Za darmo

Le roman d'un jeune homme pauvre (Play)

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MAXIME.

Eh bien, Monsieur, je suis prêt. (Il se lève.)

LAUBEPIN.

Prêt à partir demain?

MAXIME.

Demain?

LAUBEPIN.

Mon Dieu, il le faut, car ces gens-là sont ne sont pas capables à eux tous de faire une quittance. Mon excellente amie madame Laroque en particulier est, en affaires, d'une enfance… c'est une créole.

MAXIME, vivement.

Ah! c'est une créole!

LAUBEPIN, sèchement.

Oui, jeune homme, une vieille créole. De son côté, sa fille…

MAXIME.

Ah! elle a une fille?

LAUBEPIN.

Oui, qui est plus jeune.

MAXIME.

Naturellement…

LAUBEPIN.

Au surplus, vous les verrez, vous les jugerez vous-même.

MAXIME.

Si je pouvais pourtant sans indiscrétion vous demander, pour ma gouverne, quelques renseignements sur le caractère des personnes avec qui je vais me trouver en contact?

LAUBEPIN, avec réserve.

Mon Dieu, jeune homme, l'article personnel est toujours fort délicat. Cependant, voyons… Il y a dans le château, en résidence permanente, sans parler des voisins, des amis, il y a, dis-je, cinq personnes: d'abord monsieur Laroque le père, célèbre au commencement de ce siècle en qualité de corsaire autorisé, source de la fortune… aujourd'hui plus qu'octogénaire… intelligence un peu flottante; ensuite, madame Laroque, sa belle-fille, veuve, créole d'origine… quelques manies… mais belle âme; mademoiselle Marguerite, sa fille, créole et bretonne… une petite tête, quelques chimères, mais belle âme; puis, en sous-ordre, une madame Aubry, cousine au deuxième degré recueillie dans la maison, veuve d'une banquier décédé en Belgique… esprit aigri; et enfin une demoiselle Hélouin, institutrice, demoiselle de compagnie, esprit cultivé… caractère… (Il hésite et reprend.) Esprit cultivé!.. c'est tout! vous voyez…

MAXIME.

Comment, mais sur cinq habitants il y a deux belles âmes… c'est une proportion magnifique!

LAUBEPIN.

N'est-ce pas? ah çà! Maxime, vous penserez à la dot d'Hélène?

MAXIME.

Je ne penserai qu'à cela, Monsieur!

LAUBEPIN.

Bien! allons! bon courage, mon ami! Demain matin je vous attends à déjeuner, et demain soir en route pour la Bretagne. (Sérieux.) Mon enfant, je ne vous connais que depuis quelques heures, et je me porte votre caution, vous voyez: je réponds de vous… à tous les points de vue: je n'aurai jamais à m'en repentir, n'est-ce pas?..

MAXIME.

Monsieur, j'ai fait, à la mémoire de celle que j'avais connue trop tard, un serment que je tiendrai. J'ai juré de ne jamais commettre aucune action dont aurait pu rougir la sainte qui fut ma mère.

LAUBEPIN.

Je suis tranquille; à demain.

MAXIME.

A demain… (Seul.) Intendant!.. allons, frère, courage!

FIN DU PREMIER TABLEAU

IIe TABLEAU

Un riche salon d'été, largement ouvert sur une terrasse ornée de statues et de grands vases: une balustrade ferme, dans le fond, cette terrasse, d'où l'on descend par un escalier de deux ou trois marches dans une autre partie des jardins. A gauche une fenêtre, un piano. – A droite une table couverte de livres et de journaux, jardinières, vases pleins de fleurs, un brasero allumé.

SCENE I.

