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Les mystères du peuple, Tome I

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– Guerre! guerre! guerre!

Le grand dogue de bataille de Joel, animé par ces cris, se leva debout, appuyant ses pattes de devant sur la poitrine de son maître, qui, caressant sa tête énorme, lui dit:

– Oui, vieux Deber-Trud, tu feras comme notre tribu la chasse aux Romains… La curée sera pour toi… ta gueule sera rouge de sang! Ouh… ouh!.. Deber-Trud, aux Romains, aux Romains… ouh… ouh!..

À ces cris de guerre le dogue répondit par des hurlements furieux, en montrant des crocs aussi redoutables que ceux d'un lion. Les chiens de garde du dehors, ainsi que ceux renfermés dans les étables, entendant Deber-Trud, lui répondirent, et les hurlements de cette meute de bataille devinrent effroyables!

– Bon présage, ami Joel, – dit le voyageur, – tes dogues hurlent à la mort de l'ennemi.

– Oui, oui, mort à l'ennemi! – s'écria le brenn. – Grâce aux dieux… dans notre Gaule bretonne, au jour du péril… le chien de garde devient chien de guerre! le cheval de trait, cheval de guerre! le taureau de labour, taureau de guerre! le chariot de moisson, chariot de guerre! le laboureur, homme de guerre! et jusqu'à notre terre paisible et féconde, devenant terre de guerre, dévore l'étranger! À chaque pas il trouve un tombeau dans nos marais sans fonds, dans nos grèves mouvantes, dans les abîmes de nos roches, et ses vaisseaux disparaissent dans les gouffres de nos baies plus terribles dans leur calme que la tempête dans sa fureur!

– Joel, – dit alors Julyan, qui s'était éloigné du corps de son ami, – j'ai promis à Armel d'aller le rejoindre ailleurs… Cette mort serait pour moi un plaisir… Mourir en combattant les Romains est un devoir… Que faire?

– Demain tu le demanderas à l'un des druides de Karnak; il te le dira, Julyan…

– Et notre sœur Hêna? – dit à sa mère Albinik, le marin, – depuis tantôt un an je ne l'ai point vue… elle est toujours, j'en suis certain, la perle de l'île de Sên? Ma femme Méroë m'a chargé de ses tendresses pour elle.

– Ceux qui prononcent le nom de ta sœur semblent prononcer celui d'une divinité, – répondit Mamm' Margarid. – Tu la verras demain.

Et la femme de Joel, déposant sa quenouille, se leva; c'était pour la famille le signal d'aller prendre du repos.

Mamm' Margarid dit alors:

– Retirons-nous, mes enfants, la soirée est avancée; demain au point du jour il faudra nous occuper des provisions de guerre à emporter et à cacher ici.

Et s'adressant au voyageur:

– Que les dieux vous donnent bon repos et doux sommeil, ami hôte!

Et elle ajouta en soupirant:

– Je croyais demain célébrer plus heureusement le jour de la naissance de ma fille Hêna.

CHAPITRE V

Joel, le brenn de la tribu de Karnak, fidèle à sa promesse, conduit son hôte à l'île de Sên. – Julyan consulte les druides de Karnak pour savoir s'il doit aller retrouver Armel ou combattre les Romains. – Comment, chez les Gaulois, en moins d'une demi-journée, des ordres étaient transmis à quarante et cinquante lieues de distance. – Hêna, la vierge de l'île de Sên, vient dans la maison paternelle. – Ce qu'elle apprend à sa famille au sujet de trois sacrifices humains, auxquels doivent assister toutes les tribus voisines, et qui auront lieu le soir aux pierres de la forêt de Karnak, dès le lever de la lune. – Hêna, ainsi que tous ceux de sa famille et de la tribu de Joel, se rend à la forêt de Karnak aussitôt la lune levée. – Sacrifices humains. – Appel aux armes contre les Romains.

Le lendemain de ce jour, Joel, dès l'aube et selon sa promesse, mit sa barque à la mer, et accompagné de son fils Albinik, le marin, conduisit l'inconnu à l'îlot de Kellor, n'osant aborder le sol sacré de l'île de Sên. L'hôte du brenn, ayant parlé bas à l'ewagh, qui toujours veille dans la maison de l'île, celui-ci parut frappé de respect, et dit que Taliesin, le plus ancien des druides, qui se trouvait alors à l'île de Sên, ainsi que sa femme Auria, attendait un voyageur depuis la veille.

L'étranger, avant de quitter Joel, lui dit:

– Ta famille et toi, n'oubliez pas vos résolutions d'hier. Aujourd'hui un appel aux armes retentira d'un bout à l'autre de la Gaule bretonne.

– Sois certain qu'à cet appel, moi, les miens et ceux de ma tribu, nous serons les premiers à répondre.

– Je te crois; il s'agit pour la Gaule d'être esclave ou de renaître dans sa force et dans sa gloire d'autrefois.

– Au moment de te quitter! ne saurai-je pas le nom de l'homme vaillant qui s'est assis à mon foyer? le nom du sage qui parle avec tant de raison et aime si fort son pays?

– Joel, je me nommerai soldat tant que la Gaule ne sera pas libre; et si nous nous rencontrons encore, je me nommerai ton ami, car je le suis.

