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Le roman d'un jeune homme pauvre (Play)

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ACTE QUATRIEME

VIe TABLEAU.

Un vaste salon communiquant de plain-pied avec le parc. On voit à travers les fenêtres et les arcades du fond une partie des jardins. – On entend au loin les sons d'un orchestre qui joue des airs de danse bretons. – La musique ne cesse de se faire entendre qu'à l'arrivée de Desmarets. – (Scène VIII). Portes à gauche et à droite. – Le salon est éclairé comme pour une fête. – A gauche, une table préparée pour la signature du contrat. – Une lampe sur la table. – A droite, canapé, fauteuils, rangés pour une cérémonie.

SCENE I.

BEVALLAN, en grande toilette, ALAIN.

BEVALLAN, entrant.

Tout est prêt, n'est-ce pas? La table ici… bien! Et les fauteuils pour ces dames, c'est très-bien… Le notaire est arrivé?

ALAIN.

Oui, Monsieur. Il se promène là, devant, avec M. Maxime.

BEVALLAN.

Bien! bravo! Ah çà, Alain, faites-moi boire ces braves gens-là jusqu'à ce que mort s'ensuive!.. et grisez l'orchestre, surtout, entièrement… Et puis, vous connaissez le programme… à neuf heures précises, la signature du contrat… et le feu d'artifice sur la pelouse…

ALAIN. Mais, Monsieur, j'ai réfléchi à une chose, si M. Laroque demande ce qui se passe?

BEVALLAN, baissant la voix.

Comment? Est-ce qu'il entend?

ALAIN.

Il entend ferme, Monsieur… mais si ça fait trop de bruit…

BEVALLAN.

Ah! diable!.. Eh bien, mais supprimez les pétards! Ah! Alain, quand ces dames seront descendues, vous introduirez cette députation villageoise… mais les femmes seulement, vous entendez? Nous n'avons pas besoin de figures de sauvages ici… Les femmes seulement, et les plus jeunes. Dans une fête, il faut que tout soit gracieux… Alain!

ALAIN.

Monsieur!

BEVALLAN.

Supprimez les pétards, c'est convenu!

ALAIN.

Oui, Monsieur. (Comme Alain se retire, mademoiselle Hélouin entre.)

BEVALLAN.

Ah! diantre!.. (Il chantonne et cherche à s'esquiver.)

SCENE II.

BEVALLAN, MADEMOISELLE HELOUIN.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah! Monsieur, je vous trouve seul enfin!

BEVALLAN.

Ah! c'est vous, Mademoiselle? Eh bien, voilà une soirée assez… une soirée qui… n'est-ce pas?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Qui couronne vos voeux et votre perfidie, n'est-il pas vrai?

BEVALLAN.

Ah! de grâce, Mademoiselle, laissez-moi mon calme… j'en ai grand besoin. Si vous pouviez lire dans mon coeur!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Comment! cette plaisanterie dure encore! Vous prétendez me faire croire même à cette heure…

BEVALLAN.

Mais enfin, Mademoiselle, vous êtes étonnamment injuste! Que s'est-il passé? Vous le savez comme moi… longtemps avant d'avoir conçu des sentiments… qui ne seront jamais oubliés… je m'étais engagé… témérairement… d'un autre côté… On m'a mis en demeure tout à coup de m'exécuter…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Oui, vous vous sacrifiez, je comprends.

SCENE III.

LES MEMES, MAXIME, entrant par le fond.

MAXIME.

Monsieur de Bévallan, le notaire désire avoir deux minutes d'entretien avec vous.

BEVALLAN., avec empressement.

Bien, merci, j'y vais! j'y vais! (A mademoiselle Hélouin.)

Vous êtes cruelle, vraiment!

SCENE IV.

MADEMOISELLE HELOUIN, MAXIME.

MADEMOISELLE HELOUIN, à Maxime qui va pour se retirer.

Monsieur Maxime!.. Comme vous devez me maudire en ce moment! (Maxime ne répond pas.) Et vous n'avez pas dit un mot pour m'accuser, vous qui le pouviez si bien!.. Ah! qu'une parole de bonté de vous me serait douce!..

MAXIME, avec effort.

Je vous plains, et je vous pardonne.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Merci! (Madame Laroque, Marguerite et Madame Aubry, toutes en toilettes de fête, entrent par le fond: Maxime les salue et se tient à l'écart. Alain au fond.)