M. DE BEVALLAN, LE DOCTEUR DESMARETS, MADAME LAROQUE, MARGUERITE, MADEMOISELLE HELOUIN, MADAME AUBRY.

Au lever de rideau, quelques jeunes filles en toilette d'été se promènent sur la terrasse, M. de Bévallan cause et rit avec elles. Le docteur Desmarets lit un journal: Madame Laroque, enveloppée de fourrures et entourée de coussins en velours et en tapisserie, est assise à droite, lisant et approchant sa main de temps à autre de la flamme du brasero. Marguerite, assise près de sa mère, fait de la tapisserie. Mademoiselle Hélouin arrange des fleurs dans un vase. Madame Aubry, assise à gauche, tricote.

BEVALLAN, après un cri de joie poussé par les jeunes filles qui battent des mains, entre dans le salon. – Aux jeunes filles en dehors.

Mesdemoiselles, c'est entendu!.. (Dans le salon.) Mesdames, ces demoiselles désirent faire un tour de valse sur la terrasse.

MADAME LAROQUE.

Comment? en plein soleil, comme cela?

BEVALLAN.

Oui, Madame, attendu que les fleurs ne craignent pas le soleil. (Mettant ses gants et s'approchant de Marguerite.) Mademoiselle Marguerite, oserai-je vous demander?..

MARGUERITE.

Oh! moi, je crains le soleil… Je vous remercie, je préfère jouer. (Elle se lève et se dirige vers le piano.)

BEVALLAN, comme elle passe près de lui, lui dit à demi-voix.

Toujours barbare! (A mademoiselle Hélouin qui arrange des fleurs.) Et vous, Mademoiselle, puis-je espérer…?

MADEMOISELLE HELOUIN.

Volontiers. (Elle prend le bras de Bévallan.)

BEVALLAN, à demi-voix.

Toujours charmante! (Haut, se dirigeant vers la terrasse.) Allons, Mesdemoiselles, allons! (Marguerite commence à jouer la valse. Bévallan, mademoiselle Hélouin et les jeunes filles tourbillonnent et disparaissent.)

MADAME LAROQUE.

Avez-vous vu ma nouvelle serre, docteur?

DESMARETS, se levant1 [1. Marguerite au piano, madame Aubry, Desmarets, madame Laroque.].

Non, Madame.

MADAME LAROQUE.

Ah! Eh bien, mais il va falloir que je vous montre cela… si je puis me traîner jusque-là.

DESMARETS.

Comment, vous traîner?.. mais vous êtes éblouissante de santé, ce matin, vous êtes fraîche comme la rosée!

MADAME LAROQUE.

Fraîche… c'est-à-dire que je suis gelée… C'est une chose extraordinaire… Depuis vingt ans que j'ai quitté les Antilles et que je suis en France, je n'ai pas encore pu me réchauffer.

DESMARETS.

Tant mieux! Madame, tant mieux! Le froid converse!.. (Passant à gauche.) Et vous, madame Aubry, voyons… la santé?

MADAME AUBRY, dolente.

Oh! toujours bien faible, docteur… j'ai eu des vertiges tout le matin.

DESMARETS.

Tant mieux! parfait, cela! signe de force!

MADAME AUBRY, confidentiellement.

Oh! le chagrin me mine, voyez-vous, docteur. On me traite si indignement ici.

DESMARETS.

Encore! comment ça?

MADAME AUBRY.

Vous n'avez pas vu encore ce matin au déjeuner… du potage froid… pas de chaufferette… toutes les indignités possibles… je suis voir le jouet des domestiques… et songez donc, docteur, quand on a été dans ma position, quand on a mangé dans de l'argenterie à ses armes!.. Ah! on ne sait pas tout ce que je souffre dans cette maison… et on ne le saura jamais, car quand on a de la fierté on souffre sans se plaindre; aussi je me tais, docteur, mais je n'en pense pas moins.

DESMARETS, impatienté.

C'est cela, Madame, n'en parlons plus. Et croyez-moi, buvez frais… cela vous calmera.

MADAME AUBRY.

Ah! rien ne me calmera, docteur… rien que la mort!

