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Uranie

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«Mais il n’y a pas à désespérer tout à fait. Le progrès vous emporte malgré vous. Un jour aussi vous saurez que vous êtes citoyens du ciel. Alors vous vivrez dans la lumière, dans le savoir, dans le véritable monde de l’esprit.»

Tandis que l’habitant de Mars me faisait ainsi connaître les traits principaux de sa nouvelle patrie, le globe terrestre avait tourné vers l’orient, l’horizon s’était incliné, et la Lune s’était élevée graduellement dans le ciel qu’elle illuminait de son éclat. Tout à coup, en abaissant mes yeux vers la place où Spero était assis, je ne pus réprimer un mouvement de surprise. Le clair de lune répandait sa lumière sur sa personne aussi bien que sur la mienne, et pourtant, tandis que mon corps portait ombre sur le parapet, le sien restait sans ombre!

Je me levai brusquement pour mieux vérifier le fait et je me tournai aussitôt en étendant la main jusqu’à son épaule et en suivant sur le parapet la silhouette de mon geste. Mais, instantanément, mon visiteur avait disparu. J’étais absolument seul, sur la tour silencieuse. Ma silhouette, très noire, se projetait nettement sur le parapet. La Lune était brillante. Le village dormait à mes pieds. L’air était tiède et sans brises.

Cependant il me sembla entendre des pas. Je prêtai l’oreille, et j’entendis en effet des pas assez lourds et se rapprochant de moi. Évidemment on montait dans la tour.

«Monsieur n’est pas encore descendu? fit le gardien en arrivant au sommet. J’attendais toujours pour fermer les portes, et il me semblait bien que les expériences étaient finies.»

IV
LE POINT FIXE DANS L’UNIVERS

Le souvenir d’Uranie, du voyage céleste dans lequel elle m’avait transporté, des vérités qu’elle m’avait fait pressentir, l’histoire de Spero, de ses combats à la poursuite de l’absolu, son apparition, son récit d’un autre monde, ne cessaient d’occuper ma pensée et de replacer perpétuellement devant mon esprit les mêmes problèmes, en partie résolus, en partie voilés dans l’incertitude de nos sciences. Je sentais que graduellement je m’étais élevé dans la perception de la vérité et que vraiment l’univers visible n’est qu’une apparence qu’il faut traverser pour parvenir à la réalité.

Tout n’est qu’illusion dans le témoignage de nos sens. La Terre n’est point ce qu’elle nous paraît être, la nature n’est pas ce que nous croyons.

Dans l’univers physique lui-même, où est le point fixe sur lequel la création matérielle est en équilibre?

L’impression directe et naturelle donnée par l’observation de la nature est que nous habitons à la surface d’une Terre solide, stable, fixe au centre de l’univers. Il a fallu de longs siècles d’études et une audacieuse témérité d’esprit pour arriver à s’affranchir de cette impression naturelle et à reconnaître que le monde où nous sommes est isolé dans l’espace, sans soutien d’aucune sorte, en mouvement rapide sur lui-même et autour du Soleil. Mais, pour les siècles antérieurs à l’analyse scientifique, pour les peuples primitifs, et encore aujourd’hui pour les trois quarts du genre humain, nous avons les pieds appuyés sur une terre solide, fixée à la base de l’univers, et dont les fondements doivent s’étendre jusqu’à l’infini dans les profondeurs.

Du jour, cependant, où il fut reconnu que c’est le même Soleil qui se couche et se lève tous les jours, que c’est la même Lune, que ce sont les mêmes étoiles, les mêmes constellations qui tournent autour de nous, on fut par cela même conduit à admettre, avec une incontestable certitude, qu’il y a au-dessous de la Terre la place vide nécessaire pour laisser passer tous les astres du firmament, depuis leur coucher jusqu’à leur lever. Cette première reconnaissance était d’un poids capital. L’admission de l’isolement de la Terre dans l’espace a été la première grande conquête de l’Astronomie. C’était le premier pas, et le plus difficile, en vérité. Songez donc! Supprimer les fondations de la Terre! Une telle idée n’aurait jamais germé dans aucun cerveau sans l’observation des astres, sans la transparence de l’atmosphère, par exemple. Sous un ciel perpétuellement nuageux, la pensée humaine restait fixée au sol terrestre comme l’huître au rocher.

