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Le roman d'un jeune homme pauvre (Play)

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ACTE DEUXIEME

IIIe TABLEAU

Une espèce de rond-point, ou de carrefour dans le parc du château de Laroque. La futaie est percée par plusieurs allées; sous les arbres, au fond, un dolmen très-apparent. Un banc de pierre au pied d'un arbre à gauche. Chaises et bancs rustiques.

SCENE I.

MAXIME, ALAIN, portant une chaise rustique et une espèce de guéridon.

MAXIME, un album sous le bras.

Mettez ce pliant ici; puisque je n'ai rien de mieux à faire cette après-midi, je m'en vais dessiner ces arbres et ce dolmen.

ALAIN.

Ah! oui… le dolmen… M. le curé aurait bien voulu le faire enlever d'ici.

MAXIME.

Et pourquoi cela?

ALAIN.

Ah! monsieur, parce qu'il y a encore des vieilles gens qui ont une idée sur ces tas de pierres et qui viennent s'agenouiller autour. C'est ce qui faisait que M. le curé… Mais mademoiselle Marguerite n'a jamais voulu… Elle dit que c'était le plus bel ornement du parc… et voilà comment c'est resté là.

MAXIME1 [1. Alain, Maxime.].

Je crois que vous avez fait ce matin une promenade à cheval avec mademoiselle Marguerite, Alain?

ALAIN, souriant.

Oui, monsieur.

MAXIME, taillant son crayon.

Vous avez bonne mine à cheval, Alain!

ALAIN.

Monsieur est trop bon… Mademoiselle a meilleure mine que moi… Vraiment, Monsieur, quand j'ai l'honneur d'accompagner Mademoiselle…

MAXIME.

Est-ce que vous ne l'accompagnez pas toujours, Alain?

ALAIN.

Oh! non, Monsieur!.. Mademoiselle se promène seule bien souvent… C'est une idée de Madame… Madame, qui a été élevée dans les Antilles anglaises, à Sainte-Lucie, a voulu donner à Mademoiselle l'éducation qui est à la mode dans ces pays-là, où il paraît que les jeunes filles, avant leur mariage, ont bien plus de liberté que chez nous… Après ça, pas de danger, Monsieur, qu'il lui arrive malheur, allez! Elle fait tant de charités qu'il n'y a pas de cabane à dix lieues à la ronde où on ne la vénère comme un ange!

MAXIME, à part.

Etrange fille!

ALAIN.

Je disais donc à Monsieur que quand j'ai l'honneur d'accompagner Mademoiselle, je passe mon temps à l'admirer. Elle a si bonne tournure sur son cheval, avec sa plume noire et son air fier… on dirait une reine, Monsieur.

MAXIME, dessinant.

Mais pourquoi donc, Alain, est-elle toujours grave et sombre comme on la voit?

ALAIN.

Ah! voilà, Monsieur, voilà!.. Elle était gaie comme un oiseau autrefois, et puis, tout d'un coup, ça a changé… Pourquoi? On ne sait pas… Moi, je croirais qu'elle a quelque chose dans le coeur… Eh! mon dieu, les jeunes filles!..

MAXIME.

Mais si vous voulez dire, Alain, qu'elle aime M. de Bévallan, il me semble qu'il ne tiendrait qu'à elle de l'épouser?

ALAIN.

Ah! certainement, Monsieur, il ne tiendrait qu'à elle, car M. de Bévallan l'a demandée assez de fois; et il faut dire que d'un côté ce serait un bon mariage… puisque M. de Bévallan est, après les Laroque, le plus riche du pays… Aussi, quand Monsieur est arrivé au château, il y a trois mois, on disait que Mademoiselle avait consenti… et puis, tout d'un coup elle s'est ravisée et a encore demandé du temps pour réfléchir.

MAXIME.

Vous devez désirer ce mariage, Alain…

ALAIN.

Pourquoi?

MAXIME.

de Bévallan a un beau nom, et vous qui avez un faible pour la noblesse…

ALAIN.

Mon Dieu! Monsieur, j'ai un faible pour la noblesse… c'est vrai… parce que j'ai été élevé dans ces idées-là… et qu'avant de servir ces dames, j'avais toujours servi dans la noblesse… aussi pourquoi ai-je tant de plaisir à servir Monsieur? Parce que Monsieur a l'air gentilhomme.

MAXIME.

Oh! vous me flattez, Alain.

ALAIN.