DESMARETS.

Eh bien, Madame, quand vous voudrez! (Les danseurs reparaissent en ce moment. Desmarets se retournant.) Ce diable de Bévallan est infatigable… Après avoir couru à cheval tout le matin, le voilà… (Tout à coup la danse s'interrompt: les jeunes filles poussent un cri et s'arrêtent. On aperçoit au fond Maxime, il porte un album sous le bras et un petit sac de voyage à la main, et paraît assez embarrassé de sa contenance. Alain l'accompagne.)

SCENE II.

LES MEMES, MAXIME, ALAIN.

MARGUERITE, se levant, de sa place.

Eh bien, qu'est-ce qu'il y a donc?

ALAIN, s'avançant seul pendant que Maxime attend au fond.

Madame, c'est M. Odiot, le nouvel intendant.

MADAME LAROQUE, qui s'est soulevée pour regarder Maxime.

Comment?.. ça?

ALAIN.

Oui, Madame, à ce qu'il dit1 [1. Marguerite revient prendre sa place à côté de sa mère.].

MADAME LAROQUE.

Faites entrer. (Pendant qu'Alain va chercher Maxime et le débarrasse de son sac.) Ah çà, comprend-on ce Laubépin, qui m'annonce un garçon d'un certain âge, très-simple, très-mûr, et qui m'envoie un monsieur comme ça?

BEVALLAN.

Il est positif que voilà un intendant… original.

MADEMOISELLE HELOUIN, à gauche, qui observe Maxime, avec surprise, à part.

Mais c'est le marquis de Champcey… je l'ai vu dix fois à la pension… (Maxime entre et salue2 [2. Mademoiselle Hélouin, madame Aubry, Maxime. – Desmarets, Bévallan, un peu en arrière. – Madame Laroque, Marguerite.].)

MADAME LAROQUE.

Pardon… vous êtes, Monsieur…?

MAXIME.

Odiot, Madame.

MADAME LAROQUE, n'en revenant pas.

Maxime Odiot, le régisseur, l'intendant que monsieur Laubépin…?

MAXIME.

Oui, Madame.

MADAME LAROQUE.

Vous êtes bien sûr?

MAXIME, souriant.

Mais oui, Madame, parfaitement.

MADAME LAROQUE.

Enfin, très-bien, Monsieur! Nous vous remercions beaucoup de vouloir bien nous consacrer vos talents… nous en avons grand besoin… car nous avons le malheur d'être extrêmement riches. (Madame Aubry lève les épaules.) Oui, ma chère cousine, je dis le malheur, vous avez beau lever les épaules… La richesse est pour moi un fardeau, c'est la pure vérité… moi, j'étais née pour la pauvreté, pour le dévouement, le sacrifice… j'aurais été, par exemple, une excellente soeur de charité… ou bien encore j'aurais aimé à courir le monde en bohémienne, comme ces pauvres femmes qu'on voit faire leur pauvre cuisine à l'abri des haies… C'est poétique, ça m'aurait plu… Enfin, Monsieur, le ciel en a disposé autrement; d'ailleurs cette fortune n'est pas à moi, et mon devoir est de la conserver pour ma fille, quoique la pauvre enfant n'y tienne pas plus que moi-même, n'est-ce pas, Marguerite? (Marguerite répond par un mouvement dédaigneux des sourcils.) Alain va vous montrer, Monsieur, le pavillon qui vous est destiné… Mais, auparavant, il serait bon de vous présenter à mon beau-père. Voyez, Alain, si M. Laroque peut recevoir Monsieur. Ouf! (Elle se lève péniblement en se drapant.) Eh bien, docteur, venez-vous voir ma serre?

 

DESMARETS.

Volontiers, Madame.

MADAME LAROQUE.

Venez donc aussi, Bévallan.

BEVALLAN.

Madame!

ALAIN, rentrant.

Madame, M. Laroque va descendre.

