au-dessus de tout le reste du monde? Lorsque ces fiers personnages se trouvent en face d’une supériorité, elle leur est instantanément antipathique: ils ne la supportent pas. Eh bien! pendant le dithyrambe qui précède (et dont vous n’avez eu tout à l’heure qu’une pâle traduction), je me sentais fort supérieur à l’humanité terrestre, puisque je la prenais en pitié et invoquais pour elle de meilleurs jours. Mais quand ces deux habitants de Mars semblèrent me prendre en pitié moi-même, et que je crus reconnaître en eux une froide supériorité sur moi, je fus un instant l’un de ces ineptes orgueilleux; mon sang ne fit qu’un tour, et tout en me contenant par un restant de politesse française, j’ouvris la bouche pour leur dire:

– «Après tout, Messieurs, les habitants de la Terre ne sont pas aussi stupides que vous paraissez le croire et valent peut-être mieux que vous.»

Malheureusement, ils ne me laissèrent même pas commencer ma phrase, attendu qu’ils l’avaient devinée pendant qu’elle se formait par la vibration des moelles de mon cerveau.

«Permettez-moi de vous dire tout de suite, fit le plus jeune, que votre planète est absolument manquée, par suite d’une circonstance qui date d’une dizaine de millions d’années. C’était au temps de la période primaire de la genèse terrestre. Il y avait déjà des plantes, et même des plantes admirables, et dans le fond des mers comme sur les rivages apparaissaient les premiers animaux, les mollusques sans tête, sourds, muets et dépourvus de sexe. Vous savez que la respiration suffit aux arbres pour leur nourriture complète et que vos chênes les plus robustes, vos cèdres les plus gigantesques n’ont jamais rien mangé, ce qui ne les a pas empêchés de grandir. Ils se nourrissent par la respiration seule. Le malheur, la fatalité a voulu qu’un premier mollusque eût le corps traversé par une goutte d’eau plus épaisse que le milieu ambiant. Peut-être la trouva-t-il bonne. Ce fut l’origine du premier tube digestif, qui devait exercer une action si funeste sur l’animalité entière, et plus tard sur l’humanité elle-même. Le premier assassin fut le mollusque qui mangea.

«Ici, on ne mange pas, on n’a jamais mangé, on ne mangera jamais. La création s’est développée graduellement, pacifiquement, noblement, comme elle avait commencé. Les organismes se nourrissent, autrement dit renouvellent leurs molécules, par une simple respiration, comme le font vos arbres terrestres, dont chaque feuille est un petit estomac. Dans votre chère patrie, vous ne pouvez vivre un seul jour qu’à la condition de tuer. Chez vous, la loi de vie, c’est la loi de mort. Ici, il n’est jamais venu à personne l’idée de tuer même un oiseau.

«Vous êtes tous, plus ou moins, des bouchers. Vous avez les bras pleins de sang. Vos estomacs sont gorgés de victuailles. Comment voulez-vous qu’avec des organismes aussi grossiers que ceux-là vous puissiez avoir des idées saines, pures, élevées, – je dirai même (pardonnez ma franchise), des idées propres? Quelles âmes pourraient habiter de pareils corps? Réfléchissez donc un instant, et ne vous bercez plus d’illusions aveugles trop idéales pour un tel monde.»

– «Comment! m’écriai-je en l’interrompant, vous nous refusez la possibilité d’avoir des idées propres? Vous prenez les humains pour des animaux? Homère, Platon, Phidias, Sénèque, Virgile, le Dante, Colomb, Bacon, Galilée, Pascal, Léonard, Raphaël, Mozart, Beethoven, n’ont-ils jamais eu aucune aspiration élevée? Vous trouvez nos corps grossiers et repoussants: si vous aviez vu passer devant vous Hélène, Phryné, Aspasie, Sapho, Cléopâtre, Lucrèce Borgia, Agnès Sorel, Diane de Poitiers, Marguerite de Valois, Borghèse, Talien, Récamier, Georges et leurs admirables rivales, vous penseriez peut-être d’une façon différente. Ah! cher Martien, à mon tour, permettez-moi de regretter que vous ne connaissiez la Terre que de loin.»

– «C’est ce qui vous trompe, j’ai habité cinquante ans ce monde-là. Cela m’a suffi, et je vous assure que je n’y retournerai plus. Tout y est manqué, même… ce qui vous paraît le plus charmant. Vous imaginez-vous que sur toutes les Terres du Ciel les fleurs donnent naissance aux fruits de la même façon? Ne serait-ce pas un peu cruel? Pour moi, j’aime les primevères et les boutons de rose.»

– «Mais, repris-je, cependant, malgré tout, il y a eu de grands esprits sur la Terre, et, vraiment, d’admirables créatures. Ne peut-on se bercer de l’espérance que la beauté physique et morale ira en se perfectionnant de plus en plus, comme elle l’a fait jusqu’ici, et que les intelligences s’éclaireront progressivement? On ne passe pas tout son temps à manger. Les hommes finiront bien, malgré leurs travaux matériels, par consacrer chaque jour quelques heures au développement de leur intelligence. Alors, sans doute, ils ne continueront plus de fabriquer de petits dieux à leur image, et peut-être aussi supprimeront-ils leurs puériles frontières pour laisser régner l’harmonie et la fraternité.»

