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Corneille expliqué aux enfants

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CHAPITRE XI.
SERTORIUS

Avez-vous remarqué que beaucoup des histoires de Corneille finissent bien? Il aime assez que l'homme généreux, après mille traverses, ait une récompense dans le bonheur et la tranquillité.

Rodrigue finira par épouser Chimène, Auguste et Cinna seront réconciliés et heureux. Les Horaces ont eu bien des malheurs; mais le dernier qu'on craint pour eux leur est épargné. Polyeucte a la récompense céleste qui a été sa seule ambition. Don Sanche, Nicomède sont triomphants à la fin de la pièce.

C'est le goût naturel de Corneille, qui aime profondément les hommes de bien qu'il met en scène et qui désire leur bonheur même ici-bas. Il aurait été mauvais cependant que son théâtre tout entier fût entendu ainsi. Il faut consoler les honnêtes gens; mais il ne faut pas leur donner d'illusion, et c'est une illusion que de croire qu'en ce monde le bonheur est toujours réservé, en fin de compte, à la vertu. Cela n'est vrai que quelquefois, et l'homme de cœur n'y doit pas compter.

Sur quoi faut-il donc qu'il compte? Sur sa conscience, sur l'approbation de son propre cœur, sur ces bonnes paroles qui ne font pas de bruit, mais que nous entendons bien distinctement pourtant s'élever du fond de nous-mêmes, quand nous avons fait quelque chose de bien.

Il peut compter aussi sur quelque chose qui est moins important, mais flatteur encore, et touchant, sur l'admiration des gens de bien. L'homme sent une grande douceur à être aimé de ceux qui sont bons. Il est permis de faire le bien dans l'espoir et dans le désir que les braves gens auront un bon souvenir de nous.

Eh bien, Corneille nous montre quelquefois des généreux qui sont malheureux, qui succombent à leur noble tâche, qui meurent lâchement frappés par les méchants. Il nous fait voir cela, parce que cela est vrai, et qu'il ne faut point cacher la vérité aux hommes. Mais quand il lui arrive de nous présenter ces tristes spectacles, il ne manque jamais de nous montrer ces grands hommes de bien qui sont malheureux, tellement admirés, aimés, regrettés et pleurés des personnes les plus remplies d'honneur, qu'en vérité nous ne les trouvons plus à plaindre, mais à envier plutôt, et bien consolés au moins dans leur infortune.

Il y met comme une délicatesse charmante qui consiste à ne faire aimer les hommes de cœur que par des personnes bonnes et courageuses elles-mêmes. L'affection est toujours, dans ses écrits, mêlée d'admiration. Elle n'est presque pas autre chose que l'admiration pour la vertu.

C'est une idée bien consolante; c'est aussi une idée vraie. Les méchants croient aimer quelquefois, et souvent font croire qu'ils aiment. Ils trompent, ou ils se trompent. Ne croyez ni chez vous, ni chez les autres, à l'affection qui n'est point fondée sur l'estime. La vraie sympathie est toujours une admiration et une estime de ce qu'on aime. Nos semblants d'affection pour les gens indignes ne sont qu'illusion de notre faiblesse; les sympathies apparentes des gens indignes pour nous ne sont que piège, ou, quelquefois, effort illusoire de leurs repentirs.

Corneille a aimé la vérité. Il a peint des hommes de cœur malheureux, parce que cela arrive. Il les a montrés aimés, et aimés par les gens de bien qui les admirent, parce que c'est là le seul genre d'affection véritable, et qu'à tout prendre, il n'y a ici-bas que la vertu qui soit vraiment et profondément chérie.

C'est l'histoire de Sertorius, général romain.

Ce Sertorius était un partisan de la République, à l'époque où la République romaine n'existait plus que de nom. Deux hommes, Sylla et Pompée, Sylla chef suprême de Rome, Pompée alors son lieutenant, tenaient les Romains asservis sous leur puissance. Sertorius, ne pouvant pas défendre l'indépendance de ses concitoyens à Rome, s'était retiré en Espagne avec ses partisans, et luttait contre Sylla et Pompée. Il disait, pour bien marquer lui-même cette défense du pays sur une terre étrangère:

«Rome n'est plus dans Rome; elle est toute où je suis!»