MADAME LAROQUE.

Ah! Eh bien, Monsieur, veuillez l'attendre ici… (A sa fille à demi-voix.) Dis-moi, Marguerite, si tu restais pour le présenter à ton grand-père?

MARGUERITE.

Oui, ma mère.

MADAME LAROQUE.

A revoir, Monsieur, à bientôt. (Elle prend le bras de Desmarets.)

BEVALLAN, à part.

Singulier intendant! (Il offre le bras à madame Aubry.)

MADEMOISELLE HELOUIN, à part.

Soit! gardons-lui son secret… jusqu'à nouvel ordre! (Elle sort avec les autres.)

SCENE III.

MAXIME, MARGUERITE, sur le devant. ALAIN, dans le fond.

MARGUERITE1 [1. Maxime, Marguerite, s'occupant de sa tapisserie.], après une pause embarrassée.

C'est la première fois, Monsieur, que vous venez en Bretagne?

MAXIME.

Oui, Mademoiselle.

MARGUERITE, avec insouciance.

C'est un pays intéressant pour les étrangers.

MAXIME.

Oh! très-intéressant, Mademoiselle… Je n'ai fait que le traverser rapidement… mais ce que j'ai entrevu m'a charmé… Ces vieilles forêts, ces grandes landes sauvages, avec ces horizons étagés à perte de vue; c'est vraiment…

MARGUERITE, avec une nuance de dédain.

Ah! vous êtes artiste, Monsieur! Je vois que vous aimez ce qui est beau, ce qui parle à l'imagination et à l'âme… la belle nature, les bruyères, les pierres… les beaux-arts… Allons, tant mieux!.. vous vous entendrez à merveille avec mademoiselle Hélouin, qui adore aussi toutes ces choses… que je n'aime guère, pour mon compte.

MAXIME, gaiement.

Mon Dieu! qu'est-ce donc que vous aimez, Mademoiselle, si vous me permettez?..

MARGUERITE, après un regard hautain qui lui coupe la parole. —

Elle laisse sa tapisserie, et s'éloignant.

Je vais au-devant de mon grand-père, Alain. (Elle sort. Alain descend la scène lentement.)

SCENE IV.

MAXIME, ALAIN.

MAXIME.

Allons! J'oublie que je n'ai pas le droit ici de parler en égal (Se retournant vers Alain.) excepté à cet homme… Ah! c'est amer! Dites-moi, mon ami, M. Laroque est très-âgé, n'est-ce pas?

ALAIN.

Oh! très-âgé, Monsieur, oui.

MAXIME.

Il a été marin, je crois, autrefois.

ALAIN.

Oui, Monsieur… et un fier marin, allez!.. Vous verrez, Monsieur, dans la galerie, là-haut, quelques-unes de ses batailles en peinture… Ah! c'était un homme terrible! Toujours la hache d'abordage à la main! Ah! il en a fait voir de cruelles aux Anglais, celui-là, je vous en réponds. Aussi, ils ne l'aimaient pas… Ah çà, ils ne l'aimaient pas! S'ils l'avaient tenu…

MAXIME.

Enfin, ils n'ont pas pu le prendre.

ALAIN.

Oh! jamais, Monsieur! ça leur était défendu!.. Ah! c'était un homme terrible!.. et encore à présent… tenez, Monsieur, il y a des moments, comme ça, où il se promène tout seul, le soir, dans la galerie, en rêvant tout haut à ses batailles et aux Anglais… car il a des espèces d'absences par instants… Eh bien! il me fait peur, à moi, Monsieur. Je n'en suis pas maître… il me fait peur!

MAXIME.

Ah!

ALAIN.

Le voilà, Monsieur.

MAXIME, à part.

Pauvre vieillard, il n'a pas l'air si terrible!

SCENE V.

LES MEMES, MARGUERITE, M. LAROQUE.

MARGUERITE.

