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Le Bossu Volume 6

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IV
– Vieilles connaissances. —

Nous sommes bien forcé de dire au lecteur ce que M. de Peyrolles venait faire dans la prison de Cocardasse et de Passepoil, car cet habile homme n'eut pas le temps d'exposer lui-même les motifs de sa présence.

Nos deux braves devaient comparaître comme témoins devant la chambre ardente du Châtelet. Ce n'était pas le compte de M. de Gonzague. Peyrolles avait charge de leur faire des propositions si éblouissantes, que leurs consciences n'y pussent tenir: mille pistoles à chacun d'un seul coup, espèces sonnantes et payées d'avance, non pas même pour accuser Lagardère, mais pour dire seulement qu'ils n'étaient pas aux environs de Caylus la nuit du meurtre.

Dans l'idée de Gonzague, la négociation était d'autant plus sûre, que Cocardasse et Passepoil ne devaient pas être très-pressés d'avouer leur présence en ce lieu.

Voici maintenant comme quoi M. de Peyrolles n'eut point le loisir de montrer ses talents diplomatiques.

La tête goguenarde du petit marquis avait soulevé le pourpoint de Passepoil, tandis que Peyrolles, occupé à observer les mouvements de nos deux braves, tournait le dos au tas de paille. Le petit marquis cligna de l'œil et fit un signe à ses alliés. Ceux-ci se rapprochèrent tout doucement.

– Apapur! dit Cocardasse en montrant du doigt l'ouverture du plafond; c'est un peu leste de mettre deux gentilshommes dans un cachot si mal couvert.

– Plus on va, fit observer Passepoil avec modération, moins on respecte les convenances.

– Mes camarades! s'écria Peyrolles qui prenait de l'inquiétude à les voir s'approcher ainsi, l'un à droite et l'autre à gauche, pas de mauvais tours!.. si vous me forcez à tirer l'épée…

– Fi donc! soupira Passepoil; tirer l'épée contre nous!

– Des gens désarmés! appuya Cocardasse.

Ils avançaient toujours, néanmoins. Peyrolles, avant d'appeler, ce qui eût rompu sa négociation, voulut joindre le geste à la parole. Il mit la main à la garde de son épée en disant:

– Qu'y a-t-il, voyons, mes enfants?.. Vous avez essayé de vous évader par ce trou là-haut en faisant la courte échelle et vous n'avez pas pu… Halte-là! s'interrompit-il; un pas de plus et je dégaine!

Il y avait une autre main que la sienne à la garde de son épée: Cette autre main, blanchette et garnie de dentelles fripées, appartenait à M. le marquis de Chaverny.

Celui-ci était parvenu à sortir de sa cachette. Il se tenait derrière Peyrolles.

L'épée du factotum glissa tout à coup entre ses doigts, et Chaverny, le saisissant au collet, lui mit la pointe sur la gorge.

– Un mot et tu es mort, drôle! dit-il à voix basse.

L'écume vint aux lèvres de Peyrolles, mais il se tut.

Cocardasse et Passepoil, à l'aide de leurs cravates, le garrottèrent en moins de temps que nous ne mettons à l'écrire.

– Et maintenant? dit Cocardasse au petit marquis.

– Maintenant, répliqua celui-ci, toi à droite de la porte… ce bon garçon à gauche… et quand les deux gardiens vont entrer, les deux mains au nœud de la gorge!

– Ils vont donc entrer? demanda Cocardasse.

– A vos postes seulement… Voici M. de Peyrolles qui va servir d'appeau.

Les deux braves coururent se coller à la muraille, l'un à droite, l'autre à gauche.

Chaverny, la pointe de l'épée au menton de Peyrolles, lui ordonna de crier à l'aide.

Peyrolles cria. Et tout aussitôt les deux gardiens de se ruer dans le cachot.

Passepoil eut le porte-clefs, Cocardasse eut l'autre. Tous deux râlèrent sourdement, puis se turent, étranglés à demi.

Chaverny ferma la porte du cachot, tira des poches du porte-clefs un paquet de cordes et leur fit à tous deux des menottes.

– Apapur! lui dit Cocardasse, je n'ai jamais vu de marquis aussi gentil que vous, non!..

Passepoil joignit ses félicitations plus calmes à celles de son noble ami.

