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Le roman d'un jeune homme pauvre (Play)

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ACTE TROISIEME

Ve TABLEAU.

Un boudoir dans le château des Laroque. – Porte à droite. – Porte à gauche. – Porte au fond. Table, fauteuils, le brasero allumé devant le fauteuil de madame Laroque. – Lampes ou flambeaux allumés.1 [1. A gauche: madame Aubry, madame Laroque, Bévallan; à droite, mademoiselle Hélouin, Desmarets; Alain, au fond.]

SCENE I.

M. DE BEVALLAN, LE DOCTEUR DESMARETS, MADAME LAROQUE, MADAME

AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN, ALAIN, près de la porte au fond.

Tous paraissent inquiets et préoccupés.

MADAME LAROQUE.

Elle est sortie à cheval, dites-vous, Alain?

ALAIN.

Oui, Madame.

MADAME LAROQUE.

Seule?

ALAIN.

Seule.

MADAME LAROQUE.

A quelle heure?

ALAIN.

Vers quatre heures et demie, Madame.

BEVALLAN.

Mais mademoiselle Marguerite ne comptait-elle pas aller ce soir à ce bal chez madame de Castennec?

MADAME LAROQUE.

Mon Dieu, oui! et c'est ce qui rend ce retard encore plus inexplicable… Je vous assure que je meurs d'inquiétude.

DESMARETS.

Tranquillisez-vous, Madame, vous savez que mademoiselle Marguerite prolonge quelquefois ses promenades fort tard.

MADAME LAROQUE.

Jamais jusqu'à la nuit!.. Mais ne peut-on savoir de quel côté elle est allée?

MADEMOISELLE HELOIN.

Si l'on demandait à M. Odiot… Il pourrait peut-être…

MADAME LAROQUE.

Vous avez raison, mon enfant… Alain, dites à M. Odiot que je le prie de venir.

ALAIN.

Madame, M. Odiot est lui-même sorti à cheval cette après-midi, et il n'est pas rentré.

BEVALLAN, avec une nuance de soupçon.

Ah! et à quelle heure est-il sorti, M. Odiot?

ALAIN.

Mais… un peu avant quatre heures, je crois.

BEVALLAN.

Ah! (Il échange un regard avec mademoiselle Hélouin et madame Aubry.)

MADAME LAROQUE, préoccupée, à part.

Mon Dieu! quelle idée!.. (Un silence d'embarras: Maxime paraît tout à coup au fond. Il est très-pâle: il a sur le front quelques gouttes de sang.)

SCENE II.

LES MEMES, MAXIME.

MAXIME, riant, et parlant au dehors.

Ce n'est rien.

DESMARETS.

Mon ami! que vous êtes pâle… et puis, qu'est-ce que vous avez au front? Du sang, je crois?

MAXIME.

Oh! rien… c'est mon cheval qui a eu peur de son ombre, et qui vient de me jeter dans le fossé au bout de l'avenue.

MADAME LAROQUE.

Ah! mon Dieu! Monsieur!..

MAXIME.

Oh! Madame, j'en suis quitte pour la peur et un peu d'étourdissement.

MADAME LAROQUE.

Mais c'est donc une soirée de malheur!

MAXIME.

Une soirée de malheur? Comment! qu'y a-t-il donc?

MADAME LAROQUE.

Croiriez-vous que ma fille n'est pas encore rentrée à cette heure-ci?

MAXIME.

Mademoiselle Marguerite? Mais je l'ai rencontrée.

MADAME LAROQUE.

Vous l'avez rencontrée… où, Monsieur… je vous en prie… à quelle heure?

MAXIME.

Mais à cinq heures environ… sur la route de Vannes… elle allait… je venais… nous nous sommes croisés.

MADAME LAROQUE.

Et elle ne vous a pas parlé? Elle ne vous a pas dit…?

MAXIME.

Elle m'a dit qu'elle allait voir les ruines du château d'Elven.

