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La fabrique de mariages, Vol. I

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IV
– Le roman du cinquième clerc. —

«Tout ce qui reluit n'est pas or,» voilà une vraie devise de coquille, pleine d'esprit, grosse de sens et à la portée de tout le monde.

Mais ce diable de quatrain sur l'acide, la fange et le poignard, avait des allures tellement romantiques, que nous ne pouvons l'attribuer à un poëte-confiseur, – à moins de supposer qu'un de ces jeunes Titans, fils mal venus de Dante et de Shakspeare, n'eût abaissé sa verve à ce métier innocent, un jour de famine.

Que le fidèle berger se méfie! Une douzaine de devises semblables mettraient la déroute dans sa clientèle. La devise ne doit jamais sortir de ce caractère prolixe qui est son charme. Elle doit donner ses excellents avis à demi-voix et d'un air idiot, et, pour parler comme elle:

«Ici-bas, le premier talent

Est de savoir garder sa place…»

Pour Césarine, la devise contenue dans la coquille noire était du galimatias tout pur. – Mais, pour Maxence, la devise avait une portée autre et terrible. C'était comme un flambeau menaçant qui venait éclairer tout à coup son présent et son passé.

Elle n'avait pas la vie de tout le monde, cette belle jeune fille. Il y avait derrière elle et autour d'elle des mystères qu'elle avait en vain essayé de pénétrer. Son existence était une énigme dont elle-même ne possédait point le mot.

La devise frappait avec une justesse navrante au point le plus vulnérable de son être. Elle n'accusait point; elle semblait plaindre et menacer à la fois.

Acide qui mord, fange qui tache, poignard qui tue, – tous trois à leur insu.

Instruments inertes et aveugles…

Maxence avait déjà eu cette pensée: «Que suis-je?» Ce jour-là, elle se demanda: «Suis-je un instrument?»

Elle se retira dans sa chambre où elle s'enferma. Elle passa le reste de cette journée, assise sur le pied de son lit, la tête brûlante, le regard fixe et sans larmes. Dix fois, Césarine vint frapper à sa porte; Maxence ne répondit point. – La grande mademoiselle Mélite monta en personne et n'eut pas un sort meilleur.

Il paraît que Maxence de Sainte-Croix avait des priviléges à la pension Géran, car la grande mademoiselle Mélite s'en retourna comme elle était venue et sans se plaindre.

– Elle a ses lunes! dit-elle à Philomène.

Vers le soir, Maxence se mit à genoux et pria. – En se relevant, elle se couvrit le visage de ses mains, et, à travers ses larmes qui jaillirent enfin, abondantes et amères, elle s'écria:

– Je l'aime, mon Dieu!.. Cela les rend trop forts contre moi!

Césarine aussi était préoccupée, d'abord par sa devise: «Tout ce qui reluit n'est pas or,» ensuite par la révélation entamée de Maxence. – Qu'allait-elle dire, cette Maxence, au moment où la petite bonne femme était venue les déranger!

Et pourquoi ce regard si moqueur lancé par la petite bonne femme à la jolie terrasse de Léon Rodelet.

Cinquième clerc de notaire! – Mon Dieu! ces choses-là n'arrêtent pas les jeunes filles.

Tout le long du jour, elle songea. – Une ou deux fois, elle vit cette noble figure du lieutenant Vital.

Mais elle ne voulait pas. Vous entendez bien, c'était malgré elle qu'elle revoyait dans son rêve l'éclair que le soleil arrache aux épées nues.

Je vous demande s'il est temps encore, quand on songe ainsi tout éveillée, d'étudier la géographie chez les demoiselles Géran?

La petite bonne femme habitait, comme nous l'avons dit, cette maison neuve située à l'angle de la rue Plumet et du boulevard, où Léon Rodelet avait un appartement donnant sur la terrasse. La fenêtre du grenier de la petite bonne femme s'ouvrait juste au-dessus de la terrasse. Elle n'avait donc pas besoin d'être sorcière pour connaître les manœuvres amoureuses du cinquième clerc de maître Isidore-Adalbert Souëf. Tant que duraient les récréations de la pension Géran, Léon se promenait sur sa terrasse. Il faisait, le pauvre garçon, tout ce qu'il pouvait pour reluire, bien qu'il ne fût pas or, au dire de la devise. Il avait acheté une magnifique robe de chambre en velours noir, semée de besans rouges, qui se voyaient de loin; il avait une pipe turque; il avait une longue-vue, un divan de cotonnade rouge, enfin ce qui paraît.