Mais Chaverny était pressé.

– En besogne! s'écria-t-il; nous ne sommes pas encore sur le pavé de Paris… Gascon, mets le porte-clefs nu comme un ver, et revêts sa dépouille… Toi, l'ami, fais de même pour le gardien…

Cocardasse et Passepoil se regardèrent:

– Voici un cas qui m'embarrasse, dit le premier en se grattant l'oreille; sandiéou!.. je ne sais pas s'il convient à des gentilshommes…

– Je vais bien mettre l'habit du plus honteux maraud que je connaisse, moi! s'écria Chaverny en arrachant le splendide pourpoint de Peyrolles.

– Mon noble ami, risqua Passepoil; hier, nous avons endossé…

Cocardasse l'interrompit d'un geste terrible:

– La paix! Pécaïre! fit-il; je t'ordonne d'oublier cette circonstance pénible… D'ailleurs, c'était pour le service de lou petit couquin…

– C'est encore pour son service aujourd'hui…

Cocardasse poussa un profond soupir en dépouillant le porte-clefs qui avait un bâillon dans la bouche. Frère Passepoil en fit autant du gardien, et la toilette de nos deux braves fut bientôt achevée. Certes, depuis le temps de Jules-César, qui fut, dit-on, le premier fondateur de cette antique forteresse, jamais le Châtelet n'avait eu dans ses murs deux geôliers de plus galante mine.

Chaverny, de son côté, avait passé le pourpoint de ce bon M. de Peyrolles.

– Mes enfants, dit-il, je me suis acquitté de ma commission auprès de ces deux misérables; je vous prie de me faire la conduite jusqu'à la porte de la rue.

– Ai-je un peu l'air d'un gardien? demanda frère Passepoil.

– A s'y méprendre! repartit le petit marquis.

– Eh donc! fit Cocardasse junior sans prendre souci de cacher son humiliation, est-ce que je ressemble à un porte-clefs?

– Comme deux gouttes d'eau, répondit Chaverny; en route! j'ai mon message à porter!

Ils sortirent tous les trois du cachot dont la porte fut refermée à double tour, sans oublier les verrous. M. de Peyrolles et les deux gardiens restèrent là solidement attachés et bâillonnés. L'histoire ne dit pas les réflexions qu'ils firent dans ces conjonctures pénibles et difficiles.

Nos trois prisonniers, cependant, traversèrent le premier corridor sans encombre: il était vide.

– La tête un peu moins haute, Cocardasse, mon ami, dit Chaverny: j'ai peur de tes scélérates de moustaches.

– Sandiéou! répondit le brave, vous me hacheriez menu comme chair à pâté, que vous ne pourriez m'enlever ma bonne mine…

– Ça ne mourra qu'avec nous! ajouta frère Passepoil.

Chaverny enfonça le bonnet de laine sur les oreilles du Gascon et lui apprit à tenir ses clefs. Ils arrivaient à la porte du préau. Le préau et les cloîtres étaient pleins de monde.

Il y avait grand remue-ménage au Châtelet, parce que M. le marquis de Segré donnait à déjeuner à ses assesseurs, au greffe, en attendant la reprise de la séance. On voyait passer les plats couverts, les réchauds et les paniers de champagne qui venaient du fameux cabaret du Veau-qui-tette, fondé depuis deux ans, sur la place même du Châtelet, par le cuisinier Le Preux.

Chaverny, le feutre sur les yeux, passa le premier.

– Mon ami, dit-il au portier du préau, vous avez ici près, au no 9 dans le corridor, deux dangereux coquins… soyez vigilant.

Le portier ôta son bonnet en grommelant.

Cocardasse et Passepoil traversèrent le préau sans encombre. Dans la salle des gardes, Chaverny se conduisit en curieux qui visite une prison. Il lorgna chaque objet et fit plusieurs questions idiotes avec beaucoup de sérieux. On lui montra le lit de camp où M. de Horn s'était reposé dix minutes en compagnie de l'abbé de la Mettrie, son ami, en sortant de la dernière audience.

Cela parut l'intéresser vivement.

Il n'y avait plus que la cour à traverser, mais, au seuil de la cour, Cocardasse junior faillit renverser un marmiton du Veau-qui-tette, porteur d'un plat de blanc-manger. Notre brave lança un retentissant capédébiou! qui fit retourner tout le monde.

