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Les mystères du peuple, Tome I

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Les ewaghs conduisant Daoülas, chargé de chaînes, l'amenèrent auprès de la cage d'osier, représentant une figure humaine d'une taille gigantesque. Malgré les cris d'effroi du condamné, les ewaghs le placèrent garrotté au pied du bûcher, et se tinrent auprès la torche à la main.

Alors Taliesin, le plus ancien des druides, vieillard à longue barbe blanche, fit un signe à l'un des bardes. Celui-ci fit vibrer sa harpe à trois cordes et chanta les paroles suivantes, après avoir d'un geste montré à la foule le meurtrier:

« – Celui-ci est Daoülas, de la tribu de Morlech. – Il a tué Hoüarné, de la même tribu. – L'a-t-il tué en brave? face à face? à armes égales? – Non, Daoülas a tué Hoüarné en lâche. – À l'heure de midi, Hoüarné dormait dans son champ sous un arbre. – Daoülas est venu, sur la pointe du pied, sa hache à la main, et d'un coup il a frappé sa victime. – Le petit Erik, de la même tribu, monté dans un arbre voisin, où il cueillait des fruits, a vu le meurtre et reconnu celui qui le commettait. – Le soir de ce jour, les ewaghs ont été saisir Daoülas dans sa tribu… Amené devant les druides de Karnak, et mis en présence du petit Erik, il a avoué son crime. – Alors le plus ancien des druides a dit:

» – Au nom de Hésus, celui qui est parce qu'il est, au nom de Teutâtès, qui préside aux voyages de ce monde et des autres, écoute: – Le sang expiatoire du meurtrier est agréable à Hésus… – Tu vas aller renaître dans d'autres mondes. – Ta nouvelle vie sera terrible, parce que tu as été cruel et lâche! – Si dans cette autre vie tu continues d'être cruel et lâche… tu mourras pour aller renaître ailleurs plus malheureux encore… et toujours ainsi… toujours à l'infini!!! – Deviens, au contraire, lors de ta renaissance, brave et bon, malgré les peines que tu endureras… et tu mourras pour renaître ailleurs plus heureux… et toujours ainsi… toujours à l'infini!!!98»

Alors le barde s'adressa au meurtrier, qui, chargé de liens, poussait des cris d'épouvante:

« – Ainsi a parlé le druide vénéré… Daoülas, tu vas mourir… et aller revoir ailleurs ta victime… elle t'attend! elle t'attend!»

De sorte qu'à ces paroles du barde toute la foule était là frémissante d'épouvante, pensant à cette redoutable chose: – Retrouver ailleurs et vivant celui que l'on a tué ici!!!

Et le barde continua en se tournant vers le bûcher:

« – Daoülas, tu vas donc mourir! Si elle est glorieuse à voir, la figure des justes et des vaillants, au moment où ils s'en vont volontairement de ce monde pour des causes saintes; s'ils aiment, au moment du départ, à rencontrer les tendres regards d'adieu de leurs parents et de leurs amis, les lâches comme toi, Daoülas, sont indignes de voir une dernière fois la foule des justes et d'en être vus… Voici pourquoi, Daoülas, tu vas mourir et brûler caché au fond de cette enveloppe d'osier, simulacre d'un homme, de même que tu n'es plus que le simulacre d'un homme depuis ton crime…»

Et le barde s'écria:

« – Au nom de Hésus! au nom de Teutâtès!.. gloire! gloire aux braves!.. Honte! honte aux lâches!..»

Et tous les bardes, faisant résonner leurs harpes et leurs cymbales, s'écrièrent en chœur:

« – Gloire! gloire aux braves!.. Honte! honte aux lâches!..»

Alors un ewagh prit le couteau sacré, trancha la vie du meurtrier, qui fut ensuite jeté dans le gigantesque simulacre de figure humaine. Le bûcher s'embrasa; les harpes, les cymbales retentirent à la fois, et toutes les tribus répétèrent à grands cris les derniers mots du barde:

« – Honte au lâche!..»

Le bûcher du meurtrier ne fut bientôt plus qu'une fournaise où apparut un moment la forme humaine comme un géant de feu, la flamme jeta au loin ses clartés sur la cime des grands chênes de la forêt… sur les pierres colossales de Karnak… sur la mer immense, pendant que la lune inondait l'espace de sa divine lumière… Et au bout de peu d'instants, à la place du bûcher de Daoülas, il ne resta qu'un monceau de cendres…