Non, Monsieur, vous avez l'air gentilhomme, moralement et physiquement. Eh bien, je dis moi qu'il vaut mieux avoir l'air gentilhomme et ne l'être pas, que de l'être, et de ne pas en avoir l'air… Ainsi voilà M. de Bévallan qui dit qu'il aime mademoiselle Marguerite, qu'il veut l'épouser, et Monsieur peut voir comme moi qu'en attendant il ne se gênerait pas pour faire le sultan dans le château! il y a mademoiselle Hélouin…

MAXIME.

Allons, allons, pas de jugements téméraires, Alain!

ALAIN.

Sans doute, Monsieur, sans doute… Monsieur a raison, Monsieur a raison… (Il s'éloigne de quelques pas, et se retournant.) Ah! dommage que Monsieur n'ait pas seulement cent mille livres de rente.

MAXIME.

Pourquoi cela, Alain?

ALAIN, souriant en vieillard.

Parce que… Monsieur n'a plus besoin de moi?

MAXIME.

Non, merci, mon ami. (Alain s'éloigne.) Ah! dites-moi… Voilà bien de l'encre et une plume… Mais cette lettre… cette lettre commencée que je comptais achever ici et que je vous avais prié d'apporter?

ALAIN.

Monsieur, je ne l'ai pas trouvée.

MAXIME.

Comment? mais je l'avais laissée sur mon bureau tout à fait en évidence.

ALAIN.

Monsieur… j'ai eu beau retourner les papiers.

MAXIME.

Tiens!.. Où diable ai-je pu la mettre? je vais la chercher.

ALAIN, lui prenant l'album des mains.

Monsieur me permet de jeter un coup d'oeil sur ses plans pendant ce temps-là?

MAXIME.

Certainement. (Il s'éloigne à gauche.)

SCENE II.

ALAIN, seul un moment, puis BEVALLAN et MADEMOISELLE HELOUIN arrivant par le fond à droite.

ALAIN, seul.

Ah! brave jeune homme!.. lui et mademoiselle, deux vraies créatures du bon Dieu! seulement ils ne peuvent pas se souffrir tous les deux… Quand l'un va à droite, l'autre va à gauche; quand l'un dit blanc, l'autre dit noir… En tout cas ça serait impossible! ainsi tout est pour le mieux… (Apercevant Bévallan et Mademoiselle Hélouin.) Bon, voilà les autres… Encore ensemble. (Bévallan et Mademoiselle Hélouin entrent en scène par la droite, deuxième plan; Alain sort à droite, premier plan.)

BEVALLAN.

C'est de la barbarie, Mademoiselle, de la barbarie, tout bonnement!

MADEMOISELLE HELOUIN, riant.

M. de Bévallan, quel homme êtes-vous donc, voyons? car je n'y comprends plus rien.

BEVALLAN, légèrement.

Quel homme je suis, Mademoiselle? mais je suis un aimable scélérat.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Scélérat, je le crois; mais… aimable; si on entend par là digne d'être aimé, c'est une autre question.

BEVALLAN.

Mais c'est abominablement dur, cela, Mademoiselle! Savez-vous que vous m'affligez sérieusement.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Enfin, voyons, Monsieur, pourquoi me faites-vous la cour?

BEVALLAN.

Parce que je vous aime.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Et c'est pour la même raison que vous voulez épouser Marguerite.

BEVALLAN.

Mademoiselle Marguerite!.. Et où prenez-vous que je veuille l'épouser?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Comment! vous demandez sa main tous les huit jours.

BEVALLAN.

Eh! mon Dieu! c'est… par… contenance! pour avoir un pied dans le château.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Oh! persuadez-moi cela.

BEVALLAN.

Ah! Mademoiselle, je vois avec peine que vous ne connaissez pas le coeur de l'homme.

MADEMOISELLE HELOUIN.

C'est qu'au contraire j'ai grand'peur de le connaître, le coeur de l'homme!

BEVALLAN.

Vous ne connaissez pas le mien, en tout cas. Eh! mon Dieu! Certainement, je ne le nie pas… la raison me conseillerait d'épouser mademoiselle Marguerite, mais le coeur n'est peut-être pas du même avis… et quand le coeur parle contre la raison, il court grand risque de triompher, Mademoiselle, surtout chez moi, qui ai toujours été le jouet de mes sentiments, qui suis un homme d'inspiration! Car on ne me connaît réellement pas. Je suis au fond d'une naïveté presque incroyable pour mon âge! J'ai encore toute l'ardeur irréfléchie, toute la démence de la vingtième année. Enfin, je suis capable, moi, encore aujourd'hui, d'enlever une jeune fille par une fenêtre et de me sauver avec elle dans les savanes d'Amérique, dans les pampas!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Eh bien, je ne crois pas ça.