Une fois la Terre isolée dans l’espace, le premier pas était fait. Avant cette révolution, dont la portée philosophique égale la valeur scientifique, toutes les formes avaient été imaginées pour notre séjour sublunaire. Et d’abord, on avait considéré la Terre comme une île émergeant au-dessus d’un océan sans bornes, cette île ayant des racines infinies. Ensuite, on avait supposé à la Terre entière, avec ses mers, la forme d’un disque plat, circulaire, tout autour duquel venait s’appuyer la voûte du firmament. Plus tard, on lui avait imaginé des formes cubiques, cylindriques, polyédriques, etc. Cependant les progrès de la navigation tendaient à révéler sa nature sphérique et, lorsque son isolement fut reconnu avec ses témoignages incontestables, cette sphéricité fut admise comme un corollaire naturel de cet isolement et du mouvement circulaire des sphères célestes autour du globe supposé central.

Le globe terrestre dès lors reconnu isolé dans le vide, le remuer n’était plus difficile. Jadis, lorsque le Ciel était regardé comme un dôme couronnant la Terre massive et indéfinie, l’idée même de la supposer en mouvement eût été aussi absurde qu’insoutenable. Mais du jour où nous la voyons, en esprit, placée comme un globe au centre des mouvements célestes, l’idée d’imaginer que, peut-être, ce globe pourrait tourner sur lui-même pour éviter au Ciel entier, à l’univers immense, l’obligation d’accomplir cette opération quotidienne, peut venir naturellement à l’esprit du penseur; et en effet, nous voyons l’hypothèse de la rotation diurne du globe terrestre se faire jour dans les anciennes civilisations, chez les Grecs, chez les Égyptiens, chez les Indiens, etc. Il suffit de lire quelques chapitres de Ptolémée, de Plutarque, du Surya-Siddhanta, pour se rendre compte de ces tentatives. Mais cette nouvelle hypothèse, quoique ayant été préparée par la première, n’en était pas moins audacieuse, et contraire au sentiment né de la contemplation directe de la nature. L’humanité pensante a dû attendre jusqu’au seizième siècle de notre ère, ou, pour mieux dire, jusqu’au dix-septième siècle, pour connaître la véritable position de notre planète dans l’univers et savoir, avec témoignages à l’appui, qu’elle se meut d’un double mouvement, quotidiennement sur elle-même, annuellement autour du Soleil. A dater de cette époque seulement, à dater de Copernic, Galilée, Kepler et Newton, l’Astronomie réelle a été fondée.

Ce n’était pourtant là encore qu’un commencement, car le grand rénovateur du système du monde, Copernic lui-même, ne se doutait ni des autres mouvements de la Terre ni des distances des étoiles. Ce n’est qu’en notre siècle que les premières distances d’étoiles ont pu être mesurées, et ce n’est que de nos jours que les découvertes sidérales nous ont offert les données nécessaires pour nous permettre d’essayer de nous rendre compte des forces qui maintiennent l’équilibre de la Création.

L’idée antique des racines sans fin attribuées à la Terre laissait évidemment beaucoup à désirer aux esprits soucieux d’aller au fond des choses. Il nous est absolument impossible de concevoir un pilier matériel, aussi épais et aussi large qu’on le voudra (du diamètre de la Terre, par exemple), s’enfonçant jusqu’à l’infini, de même qu’on ne peut pas admettre l’existence réelle d’un bâton qui n’aurait qu’un bout. Aussi loin que notre esprit descende vers la base de ce pilier matériel, il arrive un point où il en voit la fin. On avait dissimulé la difficulté en matérialisant la sphère céleste et en posant la Terre dedans, occupant toute sa région inférieure. Mais, d’une part, les mouvements des astres devenaient difficiles à justifier, et, d’autre part, cet univers matériel lui-même, enfermé dans un immense globe de cristal, n’était tenu par rien, puisque l’infini devait s’étendre tout autour, au-dessous de lui aussi bien qu’au-dessus. Les esprits chercheurs durent d’abord s’affranchir de l’idée vulgaire de la pesanteur.