MADAME LAROQUE.

Les ruines d'Elven… ah! grand Dieu! mais il y a par là des bois… des marais dangereux… la pauvre enfant se sera égarée… il faut y courir… je veux y aller moi-même… Alain, faites atteler promptement… mon châle, mon chapeau, Mademoiselle, je vous prie..

MADAME AUBRY.

Je vais avec vous, ma chère cousine.

BEVALLAN.

Et je vais vous accompagner à cheval, Madame, si vous le permettez…

MADAME LAROQUE.

Oui, oui, mon ami… venez aussi, docteur, je vous en prie…

Allons, vite, partons. (Tous sortent, excepté Maxime.)

SCENE III.

MAXIME, seul, puis ALAIN, portant une aiguière sur un plateau.

MAXIME.

Ah! il était temps. (Il se laisse tomber sur un siège. – Entre Alain.)

ALAIN.

Voici de l'eau, monsieur Maxime… Comment vous trouvez-vous?

MAXIME.

Mieux, mon ami, merci. (Il trempe son mouchoir dans l'aiguière et se lave le front.)

ALAIN.

Oh! ce ne sera rien, Monsieur… Une chute de cheval, quand ça ne tue pas… c'est égal, ça doit vous secouer fièrement tout de même… J'ai eu une drôle de chance, moi, Monsieur… depuis quarante ans que je monte à cheval, je ne suis jamais tombé… je ne me doute pas de l'effet que ça peut faire.

MAXIME.

As-tu jamais rêvé que tu tombais du haut d'une tour?

ALAIN.

Oh! oui, Monsieur, bien souvent.

MAXIME.

Eh bien, c'est cela… voilà l'effet que cela fait, tiens!

ALAIN.

Ah! (Mystérieusement.) Eh bien, Monsieur, pendant que vous receviez ce mauvais coup-là, j'en recevais un, moi, de mon côté, qui ne me faisait pas de bien non plus!

MAXIME.

Comment?

ALAIN.

Il faut que je dise cela à Monsieur, et que je lui demande conseil… car vraiment il y a des choses qui sont un peu trop dures à digérer… Il y a une heure à peu près, Monsieur, comme je passais auprès de la serre, voilà que j'entends le sable de l'allée qui craquait tout doucement, et puis deux voix qui chuchotaient… Je me dis: Qui est-ce qui chuchote comme cela la nuit dans le parc? Je me tapis dans le massif, Monsieur, et qu'est-ce que je vois?

MAXIME.

Qu'est-ce que tu vois?

ALAIN.

L'institutrice, Monsieur, avec M. de Bévallan… qui se parlaient dans l'oreille, et de très-près, et de si près qu'à la fin j'ai entendu, sauf le respect que je dois à Monsieur…

MAXIME.

Quoi? (Alain baise sa propre main avec bruit.) Ah!

ALAIN.

Comme j'ai l'honneur, Monsieur!.. Eh bien, Monsieur, ça ne fait pas bouillir le sang sous les ongles, ça? Ce monsieur qui veut épouser mademoiselle, et qui, en attendant, tranquillement, sans se gêner… Mais ça ne peut pas durer, et je vais tout conter à madame.

MAXIME.

Non, Alain, non… Il ne faut jamais dénoncer.. Ne dis rien. (A part.) Cette folle! (Haut.) Mademoiselle Hélouin est-elle au château?

ALAIN.

Oui, Monsieur.

MAXIME.

Eh bien, prie-la… dis-lui que je désire… (Mademoiselle Hélouin entre.) Laisse-nous, et tais-toi. (Alain sort.)

SCENE IV.

MAXIME, MADEMOISELLE HELOUIN.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Madame Laroque, Monsieur, m'a recommandé de veiller… Vous n'avez besoin de rien?

MAXIME.

De rien, merci, Mademoiselle… Mais j'ai à vous parler.

MADEMOISELLE HELOUIN.

A moi?

MAXIME.