BEVALLAN.

Vous ne croyez pas ça?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Du tout.

BEVALLAN.

Mais enfin, au nom du ciel, que faudrait-il faire pour vous convaincre…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Il faudrait le faire. (Bévallan paraît un peu décontenancé; elle part d'un éclat de rire.) Bonjour, monsieur de Bévallan, je vais faire ma provision de fleurs pour ce soir… A revoir, Monsieur. (Elle sort à droite.)

BEVALLAN, seul.

Elle est très-amusante; elle me pique, ma foi! Je vais me faufiler par là et la rejoindre dans le jardin. (Il sort par le fond.)

SCENE III.

ALAIN, qui est entré en scène avant la sortie de Bévallan, puis MAXIME.

ALAIN, seul.

Je ne sais pas ce qu'ils se disent… mais je m'en méfie de cette demoiselle-là, je m'en suis toujours méfié d'ailleurs… (Entre Maxime à gauche.) Ah! eh bien, Monsieur, cette lettre?

MAXIME.

Je ne l'ai pas trouvée, je n'y comprends rien. Heureusement elle était insignifiante… C'était une lettre à Laubépin… Il n'y a pas grand mal…

ALAIN.

C'est égal, si je la retrouve en rangeant, je viendrai l'apporter à Monsieur…

MAXIME.

Bien, merci… mon ami. (Il dessine. Alain sort à gauche.)

SCENE IV.

MAXIME, MADEMOISELLE HELOUIN, revenant à droite et portant des fleurs.

MADEMOISELLE HELOUIN.

 

Ah! vous voilà, Monsieur? quel miracle!

MAXIME, saluant.

Mademoiselle!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Vous dessinez? moi, je viens de cueillir quelques fleurs pour me coiffer ce soir… Vous savez que nous avons un bal ce soir chez madame de Castennec?

MAXIME.

Je l'ignorais.

MADEMOISELLE HELUOIN.

Au fait, vous ne savez rien de ce qui se passe, vous. (Elle pose ses fleurs sur le banc, à gauche, et en garde seulement quelques-unes dont elle s'occupe à détacher les feuilles fanées tout en parlant.)

MAXIME.

Je suis si souvent absent! mon métier m'y oblige.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Oh! et puis vous êtes sauvage!

MAXIME.

Je ne suis pas sauvage; seulement, je me tiens à ma place… pour qu'on ne soit jamais tenté de m'y remettre.

MADEMOISELLE HELOUIN, étonnée de sa froideur.

Monsieur Maxime?

MAXIME.

Mademoiselle?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Qu'est-ce que j'ai dit, ou qu'est-ce que j'ai fait qui vous ait déplu?

MAXIME.

Mais, rien, Mademoiselle, pourquoi?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Parce que vous paraissiez autrefois avoir un peu d'amitié pour moi.

MAXIME, plus ouvert.

J'en ai toujours, Mademoiselle… et ce sentiment de ma part est tout naturel… notre état de fortune n'est-il pas le même, ou à peu près? Nous sommes tous deux déshérités des biens de ce monde… isolés… sans appui, sans amis: pour une femme cette situation, je le sais, a plus d'ennuis, plus de dangers encore qu'elle n'en a pour moi! Aussi, vous pouvez compter sur la sympathie très-sincère, et je regrette seulement de ne pouvoir vous en offrir d'autre témoignage que quelques conseils… qui peut-être seraient mal reçus.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Je vous assure que non! parlez, je vous en prie.

MAXIME, avec bonté.

C'est que c'est terrible, ce que j'ai à vous dire!

MADEMOISELLE HELOUIN.

C'est égal, parlez.

MAXIME.

Eh bien, mademoiselle, vous êtes charmante, mais vous avez un défaut.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Un seul? Mais vous m'enchantez!

MAXIME.

Un seul.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Nommez-le?

MAXIME.

Le faut-il?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Je vous en supplie!

MAXIME.

Eh bien, vous êtes un peu…

MADEMOISELLE HELOUIN, gracieusement.

Quoi?

MAXIME.

Coquette, n'est-ce pas?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Je ne m'en suis jamais aperçue.

MAXIME.