Frère Passepoil en frémit jusque dans la moelle de ses os.

– L'ami, dit Chaverny sévèrement; cet enfant n'y a pas mis de malice… et tu pouvais te dispenser de blasphémer le nom de Dieu.

Cocardasse baissa l'oreille. Les archers pensèrent que c'était là un bien honnête jeune seigneur.

– Je ne connaissais pas ce porte-clefs gascon! grommela le guichetier des gardes; du diable si ces cadédis ne se fourrent pas partout!..

Le guichet était justement ouvert pour livrer passage à un superbe faisan rôti, pièce principale du déjeuner de M. le marquis de Segré. Cocardasse et Passepoil, ne pouvant plus modérer leur impatience, franchirent le seuil d'un bond.

– Arrêtez-les! arrêtez-les! cria Chaverny.

Le guichetier s'élança et tomba, foudroyé par le lourd paquet de clefs que Cocardasse junior lui mit en plein visage. Nos deux braves prirent en même temps leur course et disparurent au carrefour de la Lanterne.

Le carrosse qui avait amené M. de Peyrolles était toujours à la porte. Chaverny reconnut la livrée de Gonzague. Il franchit le marchepied en continuant de crier à tue-tête:

– Arrêtez-les! morbleu! ne voyez-vous pas qu'ils se sauvent…? Quand on se sauve, c'est qu'on a de mauvais desseins!.. Arrêtez-les! arrêtez-les!..

Et, profitant du tumulte, il se pencha à l'autre portière, et commanda:

– A l'hôtel, coquins! et grand train!

Les chevaux partirent au trot. Quand le carrosse fut engagé dans la rue Saint-Denis, Chaverny essuya son front baigné de sueur et se mit à rire en se tenant les côtes.

Ce bon M. de Peyrolles lui donnait non-seulement la liberté, mais encore un carrosse pour se rendre sans fatigue au lieu de sa destination.

C'était bien cette même chambre à l'ameublement sévère et triste, où nous avons vu pour la première fois madame la princesse de Gonzague dans la matinée qui précéda la réunion du tribunal de famille; c'était bien le même deuil extérieur; l'autel tendu de noir, où se célébrait quotidiennement le sacrifice funèbre en mémoire du feu duc de Nevers, montrait toujours sa large croix blanche aux lueurs de six cierges allumés.

 

Mais quelque chose était changé. Un élément de joie, timide encore et perceptible à peine, s'était glissé parmi ces aspects lugubres; je ne sais quel sourire éclairait vaguement ce deuil.

Il y avait des fleurs aux deux côtés de l'autel. Et pourtant on n'était point au quatrième jour de mai, fête de l'époux décédé.

Les rideaux, ouverts à demi, laissaient passer un doux rayon du soleil d'automne. A la fenêtre pendait une cage où babillait un gentil oiseau.

Un oiseau que nous avons vu déjà et entendu à la fenêtre basse qui donnait sur la rue Saint-Honoré, au coin de la rue du Chantre.

L'oiseau qui, naguère, égayait la solitude de cette charmante inconnue dont l'existence mystérieuse empêchait de dormir madame Balahault, la Durand, la Guichard et toutes les commères du quartier du Palais-Royal.

Il y avait du monde dans l'oratoire de madame la princesse, beaucoup de monde, bien qu'il fût encore grand matin. – C'était d'abord une belle jeune fille qui dormait, étendue sur un lit de jour. Son visage aux contours exquis restait un peu dans l'ombre; mais le rayon de soleil se jouait dans les masses de ses cheveux bruns, aux fauves et chatoyants reflets. Debout auprès d'elle, se tenait la première camériste de la princesse, la bonne Madeleine Giraud, qui avait les mains jointes et les larmes aux yeux.

Madeleine Giraud venait d'avouer à madame de Gonzague que l'avertissement miraculeux, trouvé dans le livre d'heures, à la page du Miserere, l'avertissement qui disait: Venez défendre votre fille, et qui rappelait, après vingt ans, la devise des rendez-vous heureux et des jeunes amours, la devise de Nevers: J'y suis, avait été placé là par Madeleine elle-même, de complicité avec le bossu. La princesse l'avait embrassée.