Oui, Mademoiselle… Vous m'avez retiré votre amitié, mais la mienne vous est restée tout entière, et si vous le permettez, je vais vous le prouver.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Parlez.

MAXIME, simplement.

Eh bien, ma pauvre enfant vous vous perdez.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Monsieur!

MAXIME.

Quelqu'un vous a vue, vous a entendue, dans le parc… Il y a une heure…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Dieu!.. ah! Monsieur Maxime… je vous jure…

MAXIME.

Oh! je suis bien convaincu, Mademoiselle, que ce petit roman est très-innocent de votre part! mais de l'autre, il l'est peut-être moins1 [1. Les passages guillemetés se coupent à la représentation.], " et je vous supplie d'y réfléchir. Je ne pourrais pas toujours arrêter les suites…

MADEMOISELLE HELOUIN, cachant sa tête dans ses mains.

Mon Dieu!

MAXIME.

Allons! remettez-vous!.. que puis-je faire pour vous, dites? Y a-t-il quelque gage, quelque lettre que je puisse retirer des mains de cet homme? Parlez, disposez de moi comme d'un frère.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Un frère! Vous parlez de me sauver, et c'est vous qui me perdez! Oui, vous êtes la cause unique de ce qui arrive… après m'avoir témoigné une affection feinte, vous m'avez humiliée, désespérée… Eh bien…

MAXIME/

Humiliée! désespérée? Comment? parce que j'ai tenu dans les limites que la loyauté me commandait les sentiments que votre situation, votre beauté, vos talents, m'inspiraient? Je ne vois rien là de fort humiliant pour vous, Mademoiselle; ce qui pourrait à plus juste titre vous humilier, ce serait de vous voir aimée très-résolûment par un homme très-résolu à ne pas vous épouser… "

MADEMOISELLE HELOUIN, avec colère.

Qu'en savez-vous? Tous les hommes ne sont pas des coureurs de fortune!

MAXIME, froidement.

Ah! Est-ce que vous seriez une méchante personne, mademoiselle Hélouin? En ce cas, j'aurais l'honneur… (Il la salue comme pour se retirer.)

MADEMOISELLE HELOUIN.

Monsieur Maxime! de grâce!.. Ah! pardonnez-moi! ayez pitié de moi! Figurez-vous donc ce que peut être la pensée d'une pauvre créature comme moi, à qui on a eu la cruauté de donner un coeur, une âme, une intelligence… et qui ne peut se servir de tout cela que pour souffrir… et pour haïr! " Vous parliez de mes talents! Eh bien, ces talents, si péniblement acquis, ils ne sont pas à moi!.. J'aurai passé toute ma jeunesse à en parer une autre femme, pour qu'elle soit plus belle, plus adorée… et plus insolente encore! et quand elle s'en ira, elle, au bras d'un heureux époux, prendre sa part des plus belles fêtes de la vie, je l'en irai, moi, seule, abandonnée, vieillir dans quelque coin avec une pension de femme de chambre!.. " Eh bien, qu'est-ce que j'avais fait au ciel pour mériter cette destinée-là? Pourquoi moi plutôt que ces femmes? Certes, j'étais née aussi bien qu'elles pour être bonne, aimante, charitable. Eh! mon Dieu! les bienfaits coûtent peu quand on est riche, et la bonté est facile aux heureux! Si j'étais à leur place, et elles à la mienne, elles ne m'aimeraient pas plus que je ne les aime… on n'aime pas ses maîtres!

 

MAXIME.

Mademoiselle… de grâce!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah! oui, oui! Je vous révolte, n'est-ce pas? je vous indigne? Vous allez me mépriser maintenant plus que jamais… vous qui auriez pu d'un mot me rendre la paix… l'estime de moi-même… Vous, à qui j'ai dû pour la première fois une pensée de bonheur… d'avenir… de fierté… Ah! malheureuse!.. (Elle pleure.)

MAXIME, lui prenant la main.