Par ici, mon père… là! (Elle le fait asseoir. – A Maxime.) C'est mon grand-père, Monsieur. (A M. Laroque.) M. Odiot, le nouvel intendant, mon père.

M. LAROQUE, s'asseyant. Il regarde Maxime, et paraît subitement étonné, inquiet; Maxime, surpris de ce regard, se tait.

Bien, bien, mon enfant… Bonjour, Monsieur, bonjour.

MARGUERITE, après une pause.

Mais, Monsieur, veuillez parler, dites quelque chose.

MAXIME, avec embarras.

Mon Dieu! Mademoiselle…

MARGUERITE.

Mais parlez donc. (A son père.) M. Odiot, le nouvel intendant, mon père.

MAXIME.

Monsieur, je suis heureux de pouvoir vous consacrer mes services.

M. LAROQUE, le regardant toujours avec un air d'égarement croissant.

Mais il est mort!

MAXIME, s'adressant à Marguerite.

Comment?

MARGUERITE.

L'autre intendant. (Elle fait signe à Maxime de continuer.)

MAXIME.

Ah! – d'autant plus heureux, Monsieur, que j'ai souvent entendu citer vos glorieux faits d'armes, et que je compte moi-même dans ma famille des marins qui, comme vous, ont eu souvent l'honneur de combattre les Anglais…

M. LAROQUE, se dressant.

Ah! les Anglais! Oui! ce sont eux… Mais ils l'ont payé. Il y a du sang, je ne veux pas…

MARGUERITE.

Mon père!.. (A Maxime.) Veuillez vous retirer, Monsieur…

Allez rejoindre ma mère.

MAXIME, après s'être incliné, à part.

Joli début! (Il sort.)

SCENE VI.

MARGUERITE, M. LAROQUE.

MARGUERITE.

Mon père!.. mon père!.. Quelles pensées vous troublent!.. Voyons! revenez à vous… c'est moi… Marguerite… votre fille…

M. LAROQUE, revenant à lui peu à peu.

Toi… c'est toi… petite… oui… Eh bien, quoi? qu'y a-t-il?.. Tu es seule… Qui était donc là, tout à l'heure?

MARGUERITE.

C'était notre nouveau régisseur, mon père, M. Maxime Odiot.

M. LAROQUE.

Maxime Odiot?.. je ne connais pas… C'est bizarre… il m'avait semblé connaître ce visage. Je suis si vieux, ma fille… J'ai connu tant de monde… Il y a tant de visages qui passent comme des fantômes dans ma pauvre mémoire séculaire… Eh bien, ce jeune homme, il a l'air très-comme il faut, il me semble.

MARGUERITE.

Oui, mon père.

M. LAROQUE.

Je crois qu'il me plaira. Fait-il le piquet?

MARGUERITE.

Je ne sais pas encore, mon père.

M. LAROQUE, riant.

Espérons-le, ma fille, espérons-le. (Madame Aubry arrive à la hâte)

SCENE VII.

LES MEMES, MADAME AUBRY.

MADAME AUBRY.

Eh bien, comment vous trouvez-vous, mon cher cousin? On vient de me dire que vous étiez souffrant… et je suis accourue plus morte que vive…

M. LAROQUE, un peu railleur.

Trop bonne, cousine, trop bonne… Ce n'était rien… un peu de faiblesse.

MADAME AUBRY.

Ah! tant mieux! tant mieux!.. Venez faire un tour sur la terrasse… Cela vous fera du bien… Prenez mon bras, je vous en prie.

M. LAROQUE.

Soit! je veux bien… Allons! (A Marguerite.) Au revoir, ma chérie… (Se retournant.) Demande-lui s'il fait le piquet.

MARGUERITE.

Oui, grand-père.

M. LAROQUE.

Espérons-le!

MADAME AUBRY, pendant qu'elle s'éloigne soutenant M. Laroque.