Alors on vit Julyan monter d'un air joyeux sur le bûcher où était étendu le corps d'Armel, son ami… son saldune… Julyan portait ses habits de fête: une saie de fine étoffe rayée de bleu et de blanc, que serrait sa ceinture de cuir brodé, à laquelle pendait un long couteau; son manteau de laine brune à capuchon s'agrafait sur son épaule gauche; une couronne de chêne ornait son front mâle. Il tenait à la main un bouquet de verveine; sa figure était hardie, sereine. À peine fut-il monté sur le bûcher, que les harpes, les cymbales, retentirent, et le barde chanta ainsi:

« – Quel est celui-ci? C'est un brave. – C'est Julyan, le laboureur; – Julyan, de la famille de Joel, le brenn de la tribu de Karnak! – Il craint les dieux, et chacun l'aime; il est bon, il est laborieux, il est hardi. – Il a tué Armel, non par haine, il le chérissait, mais il l'a tué par outre-vaillance, en combat loyal, le bouclier au bras, le sabre au poing, en vrai Gaulois breton, qui aime à montrer sa bravoure et ne craint pas la mort. – Armel parti, Julyan, qui lui avait juré sa foi de saldune, veut aller retrouver son ami… – Gloire à Julyan, fidèle aux enseignements des druides; il sait que les créatures du Tout-Puissant ne meurent jamais… et son pur et noble sang, Julyan l'offre à Hésus! – Gloire, espérance, bonheur à Julyan! il a été bon, juste et brave… il va renaître plus heureux, plus juste, plus brave; et toujours ainsi… toujours, de monde en monde, Julyan renaîtra… son âme revêtant à chaque vie nouvelle un corps nouveau, de même que le corps revêt ici des vêtements nouveaux.

»Oh! Gaulois! fières âmes! pour qui la mort n'existe pas! venez, venez!!! détachez vos regards de la terre… élevez-vous dans les sublimités du ciel! – Voyez, voyez à vos pieds les abîmes de l'espace, sillonnés par ces cortéges d'immortels, comme nous le sommes tous, que Teutâtès guide incessamment du monde où ils ont vécu dans les mondes où ils vont revivre. – Oh! que de contrées inconnues merveilleuses, à parcourir! avec les amis, les parents qui nous ont devancés, et avec ceux que nous aurons précédés!

»Non, nous ne sommes pas mortels! notre vie infinie se compte par milliers de milliers de siècles… de même que se comptent par milliers de milliers les étoiles du firmament… mondes mystérieux, toujours divers, toujours nouveaux, que nous devons habiter tour à tour.

»Qu'ils craignent la mort ceux-là qui, fidèles aux faux dieux des Grecs, Romains ou juifs, croient que l'on ne vit qu'une fois, et qu'ensuite, dépouillée de son corps, l'âme heureuse ou malheureuse reste éternellement dans le même enfer ou dans le même paradis!.. Oh! oui, ils doivent redouter la mort ceux-là qui croient qu'en quittant cette vie l'on trouve: l'immobilité dans l'éternité!

»Nous, Gaulois, nous avons la vraie connaissance de Dieu… Nous avons le secret de la mort… l'homme est immortel par l'âme et par le corps… Notre destinée, de monde en monde, est de voir et de savoir… afin qu'à chacun de ses voyages l'homme, s'il a été méchant, s'épure et devienne meilleur… meilleur encore s'il a été juste et bon… et qu'ainsi, de renaissance en renaissance, l'homme s'élève incessamment vers une perfection sans fin comme sa vie!!!

»Heureux donc les braves qui, volontairement, quittent cette terre-ci, pour d'autres pays, où toujours ils verront de nouvelles et merveilleuses choses en compagnie de ceux qu'ils ont aimés! Heureux donc… heureux le brave Julyan! il va rejoindre son ami, et avec lui voir et savoir ce que nul de nous n'a vu ni ne sait!.. ce que tous nous verrons et saurons. Heureux Julyan… gloire à Julyan!»

Et tous les bardes et tous les druides, les druidesses, les vierges de l'île de Sên, répétèrent en chœur, au bruit des harpes et des cymbales:

– «Heureux, heureux Julyan! gloire, gloire à Julyan!»

Et toutes les tribus, sentant passer alors dans leur esprit comme le curieux désir de la mort… afin de savoir plus tôt l'inconnu et le merveilleux des autres mondes, répétèrent avec mille cris:

« – Heureux… heureux Julyan!»

Alors Julyan, radieux, debout sur le bûcher, ayant à ses pieds le corps d'Armel, leva ses regards inspirés vers la lune brillante, écarta les plis de sa saie, tira son long couteau, tendit vers le ciel le bouquet de verveine qu'il tenait à la main gauche et se plongea fermement de la main droite son couteau dans la poitrine, en criant d'une voix mâle:

 

« – Heureux… heureux je suis… je vais rejoindre Armel!..»