Et il mimait là-haut la passion de son mieux.

Il aimait bien véritablement Césarine de tout son cœur et plus qu'il n'eût voulu. Il savait que Césarine était une des plus riches héritières de Paris; il savait qu'elle était noble et que son père, colonel à trente ans, avait donné sa démission lors de l'avénement de Louis-Philippe. Cela supposait de certaines opinions peu favorables à une mésalliance; mais, d'un autre côté, M. le comte de Mersanz, depuis 1830, avait épousé la fille d'un simple capitaine de l'Empire, qui s'appelait Roger tout court. C'était au moins une preuve de tolérance à l'égard des alliances bourgeoises. Ce que Léon espérait, nous ne pourrions pas le dire; mais enfin, il espérait puisqu'il s'efforçait.

Léon était le fils d'une brave dame de Chartres, qui lui faisait une pension de cent cinquante francs par mois, en attendant qu'il eût des appointements chez le notaire.

Avec ce revenu de cent cinquante francs par mois, Léon Rodelet entretenait sa terrasse et montait à cheval tous les jours pour passer avenue de Saxe à l'heure de la récréation. En outre, il s'habillait à merveille, suivant docilement les inspirations de son tailleur, qui fournissait un membre du Jockey-Club et plusieurs courtiers marrons.

Pour soutenir cette vie, il faut manger peu, boire de l'eau et faire des dettes.

Léon Rodelet avait adopté ce régime.

Il devait à tout le monde et maigrissait d'autant. Son meilleur repas était le déjeuner au pain sec et au vin de l'étude. – Après ce déjeuner, il prenait un cure-dents et montait à cheval.

Il y avait déjà du temps qu'il menait cette existence. Ses affaires d'amour avançaient peu. Chaque jour, il écrivait plusieurs lettres à mademoiselle de Mersanz, mais il n'osait jamais les envoyer. – Quiconque n'a jamais écrit de ces lettres qu'on n'envoie pas, ignore une des plus vives joies qui se puissent imaginer au monde.

C'est le souhait des contes de fées, exaucé pour un instant; c'est le désir fou, signant une trêve avec son ennemi intime l'impossible; c'est la bataille à l'aise et sans danger; c'est le rêve avec des prétextes plausibles pour croire à la réalité.

Chères lettres! phrases folles et charmantes! poésie des aspirations solitaires! hardiesses poltronnes de la vingtième année! on sourit en repassant vos enfantillages lointains dans sa mémoire; mais comme on vous regrette!

Léon Rodelet avait vingt et un ans.

Jusqu'à la fin de la récréation, il resta ce jour-là sur son balcon, vêtu de sa fameuse robe de chambre à ronds rouges et coiffé du bonnet grec brodé d'or. Ces bonnets grecs sont pour piquer la jalousie. Ils signifient, dans le langage symbolique des Léon amoureux:

«O Césarine! une main charmante me broda cette coiffure; mais, pour un sourire de vous, je la lancerais par la fenêtre!»

Les vraies mains qui les brodent sont des pattes affreuses, soudoyées par les chapeliers.

Léon s'accoudait à son balcon, dévorant des yeux mademoiselle de Mersanz, qui tournait vers lui de temps à autre un regard furtif. Lorsque la cloche sonna, il ôta galamment son bonnet grec; mais Césarine ne faisait plus attention à lui.

Il quitta le balcon et rentra dans son appartement. «Tout ce qui reluit n'est pas or.» L'appartement de ce malheureux Léon ne reluisait pas du tout. La terrasse était l'enveloppe dorée, l'appartement faisait déjà partie du fruit amer. Hélas! hélas! les sarcasmes de Maxence avaient cruellement raison. Léon Rodelet n'était pas un parti pour mademoiselle de Mersanz.