Lui disant ces mots, l'inconnu monta dans la barque, qui de l'îlot de Kellor le devait conduire à l'île de Sên. Avant que la barque se fût éloignée, sous la conduite de l'ewagh, Joel demanda à ce dernier s'il pouvait attendre sa fille Hêna, qui devait venir à sa maison ce jour-là. L'ewagh lui apprit que sa fille ne se rendrait chez lui que vers la fin de la journée.

Le brenn, chagrin de ne point emmener Hêna, s'en retourna dans sa barque seul avec Albinik.

Julyan, vers le milieu du jour, alla consulter les druides de la forêt de Karnak pour leur demander s'il devait préférer à la mort prochaine et volontaire, qui était pour lui un plaisir… puisqu'il allait rejoindre Armel… la mort qu'il irait chercher en combattant les Romains. Les druides lui répondirent qu'ayant juré à Armel sa foi de saldune de mourir avec lui, il devait être fidèle à sa promesse, et que les ewaghs iraient chercher le corps d'Armel avec les cérémonies d'usage pour le transporter sur le bûcher, où Julyan trouverait sa place dès le lever de la lune. Julyan, joyeux de pouvoir sitôt retrouver son ami, se disposait à quitter Karnak, lorsqu'il vit arriver chez les druides l'étranger qui avait été l'hôte de Joel, et qui revenait de l'île de Sên en compagnie de Taliesin. Celui-ci dit quelques mots aux autres druides, et ils entourèrent le voyageur avec autant d'empressement que de respect, les plus jeunes l'accueillaient comme un frère, les plus vieux comme un fils.

Le voyageur, reconnaissant alors Julyan, lui dit:

– Tu retournes chez le brenn de ta tribu, attends un peu: je te donnerai un écrit pour lui.

Julyan obéit au désir de l'inconnu, qui se retira accompagné de Taliesin et des autres druides. Peu de temps après il revint, et remit un petit rouleau de peau tannée au jeune garçon, en lui disant:

– Voici pour Joel… Ce soir, Julyan, au lever de la lune… nous nous verrons encore… Hésus aime ceux qui, comme toi, sont vaillants et fidèles à l'amitié.

Julyan, revenu à la maison du brenn, apprit qu'il était aux champs pour rentrer des blés conservés en meule; il alla le trouver, et lui remit l'écrit de l'étranger; cet écrit renfermait ces mots:

«Ami Joel, au nom de la Gaule en danger, voici ce que les druides de Karnak attendent de toi: Commande à tous ceux de ta famille qui travaillent aux champs de crier à ceux de ta tribu qui travailleraient non loin d'eux: – au gui l'an neuf91!.. Que ce soir, hommes, femmes, enfants, tous se rendent à la forêt de Karnak au lever de la lune.– Que ceux de ta tribu qui auront entendu ces paroles les crient à leur tour à ceux des autres tribus, aussi occupés aux travaux de la terre. De sorte que ce cri ainsi répété de proche en proche, de l'un à l'autre, de village en village, de cité à cité, de Vannes à Auray, avertisse toutes les tribus de se trouver ce soir à la forêt de Karnak92

Joel fit ainsi qu'il lui avait été demandé par l'étranger au nom des druides de Karnak. Le cri d'appel se répéta de proche en proche, et toutes les tribus, des plus voisines aux plus éloignées, furent prévenues de se trouver le soir au lever de la lune à la forêt de Karnak.

Pendant qu'une partie des hommes de la famille du brenn rentraient en hâte les récoltes de blés restées en meule, pour en enfouir une partie au fond des cavités que d'autres laboureurs creusaient dans des terrains secs, les femmes, les jeunes filles et jusqu'aux enfants, dirigés par Margarid, mettaient en hâte des salaisons dans des paniers, de la farine dans des sacs, de l'hydromel et du vin dans des outres; d'autres rangeaient dans des coffres des vêtements, du linge et des baumes pour les blessures; d'autres ajustaient de grandes et fortes toiles destinées à recouvrir les chars; car, dans les guerres redoutables, toutes les tribus du pays menacé par l'ennemi, au lieu de l'attendre, allaient souvent à sa rencontre. On abandonnait les maisons; les bœufs de labour étaient attelés aux chariots de bataille contenant les femmes, les enfants, les habillements et les provisions; les chevaux, montés par les hommes mûrs de la tribu, formaient la cavalerie; les jeunes gens, plus alertes, escortaient à pied et en armes. Les grains étaient enfouis; les troupeaux délaissés allaient paître les champs sans gardiens et par instinct rentraient le soir aux étables abandonnées; presque toujours les loups et les ours dévoraient une partie de ce bétail. Les champs restaient sans culture: de grandes disettes s'ensuivaient. Mais souvent aussi les combattants s'en allant de la sorte à la défense du pays, encouragés par la présence de leurs femmes et de leurs enfants, qui n'avaient à attendre de l'ennemi que la honte, l'esclavage ou la mort, les combattants repoussaient l'étranger au delà des frontières, et revenaient réparer les désastres de leurs champs.

 

Vers le déclin du soleil, Joel sachant que sa fille devait se rendre à sa maison, y retourna avec les siens, afin d'aider aussi aux préparatifs du voyage de guerre. Hêna, la vierge de l'île de Sên, vint à la tombée du jour, selon qu'elle l'avait promis.