La reine d'Espagne, Viriate, aimait Sertorius, et eût désiré l'épouser.

De quelle affection l'aimait-elle? De celle que je vous disais plus haut, d'une sympathie profonde fondée sur l'admiration de ses vertus. Voici comment elle-même dépeignait à Thamire, sa dame d'honneur, ce qu'elle sentait pour le grand Romain:

 
… Tu le connais, Thamire;
Car d'où pourrait mon trône attendre un ferme appui?
Et pour qui mépriser tous nos rois que pour lui?
Sertorius, lui seul digne de Viriate,
Mérite que pour lui tout mon amour éclate.
Fais-lui, fais-lui savoir le glorieux dessein
De m'affermir au trône en lui donnant la main.
 
 
Ce ne sont pas les sens que mon amour consulte;
Il hait des passions l'impétueux tumulte;
Et son feu que j'attache aux soins de ma grandeur
Dédaigne tout mélange avec leur folle ardeur.
J'aime en Sertorius ce grand art de la guerre
Qui soutient un banni contre toute la terre;
J'aime en lui ces cheveux tout couverts de lauriers,
Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,
Ce bras qui semble avoir la victoire en partage.
L'amour de la vertu n'a jamais d'yeux pour l'âge;
Le mérite a toujours des charmes éclatants.
…  .
Depuis que son courage à nos destins préside,
Un bonheur si constant de nos armes décide.
Que deux lustres de guerre50 assurent nos climats
Contre ces souverains de tant de potentats,
Et leur laissent à peine, au bout de dix années,
Pour se couvrir de nous, l'ombre des Pyrénées.
Nos rois, sans ce héros, l'un de l'autre jaloux,
Du plus heureux sans cesse auraient rompu les coups;
Jamais ils n'auraient pu choisir entre eux un maître.
 

C'est de ce ton qu'elle parle à sa confidente des desseins de son cœur.

C'est du même ton qu'elle en parle à Sertorius lui-même. Car les honnêtes gens qui ont un sentiment noble, dédaignent les misérables finesses, et n'ont rien à cacher de leur âme. Ils la montrent sans déguisement et sans scrupule. C'est leur gloire et c'est leur bonheur qu'ils n'ont point à dissimuler, parce qu'ils n'ont point à rougir.

Qui voulez-vous que j'épouse en Espagne? dit-elle à Sertorius…

 
Parlons net sur ce choix d'un époux.
Êtes-vous trop pour moi? suis-je trop peu pour vous?
C'est m'offrir, et ce mot peut blesser les oreilles:
Mais un pareil amour sied bien à mes pareilles;
Et je veux bien, seigneur, qu'on sache désormais
Que j'ai d'assez bons yeux pour voir ce que je fais.
Je le dis donc tout haut, afin que l'on m'entende:
Je veux bien un Romain; mais je veux qu'il commande;
Et ne trouverais pas vos rois à dédaigner,
N'était51 qu'ils savent mieux obéir que régner.
Mais si de leur puissance ils vous laissent l'arbitre,
Leur faiblesse du moins en conserve le titre.
Ainsi ce noble orgueil qui vous préfère à tous,
En préfère le moindre à tout autre qu'à vous.
 
 
Je vous avouerai plus: à qui que je me donne,
Je voudrai hautement soutenir ma couronne;
Et c'est ce qui me force à vous considérer,
De peur de perdre tout, s'il nous faut séparer:
Je ne vois que vous seul qui, des mers aux montagnes,
Sous un même étendard puisse unir nos Espagnes.
Mais ce que je propose en est le seul moyen:
 
 
Quand nous sommes aux bords d'une pleine victoire,
Quel besoin avons-nous d'en partager la gloire?
Encore une campagne, et nos seuls escadrons
Aux aigles de Sylla font repasser les monts:
Et ces derniers venus auront droit de nous dire
Qu'ils auront en ces lieux établi notre empire!
Soyons d'un tel honneur l'un et l'autre jaloux;
Et, quand nous pouvons tout, ne devons rien qu'à nous.
 