– «Non, mon ami, car s’ils le voulaient, ils le feraient dès aujourd’hui. Or, ils s’en gardent bien. L’homme terrestre est un petit animal qui, d’une part, n’éprouve pas le besoin de penser, n’ayant même pas l’indépendance de l’âme, et qui, d’autre part, aime se battre et établit carrément le droit sur la force. Tel est son bon plaisir et telle est sa nature. Vous ne ferez jamais porter de pêches à un buisson d’épines.

«Songez donc que les plus délicieuses beautés terrestres auxquelles vous faisiez allusion tout à l’heure ne sont que des monstres grossiers à côté de nos aériennes femmes de Mars, qui vivent de l’air de nos printemps, des parfums de nos fleurs, et sont si voluptueuses, dans le seul frémissement de leurs ailes, dans l’idéal baiser d’une bouche qui ne mangea jamais, que si la Béatrix du Dante avait été d’une telle nature, jamais l’immortel Florentin n’eût pu écrire deux chants de sa Divine Comédie: il eût commencé par le Paradis et n’en fût jamais descendu. Songez que nos adolescents ont autant de science innée que Pythagore, Archimède, Euclide, Kepler, Newton, Laplace et Darwin après toutes leurs laborieuses études: nos douze sens nous mettent en communication directe avec l’univers; nous sentons d’ici, à cent millions de lieues, l’attraction de Jupiter qui passe; nous voyons à l’œil nu les anneaux de Saturne; nous devinons l’arrivée d’une comète, et notre corps est imprégné de l’électricité solaire qui met en vibration toute la nature. Il n’y a jamais eu ici ni fanatisme religieux, ni bourreaux, ni martyrs, ni divisions internationales, ni guerres; mais, dès ses premiers jours, l’humanité, naturellement pacifique et affranchie de tout besoin matériel, a vécu indépendante de corps et d’esprit, dans une constante activité intellectuelle, s’élevant sans arrêt dans la connaissance de la Vérité. Mais venez plutôt jusqu’ici.»

Je fis quelques pas avec mes interlocuteurs sur le sommet de la montagne, et arrivant en vue de l’autre versant, j’aperçus une multitude de lumières de diverses nuances voltigeant dans les airs. C’étaient les habitants qui, la nuit, deviennent lumineux quand ils le veulent. Des chars aériens, paraissant formés de fleurs phosphorescentes, conduisaient des orchestres et des chœurs; l’un d’eux vint à passer près de nous et nous prîmes place au milieu d’un nuage de parfums. Les sensations que j’éprouvais étaient singulièrement étrangères à toutes celles que j’avais goûtées sur la Terre, et cette première nuit sur Mars passa comme un rêve rapide, car à l’aurore je me trouvais encore dans le char aérien, discourant avec mes interlocuteurs, leurs amis et leurs indéfinissables compagnes. Quel panorama au lever du soleil! Fleurs, fruits, parfums, palais féeriques s’élevaient sur des îles à la végétation orangée, les eaux s’étendaient en limpides miroirs, et de joyeux couples aériens descendaient en tourbillonnant sur ces rivages enchanteurs. Là, tous les travaux matériels sont accomplis par des machines et dirigés par quelques races animales perfectionnées, dont l’intelligence est à peu près du même ordre que celle des humains de la Terre. Les habitants ne vivent que par l’esprit et pour l’esprit; leur système nerveux est parvenu à un tel degré de développement, que chacun de ces êtres, à la fois très délicat et très fort, semble un appareil électrique, et que leurs impressions les plus sensuelles, ressenties bien plus par leurs âmes que par leurs corps, surpassent au centuple toutes celles que nos cinq sens terrestres réunis peuvent jamais nous offrir… Une sorte de palais d’été, illuminé par les rayons du soleil levant, s’ouvrait au-dessous de notre gondole aérienne. Ma voisine, dont les ailes frémissaient d’impatience, posa son pied délicat sur une touffe de fleurs qui s’élevait entre deux jets de parfums. – «Retourneras-tu sur la Terre?» dit-elle en me tendant les bras.

– «Jamais!» m’écriai-je… Et je m’élançai vers elle…

Mais, du même coup, je me retrouvai, solitaire, près de mon bois, sur le versant de la colline au pied de laquelle serpentait la Seine aux replis onduleux.

Jamais!.. répétai-je, cherchant à ressaisir le doux rêve envolé. Où donc étais-je? C’était beau.

Le soleil venait de se coucher, et déjà la planète Mars, alors très éclatante, s’allumait dans le ciel.

«Ah! fis-je, traversé par une lueur fugitive, j’étais là! Bercées par la même attraction, les deux planètes voisines se regardent à travers l’espace transparent. N’aurions-nous pas, dans cette fraternité céleste, une première image de l’éternel voyage? La Terre n’est plus seule au monde. Les panoramas de l’infini commencent à s’ouvrir. Que nous habitions ici ou à côté, nous sommes, non les citoyens d’un pays ou d’un monde, mais, en vérité, les citoyens du Ciel.»