Eh bien, faites-y attention… vous verrez! (Mademoiselle Hélouin, un peu intimidée, baisse la tête. – Il continue avec grâce et bonté.) Mademoiselle, c'est là un travers… bien léger… et bien innocent… mais, hélas! nous sommes condamnées à la perfection, nous deux… ce qui serait innocent chez d'autres, chez nous est coupable… En ce monde, tous les malheureux sont des suspects…

MADEMOISELLE HELOUIN, relevant la tête après une pause.

Vous êtes bon, monsieur Maxime… Vous êtes un véritable ami.

MAXIME.

J'essaie, Mademoiselle.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Mais un ami, comment?

MAXIME.

Véritable, vous l'avez dit.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Sérieusement?.. un ami qui m'aime… Voyons. (Elle effeuille les pétales d'une fleur d'oranger.) Un peu?

MAXIME, devinant.

Mais sans doute.

MADEMOISELLE HELOUIN, très-coquette.

Beaucoup?

MAXIME, surpris du ton de mademoiselle Hélouin, lève la tête.

Non! (Mademoiselle Hélouin jette avec dépit la fleur d'oranger. – Madame Aubry paraît à gauche.)

SCENE V.

LES MEMES, MADAME AUBRY.

MADAME AUBRY.

Ah! mademoiselle Hélouin, Marguerite vous cherchait… elle attend des fleurs pour faire une couronne, je crois.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Bien, Madame, j'y vais… (A Maxime.) Nous restons bons amis, j'espère? (Elle lui tend la main.)

MAXIME, saluant et prenant la main de mademoiselle Hélouin.

Pour mon compte, Mademoiselle, n'en doutez pas. (Elle sort à droite.)

SCENE VI.

MAXIME, MADAME AUBRY.

MADAME AUBRY, regardant par-dessus l'épaule de Maxime.1 [1. Maxime, Madame Aubry.]

Vous faites quelque chose de bien joli, là, Monsieur.

MAXIME.

Vous trouvez, Madame?

MADAME AUBRY.

Oui, ça me rappelle mon portrait… (Maxime la regarde avec étonnement.) que j'avais fait faire quand j'étais riche… ça me coûtait les yeux de la tête… deux mille francs;… mais c'est que c'était un artiste très-connu qui l'avait fait; je ne me rappelle pas au juste si c'était Delaroche ou Jadin1 [1. Madame Aubry, Maxime.].

MAXIME, gravement.

Ce devait être Jadin, Madame.

MADAME AUBRY.

Je ne me rappelle pas; mais, dites-moi, monsieur Maxime, savez-vous que je trouve mon pauvre cousin Laroque très baissé, moi… je l'ai vu ce matin… il avait la parole très-embarrassée.

MAXIME.

Oui, Madame, je crains beaucoup que dans un avenir prochain…

MADAME AUBRY.

Ah! Monsieur, quel malheur pour moi quand je me verrai abandonnée à la charité des étrangers… à moins que M. Laroque n'ait bien voulu penser à moi… et je le mériterais bien, je crois, après toutes les peines que je me suis données… Vous ne savez pas, par hasard, monsieur Maxime, s'il a fait quelques dispositions?

MAXIME.

Je n'en sais rien, Madame.

MADAME AUBRY.

Cependant, il vous aime beaucoup… vous avez toute sa confiance; il ne ferait rien sans vous consulter.

MAXIME.

J'ai eu le bonheur en effet de lui rendre mes services agréables.

MADAME AUBRY.

Moi… je ne demanderais pas grand'chose… de quoi vivre indépendante seulement. (Confidentiellement.) Eh bien, monsieur Maxime, voyons…

MAXIME.

Quoi, Madame?

MADAME AUBRY.

Vous n'auriez pas affaire à une ingrate, je vous assure; vous seriez content de moi.

MAXIME, très-tranquillement.

Madame Aubry, je crains de vous comprendre: si vous m'offrez de l'argent pour vous aider à dépouiller, en partie du moins, vos bienfaitrices et les miennes, eh bien, je ne veux pas. Voilà tout.

MADAME AUBRY, après un mouvement marqué de dépit.

Mais, monsieur Maxime, je ne l'entends pas du tout comme cela… Je voulais seulement vous prier de ne pas me nuire…

MAXIME.

Je ne nuis à personne volontairement, Madame.

MADAME AUBRY.

Eh bien, c'est tout ce que je demande… vous voyez… Il suffit de s'entendre… nous ne sommes plus fâchés…

MAXIME.

Nous ne l'avons jamais été, Madame.

MADAME AUBRY.

Nous restons bons amis, n'est-ce pas?

SCENE VII.

MES MEMES, BEVALLAN.

BEVALLAN, arrivant à droite.