Voilà comme Sertorius est aimé: par une reine, en homme qui est digne d'être roi.

Il montre en effet qu'il est digne de ces grandes affections où la confiance, l'estime, l'admiration et la gratitude se mêlent également, par la manière courageuse et magnanime dont il résiste aux séductions de son ennemi, Pompée.

Pompée commande, en Espagne, l'année opposée à Sertorius. Une trêve a été conclue entre les deux camps, et Pompée, dans une entrevue, apporte à Sertorius des propositions d'accommodement. Pompée, à l'époque où se passe la tragédie, est un jeune homme, général distingué, parleur habile et artificieux. Il cherche d'abord à séduire Sertorius en le flattant, en admirant ses grandes vertus guerrières et ses éclatants succès:

 
L'inimitié qui règne entre les deux partis
N'y rend pas de l'honneur tous les droits amortis:
Comme le vrai mérite a ses prérogatives,
Qui prennent le dessus des haines les plus vives,
L'estime et le respect sont de justes tributs
Qu'aux plus fiers ennemis arrachent les vertus;
Et c'est ce que vient rendre à la haute vaillance,
Dont je ne fais ici que trop d'expérience,
L'ardeur de voir de près un si fameux héros,
Sans lui voir en la main piques ni javelots,
Et le front désarmé de ce regard terrible
Qui dans nos escadrons guide un bras invincible.
Je suis jeune, et guerrier, et tant de fois vainqueur
Que mon trop de fortune a pu m'enfler le cœur;
Mais, et ce franc aveu sied bien aux grands courages,
J'apprends plus contre vous par mes désavantages,
Que les plus beaux succès qu'ailleurs j'aie emportés
Ne m'ont encore appris par mes prospérités.
Je vois ce qu'il faut faire, à voir ce que vous faites.
Les sièges, les assauts, les savantes retraites,
Bien camper, bien choisir à chacun son emploi;
Votre exemple est partout une étude pour moi.
Ah! si je vous pouvais rendre à la république,
Que je croirais lui faire un présent magnifique!
Et que j'irais, seigneur, à Rome avec plaisir,
Puisque la trêve enfin m'en donne le loisir,
Si j'y pouvais porter quelque faible espérance
D'y conclure un accord d'une telle importance!
Près de l'heureux Sylla ne puis-je rien pour vous?
Et près de vous, seigneur, ne puis-je rien pour tous?
 

Sertorius répond de très haut, sans habiletés d'avocat et sans précautions d'homme d'affaires. C'est bien l'homme tout à son sentiment, qu'il connaît juste et grand, et tout au dessein qu'il a entrepris.

 
 
Vous me pourriez sans doute épargner quelque peine,
Si vous vouliez avoir l'âme toute romaine.
Mais, avant que d'entrer en ces difficultés,
Souffrez que je réponde à vos civilités.
Vous ne me donnez rien par cette haute estime
Que vous n'ayez déjà dans le degré sublime:
La victoire attachée à vos premiers exploits,
Un triomphe avant l'âge où le souffrent nos lois,
Avant la dignité qui permet d'y prétendre,
Font trop voir quels respects l'univers vous doit rendre.
Si dans l'occasion je ménage un peu mieux
L'assiette du pays, et la faveur des lieux,
Si mon expérience en prend quelque avantage,
Le grand art de la guerre attend quelquefois l'âge;
Le temps y fait beaucoup; et, de mes actions;
S'il vous a plu tirer quelques instructions,
Mes exemples un jour ayant fait place aux vôtres,
Ce que je vous apprends, vous l'apprendrez à d'autres;
Et ceux qu'aura ma mort saisis de mon emploi
S'instruiront contre vous, comme vous contre moi.
Quant à l'heureux Sylla, je n'ai rien à vous dire:
Je vous ai montré l'art d'affaiblir son empire;
Et si je puis jamais y joindre des leçons
Dignes de vous apprendre à repasser les monts,
Je suivrai d'assez près votre illustre retraite
Pour traiter avec lui sans besoin d'interprète;
Et sur les bords du Tibre, une pique à la main,
Lui demander raison pour le peuple romain.
 