Mademoiselle, je vous en supplie!.. Je vous serai toute ma vie reconnaissant de votre affection!.. mais je ne m'appartiens pas… J'ai des devoirs qui m'enchaînent… Et quand je le voudrais, enfin, je ne puis songer à me marier…

MADEMOISELLE HELOUIN, avec amertume.

Même avec Marguerite?

MAXIME.

Je ne vois pas ce que vient faire ici le nom de mademoiselle Marguerite.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah! je lis clairement dans votre pensée… et depuis longtemps, je vous l'assure… je sais qui vous êtes… je sais quelle proie vous convoitez ici. Mais j'ai les moyens de vous démasquer, de vous perdre, et j'en userai!

MAXIME.

Vous le pouvez, Mademoiselle, et avec d'autant plus de sûreté que sur le terrain de la calomnie, de la diffamation… je ne vous suivrai jamais. Je vous en donne ma parole, et je vous salue. (Il sort à droite.)

SCENE V.

MADEMOISELLE HELOUIN, seule; puis MARGUERITE, BEVALLAN, MADAME LAROQUE.

MADEMOISELLE HELOUIN, seule.

Oui, quand je devrais me perdre avec lui… je le perdrai!..

Et puis je blesserai au coeur cette insolente fille, et je serai heureuse un moment, du moins! (Entrent madame Laroque, Bévallan et Marguerite.)

MADAME LAROQUE.

Eh bien, la voilà retrouvée; Dieu merci!

MADEMOISELLE HELOUIN, courant au-devant de Marguerite.

Ah! chère enfant! vous voilà donc! Quelle joie! Je mourais d'inquiétude! Et où étiez-vous? qu'est-il arrivé?

MADAME LAROQUE.

Nous l'avons rencontrée à une lieue d'ici… Figurez-vous que le gardien des ruines l'avait enfermée dans le donjon par mégarde… et si un paysan n'était venu à passer par hasard, elle restait là toute la nuit.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah! Dieu! quelle peur vous avez dû avoir!

MARGUERITE, sombre et grave.

Oui, j'ai eu grand'peur.

BEVALLAN.

Mademoiselle, je vous le répète, je regretterai éternellement de ne pas m'être trouvé là avec vous. (Baissant un peu la voix.) C'est dans de telles situations qu'on apprécie le coeur d'un homme.

MARGUERITE.

Qu'auriez-vous fait?

BEVALLAN, avec enthousiasme.

Ce que j'aurais fait? Mais je… (Plus calme.) Je ne sais pas.

MARGUERITE.

Eh bien, cherchez.

MADAME LAROQUE, qui a ôté son chapeau et son châle.

Et maintenant, allons souper… n'est-ce pas? Madame Aubry est déjà à table et nous attend.

MARGUERITE.

Moi, ma mère, je ne souperai pas… Cette alerte m'a ôté l'appétit.

MADAME LAROQUE.

Pauvre petite!.. Eh bien, venez-vous, Bévallan? (Elle prend le bras de Bévallan.) Et vous, Mademoiselle?

MARGUERITE, bas à mademoiselle Hélouin.

J'ai deux mots à vous dire.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Bien, Mademoiselle. (Madame Laroque et Bévallan sortent à droite.)

SCENE VI.

MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN.

MARGUERITE, d'un accent sombre.

Etes-vous sûre, Mademoiselle, de ne pas vous tromper quand vous donnez à M. Odiot le nom de marquis de Champcey?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Sans doute Mademoiselle, pourquoi?

MARGUETITE.

C'est que vous vous abusez si étrangement sur son caractère, que vous pourriez commettre quelque autre méprise.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Je ne vous comprends pas.

MARGUERITE.

En tous cas, s'il est noble de nom, il l'est aussi de coeur; je puis vous en répondre.

MADEMOISELLE HELOUIN.

C'est une découverte que vous avez faite récemment?

MARGUERITE.