L'appartement avait trois pièces toutes fraîches et assez bien ornées, car on trouve toujours à louer les cinquièmes étages avec terrasse. Les mariées du treizième arrondissement aiment à porter leurs nids sur ces hauteurs, afin d'y nourrir des pigeons blancs, sans compter les joies du repas d'été sous la tente de coutil rayé.

Léon avait eu pour concurrente, au moment de louer, une madame Brunet, veuve des écoles, adonnée aux serins, aux chats ténors et aux barbets. Le propriétaire la regrettait. Léon était entré, sur la promesse de meubler convenablement les trois pièces: il n'avait meublé que la terrasse.

En dedans, il n'y avait qu'une demi-douzaine de chaises en mauvais état de réparation, une table, une toilette et un lit de fer. Total quarante francs à la criée. Pour se montrer équitable envers les différentes parties de son logement, Léon avait mis deux chaises dans chaque chambre.

Léon vint s'asseoir devant sa table, où il s'accouda, la tête entre ses mains. Il y avait plusieurs lettres sur la table. Toutes étaient cachetées. Depuis deux ou trois jours, Léon n'ouvrait plus sa correspondance, sûr qu'il était d'y trouver des motifs de détresse. Il connaissait les écritures. Les lettres qui étaient là éparses venaient de son tailleur, de l'étude, du propriétaire, tous créanciers de Léon. Léon ne payait qu'au manége.

A deux ou trois reprises, il regarda ces lettres, comme s'il eût voulu les décacheter; mais un invincible dégoût le retenait. – Il tira de sa poche une autre lettre, fermée aussi, qui portait le timbre de Chartres.

– Ma mère! murmura-t-il, ma pauvre mère!.. Elle me gronde… si elle savait comme je souffre!

Il jeta la lettre avec les autres; mais les larmes lui vinrent aux yeux.

– C'est la fin, reprit-il d'un ton morne et découragé… J'ai eu tout ce que ce misérable amour peut me donner… Il me reste le choix: me faire soldat ou mourir!..

Il se leva. Il était assez calme. Il prit dans une cachette, sous une petite caisse à fleurs, la clef d'une armoire d'attache, qui lui tenait lieu à la fois de secrétaire et de buffet. Dans l'armoire, il prit un morceau de pain dur, un reste de fromage, un paquet de papiers et un pistolet.

 

– C'est la fin, répéta-t-il; mon histoire n'est pas longue: j'ai vécu comme un sot; je meurs de même.

Il mit sur la table le pistolet, le paquet de papiers, le pain et le fromage.

Pour tout homme d'expérience, il eût été parfaitement évident que cet enfant allait se tuer. Il n'y mettait ni emphase dramatique ni hâte fiévreuse. Il allait se tuer parce qu'il était au bout de son rouleau, comme on dit, parce qu'il entrevoyait, dans un éclair de raison, le profond égarement de sa voie, et parce qu'il n'était pas assez brave pour se retourner brusquement et marcher en sens contraire.

Il avait essayé de lutter, pas longtemps et pas beaucoup. Il avait été vaincu.

Sa résignation n'était que l'excès de la lassitude.

Comme il posait le pistolet sur la table, son regard rencontra la glace, qui était au propriétaire. Ses longs cheveux noirs, frisés le matin même par le coiffeur, encadraient son front pâle et blanc. Il n'y avait sur ce front ni pensée bien haute ni bien virile audace. Mais cette dernière heure a son auréole.

– Là-bas, à Chartres, Anna me trouvait beau, dit-il; Anna est belle… et bonne!.. Pourquoi vient-on à Paris?

Éternelle question des vaincus! Anna l'eût aimé, Anna, sa belle petite cousine qui le cherchait, tout enfant, dans les jeux de la maison paternelle.

Mais cette image de Césarine, souriante et radieuse dans sa sérénité fière, passa au-devant de ses yeux. Anna s'enfuit, pauvre souvenir de seize ans…

Il ferma ses paupières qui brûlaient. Césarine était là, son rêve, sa folie.

Où l'avait-il vue? comment cela s'était-il fait? – Il était heureux. Il arrivait de Chartres. Sa mère montrait ses lettres aux voisines, tant elles annonçaient de sagesse. Il parlait de travailler, de parvenir, de tout ce qui donne de l'orgueil aux mères. Il était de bonne foi, cela se voyait. – Sans sortir des bornes du possible, cette pauvre veuve pouvait rêver pour son fils chéri une étude de notaire dans l'avenir.