SCENE V.

MAXIME, ALAIN, MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, MADAME AUBRY.

MADAME LAROQUE, en entrant avec Alain.

Je ne vois pas Desmarets… Est-ce qu'il n'est pas arrivé?

ALAIN.

Je vous demande pardon, Madame: mais il est entré d'abord chez Monsieur.

MADAME LAROQUE.

Ah! très-bien. (Madame Laroque, Marguerite et madame Aubry se dirigent vers des sièges préparés à droite.)

MADEMOISELLE HELOUIN, à Marguerite qui passe près d'elle.

Pardon, Mademoiselle, vous avez une fleur de votre coiffure qui tombe… (Marguerite s'arrête, mademoiselle Hélouin, tout en s'occupant de réparer la coiffure dit à demi-voix, avec émotion.) Mademoiselle, nous nous étions abusés: M. Odiot a une soeur, je viens de l'apprendre… et c'est certainement à la dot de sa soeur qu'il faisait allusion dans cette lettre…

MARGUERITE, saisie tout à coup et lui lançant un regard terrible.

Ah! il fallait me tuer… c'eût été plus généreux!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Mais j'étais trompée moi-même…

MARGUERITE, avec une violence contenue.

Vous l'aimiez!.. Eh! ne le niez pas!.. c'est votre seule excuse!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Peut-être serait-il temps encore…

MARGUERITE, fièrement.

Temps encore! Et sa parole! et la mienne! Ah! nous sommes gens d'honneur, nous autres! (Elle la quitte et va prendre gravement se place auprès de sa mère.)

SCENE VI.

LES MEMES, BEVALLAN, LE NOTAIRE, ALAIN, au fond.

BEVALLAN, au notaire.

C'est parfait, mon cher ami… vous êtes un parfait notaire… entrez, entrez donc!.. Mesdames, je viens prendre vos ordres. Il y a là une députation rustique qui désire être admise à vous présenter ses hommages et ses voeux.

MADAME LAROQUE.

Eh bien, faites entrer, mon ami.

BEVALLAN.

Alain, introduisez… mais les femmes seulement, et les plus jeunes… Dans une fête tout doit être gracieux.

SCENE VII.

LES MEMES, puis quelques jeunes filles en costume breton, et, à leur tête, CHRISTINE OYADEC; elles portent des fleurs. CHAMPLAIN, vieux paysan à l'air niais, entre au milieu d'elles.

BEVALLAN, remarquant Champlain.

Eh bien!.. eh bien!.. les femmes seulement!.. Qu'est-ce que c'est que ce dadais-là?.. Qu'est-ce que vous venez faire ici, vous?

CHAMPLAIN.

Monsieur, je suis avec ces demoiselles.

BEVALLAN.

Mais, je le vois bien… que vous êtes avec ces demoiselles… et c'est ce dont je me plains… Vous n'êtes pas une demoiselle, vous, n'est-ce pas?

CHAMPLAIN.

Ah! non, Monsieur.

BEVALLAN.

Ah! non! Eh bien, allez-vous-en… Il est absurde ce villageois!

CHAMPLAIN.

C'est que je suis le maître d'école, Monsieur… c'est moi qui ai fait le discours… et je venais, dans le cas où la mémoire leur manquerait…

BEVALLAN.

Ah! c'est le souffleur! c'est différent! Entrez, mon brave! (Aux dames.) C'est le souffleur!.. Et quel est l'orateur de l'aimable troupe?

CHAMPLAIN, montrant Christine.

C'est celle-là, Monsieur…

BEVALLAN.

Ah! la petite au chien… oui, je la reconnais!.. Eh bien, venez mon enfant; je vais moi-même vous présenter à ces dames. (Il la conduit par la main vers la droite; à part.) Elle est gentille tout à fait cette petite… elle a encore embelli… (Galamment, à Christine): Comment donc vous appelez-vous, mon enfant, je ne me souviens pas…

CHRISTINE.

Christine Oyadec, Monsieur.

BEVALLAN.

Ah! bien… Et vous demeurez près d'ici, sans doute?

CHRISTINE.

Auprès du moulin, oui, Monsieur.

BEVALLAN.

Ah! très-bien! (Christine s'arrête devant Marguerite; Champlain derrière Christine; le groupe des jeunes filles un peu en arrière.)