Oui, Mademoiselle… ce jeune homme, peu m'importe qu'on le sache, se trouvait près de moi, quand j'ai été emprisonnée dans ces ruines: et pour sauver mon honneur et le sien… car je l'accusais! il a risqué sa vie… il s'est précipité dans un abîme!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah, c'est héroïque, en effet! M. de Champcey entend à merveille l'art d'utiliser ses talents… hier c'était la natation… qui nous a valu cette mise en scène si habilement préparée… ce soir, c'est la gymnastique… Il a reçu une très-brillante éducation ce jeune homme.

MARGUERITE, soupçonneuse.

Vous le haïssez beaucoup, ce jeune homme… mais je vous serai obligée d'appuyer par des preuves sérieuses, formelles, des accusations un peu trop passionnées pour n'être pas suspectes!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah, c'est moi qui suis suspecte!.. Vous voulez des preuves?.. (Elle tire un papier de son sein.) Eh bien, en voilà une que vous ne récuserez pas… elle est écrite de sa main…

MARGUERITE.

Quoi donc!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ecoutez, écoutez… il en est temps. (Elle lit.) "Mon cher Laubépin… Je suis à la lettre toutes vos instructions. Mais je vous l'avoue, je plie quelquefois sous le fardeau vingt fois chaque jour; pour supporter le présent, je suis forcé de me remettre sous les yeux l'avenir qui doit payer toutes mes misères; cette chère dot…"

MARGUERITE, saisissant la lettre.

Dieu!

MADEMOISELLE HELOUIN, reprenant le lettre et continuant de lire.

"Cette chère dot que j'ai juré de reconquérir. Je servirai comme le pasteur biblique, quarante ans, s'il le faut!.." C'est dommage qu'il se soit arrêté là! Cette lettre a été trouvée et m'a été remise par madame Aubry. – Eh bien qu'en dites-vous?

MARGUERITE.

Appelez ma mère: je veux à l'instant même…! – Non, restez; pas un mot; je me charge de tout. (La porte de gauche s'ouvre: entrent Bévallan, Maxime, madame Laroque, madame Aubry.)

SCENE VII.

LES MEMES, BEVALLAN, MAXIME, MADAME LAROQUE, MADAME AUBRY.

MADAME LAROQUE, à Maxime.

Ainsi, vous ne vous ressentez plus…

MAXIME.

Non, Madame.

MADAME LAROQUE, à Marguerite.

Et toi, mon enfant, es-tu un peu remise?

MARGUERITE, avec une gaieté fiévreuse1 [1. Madame Laroque et Maxime descendent à gauche; Marguerite et Bévallan au milieu; mademoiselle Hélouin à droite.].

Oh! parfaitement, ma mère… et si bien même que je me sens capable d'aller à ce bal, et de danser toute la nuit… Vous venez avec nous, monsieur de Bévallan?

BEVALLAN.

Désolé, Mademoiselle, mais mon costume, comme vous voyez…

MARGUERITE.

Oh! il faut que vous veniez, Monsieur… il n'y a pas de bonne fête sans vous, vous savez… Voyons, je vous en prie, monsieur de Bévallan!

BEVALLAN.

Mademoiselle, je vous suis profondément reconnaissant de votre insistance, mais véritablement…

MARGUERITE.

Je vous en supplie… vous ne pouvez me refuser!.. Eh bien, retournez chez vous promptement… changez de costume… et revenez nous prendre… Je vous promets de vous attendre jusqu'à minuit, s'il le faut…

BEVALAN.

Vous me comblez, Mademoiselle… mais pour vous dire la vérité, tous mes chevaux d'attelage sont sur la litière… et il m'est impossible de cavalcader en toilette de bal.

MARGUERITE, vivement.

Eh bien, on va vous faire conduire et ramener dans l'américaine; voyons, je le veux. (Se tournant vers Maxime et lui lançant un regard foudroyant.) Monsieur Odiot, allez dire qu'on attelle… allez! (Cet ordre et le ton de Marguerite éveillent dans l'assistance une surprise qui se trahit par un silence embarrassé.)