Isolée dans l’espace, comme un ballon d’enfant flottant dans l’air, et plus absolument encore, puisque le ballon est porté par les vagues aériennes, tandis que les mondes gravitent dans le vide, la Terre est un jouet pour les forces cosmiques invisibles auxquelles elle obéit, véritable bulle de savon sensible au moindre souffle. Nous pouvons, du reste, en juger facilement en envisageant sous un même coup d’œil d’ensemble les onze mouvements principaux dont elle est animée. Peut-être nous aideront-ils à trouver ce «point fixe» que réclame notre ambition philosophique.

Lancée autour du Soleil, à la distance de 37 millions de lieues, et parcourant, à cette distance, sa révolution annuelle autour de l’astre lumineux, elle court par conséquent à la vitesse de 643 000 lieues par jour, soit 26 800 lieues à l’heure ou 29 450 mètres par seconde. Cette vitesse est onze cents fois plus rapide que celle d’un train-éclair lancé au taux de 100 kilomètres à l’heure.

C’est un boulet courant avec une rapidité soixante-quinze fois supérieure à celle d’un obus, courant incessamment et sans jamais atteindre son but. En 365 jours 6 heures 9 minutes 10 secondes, le projectile terrestre est revenu au même point de son orbite relativement au Soleil, et continue de courir. Le Soleil, de son côté, se déplace dans l’espace, suivant une ligne oblique au plan du mouvement annuel de la Terre, ligne dirigée vers la constellation d’Hercule. Il en résulte qu’au lieu de décrire une courbe fermée, la Terre décrit une spirale, et n’est jamais passée deux fois par le même chemin depuis qu’elle existe. A son mouvement de révolution annuelle autour du Soleil s’ajoute donc perpétuellement, comme deuxième mouvement, celui du Soleil lui-même, qui l’entraîne, avec tout le système solaire, dans une chute oblique vers la constellation d’Hercule.

 

Pendant ce temps-là, notre globule pirouette sur lui-même en vingt-quatre heures et nous donne la succession quotidienne des jours et des nuits. Rotation diurne: troisième mouvement.

Il ne tourne pas sur lui-même droit comme une toupie qui serait verticale sur une table, mais incliné, comme chacun sait, de 23°27′. Cette inclinaison n’est pas stable non plus: elle varie d’année en année, de siècle en siècle, oscillant lentement, par périodes séculaires; c’est là un quatrième genre de mouvement.

L’orbite que notre planète parcourt annuellement autour du Soleil n’est pas circulaire, mais elliptique. Cette ellipse varie aussi elle-même d’année en année, de siècle en siècle; tantôt elle se rapproche de la circonférence d’un cercle, tantôt elle s’allonge jusqu’à une forte excentricité. C’est comme un cerceau élastique que l’on déformerait plus ou moins. Cinquième complication aux mouvements de la Terre.

Cette ellipse-là elle-même n’est pas fixe dans l’espace, mais tourne dans son propre plan en une période de 21 000 ans. Le périhélie, qui, au commencement de notre ère, était à 65 degrés de longitude à partir de l’équinoxe de printemps, est maintenant à 101 degrés. Ce déplacement séculaire de la ligne des apsides apporte une sixième complication aux mouvements de notre séjour.

En voici maintenant une septième. Nous avons dit tout à l’heure que l’axe de rotation de notre globe est incliné, et chacun sait que le prolongement idéal de cet axe aboutit vers l’étoile polaire. Cet axe lui-même n’est pas fixe: il tourne en 25 765 ans, en gardant son inclinaison de 22 à 24 degrés; de sorte que son prolongement décrit sur la sphère céleste, autour du pôle de l’écliptique, un cercle de 44 à 48 degrés de diamètre, suivant les époques. C’est par suite de ce déplacement du pôle que Véga deviendra étoile polaire dans douze mille ans, comme elle l’a été il y a quatorze mille ans. Septième genre de mouvement.

Un huitième mouvement, dû à l’action de la Lune sur le renflement équatorial de la Terre, celui de la nutation, fait décrire au pôle de l’équateur une petite ellipse en 18 ans et 8 mois.