CHAMPLAIN, à Christine.

Mais va… va donc!

CHRISTINE.

Il faut commencer?

CHAMPLAIN.

Mais oui… va donc… (Lui soufflant.) "Mademoiselle…

CHRISTINE, récitant avec trouble.

"Mademoiselle, les anciens, dans cette belle fête de l'hyménée, avaient la coutume ingénieuse d'allumer un flambeau: ce flambeau… (Elle s'arrête.)

CHAMPLAIN, lui soufflant.

"Symbolique!

CHRISTINE.

"Symbolique… ce flambeau symbolique… Mademoiselle…

CHAMPLAIN.

"Deux fois symbolique!"

CHRISTINE, à Champlain.

Mais, je l'ai dit deux fois…

CHAMPLAIN.

Petite bête!

CHRISTINE.

Quoi!.. Ah! je ne sais plus… je ne me rappelle plus: Mademoiselle… excusez… mais je vous assure… que nous vous aimons bien, et que nous prions le bon Dieu de tout notre coeur… que vous soyez heureuse… avec votre épouseux.

BEVALLAN, riant.

Brava! brava!

MARGUERITE.

C'est très-bien, va; merci, mon enfant.

CHRISTINE, montrant Maxime, avec curiosité.

C'est-il Monsieur que vous épousez?

MARGUERITE.

Non, mon enfant.

CHRISTINE, montrant Bévallan.

C'est donc Monsieur?

MARGUERITE.

Oui.

CHRISTINE.

Ah! tant pis!

BEVALLAN, affectant de rire.

Brava!.. brava!.. charmante!.. naïveté agreste!

MADAME LAROQUE.

Vous viendrez me trouver toutes demain matin, Mesdemoiselles.

LES JEUNES FILLES ET CHAMPLAIN, à l'unisson.

Oui, Madame.

BEVALLAN.

C'est cela, c'est convenu… Allez, enfants, allez… (Les jeunes filles se retirent au fond.) Et maintenant, mon cher notaire, si vous voulez faire votre petite installation… Là… très-bien… (Comme le notaire vient de s'asseoir, il se fait au dehors une certaine agitation; Bévallan se retourne.) Eh bien, qu'est-ce qu'il y a donc? qu'est-ce qui arrive? (Desmarets se présente au fond; Bévallan va au-devant de lui; madame Laroque se lève.)

 

SCENE VIII.

LES PRECEDENTS, DESMARETS

(Bévallan échange quelques mots à voix basse avec Desmarets.)

MADAME LAROQUE.

Eh bien… qu'y a-t-il?.. De grâce, Messieurs!

BEVALLAN.

Mon Dieu, Madame… je suis désespéré… Monsieur votre père est plus souffrant…

MADAME LAROQUE.

Plus souffrant?

DESMARETS.

Oui, Madame… Il a été pris subitement d'une grande agitation fiévreuse… et ces brusques changements dans l'état d'un malade sont toujours des symptômes graves…

MADAME LAROQUE.

Ah! mon Dieu!.. mais j'y cours… Marguerite, mon enfant… allons… vite!.. ah!.. (Les jeunes filles restées au fond s'écartent avec un mouvement de terreur; M. Laroque paraît, marchant d'un pas roide et sinistre; il s'arrête et s'appuie contre les piliers de la porte. Alain le suit. Madame Laroque, sa fille et Desmarets s'approchent du vieillard.)

SCENE IX.

LES PRECEDENTS, M. LAROQUE, ALAIN.

DESMARETS, à demi-voix, à Alain.

Comment, Alain… vous l'avez laissé…

ALAIN.

Monsieur a voulu sortir… je n'ai pu l'en empêcher…

MARGUERITE, allant au-devant du vieillard.

Mon père… me reconnaissez-vous? (M. Laroque fait un signe de tête grave et affectueux.) Voulez-vous mon bras? (Le vieillard refuse.) Vous êtes fatigué?.. Vous voulez vous reposer? (M. Laroque consent d'un signe de tête.)

DESMARETS.