MADAME LAROQUE.

Ma fille! (Maxime, un moment interdit, se lève avec gravité, et, s'approchant de la table, il appuie le doigt sur un timbre: Alain paraît au fond.)

MAXIME, à Alain.

Je crois que Mademoiselle a des ordres à vous donner.

MARGUETITE.

Aucun; sortez!

BEVALLAN, regardant Maxime.

Ma foi! voilà quelque chose d'assez particulier.

MARGUERITE, à demi-voix comme pour le contenir.

Monsieur de Bévallan!

BEVALLAN, provoquant.

Soit, Mademoiselle, mais qu'il me soit au moins permis de regretter… de n'avoir pas le droit d'intervenir ici.

MAXIME, s'avançant d'un pas vers lui.

Mais, Monsieur, vos regrets sont très-superflus!.. Car si je n'ai pas cru devoir obéir aux ordres de Mademoiselle, je suis entièrement aux vôtres, et je les attends.

BEVALLAN.

Ah! pardieu, Monsieur!..

MADAME LAROQUE, se précipitant.

Messieurs, de grâce!..

MARGUERITE.

Monsieur de Bévallan, il faut que je vous parle à l'instant; veuillez me suivre dans le salon. Venez ma mère.

BEVALLAN, s'inclinant.

Mademoiselle… (Près de sortir, il fait un signe de la main à Maxime.) Je suis à vous, Monsieur! (Madame Laroque, Marguerite, Bévallan, sortent à gauche: Mademoiselle Hélouin, à droite, après avoir lancé un regard à Maxime.)

SCENE VIII.

MAXIME, ALAIN, qui est resté au fond, en dehors, témoin de la scène précédente.

MAXIME, à part.

Cette malheureuse m'a tenu parole. Mais qu'a-t-elle pu dire?.. Eh! que m'importe! Il ne s'agit pas de cela maintenant. Alain, tu es là, mon bon Alain, écoute!

ALAIN, s'approchant.

Ah! Monsieur, quel malheur!

MAXIME.

Sans doute, c'est un malheur… mais que veux-tu? Dis-moi, mon ami, le percepteur du bourg est un ancien officier, je crois… il a servi?

ALAIN.

Oui, monsieur! Il a même été blessé en Crimée…

MAXIME, se plaçant devant la table et écrivant.

Bien! C'est cela… Attends!.. Voilà un billet que je te vais prier de lui faire porter sans retard, n'est-ce pas?

ALAIN.

Oui, Monsieur… Mais quel malheur, Monsieur! Et dire, Monsieur, qu'à l'épée comme au pistolet il n'a pas son maître dans tout le pays, ce grand traître-là.

MAXIME.

Sois tranquille, sois donc tranquille, il ne me mangera pas.

ALAIN.

Ah! si Monsieur voulait seulement me permettre de dire à ces dames ce que j'ai vu dans le parc!

MAXIME.

Malheureux!.. Est-ce que tu veux qu'on me prenne pour un misérable, un lâche?

ALAIN.

C'est vrai, Monsieur, ce n'est pas le moment.

MAXIME.

Allons! va vite, va!

ALAIN, s'en allant.

Mais quel malheur, mon Dieu! (Il sort par le fond.)

SCENE IX.

MAXIME, seul un moment, puis BEVALLAN.

MAXIME, réfléchissant.

Ma soeur! Oui, sans doute, c'est dur, mais l'honneur domine tout. Un mot à Laubépin, seulement, à tout événement. (Bévallan paraît à gauche. Maxime se lève.)

BEVALLAN, avec gravité.