Madeleine était heureuse comme si son propre enfant eût été retrouvé.

La princesse s'asseyait à l'autre bout de la chambre. Deux femmes et un jeune garçon l'entouraient.

Auprès d'elle, étaient les feuilles éparses d'un manuscrit avec la cassette qui avait dû les contenir, la cassette et le manuscrit d'Aurore.

Ces lignes écrites dans l'ardent espoir qu'elles parviendraient un jour entre les mains d'une mère inconnue, mais adorée, étaient arrivées à leur adresse. La mère les avait déjà parcourues. On le voyait bien à ses yeux, rouges de bonnes et tendres larmes.

Quant à la manière dont la cassette et le gentil oiseau avaient franchi le seuil de l'hôtel de Gonzague, point n'était besoin de le demander. Une de ces deux femmes était l'honnête Françoise Berrichon, et le jeune garçon qui tortillait sa toque entre ses doigts d'un air malicieux et confus, répondait au nom de Jean-Marie.

C'était le page d'Aurore, le bon enfant bavard et imprudent qui avait entraîné sa grand'mère hors de son poste pour la livrer aux séductions des commères de la rue du Chantre.

L'autre femme se tenait à l'écart. Vous eussiez reconnu sous son voile le visage hardi et gracieux de dona Cruz.

Sur ce visage fripon, il y avait en ce moment une émotion réelle et profonde.

Dame Françoise Berrichon avait la parole.

– Celui-là n'est pas mon fils, disait-elle de sa plus mâle voix en montrant Jean-Marie; c'est le fils de mon pauvre garçon… Je peux bien dire à madame la princesse que mon Berrichon était une autre paire de manches… Il avait cinq pieds six pouces et du courage; car il est mort en soldat…

– Et vous étiez au service de Nevers, bonne femme? interrompit la princesse.

– Tous les Berrichon, répondit Françoise, de père en fils, depuis que le monde est monde!.. mon mari était écuyer du duc Amaury, père du duc Philippe; le père de mon mari, qui se nommait Guillaume-Jean-Nicolas Berrichon…

– Mais votre fils, interrompit encore la princesse, ce fut lui qui m'apporta cette lettre?

– Oui, ma noble dame, ce fut lui… et Dieu sait bien que toute sa vie il s'est souvenu de cette soirée-là… il avait rencontré, c'est lui qui m'en a fait le récit bien des fois, il avait rencontré dans la forêt d'Ens dame Marthe, votre ancienne duègne qui s'était chargée de l'enfant… dame Marthe le reconnut pour l'avoir vu au château de notre jeune duc, quand elle apportait vos messages… Dame Marthe lui dit: Il y a là-bas au château de Caylus quelqu'un qui sait tout. Si tu vois mademoiselle, dis-lui qu'elle ait bien garde!.. Berrichon fut pris par les soudards et délivré par la grâce de Dieu… C'était la première fois qu'il voyait le chevalier de Lagardère, dont on parlait tant… il nous dit: Celui-là est beau comme le saint Michel archange de l'église de Tarbes…

– Oui… murmura la princesse qui rêvait; il est bien beau.

– Et brave! poursuivit dame Françoise qui s'animait, un lion!..

– Un vrai lion! voulut appuyer Jean-Marie.

Mais dame Françoise lui fit les gros yeux et Jean-Marie se tut.

– Berrichon, mon pauvre garçon, nous rapporta donc cela, poursuivit la bonne femme, et comme quoi Nevers et Lagardère avaient rendez-vous pour se battre… et comme quoi ce Lagardère défendit Nevers pendant une demi-heure entière contre plus de vingt gredins, sauf le respect que je dois à madame la princesse, armés jusqu'aux dents…

Aurore de Caylus lui fit signe de s'arrêter. Elle était faible contre ces navrants souvenirs.

Ses yeux pleins de larmes se tournèrent vers la chapelle ardente.

– Philippe! murmura-t-elle, mon mari bien-aimé!.. c'était hier… les années ont passé comme des heures… c'était hier… la blessure de mon âme saigne et ne veut pas être guérie.

Il y eut un éclair dans l'œil de dona Cruz, qui regardait cette immense douleur avec admiration. Elle avait dans les veines ce sang brûlant qui fait battre le cœur plus vite et qui hausse l'âme jusqu'aux sentiments héroïques.