Lorsque son père, sa mère et tous ceux de la famille, virent entrer Hêna, il leur sembla que jamais… non, jamais elle n'avait été belle… et son père (qui écrit ceci), ne s'était non plus jamais senti si fier de son enfant. La longue tunique noire qu'elle portait était serrée à sa taille par une ceinture d'airain, où pendaient d'un côté une petite faucille d'or, de l'autre un croissant, figuré ainsi que la lune en son décours. Hêna avait voulu se parer pour ce jour où l'on devait fêter sa naissance. Un collier, des bracelets d'or, travaillés à jour et garnis de grenat ornaient ses bras et son cou plus blancs que la neige; lorsqu'elle ôta son manteau à capuchon, l'on vit qu'elle portait, comme dans les cérémonies religieuses, une couronne de feuilles de chêne vert sur ses cheveux blonds, tressés en nattes autour de son front chaste et doux. Le bleu de la mer, lorsqu'elle est calme sous un beau ciel, n'était pas plus pur que le bleu des yeux d'Hêna.

Le brenn tendit ses bras à sa fille. Elle y courut joyeuse, et lui offrit son front, ainsi qu'à sa mère Margarid; les enfants de la famille chérissaient Hêna, ils se disputaient à qui baiserait ses belles mains, que cherchaient à l'envi toutes ces petites bouches innocentes.

Il n'est pas jusqu'au vieux Deber-Trud qui ne gambadât de son mieux pour fêter la venue de sa jeune maîtresse.

Albinik, le marin, fut celui à qui Hêna offrit son front après son père et sa mère; elle n'avait pas vu son frère depuis longtemps. Guilhern et Mikaël eurent ensuite leur tour, ainsi que la fourmillante nichée d'enfants qu'Hêna enserra tous à la fois de ses deux bras en se baissant à leur niveau pour les embrasser. Elle fit ensuite tendre accueil de sœur à Hénory, femme de son frère Guilhern, regrettant que Méroë, l'épouse d'Albinik, ne fût point là. Ses autres parentes et parents ne furent point oubliés: tous, jusqu'à Rabouzigued, dont chacun se moquait, eurent d'elle une parole d'amitié.

Alors, toute heureuse de se trouver parmi les siens, dans la maison où elle était née, il y avait dix-huit ans de cela, Hêna voulut s'asseoir aux pieds de sa mère, sur le même escabeau où elle s'asseyait toujours étant enfant. Lorsqu'elle vit sa fille ainsi à ses pieds, Mamm' Margarid lui montra le désordre qui régnait dans la salle par suite des préparatifs de départ pour la guerre, et dit tristement:

– Nous devions fêter avec joie et tranquillité ce jour où tu nous es née… chère fille! et voici que tu trouves confusion et alarmes dans notre maison bientôt déserte… car la guerre menace…

– Ma mère dit vrai, – reprit Hêna en soupirant. – La colère de Hésus est grande…

– Toi, chère fille! qui es une sainte, – reprit Joel, – une sainte de l'île de Sên, dis? que faire pour apaiser la colère du tout-puissant?

– Mon père et ma mère m'honorent trop en m'appelant sainte, – répondit la jeune vierge. – Comme les druides, moi et mes compagnes, nous méditons la nuit, sous l'ombrage des chênes sacrés, à l'heure où la lune se lève. Nous cherchons les préceptes les plus simples et les plus divins pour les répandre parmi nos semblables93; nous adorons le Tout-Puissant dans ses œuvres, depuis le grand chêne qui lui est consacré jusqu'aux humbles mousses qui croissent sur les roches noires de notre île… depuis les astres dont nous étudions la marche éternelle94 jusqu'à l'insecte qui vit et meurt en un jour… depuis la mer sans bornes… jusqu'au filet d'eau pure qui coule sous l'herbe. Nous cherchons la guérison des maux qui font souffrir; et nous glorifions ceux de nos pères et de nos mères qui ont illustré la Gaule. Par la connaissance des augures et l'étude du passé, nous tâchons de prévoir l'avenir, afin d'éclairer de moins clairvoyants que nous. Comme les druides, enfin, nous instruisons l'enfance, nous lui inspirons un ardent amour pour notre commune et chère patrie… aujourd'hui si menacée par le courroux de Hésus!.. parce que les Gaulois ont trop longtemps oublié qu'ils sont tous fils d'un même Dieu et qu'un frère doit ressentir la blessure faite à son frère!

– L'étranger qui a été notre hôte et que ce matin j'ai conduit à l'île de Sên, – reprit le brenn, – nous a parlé comme toi, chère fille…

– Ma mère et mon père peuvent écouter comme saintes les paroles du chef des cent vallées. Hésus et l'amour de la Gaule l'inspirent.

– Lui! chef de cent vallées? Il est donc bien puissant? – reprit Joel. – Il a refusé de me dire son nom! Le sais-tu, chère fille? Sais-tu quelle est sa province?

– Il était impatiemment attendu hier soir à l'île de Sên par le vénérable Taliesin. Quant au nom de ce voyageur, tout ce qu'il m'est permis de dire à mon père et à ma mère, c'est que le jour où notre pays sera asservi, le chef des cent vallées aura vu couler la dernière goutte de son généreux sang! Puisse le courroux de Hésus nous épargner ce terrible jour!..

– Hélas! ma fille… si Hésus est irrité… par quels moyens l'apaiser?

– En suivant sa loi, car il a dit: – Tous les hommes sont fils d'un même Dieu… – et aussi en offrant à Hésus des sacrifices humains… Puissent ceux de cette nuit calmer sa colère!..

– Les sacrifices de cette nuit! – demanda le brenn. – Lesquels?