Monsieur, je viens faire près de vous une démarche un peu irrégulière, et qui ne laisse pas que de me coûter… mais j'obéis à des ordres qui doivent m'être sacrés… De plus, j'ai par devers moi des états de service qui, je crois, mettent mon courage à l'abri du soupçon… Bref, je suis chargé par ces dames de vous exprimer leurs regrets; mademoiselle Marguerite, dans un moment de distraction, vous a donné tout à l'heure quelques instructions qui, évidemment, n'étaient pas de votre ressort! Votre susceptibilité s'en est justement émue: nous le reconnaissons.

MAXIME.

Monsieur, c'est assez.

BEVALLAN.

Votre main?

MACIME, lui donnant la main.

Monsieur!

BEVALLAN, avec moins de roideur.

Et maintenant, monsieur Maxime, ces dames espèrent qu'un malentendu d'un instant ne les privera pas de vos bons offices, dont elles apprécient toute la valeur. Pour moi, je suis infiniment heureux d'avoir acquis, depuis quelques minutes, le droit de joindre mes instances aux leurs… Les voeux que je formais depuis longtemps viennent d'être agréés.

MAXIME.

Ah!

BEVALLAN.

Et je vous serai personnellement obligé de ne pas nous refuser votre concours, à la veille d'un événement que des circonstances de famille, la santé de M. Laroque, nous engagent à précipiter…

 

MAXIME.

Ah!

BEVALLAN. Alain entre par le fond apportant un gros portefeuille.

Ah! merci… (Il prend le portefeuille des mains d'Alain et le dépose sur la table. Alain sort aussitôt.) Ce sont précisément, Monsieur, les papiers particuliers de M. Laroque… Ces dames, en témoignage de leur entière confiance, vous prient de vouloir bien, en respectant, bien entendu, ce qui doit être respecté, y puiser les renseignements dont nous aurons besoin pour dresser le modèle du contrat sauf à prendre plus tard les dispositions légales.

MAXIME.

C'est bien, Monsieur. Comptez sur moi.

BEVALLAN, avec une bonhomie enjouée.

J'y compte, monsieur Maxime… et permettez-moi d'espérer que toute glace est rompue entre nous… n'est-ce pas? Mon Dieu! nous nous sommes assez mal connus, jusqu'ici… Moi, je l'avoue, j'avais conçu contre vous quelques préventions, qui, Dieu merci, n'existent plus… Vous, de votre côté, vous avez pu me juger un peu témérairement… mais maintenant vous me connaîtrez mieux, et vous verrez là franchement… je ne suis pas un méchant diable… je suis un bon garçon… Ah! certainement, j'ai des défauts… j'en ai eu surtout: j'ai aimé les jolies femmes… Mais quoi! c'est preuve qu'on a un bon coeur, n'est-ce pas? Et puis, d'ailleurs, me voilà au port… et même, entre nous, j'en suis ravi… parce que je commençais à me… roussir un peu… mais je ne veux plus penser qu'à ma femme et à mes enfants… et vous pouvez en être sûr, cher Monsieur, ma femme sera parfaitement heureuse… c'est-à-dire autant qu'elle peut l'être avec une tête comme la sienne… car enfin je serai charmant pour elle… j'irai au-devant de ses moindres fantaisies… Mais si elle me demande d'aller décrocher la lune et les étoiles pour lui être agréable, dame! je n'irai pas… ça c'est impossible! Ah çà, votre main encore une fois. (Maxime lui donne la main.)

BEVALLAN.

Et je cours dire à ces dames que vous nous restez à perpétuité. (Près de sortir, il ajoute, à part.) Jusqu'après le contrat. (Il sort à gauche.)

SCENE X.

MAXIME, seul.