Un neuvième, dû également à l’attraction de notre satellite, change incessamment la position du centre de gravité du globe et la place de la Terre dans l’espace: quand la Lune est en avant de nous, elle accélère la marche du globe; quand elle est en arrière, elle nous retarde, au contraire, comme un frein: complication mensuelle qui vient encore s’ajouter à toutes les précédentes.

Lorsque la Terre passe entre le Soleil et Jupiter, l’attraction de celui-ci, malgré sa distance de 155 millions de lieues, la fait dévier de 2′10″ au delà de son orbite absolue. L’attraction de Vénus la fait dévier de 1′25″ en deçà. Saturne et Mars agissent aussi, mais plus faiblement. Ce sont là des perturbations extérieures qui constituent un dixième genre de corrections à ajouter aux mouvements de notre esquif céleste.

L’ensemble des planètes pesant environ la sept centième partie du poids du Soleil, le centre de gravité autour duquel la Terre circule annuellement n’est jamais au centre même du Soleil, mais loin de ce centre et souvent même en dehors du globe solaire. Or, absolument parlant, la Terre ne tourne pas autour du Soleil, mais les deux astres, Soleil et Terre, tournent autour de leur centre commun de gravité. Le centre du mouvement annuel de notre planète change donc constamment de place, et nous pouvons ajouter cette onzième complication à toutes les précédentes.

Nous pourrions même en ajouter beaucoup d’autres encore; mais ce qui précède suffit pour faire apprécier le degré de légèreté, de subtilité, de notre île flottante, soumise, comme on le voit, à toutes les fluctuations des influences célestes. L’analyse mathématique pénètre fort loin au delà de cet exposé sommaire: à la Lune seule, qui semble tourner si tranquillement autour de nous, elle a découvert plus de soixante causes distinctes de mouvements différents!

L’expression n’est donc pas exagérée: notre planète n’est qu’un jouet pour les forces cosmiques qui la conduisent dans les champs du ciel, et il en est de même de tous les mondes et de tout ce qui existe dans l’univers. La matière obéit docilement à la force.

Où donc est le point fixe sur lequel nous ambitionnons de nous appuyer?

En fait, notre planète, autrefois supposée à la base du monde, est soutenue à distance par le Soleil, qui la fait graviter autour de lui avec une vitesse correspondante à cette distance. Cette vitesse, causée par la masse solaire elle-même, maintient notre planète à la même distance moyenne de l’astre central: une vitesse moindre ferait dominer la pesanteur et amènerait la chute de la Terre dans le Soleil; une vitesse plus grande, au contraire, éloignerait progressivement et infiniment notre planète du foyer qui la fait vivre. Mais par la vitesse résultant de la gravitation, notre séjour errant demeure soutenu dans une stabilité permanente. De même la Lune est soutenue dans l’espace par la force de gravité de la Terre, qui la fait circuler autour d’elle avec la vitesse requise pour la maintenir constamment à la même distance moyenne. La Terre et la Lune forment ainsi dans l’espace un couple planétaire qui se soutient dans un équilibre perpétuel sous la domination suprême de l’attraction solaire. Si la Terre existait seule au monde, elle demeurerait éternellement immobile au point du vide infini où elle aurait été placée, sans jamais pouvoir ni descendre, ni monter, ni changer de position de quelque façon que ce fût, ces expressions mêmes, descendre, monter, gauche ou droite n’ayant aucun sens absolu. Si cette même Terre, tout en existant seule, avait reçu une impulsion quelconque, avait été lancée avec une vitesse quelconque dans une direction quelconque, elle fuirait éternellement en ligne droite dans cette direction, sans jamais pouvoir ni s’arrêter, ni se ralentir, ni changer de mouvement. Il en serait encore de même si la Lune existait seule avec elle: elles tourneraient toutes deux autour de leur centre commun de gravité, accomplissant leur destinée dans le même lieu de l’espace, en fuyant ensemble suivant la direction vers laquelle elles auraient été projetées. Le Soleil existant et étant le centre de son système, la Terre, toutes les planètes et tous leurs satellites dépendent de lui et ont leur destinée irrévocablement liée à la sienne.