Dame Françoise hocha la tête d'un mouvement maternel.

– Le temps est le temps, fit-elle; nous sommes tous mortels… il ne faut pas se faire du mal pour ce qui est passé.

Berrichon se disait en tournant son chaperon:

– Comme elle prêche, ma bonne femme de grand'mère!

– Il y a donc, reprit dame Françoise, que quand le chevalier de Lagardère vint au pays, voilà bien cinq ou six ans de cela, pour me demander si je voulais servir la fille du feu duc, je dis oui tout de suite. Pourquoi? Parce que Berrichon, mon fils, m'avait dit comme les choses s'étaient passées: le duc mourant appela le chevalier par son nom et lui dit: Mon frère! mon frère!..

La princesse appuya ses deux mains contre sa poitrine.

– Et encore, poursuivit Françoise: Tu seras le père de ma fille… et tu me vengeras… Berrichon n'a jamais menti, ma noble dame… d'ailleurs, quel intérêt aurait-il eu à mentir?.. Nous partîmes, Jean-Marie et moi… Le chevalier de Lagardère trouvait que mademoiselle Aurore était déjà trop grandette pour demeurer seule avec lui.

– Et il voulait comme ça, interrompit Jean-Marie, que la demoiselle eût un page.

Françoise haussa les épaules en souriant.

– L'enfant est bavard, dit-elle; en vous demandant pardon, noble dame… Y a donc que nous partîmes pour Madrid, qui est la capitale du pays espagnol… Ah! dam! les larmes me vinrent aux yeux quand je vis la pauvre enfant, c'est vrai!.. Tout le portrait de notre jeune seigneur!.. mais motus!.. il fallait se taire… M. le chevalier n'entendait pas raison…

– Et pendant tout le temps que vous avez été avec eux, demanda la princesse dont la voix hésitait, cet homme… M. de Lagardère…

– Seigneur de Dieu! noble dame! s'écria Françoise dont la vieille figure s'empourpra; non… non… sur mon salut, je dirais peut-être comme vous, car vous êtes mère… mais, voyez-vous, pendant six ans, j'ai appris à aimer M. le chevalier autant et plus que ce qui me reste de famille… si un autre que vous avait eu l'air de soupçonner… – Mais il faut me pardonner, s'interrompit-elle en faisant la révérence. Voilà que j'oublie devant qui je parle… C'est que celui-là est un saint, madame… c'est que votre fille était aussi bien gardée près de lui qu'elle l'eût été près de sa mère… C'était un respect, c'était une bonté… une tendresse si douce et si pure…

– Vous faites bien de défendre celui qui ne mérite pas d'être accusé, bonne femme, prononça froidement la princesse; mais donnez-moi des détails… Ma fille vivait dans la retraite?

– Seule, toujours seule… trop seule, car elle en était triste… et pourtant, si on m'avait cru… mais M. le chevalier était le maître…

– Que voulez-vous dire? demanda Aurore de Caylus.

Dame Françoise jeta un regard de côté vers dona Cruz qui était toujours immobile.

– Écoutez donc, fit la bonne femme; une fille qui chantait et qui dansait sur la plaza-santa, – ce n'était pas une belle et bonne société pour l'héritière d'un duc.

La princesse se tourna vers dona Cruz et vit une larme briller aux longs cils de sa paupière.

– Vous n'aviez pas d'autre reproche à faire à votre maître? dit-elle.

– Des reproches! se récria dame Françoise; ceci n'est pas un reproche… d'ailleurs la fillette ne venait pas souvent… et je m'arrangeais toujours pour surveiller…

– C'est bien, bonne femme, interrompit la princesse; je vous remercie… retirez-vous… vous et votre petit fils, vous faites désormais partie de ma maison.

– A genoux! s'écria Françoise Berrichon, en poussant rudement Jean-Marie.

La princesse arrêta cet élan de reconnaissance, et, sur un signe d'elle, Madeleine Giraud emmena la vieille femme avec son héritier.

Dona Cruz se dirigeait aussi vers la porte.

– Où allez-vous, Flor? demanda la princesse.