Et voilà l'homme qu'elle juge digne d'elle! Oui, je comprends! Lui, du moins, il apporte une fortune presque égale… il est moins suspect… malheureuse enfant! Elle ignore qu'en ce monde les plus mendiants ne sont pas toujours les plus pauvres!.. Enfin! Ah! et puis, elle est femme!.. Elle se croit offensée, et la première vengeance qui se présente, elle la saisit. Elle veut voir de quel front je supporterai les tortures qu'elle m'inflige! Eh bien, ce front, je le jure, elle le verra impassible jusqu'au pied de l'autel: sa fierté pâlira devant la mienne! (Douloureusement.) Quant au coeur, elle ne le verra pas!.. Allons! voyons!.. (Il s'asseoit.) Occupons-nous de son contrat!.. Voyons ces papiers… voyons… (Il ouvre le portefeuille et parcourt les différentes pièces qu'il contient.) Rien de nouveau pour moi dans tout cela… des titres de propriétés… rien de secret… quelques recommandations… à mes enfants!!! (Tout à coup avec stupeur.) Mon nom! que veut dire ceci! le nom de mon père!.. (Il saisit vivement une des pièces du portefeuille et lit à la hâte.) Le marquis Jacques de Champcey… mon aïeul… oui… aux Antilles, à Sainte-Lucie, nous avions là, à cette époque, d'immenses propriétés… et, je m'en souviens, oui… un régisseur du nom de Laroque! Mais il a péri, avec son fils, dans cette fatale nuit où mon aïeul livra son dernier combat… voyons donc… (Il lit.) "A l'approche des événements, la plantation avait été vendue par les soins de mon père!" Son père!.. Ce vieillard serait… (Il lit.) "Nous avions ordre de rejoindre pendant la nuit la flottille que devait escorter en France la frégate du commandant de Champcey!!! Dans le trajet, nous tombâmes dans la croisière anglaise… mon père fut tué en se défendant… moi, on me donna le choix d'être fusillé sur-le-champ ou de révéler le secret de la passe inconnue où s'était réfugiée la flottille française. En récompense de cette trahison, on m'abandonnait le prix des propriétés vendues, les sommes considérables dont j'étais porteur…" Dieu! "j'étais jeune, presque enfant… je succombai! Une heure plus tard, le marquis de Champcey avait péri sur son bord!" Misérable! Ah! et puis des remords, oui… "Dieu sait que depuis j'ai lavé dans le sang ennemi et dans le mien la tache imprimée dans une heure de faiblesse au pavillon de mon pays…" et pour ne pas rougir devant ses enfants il a gardé le fruit de son crime… Providence!.. Mais alors c'est à moi de parler en maître ici. (Il se lève. Avec emportement.) Et je parlerai! Oui, je parlerai! J'ai assez souffert… j'ai assez dévoré d'affronts!.. Eh! je ne suis pas un saint, après tout!.. Il y a du sang dans ce coeur qu'on écrase… on va l'apprendre! Cette enfant barbare va savoir à son tour ce que c'est que l'humiliation! Sa tête superbe va connaître le poids de la honte! Ce n'est qu'une femme, soit! mais elle a un défenseur, maintenant… Eh bien, tant mieux, qu'il la défende! (La porte de gauche s'ouvre: on entend la voix de Marguerite, qui dit: "J'y vais, ma mère. – Maxime: Ah! Dieu!" Marguerite entre et traverse lentement la scène, regardant Maxime. La résolution de Maxime se détend sous ce regard. – Marguerite sort par le fond à droite.)

SCENE XI.

MAXIME, seul.

Jamais! non, jamais, s'il dépend de moi, la rougeur de la honte ne passera sur ce noble front! Ce secret, ce secret terrible, il n'appartient qu'à moi… ce vieillard, déjà muet comme s'il était dans sa tombe, ne peut plus lui-même le révéler… Eh bien, ce secret… qu'il soit détruit! (Il jette le papier dans la flamme du brasero.) Ma mère, si mes fautes envers vous ne sont pas encore expiées, acceptez ce sacrifice! Je vous le consacre!.. allons! tout est dit, sortons d'ici! (Pendant qu'il prend le portefeuille, comme s'apprêtant à partir, madame Aubry ouvre la porte du fond, voit le papier qui brûle dans le brasero, et s'arrête étonnée. La toile tombe.)

FIN DU TROISIEME ACTE.