Ma chère madame Aubry, M. Laroque réclame vos soins… je suis chargé de vous le dire.

MADAME AUBRY.

Bien! bien! j'y cours!

BEVALLAN, lui prenant les deux mains comme elle passe.

Chère madame Aubry! toujours dévouée, toujours prête à obliger! Ah! quand les femmes sont bonnes, elles sont excellentes! Mais aussi on les aime, vous savez qu'on les aime, j'espère, madame Aubry? Allons, à bientôt, chère Madame!

MADAME AUBRY.

A bientôt. (Elle sort à gauche.)

SCENE VIII.

MAXIME, BEVALLAN.

BEVALLAN.1 [1. Maxime, Bévallan.]

Ah! sapristi! que c'est délicieux, ce que vous faites là!

MAXIME.

Vous êtes indulgent.

BEVALLAN.

Non, vous avez un coup de crayon, vraiment!.. Ah çà, il paraît qu'il va mal aujourd'hui, ce pauvre bonhomme?

MAXIME.

Oui… la paralysie le gagne.

BEVALLAN.

Oh! là, là! Ah! que ça fait bien cet arbre!.. Il serait temps cependant, dites-moi, qu'il pensât à ses affaires?

MAXIME.

Je suppose qu'il y a pensé.

BEVALLAN.

Croyez-vous?

MAXIME.

Je suppose.

BEVALLAN.

Ah çà, j'espère bien qu'il n'a pas fait de legs à cette affreuse harpie qui sort d'ici.

MAXIME.

J'ignore!

BEVALLAN.

Ce serait atroce! Vous connaissez la créature… vous savez à quel point elle est indigne de toute espèce de sympathie! (Il prend une chaise et s'assied près de Maxime.1 [1. Bévallan, Maxime.] )

MAXIME.

Elle m'en inspire peu.

BEVALLAN.

Bravo! alors, si vous êtes consulté…

MAXIME.

Oh! je ne le serai pas.

BEVALLAN, s'asseyant.

Si, si, vous le serez… il vous porte dans son coeur… il vous consultera… et même, tenez, vous pouvez dans la circonstance être utile à mademoiselle Marguerite.

MAXIME, avec intérêt.

Comment cela?

BEVALLAN.

Mon Dieu, mon cher monsieur Maxime, je m'en vais m'ouvrir très-franchement avec vous là-dessus. Vous n'ignorez pas ma situation dans la maison… mon mariage avec mademoiselle Marguerite est à peu près arrêté; par conséquent, c'est un devoir pour moi de veiller aux intérêts de la jeune personne, et de vous les recommander… Eh bien, il serait très-désirable, en premier lieu, que madame Aubry fût complètement distancée… ensuite, j'ignore quel douaire M. Laroque compte assurer à madame Laroque, ma future belle-mère… Mais vous la connaissez comme moi… c'est une femme excellente, que j'aime et que j'estime profondément… mais enfin elle a des goûts très-simples: elle vivrait de rien… un gros douaire l'embarrasserait…

MAXIME.

Monsieur, je ne sais pas bien où vous voulez en venir! mais je vous dirai nettement que toute intervention de ma part dans les volontés testamentaires de M. Laroque me paraîtrait un abus grave de la confiance qu'on me témoigne ici.

BEVALLAN, indécis.

Ah! voilà comment vous répondez à la mienne?

MAXIME.

Monsieur, je ne vous l'ai pas demandée!

BEVALLAN.

Eh bien, bravo! touchez-là! c'est un trait d'honnête homme! Vous m'avez mal compris… mais c'est un trait d'honnête homme; vous ne m'avez pas compris du tout. (Se levant.) Ah çà, je vous laisse travailler. Mais comptez sur ce que je vous dis… je ne vous en estime que davantage… et mon amitié vous est acquise.

MAXIME.

Monsieur!

BEVALLAN.

A tout à l'heure! Ne vous dérangez pas! ne vous dérangez pas.

(Il sort à gauche.)

SCENE IX.

MAXIME, seul; puis MARGUERITE.

MAXIME, seul.

Cela me fait trois amis!.. Encore quelques-uns dans ce genre-là… et on me mettra à la porte. (Marguerite arrive lentement par la gauche, portant des fleurs; il se lève et salue.) Mademoiselle!

MARGUERITE, avec une nuance de raillerie.

Ah! vous dessinez le dolmen, Monsieur… Au fait, cela doit vous charmer, cet endroit-ci! Vous êtes là à merveille pour évoquer de poétiques souvenirs. Les Druides en robe blanche… Velléda… le gui sacré… Je suis sûre que dans chaque rayon de soleil vous croyez voir reluire une faucille d'or.