Le point fixe que nous cherchons, la base solide que nous semblons désirer pour assurer la stabilité de l’univers, est-ce donc dans ce globe si colossal et si lourd du Soleil que nous les trouverons?

Assurément non, puisque le Soleil lui-même n’est pas en repos, puisqu’il nous emporte avec tout son système vers la constellation d’Hercule.

Notre soleil gravite-t-il autour d’un soleil immense dont l’attraction s’étendrait jusqu’à lui et régirait ses destinées comme il régit celle des planètes? Les investigations de l’Astronomie sidérale conduisent-elles à penser que, dans une direction située à angle droit de notre marche vers Hercule, puisse exister un astre d’une telle puissance? Non. Notre soleil subit les attractions sidérales; mais aucune ne paraît dominer toutes les autres et régner en souveraine sur notre astre central.

Quoiqu’il soit parfaitement admissible, ou pour mieux dire certain, que le soleil le plus proche du nôtre, l’étoile Alpha du Centaure, et notre propre soleil, ressentent leur attraction mutuelle, cependant on ne saurait considérer ces deux astres comme formant un couple analogue à ceux des étoiles doubles, d’abord parce que tous les systèmes d’étoiles doubles connus sont composés d’étoiles beaucoup plus proches l’une de l’autre, ensuite parce que, dans l’immensité de l’orbite décrite suivant cette hypothèse, les attractions des étoiles voisines ne sauraient être considérées comme demeurant sans influence, enfin parce que les vitesses réelles dont ces deux soleils sont animés sont beaucoup plus grandes que celles qui résulteraient de leur attraction mutuelle.

La petite constellation de Persée, notamment, pourrait bien exercer une action plus puissante que celle des Pléiades ou que tout autre assemblage d’étoiles et être le point fixe, le centre de gravité des mouvements de notre soleil, de Alpha du Centaure et des étoiles voisines, attendu que les amas de Persée se trouvent non seulement à angle droit avec la tangente de notre translation vers Hercule, mais encore dans le grand cercle des étoiles principales, et précisément à l’intersection de ce cercle avec la Voie lactée. Mais ici intervient un autre facteur, plus important que tous les précédents, cette Voie lactée, avec ses dix-huit millions de soleils, dont il serait assurément audacieux de chercher le centre de gravité.

Mais qu’est-ce encore que la Voie lactée tout entière devant les milliards d’étoiles que notre pensée contemple au sein de l’univers sidéral? Cette Voie lactée ne se déplace-t-elle pas elle-même comme un archipel d’îles flottantes? Chaque nébuleuse résoluble, chaque amas d’étoiles n’est-il pas une Voie lactée en mouvement sous l’action de la gravitation des autres univers qui l’appellent et la sollicitent à travers la nuit infinie?

D’étoiles en étoiles, de systèmes en systèmes, de plages en plages, notre pensée se trouve transportée en présence des grandeurs insondables, en face des mouvements célestes dont on a commencé à évaluer la vitesse, mais qui surpassent déjà toute conception. Le mouvement propre annuel du soleil Alpha du Centaure surpasse 188 millions de lieues par an. Le mouvement propre de la 61e du Cygne (second soleil dans l’ordre des distances) équivaut à 370 millions de lieues par an ou 1 million de lieues par jour environ. L’étoile Alpha du Cygne arrive sur nous en droite ligne avec une vitesse de 500 millions de lieues par an. Le mouvement propre de l’étoile 1830 du Catalogue de Groombridge s’élève à 2590 millions de lieues par an, ce qui représente 7 millions de lieues par jour, 115 000 kilomètres à l’heure ou 320 000 mètres par seconde!.. Ce sont là des estimations minima, attendu que nous ne voyons certainement pas de face, mais obliquement, les déplacements stellaires ainsi mesurés.