Appuyez-vous, appuyez-vous.

SCENE VIII.

MARGUERITE, un instant seule, puis MAXIME, MADAME LAROQUE, MADEMOISELLE HELOUIN, BEVALLAN, et les jeunes filles qui restent au fond.

MARGUERITE, seule.

Cette scène me fait mal… et puis elle m'a troublée… Ces paroles étranges… Ah! c'est la faiblesse d'esprit d'un vieillard!.. Vraiment, il y a des moments où j'ai moi-même des pensées folles… (Se retournant, elle aperçoit sa mère qui revient donnant le bras à Maxime et paraissant engagée avec lui dans une conversation animée.) Comment! ma mère donne le bras à ce monsieur? (Entrent Maxime et madame Laroque, Bévallan, mademoiselle Hélouin et les jeunes filles restent en vue sur la terrasse.)

MADAME LAROQUE, d'un ton très-gracieux, à Maxime.

Exactement comme moi, Monsieur! exactement mon impression! C'est extraordinaire comme nous nous rencontrons! (Quittant son bras et le saluant.) Monsieur!.. (Maxime reste un peu en arrière, parcourant des brochures; madame Laroque descend vers sa fille, et lui dit:) Tu es étonnée, ma fille… n'est-[ce] pas? Eh bien, je le suis encore plus que toi!.. Il est tout à fait homme du monde, ce jeune homme… Il cause très-bien… et puis il a beaucoup voyagé… et, chose extraordinaire, il a exactement ma manière de voir, mes impressions… Enfin, tout en babillant, j'ai oublié entièrement sa position, et je lui ai pris le bras sans y penser… Entre nous, ma fille, je crois bien que c'est un très-mauvais intendant, mais vraiment c'est un homme très-agréable. (Elle s'asseoit dans son fauteuil à droite.)

MARGUERITE.

Tant mieux, ma mère. (Elle reprend sa tapisserie.)

BEVALLAN, aux jeunes filles.

Vous voulez donc ma mort, Mesdemoiselles?.. Mais enfin, soit! je m'exécute! (Il s'avance.) On réclame avec enthousiasme la fin de la valse interrompue.

MARGUERITE.

Ah! comment? encore! Mais jamais je ne pourrai finir cette tapisserie, et il faut que je l'envoie ce soir à Rennes pour la faire monter…

BEVALLAN.

Ah! en ce cas… je vais perdre ma danseuse, moi! (Il remonte vers le fond.)

MAXIME.

Mon Dieu! si vous le voulez, Madame, je puis à la rigueur jouer une valse ou deux?

MARGUERITE, échange un regard de surprise avec sa mère.

Vous nous obligerez, Monsieur. (Maxime se place devant le piano et joue.)

MADAME LAROQUE.

Comment! il touche du piano, maintenant!

BEVALLAN, à part.

Singulier intendant! (Allant sur la terrasse.) Mesdemoiselles, je suis à vous… mais pas longtemps; car il fait une chaleur atroce, vraiment! (Les jeunes filles disparaissent en valsant.)

MADAME LAROQUE.

Ma fille, sais-tu que cela commence à m'inquiéter?

MARGUERITE, gravement.

Pourquoi, ma mère? On peu toucher du piano et être honnête homme.

MADAME LAROQUE.

Je ne te dis pas le contraire, mon enfant… mais enfin, ce n'est pas là un intendant, franchement… jamais je n'oserai lui donner mes ordres… et puis comment veux-tu qu'un Monsieur comme ça aille trotter en sabots dans les terres labourées et dans la boue de nos chemins? c'est impossible! (Remarquant tout à coup l'album que Maxime a posé sur un guéridon.) Qu'est-ce que c'est donc que cet album-là?

MARGUERITE.

Mais il me semble qu'il l'avait à la main quand il est arrivé.

MADAME LAROQUE, ouvrant l'album.