Pompée, réservé, prudent, à la fois désireux d'adoucir Sertorius, et tout plein de la pensée de son rôle futur dans l'Etat, répond plutôt en parlant de l'avenir que du présent. Ce qu'il veut, dit-il, c'est ménager le pouvoir, pour se le réserver à lui-même plus tard, et, alors, n'en user que pour le bien du peuple et le rétablissement de la liberté romaine:

 
Tous mes souhaits, seigneur, sont pour la liberté;
Et c'est ce qui me force à garder une place
Qu'usurperaient sans moi l'injustice et l'audace,
Afin que, Sylla mort, ce dangereux pouvoir
Ne tombe qu'en des mains qui sachent leur devoir.
Enfin je sais mon but, et vous savez le vôtre.
 

Voilà un singulier moyen de servir la liberté, répond Sertorius. Vous voulez affranchir votre pays d'un pouvoir despotique…

 
Mais cependant, seigneur, vous servez comme un autre;
Et nous, qui jugeons tout sur la foi de nos yeux,
Et laissons le dedans à pénétrer aux dieux,
Nous craignons votre exemple, et doutons si dans Rome
Il n'instruit point le peuple à prendre loi d'un homme;
Et si votre valeur, sous le pouvoir d'autrui,
Ne sème point pour vous lorsqu'elle agit pour lui.
Comme je vous estime, il m'est aisé de croire
Que de la liberté vous feriez votre gloire,
Que votre âme en secret lui donne tous ses vœux;
Mais si je m'en rapporte aux esprits soupçonneux,
Vous aidez aux Romains à faire essai d'un maître,
Sous ce flatteur espoir qu'un jour vous pourrez l'être.
La main qui les opprime, et que vous soutenez,
Les accoutume au joug que vous leur destinez:
Et, doutant s'ils voudront se faire à l'esclavage,
Aux périls de Sylla vous tâtez leur courage.
 

Pompée est un peu étonné de cette franche et directe attaque, et, en avocat habile, il a recours à un détour ingénieux. On l'accuse d'être tyran après l'avoir accusé d'être esclave, ou plutôt on l'accuse d'être tyran en sous-ordre, et de commander à titre de serviteur. Mais Sertorius lui-même ne commande-t-il point? N'est-il point un despote à sa manière? n'exerce-t-il pas en Espagne un pouvoir absolu, comme Sylla fait à Rome?

 
Le temps détrompera ceux qui parlent ainsi;
Mais justifiera-t-il ce que l'on voit ici?
Permettez qu'à mon tour je parle avec franchise;
Votre exemple à la fois m'instruit et m'autorise:
Je juge, comme vous, sur la foi de mes yeux,
Et laisse le dedans à pénétrer aux dieux.
Ne vit-on pas ici sous les ordres d'un homme?
N'y commandez-vous pas, comme Sylla dans Rome?
Du nom de dictateur, du nom de général,
Qu'importe, si des deux le pouvoir est égal?
Les titres différents ne font rien à la chose:
Vous imposez des lois ainsi qu'il en impose;
Et s'il est périlleux de s'en faire haïr,
Il ne serait pas sûr de vous désobéir.
Pour moi, si quelque jour je suis ce que vous êtes,
J'en userai peut-être alors comme vous faites:
Jusque-là…
 

Sertorius se révolte. Lui, tyran! Lui, despote! Lui, un autre Sylla! le Sylla de l'Espagne! Quelle est cette plaisante insinuation, ou cette outrageante comparaison? Pompée attend, dit-il, le moment où lui aussi sera maître pour décider sur le cas de Sertorius. – Mais, réplique Sertorius,

 
.. Vous pourriez en douter jusque-là,
Et me faire un peu moins ressembler à Sylla.
Si je commande ici, le sénat me l'ordonne;
Mes ordres n'ont encore assassiné personne:
Je n'ai pour ennemis que ceux du bien commun;
Je leur fais bonne guerre et n'en proscris pas un.
C'est un asile ouvert que mon pouvoir suprême;
Et si l'on m'obéit, ce n'est qu'autant qu'on m'aime.
 