Quels projectiles! Ce sont des soleils, des milliers et des millions de fois plus lourds que la Terre, lancés à travers les vides insondables avec des vitesses ultra-vertigineuses, circulant dans l’immensité sous l’influence de la gravitation de tous les astres de l’univers. Et ces millions, et ces milliards de soleils, de planètes, d’amas d’étoiles, de nébuleuses, de mondes qui commencent, de mondes qui finissent, se précipitent avec des vitesses analogues, vers des buts qu’ils ignorent, avec une énergie, une intensité d’action devant lesquelles la poudre et la dynamite sont des souffles d’enfants au berceau.

Et ainsi, tous ils courent, pour l’éternité peut-être, sans jamais pouvoir se rapprocher des limites inexistantes de l’infini… Partout le mouvement, l’activité, la lumière et la vie. Heureusement, sans doute. Si tous ces innombrables soleils, planètes, terres, lunes, comètes, étaient fixes, immobiles, rois pétrifiés dans leurs éternels tombeaux, combien plus formidable encore, mais plus lamentable, serait l’aspect d’un tel univers! Voyez-vous toute la Création arrêtée, figée, momifiée! Une telle idée n’est-elle pas insoutenable, et n’a-t-elle pas quelque chose de funèbre?

Et qui cause ces mouvements? qui les entretient? qui les régit? La gravitation universelle, la force invisible, à laquelle l’univers visible (ce que nous appelons matière) obéit. Un corps attiré de l’infini par la Terre atteindrait une vitesse de 11 300 mètres par seconde; de même un corps lancé de la Terre avec cette vitesse ne retomberait jamais. Un corps attiré de l’infini par le Soleil atteindrait une vitesse de 608 000 mètres; de même un corps lancé par le Soleil avec cette vitesse ne reviendrait jamais à son point de départ. Des amas d’étoiles peuvent déterminer des vitesses beaucoup plus considérables encore, mais qui s’expliquent par la théorie de la gravitation. Il suffit de jeter les yeux sur une carte des mouvements propres des étoiles pour se rendre compte de la variété de ces mouvements et de leur grandeur.

Ainsi, les étoiles, les soleils, les planètes, les mondes, les comètes, les étoiles filantes, les uranolithes, en un mot tous les corps constitutifs de ce vaste univers reposent non sur des bases solides, comme semblait l’exiger la conception primitive et enfantine de nos pères, mais sur les forces invisibles et immatérielles qui régissent leurs mouvements. Ces milliards de corps célestes ont leurs mouvements respectifs pour cause de stabilité et s’appuient mutuellement les uns sur les autres à travers le vide qui les sépare. L’esprit qui saurait faire abstraction du temps et de l’espace verrait la Terre, les planètes, le Soleil, les étoiles, pleuvoir d’un ciel sans limites, dans toutes les directions imaginables, comme des gouttes emportées par les tourbillons d’une gigantesque tempête et attirées non par une base, mais par l’attraction de chacune et de toutes; chacune de ces gouttes cosmiques, chacun de ces mondes, chacun de ces soleils est emporté par une vitesse si rapide que le vol des boulets de canon n’est que repos en comparaison: ce n’est ni cent, ni cinq cents, ni mille mètres par seconde, c’est dix mille, vingt mille, cinquante mille, cent mille et même deux ou trois cent mille mètres par seconde!

 

Comment des rencontres n’arrivent-elles pas au milieu de pareils mouvements? Peut-être s’en produit-il: les «étoiles temporaires» qui semblent renaître de leurs cendres, paraîtraient l’indiquer. Mais, en fait, des rencontres ne pourraient que difficilement se produire, parce que l’espace est immense relativement aux dimensions des corps célestes, et parce que le mouvement dont chaque corps est animé l’empêche précisément de subir passivement l’attraction d’un autre corps et de tomber sur lui: il garde son mouvement propre, qui ne peut être détruit, et glisse autour du foyer qui l’attire comme un papillon qui obéirait à l’attraction d’une flamme sans s’y brûler. D’ailleurs, absolument parlant, ces mouvements ne sont pas «rapides».