– Mon père et ma mère ne savent-ils pas que cette nuit, à l'heure où la lune se lèvera, il y aura trois sacrifices humains aux pierres de la forêt de Karnak?

– Nous savons, – reprit Joel, – que toutes les tribus sont appelées pour se rendre ce soir à la forêt de Karnak; mais quels sont ces sacrifices qui doivent être agréables à Hésus, fille chérie?

– D'abord celui de Daoülas, le meurtrier; il a tué Hoüarné sans combat pendant son sommeil… Les druides l'ont condamné à mourir ce soir95. Le sang d'un lâche meurtrier est une expiation agréable à Hésus.

 

– Et le second sacrifice?

– Notre parent Julyan veut aller, par amitié jurée, rejoindre Armel, qu'il a loyalement tué par outre-vaillance… Ce soir, glorifié par le chant des bardes, il ira, selon son vœu, retrouver Armel dans les mondes inconnus. Le sang qu'un brave offre volontairement à Hésus… lui est agréable.

– Et le troisième sacrifice, fille chérie? – dit Mamm' Margarid, – le troisième sacrifice, quel est-il?

Hêna ne répondit pas… Elle appuya sa tête blonde et charmante sur les genoux de Margarid, rêva pendant quelques instants, baisa les mains de sa mère, et lui dit avec un doux sourire de remémorance:

– Combien de fois la petite Hêna, quand elle était enfant, s'est ainsi endormie, le soir, sur vos genoux ma mère, pendant que vous filiez votre quenouille, et que vous tous, qui êtes ici, moins Armel, étiez réunis autour du foyer, parlant des mâles vertus de nos mères et de nos pères du temps passé!

– Il est vrai, fille chérie, – répondit Margarid en passant sa main sur les blonds cheveux de sa fille, comme pour les caresser, – il est vrai; et ici, chacun t'aimait tant, à cause de ton bon cœur et de ta grâce enfantine, que lorsqu'on te voyait endormie sur mes genoux, on parlait tout bas, de peur de t'éveiller.

Rabouzigued, qui était là, parmi les autres de la famille, dit alors:

– Et quel est ce troisième sacrifice humain, qui doit apaiser Hésus et nous délivrer de la guerre… qui donc, Hêna, sera sacrifié ce soir?..

– Je te le dirai, Rabouzigued, lorsque j'aurai un peu songé au temps qui n'est plus, – répondit la jeune fille, toujours rêveuse, sans quitter les genoux de sa mère, puis passant sa main sur son front, comme pour rappeler ses souvenirs; elle regarda autour d'elle, montra du doigt la pierre sur laquelle était le bassin de cuivre où trempaient les sept branches de gui, et reprit:

– Et lorsque j'ai eu douze ans, mon père et ma mère se rappellent-ils combien j'ai été heureuse d'être choisie par les druidesses de l'île de Sên pour recevoir dans un voile de lin, blanchi à la rosée des nuits, le gui, que coupaient les druides avec une serpe d'or, lorsque la lune jetait sa plus grande clarté?.. Mon père et ma mère se souviennent-ils que, rapportant du gui pour sanctifier notre maison, j'ai été ramenée ici, par les ewaghs, dans un chariot orné de fleurs et de feuillages, pendant que les bardes chantaient la gloire de Hésus?.. Quels tendres embrassements toute notre famille me prodiguait à mon retour? quelle fête dans la tribu!..

– Chère… chère fille! – dit Margarid en pressant la tête d'Hêna contre son sein, – si les druidesses t'avaient choisie pour recueillir le gui sacré dans un voile de lin, c'est que ton âme était blanche comme ce voile!

– C'est que la petite Hêna était la plus savante, la plus sage, la plus douce de ses compagnes, – ajouta Albinik, le marin, en regardant sa sœur avec tendresse.

– C'est que la petite Hêna était la plus courageuse de ses compagnes; car elle avait failli périr pour sauver Janed, fille de Wor, qui, ramassant des coquillages sur les rochers de l'anse Glen'-Hek, était tombée à la mer, et déjà entraînée par les vagues… – dit Mikaël, l'armurier, en regardant tendrement sa sœur.

– C'est que la petite Hêna était, plus que toute autre, douce, patiente, aimable aux enfants… et qu'à l'âge de douze ans à peine elle les instruisait déjà, au collége des druidesses de l'île de Sên, comme une petite matrone, – dit à son tour Guilhern, le laboureur.

La fille de Joel rougissait de modestie en entendant ces paroles de sa mère et de ses frères, lorsque Rabouzigued dit encore:

– Et quel est ce troisième sacrifice humain, qui doit apaiser Hésus et nous délivrer de la guerre? qui donc, Hêna, sera sacrifié ce soir?..

– Je te le dirai, Rabouzigued, – répondit la jeune fille en se levant; – je te le dirai, lorsque j'aurai revu une fois encore la petite chambre où je dormais lorsque, devenue jeune fille, j'arrivais ici de l'île de Sên pour nos fêtes de famille.

Et allant vers la porte de cette chambre, elle s'arrêta un moment sur le seuil et dit:

– Que de douces nuits j'ai passées là, après m'être retirée le soir, à regret, du milieu de vous tous! avec quelle impatience je me levais pour vous revoir le matin!