Aussitôt le feu embrasa le bûcher… Julyan leva une dernière fois son bouquet de verveine vers le ciel, et disparut au milieu des flammes éblouissantes, tandis que les chants des bardes, le son des harpes, des cymbales, retentissaient au loin.

Un grand nombre d'hommes et de femmes des tribus, dans leur impatient et curieux désir de voir et de savoir les mystères des autres mondes, se précipitèrent vers le bûcher de Julyan, afin de s'en aller avec lui et d'offrir à Hésus une immense hécatombe de leurs corps. Mais Taliesin, le plus ancien des druides, ordonna aux ewaghs de repousser ces fidèles et leur cria:

«Assez! assez de sang a coulé… sans celui qui va couler encore: l'heure est venue où le sang gaulois ne doit plus couler que pour la liberté! Et le sang versé pour la liberté est aussi une offrande agréable au Tout-Puissant!»

Les ewaghs s'opposèrent, non sans grande peine, à ces sacrifices humains et volontaires. Le bûcher de Julyan et d'Armel continua de brûler, et il n'en resta qu'un monceau de cendres.

Un grand silence se fit parmi la foule des tribus… Hêna, la vierge de l'île de Sên, montait sur le troisième bûcher.

Joel et Margarid, ainsi que ses trois fils Guilhern, Albinik et Mikaël, leurs femmes et leurs petits enfants, qui aimaient tant Hêna, tous ses parents et tous ceux de la tribu qui la chérissaient aussi, se serraient les uns contre les autres, en se disant tout bas:

« – Voici Hêna… voici notre Hêna.»

Lorsque la vierge de l'île de Sên fut debout sur le bûcher, orné de voiles blancs, de feuillages et de fleurs, la foule des tribus cria tout d'une voix: – «Qu'elle est belle!.. qu'elle est sainte!..»

Joel l'écrit ici avec sincérité. Elle était bien belle, sa fille Hêna!!! ainsi debout sur le bûcher, éclairée toute entière par la douce clarté de la lune, avec sa tunique noire, ses cheveux blonds, couronnés de feuilles vertes, tandis que ses bras, plus blancs que l'ivoire, s'arrondissaient sur sa harpe d'or!

Les bardes firent silence.

La vierge de l'île de Sên chanta d'une voix pure comme son âme:

« – La fille de Joel et de Margarid vient avec joie sacrifier à Hésus!

» – O Tout-Puissant… de l'étranger délivre la terre de nos pères!

» – Gaulois de Bretagne, vous avez la lance et l'épée!

» – La fille de Joel et de Margarid n'a que son sang; elle l'offre volontairement à Hésus!

» – O Dieu tout-puissant! rends invincibles la lance et l'épée gauloises! Oh! Hésus… prends mon sang, il est à toi… sauve notre sainte patrie!»

La plus âgée des druidesses s'était tenue debout sur le bûcher derrière Hêna, le couteau sacré à la main… Lorsque Hêna eut chanté, le couteau brilla… et frappa la vierge de l'île de Sên…

Sa mère, ses frères, tous ceux de sa tribu, et Joel, son père, virent Hêna tomber à genoux, croiser les mains sur son sein, tourner son céleste visage vers la lune, en s'écriant d'une voix ferme encore:

« – Hésus… Hésus… par ce sang qui coule… clémence! pour la Gaule!..

– Gaulois, par ce sang qui coule! victoire à nos armes!..»

Le sacrifice d'Hêna s'accomplit ainsi au milieu de la religieuse admiration des tribus… et tous répétèrent ces dernières paroles de la vaillante vierge: «Hésus! clémence pour la Gaule!.. Gaulois! victoire à nos armes!..»

Plusieurs jeunes hommes, enthousiasmés par l'héroïque exemple et la beauté d'Hêna, voulurent se tuer sur son bûcher, afin de renaître avec elle… Les ewaghs les repoussèrent, bientôt la flamme enveloppa le bûcher. Hêna disparut au milieu de ces splendeurs éblouissantes. Bientôt il ne resta plus de la vierge et du bûcher que des cendres. Un grand souffle du vent de mer survint et dispersa ces atomes… La vierge de l'île de Sên, brillante et pure comme la flamme qui l'avait consumée, s'était évanouie dans les airs pour aller revivre et attendre ailleurs ceux qu'elle aimait!

Les cymbales, les harpes, retentirent de nouveau, et le chef des bardes chanta: « – Aux armes, Gaulois! aux armes!

– Le sang innocent d'une vierge a coulé pour vous, et le vôtre ne coulerait pas pour la patrie!!! – Aux armes!.. voici le Romain; frappe!.. Gaulois! frappe-le à la tête… frappe fort… – Tu vois le sang ennemi comme un ruisseau! il te monte jusqu'au genou! courage! frappe fort, Gaulois! frappe donc le Romain! plus fort encore!.. – Tu vois le sang ennemi comme un lac! il te monte jusqu'à la poitrine! Courage! frappe plus fort encore, Gaulois! frappe donc le Romain! frappe plus fort encore! tu te reposeras demain. – Demain la Gaule sera libre! – Qu'aujourd'hui de la Loire à l'Océan il n'y ait qu'un cri… aux armes!..»