Eh bien, approchez ce fauteuil… fermez ces fenêtres… Vous devez vous trouver mieux ici, Monsieur… On y respire au moins, n'est-ce pas?.. (M. Laroque, après une faible signe de tête, s'assoit dans le fauteuil. Desmarets continue, s'adressant aux femmes.) Tant qu'il se trouvera bien ici, il faut l'y laisser… Et quant à vous, Mesdames, vous ferez bien de vous retirer. Il est plus calme maintenant… il n'y a aucun danger immédiat… réservez vos forces: vous en aurez besoin bientôt, je le crains…

MADAME LAROQUE.

Oh! nous ne pouvons le quitter maintenant… mon ami… Nous allons seulement, Marguerite et moi, changer ces toilettes, qui font un trop cruel contraste, et nous revenons aussitôt…

DESMARETS.

Eh bien, Madame, allez… M. Maxime et moi nous veillerons pendant ce temps-là.

MAXIME.

De grand coeur.

BEVALLAN.

Mon Dieu, je m'offre également.

DESMARETS.

Plus tard, Monsieur, plus tard… il ne faut pas top de monde à la fois… pas de bruit!.. il dort… vous voyez. (Il sort par le fond. Elles sortent à gauche.)

SCENE X.

LAROQUE, à demi renversé et endormi dans le fauteuil, à droite, MAXIME, DESMARETS.

(Demi-nuit: on a enlevé ou éteint les bougies; il ne reste plus qu'une lampe posée sur la table à gauche.)

MAXIME.

Eh bien?

DESMARETS.

Eh bien… c'est la fin, je crois… mais pas immédiatement; la lutte… peut être fort longue.

MAXIME.

Rien à faire?

DESMARETS.

Rien! Seulement on peut essayer de quelque potion calmante…

Je vais vous laisser deux minutes pour faire préparer cela.

MAXIME.

Allez, mon ami…

DESMARETS.

Dites à ces dames que je suis là.

MAXIME.

Bien. (Desmarets sort à droite.)

SCENE XI.

MAXIME, M. LAROQUE.

MAXIME, regardant le vieillard endormi.

Ce malheureux!.. Après tout, il s'est repenti… il a souffert… il a expié!.. et c'est moi que la Providence charge de veiller sur son dernier sommeil! Etrange destin! Ah! ce sommeil, je le lui envie!.. Cette journée m'a brisé! (Il s'asseoit près de la table.) Que je suis las! (Il appuie sa tête sur sa main: la lumière de la lampe éclaire son visage. Le vieillard s'éveille: ses yeux, troublés, s'arrêtent sur le visage de Maxime; il paraît frappé d'étonnement et de terreur; il se lève avec effort. Maxime, épouvanté, se lève en même temps. La porte du fond s'ouvre: Marguerite paraît, et regarde son père d'un oeil étonné et bientôt terrifié.)

SCENE XII.

MAXIME, M. LAROQUE, MARGUERITE.

MONSIEUR LAROQUE, d'une voix suppliante.

Monsieur le marquis, pardonnez-moi!

MARGUERITE, à part.

Ciel! (Maxime, glacé d'effroi, reste immobile et muet.)

MONSIEUR LAROQUE, avançant de deux pas vers Maxime, avec une solennité de spectre.

Monsieur le marquis, pardonnez-moi!

MARGUERITE, avec terreur.

Mon Dieu! que dit-il?

MAXIME, comprenant tout à coup marche sur le vieillard, et s'arrêtant devant lui, il lève une main sur sa tête.

Soyez en paix, Monsieur, je vous pardonne! (Le visage du vieillard exprime soudain une joie exaltée. Il chancelle. – Maxime le soutient.)

MARGUERITE, accourant à Maxime.1 [1. Maxime, Laroque, Marguerite.]

Monsieur, que signifie cela? Parlez! Dites! Vous connaissez quelque secret terrible!

MAXIME.

Moi! Aucun… je me prête à son délire, voilà tout.

MARGUERITE.

Mon père… mon père chéri… parlez… parlez encore… je vous en supplie… Vous avez quelque pensée… quelque souvenir qui vous tourmente… n'est-ce pas? n'est-ce pas? dites… mon père… parlez… au nom du ciel… au nom du Dieu de miséricorde! (Le vieillard entr'ouvre les lèvres comme pour parler. Marguerite écoute avec angoisse. Tout à coup, il étend les bras, pousse un soupir profond et retombe sans mouvement dans le fauteuil.)

MARGUERITE, poussant un cri.

Ah! ma mère! (Elle tombe à genoux.)