MAXIME.

Oui, Mademoiselle. (Il s'assied.)

MARGUERITE, s'asseyant à gauche.

Je vous croyais mort, moi.

MAXIME.

Non, pas encore, Mademoiselle.

MARGUERITE.

Vous êtes plus rare de jour en jour.

MAXIME.

J'ai voyagé toute la semaine dernière.

MARGUETITE.

Oh! et puis vous avez une passion qui vous absorbe. Nous savons cela… Vous passez presque toutes vos soirées chez notre noble cousine, mademoiselle de Porhoët-Gaël!

MAXIME.

C'est vrai, Mademoiselle. Et je m'en défends d'autant moins que mademoiselle de Porhoët touchant à son quatre-vingt-septième printemps, je ne pense pas… Au reste il est très-vrai que je l'aime beaucoup… Ses ancêtres ont régné, je crois, dans ce pays… elle reste seule de sa race, pauvre et vieille… et elle porte si dignement la majesté de son nom, celle de l'âge et celle du malheur, que je lui ai voué un attachement filial… Au surplus, c'est vous-même et Madame votre mère qui me l'avez recommandée.

MARGUERITE.

Oh! on ne vous reproche rien… ma mère vous est même extrêmement reconnaissante de vos attentions pour celle digne femme. (Elle se lève.)

MAXIME, souriant.

Et la fille de Madame votre mère?

MARGUERITE.

Oh! moi! je m'exalte moins facilement; si vous avez la prétention que je vous admire, il faut avoir la bonté d'attendre encore un peu. Je sais trop que les actions humaines ont généralement deux faces, et que la plus brillante n'est pas toujours la plus authentique… Ainsi, mademoiselle de Porhoët a encore une sorte de petite fortune, elle n'a pas d'héritier, et je ne sais pas du tout, moi…

 

MAXIME, se levant brusquement.

Permettez-moi, mademoiselle, de vous plaindre sincèrement.

MARGUERITE.

De me plaindre, monsieur?

MAXIME.

Oui, mademoiselle! souffrez que je vous exprime la pitié respectueuse que vous m'inspirez.

MARGUERITE, avec une colère contenue.

La pitié!

MAXIME.

Oui, Mademoiselle, car si le doute et le désenchantement du bien sont les fruits les plus amers de l'expérience, rien ne mérite plus de compassion qu'un coeur flétri par la défiance avant d'avoir vécu.

MARGUERITE, violente.

Monsieur… vous ne savez pas de quoi vous parlez!.. et vous oubliez à qui vous parlez!

MAXIME.

C'est vrai, mademoiselle! je parle un peu sans savoir, et j'oublie un peu à qui je parle: mais vous m'en avez donné l'exemple!

MARGUERITE, amèrement.

Il faudrait peut-être vous demander pardon?

MAXIME, ferme.

Assurément, Mademoiselle, si l'un de nous deux avait ici un pardon à demander, ce serait vous… vous êtes riche, et je suis pauvre… vous pouvez vous humilier… je ne le puis pas!

MARGUERITE.

Ah! (Elle traverse la scène comme pour sortir, puis se retournant, elle ajoute avec un geste d'humilité hautaine.) Eh bien! pardon! (Elle sort à droite.)

SCNE X.

MAXIME, seul, avec une colère douloureuse.

Elle aussi! ah! c'est mal. Jusqu'ici j'avais remarqué sans doute de l'éloignement, de l'antipathie, mais maintenant c'est de la haine, de la persécution. Qu'est-ce donc que cette enfant? que lui ai-je fait? que lui a fait le monde entier? Oh! je ne sais, mais ce que je vois assez clairement, c'est qu'elle veut me chasser d'ici! Eh bien…!

SCENE XI.

MADEMOISELLE HELOUIN, MAXIME, BEVALLAN.

MADEMOISELLE HELOUIN, hors de vue.

Alain! Préparez des sièges: madame Laroque va venir s'asseoir ici un moment. (Entrant à gauche.) Monsieur Maxime, je vous annonce que votre ami, M. Laubépin, vient d'arriver.

MAXIME.

Laubépin! ah! merci, Mademoiselle.

MADEMOISELLE HELOUIN.

C'est fini, ce dessin! voyons! c'est parfait!

MADAME AUBRY.

Exquis!

BEVALLAN.

D'une poésie…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Vous m'en donnerez une copie, n'est-ce pas?