Il ne manquait plus que cela… il dessine! et il dessine à merveille… Tiens, vois!

MARGUERITE.

Oui, c'est bien fait.

BEVALLAN.

Ah! ma foi, mesdemoiselles, décidément, je n'y tiens plus! Je me rends! Je renonce!.. (il se jette dans un fauteuil. A Maxime.) Merci, Monsieur, merci bien. Vous avez un vrai talent.

MAXIME, se levant et le saluant.

Monsieur! (Il quitte le piano.)

MADAME LAROQUE.

Vous nous pardonnerez notre indiscrétion, M. Odiot… C'est vous qui dessinez comme cela?

MAXIME.

Madame… je dessine… un peu… mais cet album est bien pauvre.

MADAME LAROQUE.

Pas du tout… Voyez donc, M. de Bévallan… ce petit coin sombre, c'est délicieux!

BEVALLAN.

Oui, ma foi!.. Salvator! tout à fait!

MADAME LAROQUE.

Où est-ce donc pris, cette vue-là, Monsieur?

MAXIME.

C'est, Madame, dans le parc du prince de Villa-Franca, en Sicile.

BEVALLAN.

De Villa-Franca?.. Tiens! j'ai passé par là, moi… Mais je n'ai pu voir le parc… je croyais que le prince ne l'ouvrait pas aux étrangers?

MAXIME.

C'est vrai, Monsieur, en général… (Il s'arrête avec embarras.) Mais, Madame, votre bienveillance m'a fait oublier trop longtemps mes devoirs! Avec votre permission, je vais entrer en fonctions dès ce moment, et aller visiter votre ferme de Langoat, dont nous parlions tout à l'heure, et qui n'est, je crois, qu'à une lieue d'ici.

MADAME LAROQUE, visiblement embarrassée.

Ma ferme de Langoat?.. Mais, Monsieur… pardon… c'est impossible… Il y a des chemins affreux… Attendez que la saison soit plus avancée. (A part.) C'est très-gênant, un intendant comme cela.

MAXIME, gaiement.

Non, madame, je n'attendrai pas un seul jour… On est intendant, ou on ne l'est pas!

MADAME LAROQUE.

 

Mais, voyons… Ne pourrait-on pas… (Alain est au fond, plaçant une jardinière.) Alain?

ALAIN, descendant la scène1 [1. Alain, madame Laroque, Maxime, Bévallan, Marguerite.].

On pourrait, madame, atteler pour M. Odiot le vieux berlingot du père Yvart… Il n'est pas suspendu, mais…

MADAME LAROQUE, qui lui fait signe de se taire.

Non… non!.. Est-ce que l'américaine ne passerait pas dans le chemin?

MAXIME.

Madame, je vous en supplie…

ALAIN.

L'américaine, Madame?.. Ma foi, non!.. Il n'y a pas risque, qu'elle y passe… ou si elle y passe, elle n'y passera pas tout entière… et encore… je ne crois pas qu'elle y passe!

MAXIME.

Je vous proteste, Madame, que j'irai parfaitement à pied.

MADAME LAROQUE.

Je vous assure, Monsieur, que je ne le souffrirai pas… Mais voyons donc… nous avons bien une demi-douzaine de chevaux de selle qui ne demandent qu'à se promener… mais probablement nous ne montez pas à cheval?

MAXIME.

Je vous demande pardon, madame; mais, véritablement…

MADAME LAROQUE.

Alain, faites seller un cheval… Lequel, dis, Marguerite?

BEVALLAN.

Donnez Proserpine?

MARGUERITE.

Non, non! pas Proserpine! gardez-vous-en bien!

MAXIME.

Et pourquoi pas donc, Mademoiselle?

MARGUERITE.

Parce qu'elle vous jetterait par terre, Monsieur.

MAXIME, souriant.

Oh! si ce n'est que cela, ne craignez rien… vous pouvez faire seller Proserpine, Alain. (Alain sort. A Bévallan.) Est-ce que celle bête est si terrible?