Dona Cruz pensa avoir mal entendu. – La princesse reprit:

– N'est-ce pas ainsi qu'elle vous appelle?.. Venez, Flor, je veux vous embrasser.

Et comme la jeune fille n'obéissait pas assez vite, la princesse se leva et la prit entre ses bras.

Dona Cruz sentit son visage baigné de larmes.

– Elle vous aime, murmurait la mère heureuse; c'est écrit là… dans ces pages qui ne quitteront plus mon chevet… dans ces pages où elle a mis tout son cœur… Vous êtes sa gitanita… sa première amie… plus heureuse que moi, vous l'avez vue enfant… Devait-elle être jolie! Flor! dites-moi cela!..

Et sans lui laisser le temps de répondre:

– Tout ce qu'elle aime, reprit-elle avec une passion de mère, impétueuse et profonde, je veux l'aimer… Je t'aime, Flor, ma seconde fille… embrasse-moi… et toi, pourras-tu m'aimer?.. Si tu savais comme je suis heureuse et comme je voudrais que la terre entière fût dans l'allégresse!.. Cet homme… entends-tu cela, Flor…? cet homme lui-même, qui m'a pris le cœur de mon enfant… eh bien… si elle le veut… je sens bien que je l'aimerai!

V
– Cœur de mère. —

Dona Cruz souriait parmi ses larmes. La princesse la pressait follement contre son cœur.

– Croirais-tu, murmura-t-elle, Flor, ma chérie, je n'ose pas encore l'embrasser comme cela… ne te fâche pas… c'est elle que j'embrasse sur ton front et sur tes joues…

Elle s'éloigna d'elle tout à coup pour la mieux regarder.

– Tu dansais sur les places publiques, toi, fillette?.. reprit-elle d'un accent rêveur; tu n'as point de famille… l'aurais-je moins adorée si je l'avais retrouvée ainsi?.. Mon Dieu! mon Dieu! que la raison est folle!.. l'autre jour je disais: Si la fille de Nevers avait oublié un instant la fierté de sa race… Non, je n'achèverai pas… J'ai froid dans les veines en songeant que Dieu aurait pu me prendre au mot… Viens remercier Dieu, Flor, ma gitanita, viens…

Elle l'entraîna vers l'autel et s'y agenouilla.

– Nevers! Nevers! s'écria-t-elle, j'ai ta fille!.. j'ai notre fille!.. Dis à Dieu de voir la joie et la reconnaissance de mon cœur.

Certes, son meilleur ami ne l'eût point reconnue. Le sang revenu colorait vivement sa joue. Elle était jeune, elle était belle; son regard brillait; sa taille souple ondulait et frémissait. Sa voix avait de doux et délicieux accents.

Elle resta un instant perdue dans son extase.

– Es-tu chrétienne, Flor? reprit-elle; oui, je me souviens… elle le dit… tu es chrétienne… Comme notre Dieu est bon, n'est-ce pas?.. donne-moi tes deux mains et sens mon cœur…

– Ah! fit la pauvre gitanita qui fondait en larmes, si j'avais une mère comme vous, madame!

La princesse l'attira contre son cœur encore une fois.

– Te parlait-elle de moi?.. demanda-t-elle; de quoi causiez-vous?.. Ce jour où tu la rencontras, elle était encore toute petite?.. – Sais-tu, s'interrompit-elle, car la fièvre lui donnait ce besoin incessant de parler; je crois qu'elle a peur de moi… j'en mourrai, si cela dure… Tu lui parleras pour moi, Flor, ma petite Flor, je t'en prie!..

 

– Madame, répondit dona Cruz, dont les yeux mouillés souriaient, n'avez-vous pas vu là dedans combien elle vous aime?

Elle montrait du doigt les feuilles éparses du manuscrit d'Aurore.

– Oui… oui… fit la princesse, saurai-je dire ce que j'ai éprouvé en lisant cela?.. Elle n'est pas triste et grave comme moi, ma fille… elle a le cœur gai de son père… mais moi… moi qui ai tant pleuré, j'étais gaie autrefois… la maison où je suis née était une prison, et pourtant je riais, je dansais… jusqu'au jour où je vis celui qui devait emporter au fond de son tombeau toute ma joie et tous mes sourires…

Elle passa rapidement la main sur son front qui brûlait:

– As-tu vu jamais une pauvre femme devenir folle? demanda-t-elle avec brusquerie.