MAXIME.

Volontiers, Mademoiselle; pardon… (Il sort à gauche.)

SCENE XII.

BEVALLAN, MADAME AUBRY, MADEMOISELLE HELOUIN.

BEVALLAN.1 [1. Madame Aubry, Bévallan, mademoiselle Hélouin.].

Charmant garçon.

MADAME AUBRY.

Charmant.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Oh! charmant!

BEVALLAN.

Il a tous les talents… tous les mérites… et il est avec cela d'une modestie…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Et d'une réserve…

MADAME AUBRY.

Et d'une complaisance…

BEVALLAN.

Il a tout pour lui!

LES DEUX FEMMES.

Tout!

BEVALLAN.

Absolument tout… Quel dommage qu'il y ait autour de sa personne cette espèce de mystère…

MADAME AUBRY.

Ah! voilà!.. C'est ce que je me dis… c'est ce mystère…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Oh! pour du mystère, il y en a…

BEVALLAN.

N'est-ce pas!.. car enfin il ne faut pas être dupe des apparences, non plus… On voit tous les jours comme cela dans le monde des gens revêtus des plus beaux dehors, et qui au fond ne sont que des…

MADEMOISELLE HELOUIN.

Des aventuriers!..

MADAME AUBRY.

Oh! mon Dieu! des chevaliers d'industrie!

BEVALLAN.

Hein? Voyons… là… franchement, entre nous, est-ce qu'il ne vous fait pas l'effet d'un pur intrigant, ce charmant garçon-là?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Moi! j'en ai peur!..

MADAME AUBRY, confidentiellement.

Moi, j'en suis sûre!

BEVALLAN.

Vous en êtes sûre!.. (A mademoiselle Hélouin.) Elle en est sûre!.. Eh bien, mais, si vous en êtes sûre, madame Aubry… savez-vous, dites-moi, que nous aurions là, nous autres vieux amis de la famille, un devoir sacré à remplir… celui d'ouvrir les yeux de ces dames sur le véritable caractère de cet individu… de ce quidam… Mais enfin, madame Aubry, êtes-vous bien sûre, voyons?..

MADAME AUBRY.

J'ai des preuves!

BEVALLAN.

Vous avez des preuves… (A mademoiselle Hélouin.) Il paraît qu'elle a des preuves!.. Ah! si elle a des preuves… Mais enfin, quelles preuves, madame Aubry?

MADAME AUBRY.

Mon Dieu!.. c'est tout simplement un fragment de lettre… que le hasard… le vent, je pense, a fait tomber à mes pieds ce matin, comme je passais sous les fenêtres de M. Odiot…

BEVALLAN.

Ah! Dieu, madame Aubry!.. toujours du bonheur!.. elle trouve toujours quelque chose!.. Eh bien, cette lettre?..

MADEMOISELLE HELOUIN.

Voyons.

MADAME AUBRY.

Eh bien!.. cette lettre, destinée je crois à M. Laubépin, est de nature à édifier complètement ces dames… et en particulier Marguerite, sur les projets, sur le désintéressement de ce jeune puritain…

BEVALLAN.

Bah! Est-ce que par hasard monsieur l'intendant…?

MADAME AUBRY, riant.

Tout bonnement!

BEVALLAN.

Ah! bravo! c'est fort, ça!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Je m'en doutais!

MADAME AUBRY.

J'ai cette lettre chez moi… mais je vous avoue que je ne sais si je dois… Ce monsieur a pris un tel pied dans la maison que j'hésite, moi, dans ma position, à entrer en lutte ouverte… D'ailleurs mes chères cousines ont une tournure d'esprit si singulière…

MADEMOISELLE HELOUIN, regardant à gauche.

Chut!.. Marguerite!.. (Madame Aubry remonte un peu la scène.)

BEVALLAN, à mademoiselle Hélouin.

Voyons donc cette lettre, mademoiselle… il ne faut pas ici de fausse démarche, vous connaissez notre amie. (Il montre madame Aubry.) Elle a de l'esprit comme un prunier… exactement… et… (Madame Aubry se rapproche.) N'est-ce pas, madame Aubry?..

MADAME AUBRY.

Quoi?

BEVALLAN.

Montrez ce papier à mademoiselle Hélouin… elle connaît ces dames… elle verra si… (Marguerite paraît à gauche, rêvant.)

MADEMOISELLE HELOUIN.

Soit!.. mais laissez-moi avec elle… je puis toujours préparer le terrain. Pauvre enfant! si elle allait tomber dans ce piège!..