Toutes les tribus, comme emportées par ce souffle de guerre, se dispersèrent en courant aux armes… La lune avait disparu, la nuit était venue, que du sein des forêts, que du fond des vallées, que du haut des collines où brillaient des feux d'alarme, mille voix répétaient encore ce chant du barde: – Aux armes!.. Frappe, Gaulois! frappe fort le Romain! Aux armes!..

Ce récit véridique, de tout ce qui s'est passé dans notre pauvre maison le jour anniversaire de la naissance de ma glorieuse fille Hêna, jour qui a aussi vu son sacrifice héroïque, ce récit a été écrit par moi, Joel, le brenn de la tribu de Karnak, la dernière lune d'octobre de la première année où Jules César a combattu en Gaule.

Après moi, Guilhern, mon fils aîné, gardera précieusement cet écrit, et après Guilhern, les fils de ses fils se le transmettront de génération en génération, afin que dans notre famille se conserve à jamais la mémoire d'Hêna, la vierge de l'île de Sên.

LA CLOCHETTE D'AIRAIN,
ou
LE CHARIOT DE LA MORT

An 56 à 40 avant Jésus-Christ

CHAPITRE PREMIER

Albinik, le marin, et sa femme Méroë, vêtue en matelot, partent seuls du camp gaulois pour aller braver le lion dans sa tanière. – Leur voyage. – Ils assistent à un spectacle que nul n'avait vu jusqu'alors et que nul ne verra jamais. – Arrivée des deux époux au camp de César. – Les cinq pilotes crucifiés. – Le souper de César. – L'interrogatoire. – La jeune esclave maure. – Le réfractaire mutilé. – L'épreuve. – L'hospitalité de César. – Albinik et Méroë sont séparés. – Ce qui apparaît à Méroë dans la tente ou elle a été renfermée seule.

Albinik, le marin, fils de Joel, le brenn de la tribu de Karnak; Méroë, la chère et bien-aimée femme d'Albinik, ont, pendant une nuit et un jour, assisté à un spectacle dont ils frémissent encore.

Ce spectacle, nul ne l'avait vu jusqu'ici, nul ne le verra désormais!

L'appel aux armes, fait par les druides de la forêt de Karnak, et par le chef des cent vallées, avait été entendu.

Le sacrifice d'Hêna la vierge de l'île de Sên, semblait agréable à Hésus, puisque toutes les population de la Bretagne, du nord au midi, de l'orient à l'occident, s'étaient soulevées pour combattre les Romains. Les tribus du territoire de Vannes et d'Auray, celles des montagnes d'Arès et d'autres encore, se sont réunies devant la ville de Vannes, sur la rive gauche, et presque à l'embouchure de la rivière qui se jette dans la grande baie du Morbiban: cette position redoutable, située à dix lieues de Karnak, et où devaient se réunir toutes les forces gauloises, a été choisie par le chef des cent vallées, élu général en chef de l'armée.

Les tribus, laissant derrière elles leurs champs, leurs troupeaux, leurs maisons, étaient rassemblées, hommes, femmes, enfants, vieillards, et campaient autour de la ville de Vannes, où se trouvaient aussi Joel, ceux de sa famille et de sa tribu. Albinik, le marin, ainsi que sa femme Méroë, ont tous deux quitté le camp, vers le coucher du soleil, pour entreprendre une longue marche. Depuis son mariage avec Albinik (il est fier de le dire), Méroë a toujours été la compagne de ses voyages ou de ses dangers sur mer. Alors, comme lui, elle portait le costume de marin; comme lui, elle savait au besoin mettre la main au gouvernail, manier la rame ou la hache, car son cœur est ferme, son bras est fort.

Ce soir-là, avant de quitter l'armée gauloise, Méroë a revêtu ses habits de matelot: une courte saie de laine brune, serrée par une ceinture de cuir, de larges braies de toile blanche tombant au-dessous du genou, et des bottines de peau de veau marin; elle porte son court mantel à capuchon, sur son épaule gauche et sur ses cheveux flottants un bonnet de cuir; de sorte qu'à son air résolu, à l'agilité de sa démarche, à la perfection de son mâle et doux visage, on pouvait prendre Méroë pour un de ces jeunes garçons, dont la beauté fait rêver les vierges à fiancer. Albinik aussi est vêtu en marin; il a jeté sur son dos un sac contenant des provisions pour la route, et les larges manches de sa saie laissent voir son bras gauche enveloppé jusqu'au coude dans un linge ensanglanté.