Dona Cruz la regarda d'un air inquiet.

– Ne crains rien! ne crains rien! fit la princesse; le bonheur est pour moi une chose si nouvelle!.. Je voulais te dire, Flor: As-tu remarqué? ma fille est comme moi… sa gaieté s'est évanouie, le jour où l'amour est venu… sur les dernières pages, il y a bien des traces de larmes.

Elle prit le bras de la gitanita pour regagner sa place première. A chaque instant, elle se tournait vers le lit de jour où sommeillait Aurore, mais je ne sais quel vague sentiment semblait l'en éloigner.

– Elle m'aime, oh! certes! reprit-elle; mais le sourire dont elle se souvient, le sourire penché au-dessus de son berceau, c'est celui de cet homme… qui lui donna les premières leçons… ces chères leçons entremêlées de baisers et de caresses? cet homme… qui lui apprit le nom de Dieu? encore cet homme!.. oh! par pitié, Flor, ma chérie, ne lui dis jamais ce qu'il y a en moi de colère, de jalousie, de rancune contre cet homme!..

– Ce n'est pas votre cœur qui parle, madame! murmura dona Cruz.

La princesse lui serra le bras avec une violence soudaine.

– C'est mon cœur!.. s'écria-t-elle, c'est tout mon cœur… ils allaient ensemble dans les prairies qui entourent Pampelune, les jours de repos… il se faisait enfant pour jouer avec elle… Est-ce un homme qui doit agir ainsi? cela n'appartient-il pas à la mère? Quand il rentrait après le travail, il apportait un jouet, une friandise… qu'eussé-je fait de mieux si j'avais été pauvre, en pays étranger, avec mon enfant?.. Il savait bien qu'il me prenait, qu'il me volait toute sa tendresse!

– Oh! madame!.. voulut interrompre la gitanita.

– Vas-tu le défendre? fit la princesse qui lui jeta un regard de défiance; es-tu de son parti?.. Je le vois, se reprit-elle avec un amer découragement; tu l'aimes mieux que moi, toi aussi…

Dona Cruz éleva la main qu'elle tenait jusqu'à son cœur.

Deux larmes jaillirent des yeux de la princesse.

– Oh! cet homme! balbutia-t-elle parmi ses pleurs; je suis veuve… il ne me restait que le cœur de ma fille… il m'a pris le cœur de ma fille!..

Dona Cruz resta muette devant cette suprême injustice de l'amour maternel.

Elle comprenait cela, cette fille ardente au plaisir, cette folle qui voulait jouer hier avec le drame de la vie. Son âme contenait en germe tous les amours passionnés et jaloux.

La princesse venait de se rasseoir dans son fauteuil. Elle avait pris les pages du manuscrit d'Aurore. Elle les tournait et retournait en rêvant.

– Combien de fois, prononça-t-elle avec lenteur, lui a-t-il sauvé la vie?..

Elle fit comme si elle allait parcourir le manuscrit. Mais elle s'arrêta aux premières pages.

– A quoi bon?.. murmura-t-elle d'un accent abattu; moi je ne lui ai donné la vie qu'une fois. C'est vrai, c'est vrai, cela! reprit-elle, tandis que son regard avait des éclats farouches; elle est à lui bien plus qu'à moi!

– Mais vous êtes sa mère, madame!.. fit doucement dona Cruz.

La princesse releva sur elle son regard inquiet et souffrant.

– Qu'entends-tu par là? demanda-t-elle; tu veux me consoler?.. C'est un devoir, n'est-ce pas, que d'aimer sa mère?.. si ma fille m'aimait par devoir, je sens bien que je mourrais!

– Madame! madame! relisez donc les passages où elle parle de vous… que de tendresse!.. que de respectueux amour…

– J'y songeais, Flor, bon petit cœur!.. mais il y a une chose qui m'empêche de relire ces lignes que j'ai si ardemment baisées… Elle est sévère, ma fille! Il y a des menaces là dedans! quand elle vient à soupçonner que l'obstacle entre elle et son ami, c'est sa mère… sa parole devient tranchante comme une épée… nous avons lu cela ensemble: tu te souviens de ce qu'elle dit… elle parle des mères orgueilleuses…

La princesse eut un frisson par tout le corps.