Or, quelle gloire! Et que de larmes joyeuses pour arroser cette ambition, qu'elle n'osait dire aux voisines jalouses!

C'était par un dimanche d'automne. Seigneur! le beau jour! comme le soleil était brillant dans le ciel profond et pur! Il y avait un mois déjà que le pauvre Léon n'avait vu la campagne. Il sortit de Paris par je ne sais quelle barrière et s'en alla tout seul. Autour de Paris, c'est bien plus laid que Paris lui-même. Ce n'est plus la ville; ce ne sont pas encore les champs. L'ennui monte au cerveau à la vue de ces villas bourgeoises qui semblent autant de gageures gagnées par le mauvais goût contre le sens commun. Léon passa, jetant à droite et à gauche son regard distrait, et se demandant pourquoi les maîtres maçons avaient fait à la capitale des arts une si burlesque ceinture. – Il arriva au Petit-Montrouge, dont il ne savait pas le nom. – Au bout du village, une grille de fer forgé fermait une pelouse derrière laquelle était un bosquet. Au delà du bosquet, il y avait un pavillon.

Tout cela datait de loin. Les arbres étaient magnifiques; la grille élégante et svelte semblait railler ces lourdes barrières de fonte que le commerce retiré et jouant au seigneur plante au-devant de sa petite cour. Le pavillon, harmonieux et simple, n'avait point à son faîte le hideux belvédère en vitres rouges et bleues. Cela datait de loin.

Sur la pelouse, des fillettes jouaient. C'était une pension.

Léon était venu chercher des arbres. Il regarda les grands tilleuls et les marronniers dont les feuilles mourantes se teignaient de pourpre. Comme il regardait, un volant passa au travers de la grille et vint tomber à ses pieds.

Une jeune fille s'élança, toute rose et souriante, donnant ses cheveux blonds au vent de sa course.

– Mon volant, s'il vous plaît, monsieur? dit-elle.

Si vous l'aviez vue! si vous aviez entendu, cette voix.

Elle avait une robe de mousseline blanche à petites raies bleues. – Léon se souvenait de cela.

Il se baissa et faillit tomber en avant comme s'il eût été ivre. Il rendit le volant. On lui sourit et on lui dit merci.

Ce fut tout. – Mon Dieu! que faut-il de plus? – Voilà pourquoi le pauvre Léon devint fou.

Voilà pourquoi il déserta l'étude où était son avenir; voilà pourquoi il ne parla plus guère de travailler ni de parvenir dans ses lettres à sa mère; voilà pourquoi il fit la connaissance de ce tailleur qui habillait un membre du Jockey-Club et des courtiers marrons; voilà pourquoi il loua cet appartement de trois pièces avec terrasse; voilà pourquoi il acheta des fleurs avec l'argent de ses repas, et pourquoi il dépensa son mince revenu à louer des juments de manége.

Le pavillon de Montrouge appartenait à la pension Géran; la jeune fille au volant était notre Césarine.

Léon sut presque tout de suite que Césarine était la fille unique de M. le comte de Mersanz, dont maître Souëf était le notaire, et qui avait huit cent mille livres de rente.

Il prit de la mélancolie, mais il continua de faire à la jeune fille cette cour bizarre et muette qui le ruinait. Jamais il n'avait parlé à Césarine!

Il vint se rasseoir auprès de la table et mangea un petit morceau de pain dur avec un peu de fromage. Il but un verre d'eau.

Quand cela fut fait, il dit avec une sorte de contentement, exempt de toute fanfaronnade:

– J'ai fait mon dernier repas.

Franchement, l'idée de ne pas recommencer un pareil festin n'avait rien d'affligeant.

Il dénoua le paquet de papiers. C'étaient toutes ses lettres à Césarine. Il en lut deux ou trois et pleura une larme. Son pauvre cœur d'enfant faible et fou était là. L'amour vrai parle toujours bien, surtout le jeune amour. Ces lettres eussent fait rire les camarades de Léon Rodelet; pourtant, elles étaient belles. Léon les repoussa loin de lui comme s'il eût craint de céder à la tentation de les relire toutes.