Oh! l'homme aimable que Pompée, et bien fait pour manœuvrer avec une souplesse enveloppante dans les réunions d'hommes politiques! «Vous ne commandez que par l'amour que vous inspirez», répond-il à Sertorius. Mais, ajoute-t-il avec un sourire moitié flatteur, moitié railleur,

 
Votre pouvoir en est d'autant plus dangereux,
Qu'il rend de vos vertus les peuples amoureux,
Qu'en assujettissant vous avez l'art de plaire,
Qu'on croit n'être en vos fers qu'esclave volontaire,
Et que la liberté trouvera peu de jour
A détruire un pouvoir que fait régner l'amour.
Ainsi parlent, seigneur, les âmes soupçonneuses.
Mais n'examinons point ces questions fâcheuses,
Ni si c'est un sénat qu'un amas de bannis,
Que cet asile ouvert sous vous a réunis.
Une seconde fois, n'est-il aucune voie
Par où je puisse à Rome emporter quelque joie?
Elle serait extrême52 à trouver les moyens
De rendre un si grand homme à ses concitoyens.
Il est doux de revoir les murs de la patrie:
C'est elle par ma voix, seigneur, qui vous en prie;
C'est Rome…
 

L'effet des compliments insinuants et adroits sur les caractères énergiques et les cœurs fiers est de les enfoncer plus avant dans leurs résistances, et de leur faire embrasser leur dessein d'une plus forte attache.

On met en suspicion les vertus républicaines de Sertorius, et en doute la légitimité de son pouvoir, et, en même temps, on le flatte tout haut, par compensation de l'insulter tout bas; et encore on prononce par deux fois devant lui ce nom de Rome qui est toute son âme, pour insinuer qu'il a rompu les liens qui l'unissaient à elle. Il s'emporte tout franc alors, et éclate. Qu'est-ce donc qu'on appelle Rome?

Le séjour de votre potentat?

Qui n'a que ses fureurs pour maximes d'Etat?

Rome est ici, en Espagne, avec le Sénat proscrit, les patriotes chassés, les légions fidèles à la loi, avec Sertorius enfin.

 
Je n'appelle plus Rome un enclos de murailles
Que ses proscriptions comblent de funérailles:
Ces murs, dont le destin fut autrefois si beau,
N'en sont que la prison, ou plutôt le tombeau;
Mais, pour revivre ailleurs dans sa première force,
Avec les faux Romains elle a fait plein divorce;
Et comme autour de moi j'ai tous ses vrais appuis,
Rome n'est plus dans Rome, elle est toute où je suis!
 

Ce qui serait digne de Pompée, ce n'est pas de servir sous Sylla, ce n'est pas de chercher à séduire Sertorius, ce serait de s'unir aux patriotes, aux républicains, aux vrais Romains, pour briser un joug odieux, déshonorant pour Rome, inutile et funeste au monde.

 
Je ne sais qu'une voie
Qui puisse avec honneur vous donner cette joie.
Unissons-nous ensemble, et le tyran est bas:
Rome à ce grand dessein ouvrira tous ses bras.
Ainsi nous ferons voir l'amour de la patrie,
Pour qui vont les grands cœurs jusqu'à l'idolâtrie;
Et nous épargnerons ces flots de sang romain
Que versent tous les ans votre bras et ma main.
 