Les deux époux avaient quitté depuis peu d'instants les environs de Vannes, lorsque Albinik, s'arrêtant triste et attendri, a dit à sa femme:

– Il en est temps encore… songes-y… Nous allons braver le lion jusque dans son repaire; il est rusé, défiant et féroce… c'est peut-être pour nous l'esclavage, la torture, la mort… Méroë, laisse-moi accomplir seul ce voyage et cette entreprise, auprès de laquelle un combat acharné ne serait qu'un jeu… Retourne auprès de mon père et de ma mère, dont tu es aussi la fille.

– Albinik, il fallait attendre la nuit noire pour me dire cela… tu ne m'aurais pas vue rougir de honte à cette pensée: tu me crois lâche!..

Et la jeune femme, en répondant ces mots, a hâté sa marche, au lieu de retourner en arrière.

– Qu'il en soit ainsi que le veut ton courage et ton amour pour moi… – lui a dit son mari. – Qu'Hêna, ma sainte sœur, qui est ailleurs, te protége auprès de Hésus!..

Tous deux ont continué leur chemin à travers une route montueuse, qui aboutit et se prolonge sur les cimes d'une chaîne de collines très-élevées. Les deux voyageurs eurent ainsi à leurs pieds et devant eux une suite de profondes et fertiles vallées: aussi loin que le regard pouvait s'étendre, ils virent ici des villages, là des bourgades, ailleurs des fermes isolées, plus loin une ville florissante, traversée par un bras de la rivière, où étaient de loin en loin amarrés de grands bateaux chargés de gerbes de blé, de tonneaux de vin et de fourrages.

Mais, chose étrange, la soirée était sereine, et l'on ne voyait dans les pâturages aucun de ces grands troupeaux de bœufs et de moutons qui ordinairement y paissaient jusqu'à la nuit; aucun laboureur ne paraissait non plus dans les champs, et pourtant c'était l'heure où, par tous les sentiers, par tous les chemins, les campagnards commençaient à regagner leurs maisons, car le soleil s'abaissait de plus en plus. Cette contrée, la veille encore si peuplée… semblait déserte.

Les deux époux se sont arrêtés pensifs, contemplant ces terres fertiles, ces richesses de la nature, cette opulente cité, ces bourgs, ces maisons. Alors, songeant à ce qui allait arriver dans quelques instants, dès que le soleil serait couché et la lune levée, Albinik et Méroë ont frissonné de douleur, d'épouvante, les larmes ont coulé de leurs yeux, et ils sont tombés à genoux, les yeux attachés avec angoisse sur la profondeur de ces vallées, que l'ombre envahissait de plus en plus… Le soleil avait disparu; mais la lune, alors dans son décours, ne paraissait pas encore…

Il y eut ainsi, entre le coucher du soleil et le lever de la lune, un assez long espace de temps. Cela fut poignant pour les deux époux, comme l'attente certaine de quelque grand malheur.

– Vois, Albinik, – a dit tout bas la jeune femme à son époux, quoiqu'ils fussent seuls, car il est des instants redoutables où l'on se parlerait bas au milieu d'un désert, – vois donc… pas une lumière! pas une!.. dans ces maisons… dans ces villages… dans cette ville… La nuit est venue… et tout dans ces demeures reste ténébreux comme la nuit…

– Les habitants de ce pays vont se montrer dignes de leurs frères, – a répondu Albinik avec respect. – Ceux-là aussi vont répondre à la voix de nos druides vénérés, et à celle du chef des cent vallées

– Oui, à l'effroi dont je suis saisie, je sens que nous allons voir une chose que nul n'a vue jusqu'ici… que nul ne verra peut-être désormais…

– Méroë, aperçois-tu là-bas… tout là-bas… derrière la cime de cette forêt… une faible lueur blanche?..

– Je la vois… c'est la lune qui va bientôt paraître… Le moment approche… Je me sens frappée d'épouvante… Pauvres femmes!.. pauvres enfants!..

 

– Pauvres laboureurs!.. ils vivaient depuis tant d'années, heureux sur cette terre de leurs pères! sur cette terre fécondée par le travail de tant de générations!.. Pauvres artisans! ils trouvaient l'aisance dans leurs rudes métiers!.. Oh! les malheureux!.. les malheureux!.. Quelque chose égale leur grande infortune… c'est leur héroïsme!.. Méroë… Méroë!.. – s'est écrié Albinik, – la lune paraît… Cet astre sacré de la Gaule va donner le signal du sacrifice…

– Hésus!.. Hésus!.. – a répondu la jeune femme, les joues baignées de larmes, – ton courroux ne s'apaisera jamais si ce dernier sacrifice ne le calme pas…

La lune s'était levée radieuse au milieu des étoiles; elle inondait l'espace d'une si éclatante lumière, que les deux époux voyaient comme en plein jour, et jusqu'aux plus lointains horizons, le pays qui s'étendait à leurs pieds.