– Mais vous n'êtes pas de ces mères-là, madame! dit dona Cruz qui l'observait.

– Je l'ai été!.. murmura Aurore de Caylus en cachant son visage dans ses mains.

A l'autre bout de la chambre, Aurore de Nevers s'agita sur son lit de jour. – Des paroles indistinctes s'échappèrent de ses lèvres.

La princesse tressaillit, – puis elle se leva et traversa la chambre sur la pointe des pieds.

Elle fit signe à dona Cruz de la suivre, comme si elle eût senti le besoin d'être accompagnée et protégée.

Cette préoccupation qui perçait en elle sans cesse parmi sa joie, cette crainte, ce remords, cet esclavage, quel que soit le nom qu'on veuille donner aux bizarres angoisses qui étreignaient le cœur de la pauvre mère et lui gâtaient sa joie, avait quelque chose d'enfantin et de navrant à la fois.

Elle se mit à genoux aux côtés d'Aurore. – Dona Cruz resta debout au pied du lit.

La princesse fut longtemps à contempler les traits de sa fille. – Elle étouffait les sanglots qui voulaient étouffer sa poitrine.

Aurore était pâle. Son sommeil agité avait dénoué ses cheveux qui tombaient, épars, jusque sur le tapis.

La princesse les prit à pleines mains et les appuya contre ses lèvres en fermant les yeux.

– Henri!.. murmura Aurore dans son sommeil. Henri! mon ami!..

La princesse devint si pâle, que dona Cruz s'élança pour la soutenir.

Mais elle fut repoussée. La princesse, souriant avec angoisse, dit:

– Je m'accoutumerai à cela!.. si seulement mon nom venait aussi dans son rêve…

Elle attendit. Le nom ne vint pas. Aurore avait les lèvres entr'ouvertes, son souffle était pénible.

– J'aurai de la patience, fit la pauvre mère; une autre fois, peut-être qu'elle rêvera de moi.

Dona Cruz se mit à genoux devant elle.

Madame de Gonzague lui souriait et la résignation donnait à son visage une beauté sublime.

– Sais-tu, fit-elle, la première fois que je te vis, Flor, je fus bien étonnée de ne pas sentir mon cœur s'élancer vers toi… Tu es belle pourtant… tu as le type espagnol que je pensais retrouver chez ma fille… mais regarde ce front… regarde!

Elle écarta doucement les masses de cheveux qui cachaient à demi le visage d'Aurore.

– Tu n'as pas cela, reprit-elle en touchant les tempes de la jeune fille; cela, c'est Nevers… quand je l'ai vue et que cet homme m'a dit: Voilà votre fille, mon cœur n'a plus hésité… il me semblait que la voix de Nevers, descendant du ciel tout à coup, disait comme lui: C'est ta fille!..

Ses yeux avides parcouraient les traits d'Aurore. Elle poursuivit:

– Quand Nevers dormait, ses paupières retombaient ainsi… et j'ai vu souvent cette ligne autour de ses lèvres… Il y a quelque chose de plus semblable encore dans le sourire… Nevers était tout jeune et on lui reprochait d'avoir une beauté un peu efféminée… mais ce qui me frappa surtout, ce fut le regard… Oh! que c'est bien le feu rallumé de la prunelle de Nevers!.. Des preuves!.. Ils me font compassion avec leurs preuves!.. Dieu a mis notre nom sur le visage de cette enfant… Ce n'est pas ce Lagardère que je crois, c'est mon cœur!

Madame de Gonzague avait parlé tout bas; cependant, au nom de Lagardère, Aurore eut comme un faible tressaillement.

– Elle va s'éveiller, dit dona Cruz.

La princesse se releva; son attitude exprimait une sorte de terreur.

Quand elle vit que sa fille allait ouvrir les yeux, elle se jeta vivement en arrière.

– Pas tout de suite! fit-elle d'une voix altérée, ne lui dites pas tout de suite que je suis là… il faut des précautions…

Aurore étendit les bras; puis son corps souple se roidit convulsivement, comme on fait souvent au réveil.

Ses yeux s'ouvrirent tout grands du premier coup. Son regard parcourut la chambre, et un étonnement profond vint se peindre sur ses traits.