Et s'avançant de deux pas dans la petite chambre, pendant que sa famille s'étonnait de plus en plus, de ce que si jeune encore Hêna parlât tant du passé, elle reprit en regardant avec plaisir plusieurs objets placés sur une table:

– Voici les colliers de coquillages que je faisais le soir, à côté de ma mère! Voilà ces varechs desséchés, qui ressemblent à de petits arbres, et recueillis par moi sur nos rochers… Voici le filet dont je me servais pour m'amuser à prendre à la marée basse des mormen dans les sables du rivage… Voici encore les rouleaux de peau blanche où, chaque fois que je venais ici, j'écrivais le bonheur que j'avais de revoir les miens et la maison où je suis née… Tout est à sa place. Je suis contente d'avoir amassé ces trésors de jeune fille…

Cependant, Rabouzigued, que ces remémorances ne semblaient pas toucher, dit encore de sa voix aigre et impatiente:

– Et quel est ce troisième sacrifice humain, qui doit apaiser Hésus et nous délivrer de la guerre? qui donc, Hêna, sera sacrifié ce soir?

– Je le le dirai, Rabouzigued, – reprit Hêna en souriant; – je te le dirai lorsque j'aurai distribué mes petits trésors de jeune fille à vous tous, et à toi aussi… Rabouzigued.

Et en disant ces mots, la fille du brenn fit signe à ceux de sa famille d'entrer dans sa chambre; et à chacun, bien étonné, elle donna un souvenir d'elle. Tous, jusqu'aux enfants qui l'aimaient tant, et aussi Rabouzigued, reçurent quelque chose; car elle délia les colliers de coquillages et divisa les varechs desséchés, disant de sa douce voix à chaque personne:

– Garde ceci, je te prie, pour l'amitié d'Hêna, ta parente et amie.

Joel, sa femme et ses trois fils, à qui Hêna n'avait encore rien donné, se regardaient, d'autant plus surpris de ce qu'elle faisait, que sur la fin ils lui virent des larmes dans les yeux, quoiqu'elle ne parût pas triste. Alors elle détacha le collier de grenat qu'elle portait au cou, et dit à Margarid en baisant sa main et lui offrant le collier:

– Hêna prie sa mère de garder cela pour l'amitié d'elle.

Elle prit ensuite les petits rouleaux de peau blanche préparés pour écrire, les remit à Joel, lui baisa aussi la main et dit:

– Hêna prie son père de garder ce rouleau pour l'amitié d'elle, il y trouvera ses plus chères pensées…

Détachant ensuite de son bras ses deux bracelets de grenat, Hêna dit à la femme de son frère Guilhern, le laboureur:

– Hêna prie sa sœur Hénory de porter ce bracelet par amitié.

Donnant ensuite l'autre bracelet à son frère, le marin, elle lui dit:

– Ta femme Méroë, que j'aime tant pour son courage et son noble cœur, gardera ce bracelet en souvenir de moi.

Détachant ensuite de sa ceinture d'airain la petite faucille et le croissant d'or qui y étaient suspendus, Hêna offrit la première à Guilhern, le laboureur, le second à Albinik, le marin; puis, ôtant de son doigt un anneau, elle le remit à Mikaël, l'armurier, et leur dit à tous trois:

– Que mes frères gardent ceci par amitié pour leur sœur Hêna.

Tous restaient là, bien étonnés, tenant à la main ce que la vierge de l'île de Sên venait de leur offrir… Tous restaient là, si étonnés, que, ne trouvant pas une parole, ils se regardaient inquiets, comme si un malheur inconnu les eût menacés. Alors Hêna se tourna vers Rabouzigued:

– Rabouzigued, je vais maintenant t'apprendre quel sera le troisième sacrifice de ce soir.

Et elle prit doucement par la main Joel et Margarid, qui la suivirent, revint avec eux dans la grande salle, et leur dit:

– Mon père et ma mère savent que le sang d'un lâche meurtrier est une offrande expiatoire agréable à Hésus, et qui peut l'apaiser…

– Oui… tout à l'heure tu nous as dit cela, chère fille.

– Ils savent aussi que le sang d'un brave, mourant pour la foi de l'amitié, est une valeureuse offrande à Hésus, et qui peut l'apaiser.

– Oui… tout à l'heure tu nous as dit cela.

– Mon père et ma mère savent enfin qu'il est surtout une offrande agréable à Hésus, et qui peut l'apaiser: c'est le sang innocent d'une vierge, heureuse et fière d'offrir ce sang à Hésus, de le lui offrir librement… volontairement… dans l'espoir que ce dieu tout-puissant délivrera de l'oppression étrangère notre patrie bien-aimée… cette chère et sainte patrie de nos pères!.. Le sang innocent d'une vierge coulera donc ce soir pour apaiser le courroux de Hésus.

– Et le nom? – demanda Rabouzigued, – le nom de cette vierge, qui doit nous délivrer de la guerre?

Hêna, regardant son père et sa mère avec tendresse et sérénité, leur dit:

– Cette vierge, qui doit mourir, est une des neuf druidesses de l'île de Sên; elle s'appelle Hêna; elle est fille de Margarid et de Joel, le brenn de la tribu de Karnak!..

Et il se fit un grand et triste silence parmi la famille de Joel.

Personne… personne… ne s'attendait à voir si prochainement Hêna s'en aller ailleurs… Personne… personne… ni père, ni mère, ni frères, ni parents n'étaient préparés aux adieux de ce brusque voyage.

Les enfants joignaient leurs petites mains, et disaient pleurant:

– Quoi!.. déjà partir… notre Hêna?.. quoi déjà t'en aller?..