En effet, tout cela court, vole, tombe, roule, se précipite à travers le vide, mais à de telles distances respectives que tout paraît en repos! Si nous voulions placer en un cadre de la dimension de Paris les astres dont la distance a été mesurée jusqu’à ce jour, l’étoile la plus proche serait placée à 2 kilomètres du Soleil, dont la Terre serait éloignée à 1 centimètre, Jupiter à 5 centimètres et Neptune à 30. La 61e du Cygne serait à 4 kilomètres, Sirius à 10 kilomètres, l’étoile polaire à 27 kilomètres, etc., et l’immense majorité des étoiles resterait au delà du département de la Seine. Eh bien, en animant tous ces projectiles de leurs mouvements relatifs, la Terre devrait employer une année à parcourir son orbite d’un centimètre de rayon, Jupiter douze ans à parcourir la sienne de cinq centimètres, et Neptune, cent soixante-cinq ans. Les mouvements propres du Soleil et des étoiles seraient du même ordre. C’est dire que tout paraîtrait en repos, même au microscope. Uranie règne avec calme et sérénité dans l’immensité de l’univers.

Or, la constitution de l’univers sidéral est l’image de celle des corps que nous appelons matériels. Tout corps, organique ou inorganique, homme, animal, plante, pierre, fer, bronze, est composé de molécules en mouvement perpétuel et qui ne se touchent pas. Ces molécules sont elles-mêmes composées d’atomes qui ne se touchent pas. Chacun de ces atomes est infiniment petit et invisible, non seulement aux yeux, non seulement au microscope, mais même à la pensée, puisqu’il est possible que ces atomes ne soient que des centres de forces. On a calculé que dans une tête d’épingle il n’y a pas moins de huit sextillions d’atomes, soit huit mille milliards de milliards, et que dans 1 centimètre cube d’air il n’y a pas moins d’un sextillion de molécules. Tous ces atomes, toutes ces molécules sont en mouvement sous l’influence des forces qui les régissent, et, relativement à leurs dimensions, de grandes distances les séparent. Nous pouvons même penser qu’il n’y a en principe qu’un genre d’atomes, et que c’est le nombre des atomes primitifs, essentiellement simples et homogènes, leurs modes d’arrangements et leurs mouvements qui constituent la diversité des molécules: une molécule d’or, de fer, ne différerait d’une molécule de soufre, d’oxygène, d’hydrogène, etc., que par le nombre, la disposition et le mouvement des atomes primitifs qui la composent; chaque molécule serait un système, un microcosme.

Mais, quelle que soit l’idée que l’on se fasse de la constitution intime des corps, la vérité aujourd’hui reconnue et désormais incontestable est que le point fixe cherché par notre imagination n’existe nulle part. Archimède peut réclamer en vain un point d’appui pour soulever le monde. Les mondes comme les atomes reposent sur l’invisible, sur la force immatérielle; tout se meut, sollicité par l’attraction et comme à la recherche de ce point fixe qui se dérobe à mesure qu’on le poursuit, et qui n’existe pas, puisque dans l’infini le centre est partout et nulle part. Les esprits prétendus positifs, qui affirment avec tant d’assurance que «la matière règne seule avec ses propriétés», et qui sourient dédaigneusement des recherches des penseurs, devraient d’abord nous dire ce qu’ils entendent par ce fameux mot de «matière». S’ils ne s’arrêtaient pas à la superficie des choses, s’ils soupçonnaient que les apparences cachent des réalités intangibles, ils seraient sans doute un peu plus modestes.

Pour nous, qui cherchons la vérité sans idées préconçues et sans esprit de système, il nous semble que l’essence de la matière reste aussi mystérieuse que l’essence de la force, l’univers visible n’étant point du tout ce qu’il paraît être à nos sens. En fait, cet univers visible est composé d’atomes invisibles; il repose sur le vide, et les forces qui le régissent sont en elles-mêmes immatérielles et invisibles. Il serait moins hardi de penser que la matière n’existe pas, que tout est dynamisme, que de prétendre affirmer l’existence d’un univers exclusivement matériel. Quant au soutien matériel du monde, il a disparu, remarque assez piquante, précisément avec les conquêtes de la Mécanique, qui proclament le triomphe de l’invisible. Le point fixe s’évanouit dans l’universelle pondération des pouvoirs, dans l’idéale harmonie des vibrations de l’éther; plus on le cherche, moins on le trouve; et le dernier effort de notre pensée a pour dernier appui, pour suprême réalité, l’infini.