Soudain, un léger nuage de fumée, d'abord blanchâtre, puis noire, puis bientôt nuancée des teintes rouges d'un incendie qui s'allume, s'éleva au-dessus de l'un des villages disséminés dans la plaine.

– Hésus!.. Hésus!.. – s'écria Méroë, tout en cachant sa figure dans le sein de son époux agenouillé près d'elle, – tu as dit vrai: l'astre sacré de la Gaule a donné le signal du sacrifice… il s'accomplit…

– Oh! liberté!.. – s'est écrié Albinik, – sainte liberté!..

Il n'a pu achever… Sa voix s'est éteinte dans les pleurs, tandis qu'il serrait avec force sa femme éplorée entre ses bras.

Méroë n'est pas restée la figure cachée dans le sein de son époux plus de temps qu'il n'en faudrait à une mère pour baiser le front, la bouche et les yeux de son enfant nouveau-né…

Et lorsque Méroë, relevant la tête, a osé regarder au loin… ce n'était plus seulement une maison, un village, un bourg, une ville, de cette longue suite de vallées, qui disparaissait dans des flots de fumée noire teinte des lueurs rouges de l'incendie qui s'allume!

C'étaient toutes les maisons… tous les villages… tous les bourgs, toutes les villes… de cette longue suite de vallées que l'incendie dévorait…

Du nord au midi, de l'orient à l'occident, tout était incendie! les rivières elles-mêmes semblaient rouler des flammes sous leurs bateaux chargés de grains, de tonneaux, de fourrages, aussi embrasés, qui s'abîmaient dans les eaux.

Tour à tour le ciel était obscurci par d'immenses nuages de fumée, ou enflammé par d'innombrables colonnes de feu.

D'un bout à l'autre, cette vallée ne fut bientôt plus qu'une fournaise, qu'un océan de flammes…

Et non-seulement les maisons, les bourgs, les villes de ces vallées ont été livrés aux ravages de l'incendie, mais il en a été ainsi de toutes les contrées qu'Albinik et Méroë ont traversées durant une nuit et un jour de marche qu'ils ont mis à se rendre de Vannes à l'embouchure de la Loire, où était établi le camp de César99.

Oui, tous ces pays ont été incendiés par leurs habitants, et ils ont abandonné ces ruines fumantes pour aller se joindre à l'armée gauloise, rassemblée aux environs de Vannes.

Ainsi a été obéie la voix du chef des cent vallées, qui avait dit ces paroles, répétées de proche en proche, de village en village, de cité en cité:

«Que dans trois nuits, à l'heure où la lune, l'astre sacré de la Gaule, se lèvera, tout le pays, de Vannes à la Loire, soit incendié! Que César et son armée ne trouvent sur leur passage ni hommes, ni toits, ni vivres, ni fourrages, et partout… partout… des cendres, la famine, le désert et la mort!..»

Cela a été fait ainsi que l'ont ordonné les druides et le chef des cent vallées100.

Ceux-là, qui ont assisté à ce dévouement héroïque de chacun et de tous au salut de la patrie, ont vu une chose que personne n'avait vue… une chose que personne ne verra peut-être plus désormais… Ainsi, du moins, ont été expiées ces fatales dissensions, ces rivalités de province à province, qui pendant trop longtemps, et pour le triomphe de leurs ennemis, ont divisé les Gaulois.

La nuit s'est passée, le jour aussi, et les deux époux ont traversé tout le pays incendié, depuis Vannes jusqu'à l'embouchure de la Loire, dont ils approchaient. Au soleil couché, ils sont arrivés à un endroit où la route qu'ils suivaient se partageait en deux.

– De ces deux chemins, lequel prendre? – dit Albinik; – l'un doit nous rapprocher du camp de César, l'autre doit nous en éloigner.

Après avoir un instant réfléchi, la jeune femme répondit:

– Il faut monter sur cet arbre, les feux du camp nous indiqueront notre route.

– C'est vrai, – dit le marin; et confiant dans l'agilité de sa profession, il se disposait à grimper à l'arbre; mais s'arrêtant, il dit:

– J'oubliais qu'il me manque une main… Je ne saurais monter. Le beau visage de la jeune femme s'attrista et elle reprit:

– Tu souffres, Albinik? Hélas! toi, ainsi mutilé?

– Prend-on le loup de mer sans appât101?