Le père et la mère se regardèrent en soupirant, Margarid dit à Hêna:

– Joel et Margarid croyaient aller attendre leur chère fille dans ces mondes inconnus, où l'on continue de vivre et où l'on retrouve ceux que l'on a aimés ici… c'est, au contraire, notre Hêna qui va nous y devancer.

– Et peut-être, – reprit le brenn, – notre douce et chère fille ne nous attendra pas longtemps…

– Puisse son sang innocent et pur comme celui de l'agneau apaiser la colère de Hésus! – ajouta Margarid; – puissions-nous aller bientôt apprendre à notre chère fille que la Gaule est délivrée de l'étranger!

– Et le souvenir du vaillant sacrifice de notre fille se perpétuera dans notre race, – dit le père; – tant que vivra la descendance de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, sa descendance sera fière de compter parmi ses aïeules Hêna, la vierge de l'île de Sên.

La jeune fille ne répondit rien… Elle regardait son père, sa mère, tous les siens, avec une douce avidité; de même qu'au moment d'un voyage, on regarde une dernière fois les êtres chéris que l'on va quitter pour quelque temps…

Rabouzigued, montrant alors, par la porte ouverte, la lune en son plein, qui au loin dans la brume du soir se levait large… rouge, comme un disque de feu, Rabouzigued dit:

– Hêna!.. Hêna!.. la lune paraît à l'horizon…

– Tu as raison, Rabouzigued; voici l'heure! – répondit-elle en détachant à regret son regard du regard des siens.

Et elle ajouta:

– Que mon père et ma mère, et ma famille, et tous ceux de notre tribu m'accompagnent aux pierres sacrées de la forêt de Karnak… Voici l'heure des sacrifices…

De sorte que Hêna, marchant entre Joel et Margarid, et suivie de sa famille et de tous ceux de sa tribu, se rendit à la forêt de Karnak.

L'appel aux tribus, volant de bouche en bouche, de village en village, de cité en cité, avait été entendu dans la Gaule bretonne… Les tribus se rendaient en foule, hommes, femmes, enfants, à la forêt de Karnak, ainsi que s'y rendaient Joel et les siens.

La lune, en son plein cette nuit-là, brillait radieuse dans le firmament au milieu des étoiles. Les tribus, après avoir longtemps… longtemps marché, à travers les ténèbres et les clairières de la forêt, arrivèrent sur les bords de la mer. Là se dressaient en neuf longues avenues les pierres sacrées de Karnak96. Pierres saintes! gigantesques piliers d'un temple qui pour voûte a le ciel…

À mesure que les tribus approchaient de ce lieu, le recueillement redoublait.

Au bout de ces avenues étaient rangées en demi-cercle les trois pierres de l'autel du sacrifice, placé au bord de la mer. De sorte que derrière soi l'on avait la forêt profonde… Devant soi, la mer sans borne… Au-dessus de soi, le firmament étoilé…

Les tribus ne dépassèrent pas les dernières avenues de Karnak, et laissèrent vide un large espace entre la foule et l'autel. Cette grande foule resta silencieuse.

Trois bûchers s'élevaient au pied des pierres du sacrifice.

Celui du milieu des trois, le plus grand, était orné de longs voiles blancs rayés de pourpre; il était aussi orné de rameaux de frêne, de sapin, de chêne et de bouleau, disposés dans un ordre mystérieux.

Le bûcher de droite, moins élevé, était aussi orné de feuillages divers et de gerbes de blé… Là se trouvait le corps d'Armel, tué en loyal combat, étendu, à demi caché par des branches de pommier chargées de fruits.

Le bûcher de gauche était surmonté d'une cage tressée d'osier, représentant une figure humaine d'une taille gigantesque.

Bientôt on entendit au loin le son des cymbales et des harpes.

Les druides, les druidesses, les vierges de l'île de Sên, arrivaient au lieu du sacrifice.

D'abord les bardes, vêtus de longues tuniques blanches, serrées par une ceinture d'airain, le front ceint de feuilles de chêne, et chantant sur leurs harpes: Dieu, la Gaule et ses héros.

Ensuite les ewaghs, chargés des sacrifices. Ils portaient des torches, des haches, et conduisaient enchaîné, au milieu d'eux, Daoülas, le meurtrier destiné au supplice.

Puis les druides, vêtus de leurs robes blanches, traînantes et rayées de pourpre, le front ceint de couronnes de chêne. Au milieu d'eux marchait Julyan, heureux et fier, Julyan, qui voulait quitter ce monde pour aller retrouver Armel et voyager avec lui dans les mondes inconnus.

Venaient enfin les druidesses mariées, portant des tuniques blanches, à ceinture d'or, et les neuf vierges de l'île de Sên, avec leurs tuniques noires, leurs ceintures d'airain, leurs bras nus, leurs couronnes verdoyantes et leurs harpes d'or. Hêna marchait la première de ses sœurs; son regard et son sourire cherchèrent son père, sa mère et les siens… Joel, Margarid et leur famille s'étaient placés sur le premier rang; ils rencontrèrent les yeux de leur fille… leurs cœurs allèrent vers elle.

Les druides se rangèrent autour des pierres du sacrifice. Les bardes cessèrent leurs chants… Un des ewaghs dit alors à la foule que ceux-là qui voulaient se rappeler à la mémoire des personnes qu'ils avaient aimées et qui n'étaient plus ici, pouvaient déposer leurs lettres et leurs offrandes sur les bûchers.