BEVALLAN.

Oh! non! pas tant! Un peu verte au montoir, simplement! Mais quand une fois on est dessus, si on y reste, ça va bien… Voulez-vous des éperons? j'en ai une paire à votre service.

MARGUEITE, à demi-voix, d'un ton de reproche, à Bévallan.

Monsieur de Bévallan! (Bévallan s'éloigne et se dirige vers la fenêtre.)

MAXIME.

Je vous suis obligé, Monsieur; j'accepte.

BEVALLAN, à la fenêtre de gauche.

Donnez mes éperons à Monsieur!

MAXIME, saluant.

Mesdames! (Il s'éloigne.)

MADAME LAROQUE.

Vous nous ferez l'honneur de dîner avec nous, Monsieur?

MAXIME.

Madame! (Il sort.)

BEVALLAN.

Singulier intendant!

SCENE IX.

LES MEMES, excepté MAXIME.

MARGUERITE.

Monsieur de Bévallan, je ne vous comprends pas… vous voulez donc qu'il se tue?

BEVALLAN, se rapprochant un peu.

Laissez donc, Mademoiselle!

MADAME LAROQUE.

Comment! Mais s'il y a du danger, je n'entends pas du tout, moi!..

BEVALLAN.

Aucun danger, Madame… D'ailleurs, c'est sur l'herbe… et puis, franchement, il mérite une petite leçon!

MADAME LAROQUE.

Et pourquoi donc?

BEVALLAN.

Il est trop avantageux. – Ne veut-il pas nous faire croire qu'il est l'ami du prince de Villa-Franca, à présent!

MADAME LAROQUE.

Mais il n'a pas dit un mot de ça!.. c'est vous qui le poussez!.. Ah çà, s'il y a du danger, je veux qu'on le rappelle! (Elle va vers la fenêtre, où Marguerite l'accompagne1 [1. Madame Laroque, Marguerite, près de la fenêtre, Bévallan un peu en retour, mademoiselle Hélouin.].)

BEVALLAN, à la fenêtre.

Soyez donc tranquille, Madame!.. Tenez, la voilà… voyez… c'est un vrai mouton… Ah! par exemple, s'il la touche!.. Voyons, je parie dix louis contre un qu'il ne peut pas se mettre en selle? Personne ne tient?

MARGUERITE.

Moi, si vous voulez.

BEVALLAN.

Soit, Mademoiselle…

MADAME LAROQUE.

Monsieur de Bévallan, je n'aime pas du tout cette plaisanterie… je suis au martyre!..

BEVALLAN.

Ah! il met le pied à l'étrier… Bon! paf! patapan! en voilà une ruade! Elle ne lui fera pas de mal, allez! seulement, il ne montera pas, voilà tout!.. il ne montera pas! paf! encore!.. vous avez perdu, Mademoiselle.

MARGUERITE, tout à coup.

J'ai gagné.

BEVALLAN.

Comment! en selle… sans toucher l'étrier! Eh bien, alors c'est un clown! c'est un clown! faites-lui de la musique! il va danser!

MARGUERITE.

Vous avez beau dire: il est notre maître… (Elle applaudit, et les autres femmes battent aussi des mains.)

BEVALLAN, applaudissant.

Oui, ma foi, c'est très-bien! bravo! bravo!.. (Se retournant.) Il me déplaît passablement, ce monsieur!

MADAME LAROQUE, à Bévallan.

Je ne sais pas pourquoi, mais je l'adore, moi, ce garçon-là.

BEVALLAN.

N'est-ce pas? Il est adorable! adorable!..

MARGUERITE, rêveuse, à part.

Qu'est-ce que c'est que ce jeune homme?

MADEMOISELLE HELOIN, de même.

Quand donc ai-je rêvé que j'étais marquise?

FIN DU PREMIER ACTE.