– Je veux que tout soit fini avant la nuit, murmura-t-il.

Il y avait encore un peu d'encre au fond d'une écritoire et une feuille de papier blanc restait. Léon prit sa plume.

Il écrivit:

«Je me suis familiarisé avec vous à force de vous parler. Vous ne m'entendez pas, mais qu'importe? Il y a déjà bien longtemps que je ne vous appelle plus mademoiselle. Aurez-vous un sourire de pitié en me lisant? car, cette fois, vous me lirez. – Vous devez être bonne comme les anges dont vous avez la beauté. Vous me plaindrez peut-être.

»Si j'avais été riche et noble comme vous, Césarine, m'auriez-vous aimé? Moi, j'aurais bien voulu être noble et riche pour vous aimer pauvre, pour vous aimer humble. Ah! si j'avais pu seulement baiser le bout de vos doigts avant de mourir.

»Depuis que je vous connais, voici le premier jour où je suis tranquille. Hier, je vivais encore: c'est-à-dire que je craignais et que j'espérais. Aujourd'hui, je ne crains rien: je vous aime comme je vous aimerai demain dans le ciel.

»J'étais pieux avant de venir à Paris. A cette heure, je voudrais causer avec le bon vieux prêtre qui dirigea mon enfance. Je voudrais lui faire comprendre la nécessité absolue où je suis de quitter la vie et qu'il me consolât comme on console les condamnés à mort. Je m'exprime mal: consoler n'est pas le mot. Je voudrais… et pourquoi ne pas l'avouer? je voudrais lui dire comme vous êtes belle et comme je vous adore.

»Je n'ai rien eu de cette passion, Césarine. Je n'ai jamais dit votre nom à personne. Je vous cachais comme une maîtresse chérie. J'avais peur de porter mon amour écrit sur mon front.

»Un seul homme l'a deviné. Pourquoi? Parce qu'il vous aime. – Un fou pareil à moi, un soldat obscur, sans nom, sans avenir, – le plus digne cœur, l'âme la plus vaillante et la plus droite qui soit au monde.

»Si jamais, ce qui est impossible, vous aviez besoin de secours ou d'appui, souvenez-vous de celui-là. Il ne se tuera pas. Il sait souffrir. Souvenez-vous du lieutenant Vital.

»La première fois que j'ai deviné son amour pour vous, j'ai eu la pensée de le provoquer en duel. – Maintenant, je ne suis vraiment plus de ce monde. Césarine, enfant adoré; je sens que je veillerai sur vous après ma mort. Si le hasard le mettait à votre niveau, Vital vous rendrait bien heureuse.

»Je l'aime. Il m'a aidé de son cœur et de sa bourse: pauvre bourse de lieutenant! Quelque chose me dit que vous le connaîtrez et que vous l'aimerez. Parlez de moi tous deux.

»Césarine, je ne regrette pas de vous avoir aimée. Vous avez été ma perte, mais aussi mon bonheur. Peut-on payer trop, même au prix de la mort, le rêve délicieux que j'ai fait? J'ai vécu un an tout entier avec ce rêve; je vous ai eue à moi dans la veille enchantée de mes nuits; je me suis agenouillé, ivre de joie, devant votre candeur que la couche nuptiale effrayait. Que sais-je? ma main tremble, mon cœur bat, oppressé par l'allégresse… Oh! n'espérez pas, n'espérez pas trouver jamais un amour comme était le mien!

»Je vous envoie toutes mes lettres, toutes. C'est mon âme. J'ai vingt-deux ans. Ma mère n'avait que moi.

»Adieu! Je baise ardemment ce papier que vous toucherez. Soyez heureuse. Mettez mon nom dans votre prière, qui doit aller tout droit vers Dieu. – Savez-vous mon dernier souhait? Une fleur cueillie par vous et portée par vous sous votre corsage, tout près de votre cœur, puis jetée sur ma tombe… Adieu!..

Il signa. Puis il fit un paquet des anciennes lettres et cacheta le tout avec de la cire noire. Pauvre Léon! il calculait sa petite mise en scène mortuaire. Sur le paquet, il mit une adresse ainsi conçue:

«Au lieutenant Vital, pour remettre par n'importe quel moyen à mademoiselle C. de M… – Dernier service exigé par l'amitié.»