BEVALLAN.

Venez-vous, madame Aubry?.. (Il lui prend le bras.) C'est incroyable, vous trouvez toujours quelque chose. Vous avez des yeux de lynx. (Ils sortent.)

SCENE XIII.

MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN.

MARGUERITE.

Je viens d'assister à une scène touchante.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Comment?

MARGUERITE.

Oui! M. Laubépin et M. Maxime se sont embrassés avec une effusion!

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah?

MARGUERITE.

Et maintenant ils causent ensemble avec un feu!.. Ne seriez-vous pas curieuse, Mademoiselle, de savoir ce que disent ces deux mystérieux personnages1 [1. Marguerite assise, mademoiselle Hélouin.]?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Non; car je m'en doute.

MARGUERITE.

Ah! (Elle la regarde.)

MADEMOISELLE HELOUIN.

Mon Dieu! ma chère enfant, vous allez peut-être me reprocher de n'avoir pas parlé plus tôt!.. mais à tort ou à raison, je m'étais fait un devoir jusqu'ici de garder à M. Odiot son secret…

MARGUERITE.

Son secret?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Et ce n'est qu'en voyant ses projets se développer trop clairement que je me décide à rompre un silence qui deviendrait coupable… Cependant, Mademoiselle, c'est à vous seule jusqu'à présent que je crois devoir…

MARGUERITE.

Parlez.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Pendant le séjour que vous fîtes à Paris, il y a quatre ans, vous savez que j'allai voir d'anciennes amies dans la pension où j'avais été élevée.

MARGUERITE.

Oui. Eh bien?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Eh bien, j'eus l'occasion d'y rencontrer plusieurs fois au parloir M. Odiot, dont le père s'appelait alors le marquis de Champcey d'Hauterive.

MARGUERITE.

Ah!

MADEMOISELLE HELOUIN.

On disait déjà, dès cette époque, que cette famille était à demi ruinée; maintenant elle l'est tout à fait; le père est mort, et le fils a été mis, par un vieil ami de sa famille, en situation de recouvrer une belle fortune par des moyens que je vous laisse le soin d'apprécier.

MARGUERITE, douloureusement.

Oh! (Après une pause.) Mais, Mademoiselle, si je vous comprends bien, la conduite de ce jeune homme ne semble guère justifier… je le vois à peine… il nous fuit.

MADEMOISELLE HELOUIN.

Ah! son ami Laubépin, qui vous connaît bien, ma pauvre enfant, n'aura pas manqué de lui dicter la discrétion politique, la réserve calculée, qui vous touchent si fort…

MARGUERITE, se levant.

C'est bien, Mademoiselle, c'est assez, je vous remercie.

(Entre Bévallan donnant le bras à madame Laroque.)

SCENE XIV.

MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, puis BEVALLAN, MADAME LAROQUE, DESMARETS, MADAME AUBRY, ensuite MAXIME et LAUBEPIN.

BEVALLAN, entrant par la gauche.

C'est convenu, Madame… c'est l'oiseau rare… le phénix!..

On le cherchait, vous l'avez trouvé!

MADAME LAROQUE.

Enfin, que voulez-vous, je l'adore!.. (Elle s'asseoit à gauche.)

BEVALLAN.

Eh bien, épousez-le, chère voisine; épousez-le, mon Dieu!

MADAME LAROQUE.

Oh! non! Je n'irai pas jusque-là! Soyez tranquille, voisin! (Entrent Laubépin et Maxime, à droite.) Eh bien, M. Maxime, avez-vous eu plus de succès que moi? Avez-vous décidé ce vilain homme à nous rester jusqu'à demain?

MAXIME.

Hélas, non, Madame!..

LAUBEPIN.

Impossible, Madame… Je suis venu seulement vous serrer la main en passant… mais je suis attendu ce soir à Rennes, et demain à Paris…

MADAME LAROQUE.

Eh bien, ne venez pas alors, mon ami! J'aime mieux ne pas vous voir positivement…

LAUBEPIN, saluant.

Madame…

DESMARETS, entrant à droite, donnant le bras à madame Aubry.

Ah! tenez, décidément, madame Aubry, vous me feriez sauter par-dessus ces arbres-là, voyez-vous?

MADAME AUBRY, qui continue une conversation avec Desmarets.

Bah! vous avez beau dire, docteur… ce sont de belles phrases, pas autre chose… (Elle s'assied à droite.) L'honneur, la gloire, et tout ça… c'est bon dans les romans… Mais moi, j'aime mieux une bonne voiture!