Pompée, en venant pressentir Sertorius, avait une pensée de derrière la tête, un dernier argument en réserve, comme un général a une dernière troupe en arrière-garde qu'il ne fait donner qu'au moment suprême pour assurer la victoire.

Cette raison décisive est une proposition de Sylla, qui a autorisé Pompée à dire à Sertorius qu'il consentait à se démettre du pouvoir, si Sertorius consentait à mettre bas les armes.

C'est ce que Pompée se décide enfin à dévoiler à Sertorius:

 
Je sais une autre voie, et plus noble et plus sûre.
Sylla, si vous voulez, quitte sa dictature;
Et déjà, de lui-même, il s'en serait démis,
S'il voyait qu'en ses lieux il n'eût plus d'ennemis.
Mettez les armes bas, je réponds de l'issue;
J'en donne ma parole après l'avoir reçue.
Si vous êtes Romain, prenez l'occasion.
 

Mais Sertorius aussi est général, et connaît les ruses de guerre. Il flaire un piège, et répond froidement: Sylla doit me tromper, puisqu'il vous a bien séduit vous-même:

 
Je ne m'éblouis point de cette illusion.
Je connais le tyran, j'en vois le stratagème;
Quoi qu'il semble promettre, il est toujours lui-même.
Vous qu'à sa défiance il a sacrifié
Jusques à vous forcer d'être son allié…
 

Pompée est battu. Il n'a plus de corps de réserve à faire donner, et même il est forcé dans ses derniers retranchements. On lui a montré qu'il est un peu la dupe de Sylla, et tout à fait son prisonnier. Ainsi finit cette entrevue entre le lion et le renard.

Je vous ai cité toute cette scène, mes chers amis, d'abord parce qu'elle est très belle, bien entendu, ensuite parce que vous entendrez dire quelquefois que Corneille est souvent une espèce d'avocat dans ses tragédies, qu'il y fait de grands discours, et même des discours qui sentent le tribunal et la chicane, qu'il plaide enfin.

C'est très vrai, cela. Corneille aime à plaider envers, et plaide bien. Mais il ne faut peut-être pas lui en faire un très grand reproche, parce que, quand il met en présence deux de ses personnages comme deux avocats, ce n'est pas au meilleur avocat qu'il fait gagner le procès, c'est à la meilleure cause.

Dans la scène de tout à l'heure, le talent d'avocat, l'habileté, l'adresse, l'amabilité insinuante, et les ressources des mouvements tournants, c'est Pompée qui a tout cela. Sertorius va droit devant lui, dans sa pleine franchise, et le mouvement rude et fort de sa passion pour le bien. Et qui est battu? c'est Pompée. Qui s'en va intact, et victorieux, et assez dédaigneux? c'est Sertorius.

 

Il n'est pas défendu d'être habile. Mais Corneille sait très bien que la plus grande habileté humaine, c'est encore de penser toujours la même chose, une fois qu'on se sent dans le vrai, et que, contre cette obstination tranquille dans une idée juste, tout vient se briser, sans même qu'on mette grand effort dans la résistance. Remportez souvent de ces victoires-là.

Hélas! c'est la dernière que Sertorius aura remportée.

La vertu donne la bonne réputation toujours, la gloire quelquefois, l'influence sur les hommes souvent, la fierté d'une bonne conscience et la paix du cœur infailliblement. Elle ne donne pas toujours le succès définitif. Il n'importe; et Corneille, comme je vous le disais au commencement, a voulu justement prouver qu'il n'importe pas. Sertorius meurt au moment du triomphe de ses idées, ou, du moins, au moment où ce qu'il déteste le plus au monde, la tyrannie, va disparaître.