– Non…

– Que la pêche soit bonne, – reprit Albinik, – je ne regretterai pas d'avoir donné ma main pour amorce…

La jeune femme soupira, et après avoir regardé l'arbre pendant un instant, elle dit à son époux:

– Adosse-toi à ce chêne: je mettrai mon pied dans le creux de ta main, ensuite sur ton épaule, et de ton épaule j'atteindrai cette grosse branche…

– Hardie et dévouée!.. tu es toujours la chère épouse de mon cœur, aussi vrai que ma sœur Hêna est une sainte! – répondit tendrement Albinik.

Et s'adossant à l'arbre, il reçut dans sa main robuste le petit pied de sa compagne, si leste, si légère, qu'il put, grâce à la vigueur de son bras, la soutenir pendant qu'elle lui posait son autre pied sur l'épaule; de là, elle gagna la première grosse branche, puis, montant de rameau en rameau, elle atteignit la cime du chêne, jeta au loin les yeux, et aperçut vers le Midi, au-dessous d'un groupe de sept étoiles, la lueur de plusieurs feux. Elle redescendit, agile comme un oiseau qui sautille de branche en branche, et, appuyant enfin ses pieds sur l'épaule du marin, d'un bond elle fut à terre, en disant:

– Il nous faut aller vers le Midi, dans la direction de ces sept étoiles… les feux du camp de César sont de ce côté.

– Alors, prenons cette route, – reprit le marin en indiquant le plus étroit des deux chemins. Et les deux voyageurs poursuivirent leur marche.

Au bout de quelques pas, la jeune femme s'arrêta, et parut chercher dans ses vêtements.

– Qu'as-tu, Méroë?

– Attends-moi; j'ai, en montant à l'arbre, laissé tomber mon poignard; il se sera détaché de la ceinture que j'ai sous ma saie.

– Par Hésus! il nous faut retrouver ce poignard, – dit Albinik en revenant vers l'arbre. – Tu as besoin d'une arme, et celle-ci, mon frère Mikaël l'a forgée, trempée lui-même, elle peut percer une pièce de cuivre.

– Oh! je retrouverai ce poignard! Albinik. Avec cette petite lame d'acier bien effilée, on a réponse à tout… et dans tous les langages.

Après quelques recherches au pied du chêne, elle retrouva son poignard; il était renfermé dans une gaîne, long à peine comme une plume de poule, et guère plus gros. Méroë l'assujettit de nouveau sous sa saie, et se remit en route avec son époux. Après une assez longue marche, à travers des chemins creux, tous deux arrivèrent dans une plaine: on entendait, très au loin le grand bruit de la mer; sur une colline on apercevait les lueurs de plusieurs feux.

– Voici enfin le camp de César! – dit Albinik en s'arrêtant: – le repaire du lion…

– Le repaire du fléau de la Gaule… Viens… viens… la soirée s'avance.

– Méroë!.. voici donc le moment venu!..

– Hésiterais-tu, maintenant?..

– Il est trop tard… Mais j'aimerais mieux un loyal combat à ciel ouvert… vaisseau contre vaisseau… soldats contre soldats… épée contre épée… Ah! Méroë… pour nous, Gaulois, qui, méprisant les embuscades comme des lâchetés, attachons des clochettes d'airain aux fers de nos lances, afin d'avertir l'ennemi de notre approche, venir ici… traîtreusement…

– Traîtreusement! – s'écria la jeune femme. – Et opprimer un peuple libre… est-ce loyal? Réduire ses habitants en esclavage… les expatrier par troupeaux, le collier de fer au cou… est-ce loyal?.. Massacrer les vieillards, les enfants… livrer les femmes et les vierges aux violences des soldats… est-ce loyal?.. Et maintenant, tu hésiterais… après avoir marché tout un jour, tout une nuit, aux clartés de l'incendie… au milieu de ces ruines fumantes, qu'ont faites l'horreur de l'oppression romaine!.. Non… non… pour exterminer les bêtes féroces, tout est bon: l'épieu comme le piége… Hésiter… hésiter!!! Réponds, Albinik!.. Sans parler de ta mutilation volontaire… sans parler des dangers que nous bravons en entrant dans ce camp… ne serons-nous pas, si Hésus aide ton projet, les premières victimes de cet immense sacrifice que nous voulons faire aux dieux?.. Va, crois-moi, qui donne sa vie n'a jamais à rougir… et par l'amour que je te porte! par le sang virginal de notre sœur Hêna… j'ai à cette heure, je te le jure, la conscience d'accomplir un devoir sacré… Viens, viens… la soirée s'avance…

– Ce que Méroë, la juste et la vaillante, trouve juste et vaillant doit être ainsi… – dit Albinik en pressant sa compagne contre sa poitrine. – Oui… oui… pour exterminer les bêtes féroces tout est bon: l'épieu comme le piége… Qui donne sa vie n'a pas à rougir… Viens…

Les deux époux hâtèrent leur marche vers les lueurs du camp de César. Au bout de quelques instants, ils entendirent, à peu de distance, résonner sur le sol le pas réglé de plusieurs soldats et le cliquetis des sabres sur les armures de fer; puis à la clarté de la lune ils virent briller des casques d'acier à aigrettes rouges.