Après cela, que restait-il à faire? Prendre le pistolet, l'armer, poser le bout du canon contre la base du front et lâcher la détente.

Toutes choses éminemment simples et faciles au premier aspect.

Léon prit en effet le pistolet, qui était chargé depuis plusieurs jours. Il changea la capsule oxydée pour en mettre une autre toute neuve. Il fit jouer la gâchette deux ou trois fois.

Il arma définitivement, et son visage prit une expression tragique. Le canon froid toucha son front brûlant; cela le fit tressaillir.

Il remit le pistolet sur la table.

Le baron des Adrets n'aimait pas à nourrir ses prisonniers de guerre. Il les faisait monter au sommet d'une tour, et, après confession préalable, il les engageait à faire le saut périlleux. Les pauvres diables obéissaient, ne pouvant résister. Il y eut un coquin de Gascon qui prit son élan deux fois de suite et s'arrêta par deux fois au parapet de la tour.

– Eh! paillard, lui cria des Adrets, n'as-tu pas honte de t'y prendre ainsi à trois fois?

Le Gascon répondit sans hésiter:

– Capédédiou! on vous le donne en cent, monsu le baron!

Des Adrets se mit à rire et lui fit grâce.

Le Suicide, ce dieu fiévreux, fils bâtard de l'Orgueil et de la Faiblesse, est un peu comme le baron des Adrets. On l'a vu pardonner quelquefois aux Gascons qu'il tient en ses serres.

Léon était de Chartres; mais, sur la tour des Adrets, un fils de Pontoise fût devenu Gascon.

Léon pensa qu'il n'avait pas écrit à sa mère.

Que lui dire?

Il y avait encore du pain et du fromage pour un jour, – et peut-on mourir comme cela sans avoir même ouvert son courrier?

Qui sait! parfois, dans ces lettres qui arrivent un jour de suicide, on trouve de bien bonnes choses: des successions…

On ne connaît pas tous les oncles qu'on peut avoir en Amérique.

Léon passa ses doigts glacés dans ses cheveux.

– Est-ce que je serais un lâche? se demanda-t-il.

Et il ressaisit d'un geste convulsif le pistolet fatal.

Mais en ce moment on frappa rudement à sa porte; et, comme Léon n'allait pas ouvrir assez vite, le visiteur inattendu tourna lui-même dans la serrure la clef qui était restée en dehors.

Convenez que Léon n'avait pas les premières notions du suicide. Laisser sa clef sur sa porte. – Mais l'expérience vient avec l'âge. Une autre fois il ferait mieux.

– Monsieur Léon Rodelet! dit une voix de basse-taille sur le seuil.

Léon se retourna et vit un personnage qu'il ne connaissait pas: habit bleu boutonné, gilet de velours à pointes tombant sur un pantalon noir à la cosaque; front fuyant très-découvert, nez d'aigle et moustaches grisâtres taillées en brosse dure. – Léon eut envie de nier son identité et de dire à cet individu qu'il se trompait.

Mais celui-ci le prévint et fit quelques pas à l'intérieur de la chambre.

– Je ne suis pas un créancier, jeune homme, dit-il d'un air important; – je viens, au contraire, vous tirer d'embarras.

 

– Qui vous a dit que je fusse dans l'embarras? demanda Léon offensé.

L'homme à moustaches se mit à rire.

– Le bruit public, répondit-il.

Puis, changeant de ton et d'allures tout à coup, il s'approcha de Léon et lui arracha brusquement son pistolet.

– Insensé! déclama-t-il avec les inflexions onctueuses d'un père noble, – vous vouliez attenter à vos jours.

– Monsieur!.. voulut dire Léon stupéfait.

– Silence! interrompit l'habit bleu boutonné, qui désarma le pistolet et le jeta à l'autre bout de la chambre; – la Providence m'a envoyé vers vous. Je vous domine de toute la hauteur de ma vertu!

Il avait croisé ses bras sur sa poitrine.

– M'apprendrez-vous…? commença encore Léon.

– Silence!

L'habit bleu prit une chaise et s'éventa à l'aide d'un vaste foulard.

– C'est haut, chez vous, reprit-il d'un accent moins emphatique. – Vous devez trois termes ici: combien avez-vous de loyer?