La proposition de Sylla n'était pas un piège. Sylla, réellement, voulait abdiquer, et, de fait, on apprend qu'il abdique. Mais, en même temps, on apprend que Sertorius a été tué. Perpenna, un de ses lieutenants, jaloux de lui, le trahissait. Il l'a fait périr. Il vient s'en faire honneur devant Viriate, en l'assurant qu'il a commis cette lâcheté par amour pour elle:

PERPENNA, à Viriate
 
Sertorius est mort: cessez d'être jalouse,
Madame, du haut rang qu'aurait pris son épouse,
Et n'appréhendez plus, comme de son vivant,
Qu'en vos propres Etats elle ait le pas devant.
Si l'espoir d'Aristie53 a fait ombrage au vôtre,
Je puis vous assurer et d'elle et de tout autre,
Et que ce coup heureux saura vous maintenir
Et contre le présent et contre l'avenir.
C'était un grand guerrier, mais dont le sang ni l'âge
Ne pouvaient avec vous faire un digne assemblage;
Et, malgré ces défauts, ce qui vous en plaisait,
C'était sa dignité qui vous tyrannisait.
Le nom du général vous le rendait aimable;
A vos rois, à moi-même il était préférable:
Vous vous éblouissiez du titre et de l'emploi;
Et je viens vous offrir et l'un et l'autre en moi,
Avec des qualités, où votre âme hautaine
Trouvera mieux de quoi mériter une reine…
 

Viriate éclate en imprécations ironiques contre le misérable. Jamais Sertorius n'a paru si grand que dans cette noble et fière louange de ses vertus faite par celle qui l'aimait, et dans la confusion où son ennemi reste comme accablé:

VIRIATE
 
En effet, c'est à moi de répondre;
Et mon silence ingrat a droit de me confondre.
Ce généreux exploit, ces nobles sentiments
Méritent de ma part de hauts remercîments;
Les différer encor, c'est lui faire injustice.
Il m'a rendu sans doute un signalé service;
Mais il n'en sait encor la grandeur qu'à demi:
Le grand Sertorius fut son parfait ami;
Apprenez-le, seigneur (car je me persuade
Que nous devons ce titre à votre nouveau grade;
Et, pour le peu de temps qu'il pourra vous durer,
Il me coûtera peu de vous le déférer):
Sachez donc que pour vous il osa me déplaire,
Ce héros; qu'il osa mériter ma colère;
Que malgré son amour, que malgré mon courroux,
Il a fait tous efforts pour me donner à vous;
Et qu'à moins qu'il vous plût lui rendre sa parole,
Tout mon dessein n'était qu'une attente frivole;
Qu'il s'obstinait pour vous au refus de ma main.
… Permettez que j'estime
La grandeur de l'amour par la grandeur du crime.
Chez lui-même, à sa table, au milieu d'un festin,
D'un si parfait ami devenir l'assassin,
Et de son général se faire un sacrifice,
Lorsque son amitié lui rend un tel service;
Renoncer à la gloire, accepter pour jamais
L'infamie et l'horreur qui suit les grands forfaits;
Jusqu'en mon cabinet porter sa violence,
Pour obtenir ma main m'y tenir sans défense:
Tout cela d'autant plus fait voir ce que je doi
A cet excès d'amour qu'il daigne avoir pour moi;
Tout cela montre une âme au dernier point charmée.
Il serait moins coupable à m'avoir moins aimée;
Et, comme je n'ai point les sentiments ingrats,
Je lui veux conseiller de ne m'épouser pas:
Ce serait en son lit mettre son ennemie,
Pour être à tous moments maîtresse de sa vie;
Et je me résoudrais à cet excès d'honneur,
Pour mieux choisir la place à lui percer le cœur.
Seigneur, voilà l'effet de ma reconnaissance.
Du reste, ma personne est en votre puissance;
Vous êtes maître ici; commandez, disposez,
Et recevez enfin ma main, si vous l'osez.
 

Du reste, l'assassin sera puni comme il mérite de l'être. Pompée est un habile et un diplomate; mais il n'est pas un misérable. Il a grand cœur et sait estimer ses ennemis. Il fait jeter Perpenna au peuple ameuté, qui déchire le meurtrier du grand Sertorius.

En donnant cet ordre terrible mais juste, il dit, du grand ton dont il doit parler plus tard quand il sera maître du monde:

 
C'est assez.
Je suis maître; je parle; allez, obéissez!
 