Alors beaucoup de parents et d'amis de ceux qui depuis longtemps voyageaient ailleurs, s'approchèrent pieusement des bûchers; ils y déposèrent des lettres, des fleurs et d'autres souvenirs, qui devaient revivre dans les autres mondes, de même que les âmes dont les corps allaient se dissoudre en une flamme brillante allaient revêtir ailleurs une nouvelle enveloppe97.

Mais personne… personne… ne déposa rien sur le bûcher du meurtrier… Autant Julyan était fier et souriant, autant Daoülas était gémissant, épouvanté. Julyan avait tout à espérer de la continuité d'une vie toujours pure et juste… Le meurtrier avait tout à redouter de la continuité d'une vie souillée par un crime… Lorsque les missions pour les défunts furent déposées, il se fit un grand silence.

91Ce cri de ralliement druidique au gui l'an neuf, est encore, dans quelques provinces, acclamé par de pauvres enfants qui parcourent les rues au nouvel an.
92Voici ce qu'on lit dans César au sujet de ce singulier moyen de communication de télégraphie orale, si l'on peut s'exprimer ainsi: «Les paysans gaulois, occupés aux travaux des champs, se communiquaient les nouvelles importantes en se les criant de l'un à l'autre; elles volaient ainsi de bourg en bourg, de cité en cité, avec la rapidité d'un son. Un événement arrivé à Genabum (Orléans), au lever du soleil, dans les jours les plus courts de l'année, put être connu chez les Avernes (les Gaulois de l'Auvergne), à cent soixante milles de distance, avant la fin de la nuit.» (César, De Bello Gall., liv. VII, ch. iii.)
93Diogène Laërte cite ces belles maximes, empruntées à la philosophie druidique: – Obéir aux lois de Dieu. – Faire le bien de l'homme. – Supporter avec courage les accidents de la vie.
94«L'astronomie préoccupait assez la Gaule pour qu'il soit permis de penser qu'elle y formait aussi, parmi les druides, une classe particulière de savants; pendant que les uns s'efforçaient, suivant Ammien Marcellin, de découvrir les enchaînements et les sublimités de la nature terrestre, d'autres s'appliquaient aux mêmes travaux pour la nature céleste. Ce qui est certain, c'est que les plus savants des druides avaient su se poser les problèmes fondamentaux de l'histoire géométrique du ciel; ils faisaient profession de connaître, comme on le voit dans César et dans Nicla, les dimensions de la terre, ainsi que sa forme, la grandeur et la disposition du ciel, les mouvements des astres… Que l'on compare sur le système du monde le langage des bardes (une des classes des druides) et des pères de l'Église au sixième siècle, c'est la science à côté de l'ignorance. Que l'on réfléchisse seulement à ce que suppose de science ce simple passage du Chant du monde, par Taliesin: «Je demanderai aux bardes du monde: – Pourquoi les bardes ne me répondraient-ils pas? – Je leur demanderai qui est-ce qui soutient le monde? pour que, privé de supports, il ne retombe pas! – Et s'il tombe? quel chemin suit-il? – Mais qui pourrait lui servir de support? – Quel grand voyageur est le monde! – Tandis qu'il glisse sans repos, il demeure tranquille dans son orbite. – Et combien la forme de cette orbite est admirable pour que le monde n'en tombe dans aucune direction! »Qui ne sent frémir ici ce grand courant duquel était sorti Pythagore, et qui en reparaissant devait produire Kepler et toutes les explorations modernes des étoiles? »L'attention des druides s'était surtout attachée à la lune. On sait, par le témoignage d'Héraclée, qu'ils s'étaient aperçus (probablement par la considération des dentelures) de l'existence des montagnes lunaires, qui fournit à l'astronomie un principe si riche en inductions; aussi peut-on avoir quelque soupçon des idées que leur dogme favori de la continuité de la vie avait dû leur inspirer touchant les perspectives les plus profondes de l'astronomie.» (Jean Raynaud, Encyclopédie nouvelle, Druidisme.)
95Les sacrifices humains, si calomnieusement reprochés aux druides, se composaient d'exécutions juridiques et de sacrifices volontaires. Quant à ceux-ci, les chrétiens ne sauraient en contester les grandeurs: le Christ en croix, offrant à Dieu le Père son sang pour la rédemption du monde, est le type parfait du sacrifice volontaire. «Le jugement des meurtres, dit Strabon, est spécialement attribué aux druides.» Diodore de Sicile ajoute: «Après avoir retenu les criminels en prison, les druides les attachent à des potences en l'honneur des dieux, ou les placent avec d'autres offrandes sur des bûchers.» César dit enfin: «Les druides sont persuadés que les supplices les plus agréables aux dieux sont ceux des criminels saisis dans le vol, le brigandage ou autres forfaits.» Citons enfin ces éloquentes paroles de Jean Raynaud: «En définitive, la principale différence des exécutions druidiques et des nôtres venait de ce qu'alors la religion se trouvait d'accord avec la loi civile pour les ordonner. Sans approuver, sur ce point, la loi de nos pères, puisque c'est une sorte de lâcheté de se défaire des criminels au lieu de les corriger, je ne serais pas embarrassé pour dire quel est des deux spectacles le plus abominable, ou du druide rendant lui-même à Dieu, comme une hostie expiatoire, au milieu d'une assemblée