SCENE XIII.

LES MEMES, DESMARETS, arrivant à la hâte.

DESMARETS, après avoir touché le coeur du vieillard.

Mademoiselle, priez!

FIN DU QUATRIEME ACTE.

ACTE CINQUIEME

VIIe TABLEAU

Même décor qu'au tableau précédent. – Une table au milieu du salon. – Bougies allumées.

SCENE I.

MAXIME, BEVALLAN, debout près de la table; LAUBEPIN, assis au milieu; MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, assises autour de la table.

LAUBEPIN.

Vous ne jugez pas à propos, Madame, de convoquer ici les domestiques de cette maison?

MADAME LAROQUE.

Est-ce nécessaire; mon ami?

LAUBEPIN.

Nullement, Madame.

MADAME LAROQUE.

Eh bien, restons entre nous, je préfère cela.

LAUBEPIN.

Soit! Madame et Mademoiselle, vous avez bien voulu, il y a huit jours, en m'annonçant la perte douloureuse que vous veniez de subir, m'inviter à me rendre près de vous, et m'investir d'une mission de haute confiance, celle de procéder à l'inventaire officiel des papiers particuliers de feu M. Laroque, votre beau-père et grand-père. Je vous rendrai compte sommairement d'abord des résultats de mon examen, après quoi nous entrerons dans le détail des chiffres. Et d'abord, Mesdames, bien que toutes les pièces relatives aux volontés testamentaires de M. Laroque fussent étiquetées et numérotées avec soin, je dois vous dire que je n'ai pu mettre la main jusqu'ici sur la pièce n° 1. La pièce n° 1 manque. (Madame Aubry jette un regard sur Maxime.) La pièce n° 2 règle très-honorablement le domaine de madame Laroque.

MADAME LAROQUE.

Bien, bien, passez, mon ami; je suppose que ma fille ne me laissera pas mourir de faim: ainsi je suis parfaitement tranquille.

BEVALLAN.

Quant à cela, chère Madame, je suis là, moi! (A demi-voix à Laubépin.) Quel est le chiffre?

LAUBEPIN.

Un peu de patience, Monsieur, s'il vous plaît… La pièce n° 3 pourvoit aux intérêts de Mademoiselle Hélouin. (Mademoiselle Hélouin regarde Maxime comme pour le remercier.)

MADAME LAROQUE.

J'en suis enchantée, ma chère petite…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Madame!

LAUBEPIN.

La pièce n° 4 contient divers legs en faveur des domestiques, et c'est tout.

MADAME AUBRY.

Vous êtes sûr que c'est tout, Monsieur?

LAUBEPIN.

Parfaitement, Madame.

MADAME AUBRY.

Ainsi, il n'y a rien pour moi?

MADAME LAROQUE.

Voyons, ma chère cousine, tranquillisez-vous; nous partagerons la même chaumière.

MADAME AUBRY, avec aigreur.

Je vous remercie, ma cousine, mais il n'en est pas moins extraordinaire… Au surplus, je sais à qui je dois tout cela. (Elle regarde Maxime.) Monsieur que voilà m'a toujours honorée de son amitié particulière… et je crois comprendre…

MAXIME.

Moi, Madame, je ne comprends pas.

MADAME AUBRY.

Vous comprendriez peut-être mieux, Monsieur, si je vous demandais ce qu'est devenue la pièce n° 1.

MAXIME, troublé.

Madame… (Tous les regards se fixent sur lui.)

MADAME LAROQUE.

Qu'est-ce que vous voulez dire, ma cousine?

LAUBEPIN.

Oui… Madame… que voulez-vous dire? Daignez vous expliquer.

MADAME AUBRY.

Je veux dire qu'un certain jour j'ai vu, de mes deux yeux, Monsieur brûler une pièce détournée de ce portefeuille, et que l'enveloppe de cette pièce que j'ai trouvée au pied de votre brasero et que j'ai eu soin de recueillir, porte précisément le numéro qui manque ici, et pour preuve je vais vous chercher cette enveloppe. (Elle se lève: tous se lèvent en même temps: des domestiques emportent la table au fond.)

LAUBEPIN.

Restez, Madame… Maxime, répondez.

MADAME LAROQUE.

Monsieur Maxime?

BEVALLAN.

Eh bien, Monsieur!

MAXIME, avec embarras.