Puis, se retournant vers Viriate, désolée, mais toujours fière:

 
Ne vous offensez pas d'ouïr parler en maître,
Grande reine; ce n'est que pour punir un traître.
Criminel envers vous d'avoir trop écouté
L'insolence où montait sa noire lâcheté,
J'ai cru devoir sur lui prendre ce haut empire,
Pour me justifier avant que vous rien dire:
Mais je n'abuse point d'un si facile accès,
Et je n'ai jamais su dérober mes succès.
Quelque appui que son crime aujourd'hui vous enlève,
Je vous offre la paix, et ne romps point la trêve;
Et ceux de nos Romains qui sont auprès de vous
Peuvent y demeurer sans craindre mon courroux.
 

Viriate a une admirable réponse. Elle aimait Sertorius, et était l'ennemie des Romains à cause de lui. Magnifique hommage à la mémoire pure et grande de Sertorius. Sertorius mort, elle met bas les armes, renonce à la guerre, au mariage, à tout rôle politique.

Elle vieillira, grave et triste, enveloppée dans son deuil, et n'ayant plus d'autre entretien que le souvenir du grand patriote, du grand proscrit, du grand vaincu. Elle se considère comme la veuve de Sertorius, et la gardienne de sa tombe. Nous avons vu précédemment (chap. IX) Cornélie survivant à Pompée pour faire respecter sa mémoire et ne vivre que de son souvenir; Viriate est la Cornélie de Sertorius:

 
Moi, j'accepte la paix que vous m'avez offerte;
C'est tout ce que je puis, seigneur, après ma perte;
Elle est irréparable: et comme je ne voi
Ni chefs dignes de vous, ni rois dignes de moi,
Je renonce à la guerre ainsi qu'à l'hyménée;
Mais j'aime encor l'honneur du trône où je suis née.
D'une juste amitié je sais garder les lois,
Et ne sais point régner comme règnent nos rois:
S'il faut que sous votre ordre ainsi qu'eux je domine,
Je m'ensevelirai sous ma propre ruine;
Mais si je puis régner sans honte et sans époux,
Je ne veux d'héritiers que votre Rome, ou vous.
Vous choisirez, seigneur; ou si votre alliance
Ne peut voir mes Etats sous ma seule puissance,
Vous n'avez qu'à garder cette place en vos mains,
Et je m'y tiens déjà captive des Romains.
 

On est digne, quelquefois, de comprendre les sentiments qu'on est capable d'inspirer. Pompée, qui plus tard laissera à une Cornélie le souvenir ineffaçable de lui-même, comprend tout ce qu'il y a de noble dans le renoncement triste et désolé de Viriate. Il s'incline devant cette noble infortune et cette grande douleur, et répond:

 
Madame, vous avez l'âme trop généreuse
Pour ne pas obtenir une paix glorieuse;
A Rome l'on verra mon pouvoir abattu,
Ou j'y ferai toujours honorer la vertu.
 

«Honorer la vertu.» Ce n'est peut-être pas le Pompée de l'histoire qui parle ainsi; mais c'est Corneille. Quand Corneille ne couronne pas ses héros vertueux de gloire et de prospérité, il les couronne d'honneur et de respect après leur mort. Comme autour de Polyeucte, martyr de sa foi, il amenait Pauline enthousiaste et prête au sacrifice, Félix converti et repentant, Sévère respectueux et attendri: de même sur la tombe de Sertorius, martyr de son patriotisme, il réunit les deux ennemis, Viriate et Pompée, l'une vouée à un deuil éternel, l'autre respectueusement ému, dans une même pensée de regret, d'admiration, de vénération, et d'esprit de paix.

50On appelait lustre un espace de cinq ans; deux lustres de guerre, ce sont dix ans de guerre.
51Si ce n'était que…
52Ma joie serait extrême, si je trouvais…
53Aristie, de son vrai nom Antistie, était la première femme de Pompée.

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