98Pour les druides, la totalité des êtres qu'embrasse la pensée se divise en trois cercles: le premier de ces cercles (Cylch-y-Ceuyant) Cercle de l'Immensité, de l'infini, n'appartient qu'à Dieu; le second (Cylch-y-gwynfyd), Cercle du Bonheur, comprenait les être revêtus du degré supérieur de sainteté, c'était le paradis; le troisième cercle (Cylch-yr-Abred), Cercle des Voyages, enveloppait tout l'ordre naturel; c'est là, au fond des abîmes, dans les grands océans de l'espace, que commençait le premier soupir de l'homme; placé bientôt entre le bien et le mal, il s'exerçait longtemps dans les épreuves de ce milieu, sortant de l'une par la mort, reparaissant dans une nouvelle épreuve par la renaissance; le but proposé à son courage était d'acquérir ce que l'on nommait le point de liberté, équilibre entre les devoirs et les passions. Arrivé à ce point d'excellence, l'homme quittait enfin le cercle des voyages ou épreuves, pour prendre place dans celui du bonheur. Il n'y avait pas d'enfer, l'âme dégradée ou mauvaise retombait à une condition inférieure d'existence, plus ou moins tourmentée; il y avait assez de supplices en évidence dans le vaste cercle de l'humanité pour dispenser d'un lieu à part pour les punitions.» (Jean Raynaud, Druidisme. Encyclop. nouv.)
99À peu de distance de la ville de Saint-Nazaire, qui existe aujourd'hui. – Le pays ainsi dévasté par l'incendie comprenait presque la totalité des départements du Morbihan et de la Loire-Inférieure de nos jours.
100On a justement admiré le patriotisme des Russes incendiant Moskow pour chasser et affamer l'armée française, mais il ne s'agissait que d'une seule ville; combien plus admirable a été l'héroïque patriotisme de nos pères! car, à cette époque, pour combattre l'invasion romaine, non-seulement la Bretagne, mais presque un tiers de la Gaule, a été livré à l'incendie par ses habitants. Mais laissons parler César: «Le chef des cent vallées convoqua les chefs des armées gauloises coalisées, et leur déclara qu'il était urgent de changer le système de guerre et d'en adopter un autre plus approprié au caractère d'une lutte nationale; qu'il fallait affamer l'ennemi, intercepter les vivres aux hommes, le fourrage aux chevaux; travail d'autant plus aisé que les Gaulois étaient forts en cavalerie, et que la saison les favorisait; les Romains ne pouvaient encore fourrager au vert, il serait facile de les surprendre dans les habitations éloignées où le besoin les conduirait, et de les détruire ainsi en détail; mais le salut commun, – ajouta le chef des cent vallées, – exige des sacrifices particuliers; nous devons nous résoudre à brûler toutes nos habitations, tous nos villages et celles de nos villes qui ne sauraient se défendre, de peur qu'elles ne deviennent un refuge pour les lâches qui déserteraient notre cause, ou qu'elles ne servent à attirer l'ennemi, par l'espoir du butin: la population trouvera un refuge dans les cités éloignées du théâtre de la guerre. Ces mesures vous paraissent violentes et dures? mais vous serait-il plus doux de voir vos femmes outragées et captives? vos enfants chargés de chaînes? vos parents, vos amis égorgés? vous mêmes réservés à une mort honteuse? car voilà le sort qui vous attend si vous êtes vaincus.» (César, De Bello Gallico, liv. VII, chap. XIV.) «…Le chef des cent vallées fut écouté avec calme et résignation, aucun murmure ne l'interrompit, aucune objection ne s'éleva contre le douloureux sacrifice qu'il demandait; ce fut à l'unanimité que les chefs de tribus votèrent la ruine de leur fortune, et la dispersion de leurs familles. On appliqua sans délai ce remède terrible au pays que l'on craignait de voir occuper par l'ennemi… De toute part, on n'apercevait que le feu et la fumée des incendies; à la lueur de ces flammes, à travers ces décombres et ces cendres, l'on voyait une population innombrable se diriger vers la frontière, où l'attendaient un abri et du pain; souffrante et morne, mais non pourtant sans consolation, puisque ces souffrances devaient amener le salut de la patrie.» (Amédée Thierry, Hist. des Gaulois, t. III, chap. VIII, p. 103.)
101Le requin.