en prière, le criminel condamné, ou du bourreau de nos jours, du mercenaire sans entrailles et sans foi, saisissant brutalement le criminel pour l'égorger sur un tréteau en forme de démonstration de police.» «En outre des sacrifices volontaires et expiatoires, les druides, quelques siècles avant César, dévouaient parfois à leur dieu, de même que les Hébreux, les ennemis de leur nationalité. Après la victoire, sur le lien même de la lutte, ils en faisaient des holocaustes; la formule de l'anathème était presque semblable à celle employée par les Hébreux, et en lisant les exterminations dans le Chanaan, on pourrait se croire avec les Gaulois des temps les plus reculés: hommes et animaux, le sacrifice embrassait tout; l'incendie du butin accompagnait, comme un encens, l'offrande du sang. Que l'on compare la prise d'Amalec ou de Jéricho avec quelque holocauste gaulois: —Ils tuèrent, dit Josué, tout ce qui était dans la ville, depuis l'homme jusqu'à la femme, depuis l'enfant jusqu'au vieillard; ils frappèrent avec le glaive les bœufs, les ânes et les moutons; ils incendièrent la ville et tout ce qu'elle contenait.» Certes, il faut déplorer ces barbaries des âges primitifs, qui toujours, d'ailleurs, allèrent en s'affaiblissant dans la religion druidique; mais nos livres saints, l'Ancien Testament, les Prophètes, etc., etc., dont la source est, dit-on, divine, fourmillent de barbaries, d'atrocités plus épouvantables encore, et ils n'offrent pas une idée d'une aussi consolante sublimité que cette perpétuité de la vie, base fondamentale du druidisme.
96La forêt de Karnak, maintenant détruite, s'étendait alors presque jusqu'au bord de la mer; quant aux pierres druidiques qui existent encore de nos jours (en 1850), voici la description qu'en donnait un écrivain du siècle passé. (Ogée, Dictionnaire de la Bretagne, t. I, p. 161. On peut voir aussi, Voyage pittoresque dans l'ancienne France, par M. Taylor. —Bretagne, t. I.) Carnac, sur la côte, à cinq lieues et demie à l'ouest-sud-ouest de Vannes, son évêché, à vingt-cinq lieues et demie de Rennes et deux lieues et demie d'Auray, sa subdélégation et son ressort. Sur la côte, au sud du Morbihan, tout auprès du bourg de Carnac, sont ces pierres étonnantes dont les antiquaires ont tant parlé; elles occupent le terrain le plus élevé en face de la mer, depuis ce bourg jusqu'au bras de mer de la Trinité, dans une longueur de six cent-soixante-dix toises; elles sont plantées en quinconce comme des allées d'arbres, et forment des espèces de rues tirées au cordeau. La première de ces rues, en les prenant du côté de Karnac, a six toises de largeur; la seconde cinq toises trois pieds; la troisième six toises; la quatrième six toises deux pieds; la cinquième et la sixième cinq toises chacune; la septième trois toises trois pieds; la huitième trois toises quatre pieds; la neuvième quatre toises, et la dixième deux toises; ce qui fait en largeur totale quarante-sept toises. Ces pierres sont de grosseurs différentes et plantées à dix-huit, vingt, vingt-cinq pieds les unes des autres; il y en a qui ne sont pas plus grosses que des bornes ordinaires; mais en revanche il s'en voit, surtout à l'extrémité des rangs, qu'on ne peut considérer sans étonnement. Elles sont hautes de seize, dix-huit et même cinquante pieds; quelques-unes sont d'une masse si prodigieuse, qu'elles doivent peser plus de quatre-vingts milliers. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la plus grande grosseur est en haut et la moindre en bas, de sorte qu'il en est plusieurs qui sont portées comme sur un pivot; elles sont brutes, telles qu'on les a tirées du rocher. On en remarque seulement quelques-unes qui ont un caractère aplati, et l'on a affecté de tourner ce côté de manière qu'il fait face aux rues.
97Les Gaulois, comme les Grecs, brûlaient les morts; ils préféraient avec raison cette volatilisation de la matière par la flamme à ces charniers répugnants appelés cimetières, qui, dans un temps donné, finiront par envahir l'espace réservé aux vivants. Mais, contrairement aux Grecs, les Gaulois, beaucoup moins préoccupés de la matière ou de ce qui en rappelait les souvenirs, n'en conservaient pas les cendres. «Les Gaulois, dit Jean Raynaud, tous pénétrés des sublimes enseignements de la spiritualité druidique, sentaient bien qu'il n'y avait point là le sujet d'un crime; s'ils faisaient moins d'état des cendres ils songeaient davantage aux âmes, c'est une différence que les monuments ont consacrée d'une manière bien sensible; au lieu de l'urne païenne noyée dans les pleurs, on trouve des sculptures gauloises qui représentent le personnage mortuaire, les yeux levés vers le ciel, d'une main tenant la cippe, et de l'autre, à demi ouverte, montrant l'espace. Au lieu de ces stériles inscriptions du paganisme, qui n'inspirent jamais que le deuil et les larmes, on trouve chez nos pères des inscriptions qui savent, à côté du regret, recommander l'espérance. On connaît celle-ci, découverte sur les bords du Rhône: Si la cendre manque dans cette urne, alors regarde l'esprit, sur le salut duquel rien n'a été dit témérairement.» Quel parfait affranchissement de tout lien matériel! (Druidisme, Encyclop. nouv.)