Madame dit vrai… seulement, elle s'abuse sur le caractère de cette pièce; elle ne contenait aucune disposition en sa faveur, c'était une pièce insignifiante que j'ai cru pouvoir brûler. (Laubépin le regarde avec stupeur.)

BEVALLAN, à part.

Ma foi! c'est un peu trop fort, ça!

MADAME LAROQUE, à Maxime.

Comment, c'est vous qui avez fait un tel abus de notre confiance?

MAXIME.

Madame, vous vous trompez, je le répète, sur le caractère…

LAUBEPIN.

Mais enfin, cette pièce, quel en était le contenu?

MAXIME, avec contrainte.

Je ne saurais le dire. (Mouvement dans l'assistance.)

MADAME LAROQUE.

Monsieur, je le regrette profondément, mais vous devez reconnaître que dès ce moment nous ne pouvons vivre sous le même toit.

MAXIME.

Madame, je le reconnais. (Il s'incline.) Adieu… (Il s'éloigne.)

MARGUERITE.

Monsieur Maxime, n'avez-vous donc rien… rien à dire pour votre défense?

MAXIME.

Rien. (Il salue de nouveau et sort par le fond.)

SCENE II.

LES MEMES, excepté MAXIME.

LAUBEPIN, à part.

Oui… oui… je comprends! c'est cela!

MADAME LAROQUE.

Eh bien, mon pauvre Laubépin, voilà une déception!

LAUBEPIN.

Oui, Madame, oui.

BEVALLAN.

Moi, je déclare que le fait ne me surprend nullement… Ce Monsieur-là, dès le principe…

MADAME AUBRY.

Oui, c'est très-bien… mais tout cela ne me rend pas mon legs… car je suis bien convaincue que ce papier…

LAUBEPIN.

Calmez-vous, madame Aubry… Si cette pièce contenait votre legs, en effet, rien n'est perdu… car cette pièce, j'en ai le double: le voici!

TOUS.

Comment?

LAUBEPIN.

Par un surcroît de précautions, bien justifié aujourd'hui, M. Laroque m'avait confié ce secret qu'il m'était interdit de révéler tant qu'il a vécu… que j'espérais ne révéler jamais… Mais il le faut… (A Marguerite et à sa mère.) Lisez!

MARGUERITE, parcourant le papier à la hâte.

Le marquis de Champcey… Sainte-Lucie… Quoi!.. Est-ce possible… Oh! Dieu… oui, ces paroles mystérieuses… suprêmes! Je les comprends maintenant, ah! quelle honte!

MADAME LAROQUE.

Ma fille! chère enfant!

LAUBEPIN, à Marguerite.

Voulez-vous que je le rappelle?

MARGUERITE.

Lui! jamais!.. Rougir devant lui! jamais! qu'il reste! qu'il reste ici!.. Monsieur! C'est à nous… c'est à nous de partir!.. Venez, ma mère, venez… Sortons d'ici. (A Laubépin.) Vous entendez! jamais! Oh! quelle honte! (Elle sort à gauche. Madame Laroque et mademoiselle Hélouin la soutiennent et sortent avec elle.)

SCENE III.

MADAME AUBRY, LAUBEPIN, BEVALLAN.

BEVALLAN.

Eh bien, cher Monsieur… qu'est-ce qu'il y a donc? ne peut-on savoir…?

 

MADAME AUBRY.

Oui, parlez, de grâce.

LAUBEPIN.

Il y a, que la fortune de M. Laroque, par suite d'événements de famille relatés dans cette pièce, appartient à M. Maxime, et que mademoiselle Marguerite paraît disposée à la lui restituer.

BEVALLAN.

Ah çà… qu'est-ce que vous me contez là?

LAUBEPIN.

Je n'ai pas à vous expliquer le fait; mais quant au fait je vous l'atteste.

MADAME AUBRY.

Eh bien, mais alors, dites-moi… il n'y a qu'une chose à faire, je vais le leur dire… (Se retournant, près de sortir à gauche.) Il y a assez longtemps qu'ils s'aiment d'ailleurs!

SCENE IV.

BEVALLAN, LAUBEPIN.

BEVALLAN, qui a réfléchi.

Ah, çà… que dit-elle donc!.. Est-ce vrai qu'ils s'aiment, ces jeunes gens, vraiment? Mais alors, je vais dire comme elle, moi…

LAUBEPIN, un peu railleur.