– Monsieur, dit Léon résolûment, – je suis très-pauvre, j'essayerais en vain de le nier… Mais je vous préviens que je n'accepte pas la charité et que je ne souffre pas l'insolence… Exposez-moi, s'il vous plaît, le motif de votre venue clairement, brièvement surtout, et puis…

– Et puis?.. répéta l'habit bleu, qui cligna de l'œil en le regardant.

– Et puis sortez! acheva Léon en montrant du doigt la porte.

L'habit bleu fit un signe de tête approbateur.

– Vous êtes un gentil garçon, dit-il.

En même temps, il tira de sa poche un étui à cigares et choisit avec soin un panatelas dont il coupa le bout avec les dents. – Il alluma un amadou chimique.

– Fume-t-on chez vous? demanda-t-il en humant les premières bouffées.

Léon se leva, indigné. L'habit bleu posa tranquillement son cigare sur la table et lui prit les deux poignets qu'il serra. Léon laissa échapper un cri de douleur.

– Mon jeune ami, dit l'intrus, – faites bien attention à une chose: je vous croquerais comme une rave si je voulais.

– Mais enfin, s'écria Léon, dont la colère s'augmentait par son impuissance même, – que veut dire tout cela et que voulez-vous?

– Parbleu! mon fils, nous avons le temps, répliqua l'inconnu; – vous vous brûlerez la cervelle aussi bien demain qu'aujourd'hui, n'est-ce pas? Soyons donc raisonnables, que diable! et ne commençons pas par nous quereller, quand nous sommes destinés, suivant toute apparence, à être les meilleurs amis du monde.

Il le lâcha et reprit son cigare en disant:

– Peut-on vous en offrir?

– Non, répondit Léon.

– A la bonne heure… je ne trouve pas mauvais que vous ne fumiez pas, moi, vous voyez bien…

– Il ne manquerait plus que cela! s'écria Léon.

– Mon Dieu, mon cher garçon, si je vous disais de fumer, vous fumeriez, parbleu! comme un feu de bois vert.

– Il faudrait voir…

– Ah! ah! c'est tout vu, mon jeune camarade… j'en ai brûlé de plus méchants que vous… par les deux bouts encore, comme nous disions à l'armée… Pour ne pas revenir sur ce sujet toujours pénible à traiter, je suis fort comme le levier d'Archimède, et j'ai trente-sept ans de salle, dont trente et un employés inutilement à chercher le maître, le prévôt ou n'importe, capable de me rendre un coup de bouton pour trois.

Il caressa la brosse grise qu'il avait sous le nez. Cela rendit un son strident comme si on eût passé la main sur une corde.

Léon l'examinait maintenant curieusement. – On n'en peut vouloir beaucoup et à fond à l'homme qui vient vous conter des balivernes tout en détachant la corde où l'on va se pendre.

Cet homme, du reste, était vraiment un peu au-dessus de ses manières et de son langage. Ce pouvait être un bretteur de bas ordre; mais alors il avait dû fréquenter des gens à demi comme il faut.

Son costume était cossu, et il ne portait sur sa personne aucun de ces stigmates de misère, maladroitement cachés, qui marquent si énergiquement les batteurs de pavé.

Pendant que Léon le regardait, il eut la complaisante délicatesse de tenir ses yeux fixés sur la terrasse.

– Est-ce assez? demanda-t-il à la fin; – me reconnaîtrez-vous à l'occasion?.. Pour plus de commodité, je vais vous dire qui je suis: M. Garnier de Clérambault, ancien officier supérieur, exerçant à Paris une profession délicate et honorable dans laquelle de nombreux succès ont couronné ses efforts… et que le dieu des bonnes gens envoie vers vous, mon petit homme, pour vous dire: «Vous êtes gueux comme un rat: voulez-vous de l'argent?.. Vous êtes amoureux comme feu Céladon et plus timide que Némorin le pasteur: voulez-vous qu'on vous donne les moyens de voir votre belle d'un peu plus près?..» Voilà, ma vieille… Ce n'est pas la peine de s'arracher les yeux, pas vrai? Et nous allons nous entendre comme deux bons enfants, j'en suis sûr… Touchez là.