Mais non… rassurez-vous… Vous avez la parole de Marguerite, et on ne peut pas vous demander non plus d'immoler vos sentiments!

BEVALLAN, affectant la générosité.

On ne peut pas me demander d'immoler! mais, ma parole, je ne sais pas comment on me juge, moi… je ne sais pas ce que j'ai fait… on me juge tout de travers, on me prend pour un misérable, sans âme, sans coeur… mais je suis un homme de sacrifice, moi, au contraire, de dévouement… je…

SCENE V.

LES MEMES, ALAIN.

ALAIN, entrant à la hâte par le fond.

M. Laubépin, si vous pouviez venir près de ces dames…

Mademoiselle Marguerite est dans un état qui fait pitié… et Madame vous supplie…

LAUBEPIN.

J'y vais…

BEVALLAN.

Eh bien, je vous accompagne, moi; je vais dire qu'on fasse comme si je n'existais pas. Qu'est-ce que je demande, moi, qu'on fasse comme si je n'existais pas… voilà tout! On en me connaît réellement pas! (Laubépin et Bévallan sortent à gauche.)

SCENE VI.

ALAIN, puis MAXIME.

ALAIN, éteignant les bougies.

Ah! qu'est-ce qui se passe donc, mon Dieu! M. Maxime qui s'en va… et mademoiselle qui veut s'en aller aussi… à pied… la nuit…

MAXIME, entrant par le fond, timidement.

Alain!

ALAIN.

Ah! Monsieur! que je suis content de vous voir encore une fois!..

MAXIME.

Rends-moi un dernier service, mon ami… Il y a dans ma chambre deux ou trois paquets que je te prie de faire porter au bout de l'avenue… où le voiturier va les prendre dans quelques minutes… Va, mon ami… je te suis…

ALAIN.

Monsieur!

MAXIME.

Est-ce que tu me refuses?

ALAIN.

Ah! grand Dieu! Non, Monsieur.

MAXIME.

Allons, va. (Alain part par le fond en murmurant tristement.)

SCENE VII.

MAXIME, seul.

Allons! il faut partir. C'est la dernière épreuve, mais la plus amère aussi. Partir! En ce moment, il me semble que je n'ai rien souffert. Ce lieu de continuelles tortures, à l'instant où je le quitte pour jamais, c'est un paradis!.. Ah! qu'on est faible! j'étais là tout à l'heure dans ce jardin, comme un enfant, épiant le moment où je pourrais me glisser dans ce salon… pour être une minute encore près d'elle… Oui, c'est là que toute cette journée je l'ai vue près de sa mère… Cette broderie, sa main l'a touchée. (Il prend la broderie et la presse sur ses lèvres.) Ah! que je l'aimais! Adieu! adieu! (Marguerite paraît à gauche et s'arrête.)

SCENE VIII.

MAXIME, MARGUERITE.

MAXIME, sans la voir.

Ah! c'est trop de faiblesse! partons. (En se retournant, il aperçoit Marguerite.) Ah!

MARGUERITE, s'inclinant.

Monsieur le marquis, pardonnez-moi!

MAXIME, avec une profonde émotion.

Vous pardonner… (Il s'approche, et pliant le genou.) mais je t'adore!..

SCENE IX.

MAXIME, MARGUERITE, BEVALLAN, LAUBEPIN, MADAME LAROQUE, MADAME AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN, ALAIN.

MADAME LAROQUE.

Maxime, mon fils.

MAXIME.

Madame… (A Laubépin.) Mon ami…

BEVALLAN.

Monsieur de Champcey… j'avais toujours senti vers vous un attrait que je m'explique maintenant!

MAXIME.

Monsieur!..

ALAIN.

Il est gentilhomme… j'en étais sûr!1 [1. Alain, mademoiselle Hélouin, madame Laroque, Marguerite, Maxime, Laubépin, Bévallan, madame Aubry.]

MADAME LAROQUE.

Marguerite, dis-lui…

MARGUERITE, l'attirant un peu sur le devant de la scène.

Vous savez que je ne puis accepter de vous que la moitié de votre fortune, et que votre soeur…

MAXIME.

Marguerite!

MARGUERITE, avec âme.

Ah! que je l'aime, votre soeur!

FIN