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La coucaratcha. III

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La coucaratcha. III
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Eugène Sue

La coucaratcha (III/III)

CHAPITRE V

Environ six mois après que ceci eût été écrit par M. de Noirville, Cécile adressait la lettre suivante à la baronne Sarah d'Herlmann, à Dresde.



Noirville, 20 juin 18…

«J'ai bien tardé à vous répondre, Sarah; mais ma santé est si mauvaise, je suis si faible, que, malgré tout mon désir, aujourd’hui seulement j’ai eu physiquement la force d’écrire: car pour penser à vous, je ne fais autre chose quand je ne lis pas vos lettres si affectueuses, quoiqu’un peu sévères à l’égard de ce que vous appelez mes folies…



«Oui, mon amie, j’ai relu avec un bien triste plaisir, cette dernière lettre où vous me rappelez notre séjour à Naples! c’était un beau temps alors: quel bonheur profond j’éprouvais en voyant une douce intimité s’établir entre nos deux familles, mon père apprécier le grand caractère de votre mère, et votre mère trouver dans le cœur de la mienne un écho pour chacune de ses nobles et pieuses pensées. Et puis comme dès la première fois que nous nous sommes vues, nous nous sommes comprises; je me le rappelle bien; c’était après une promenade dans le Golfe: nous sommes tous revenus à l’ambassade; alors je vous ai emmenée chez moi, et là je vous ai montré mes trésors: mes livres, ma musique, mes dessins commencés; mais, vous rappelez-vous surtout, Sarah, cette singulière circonstance? Un volume de Lamartine était resté ouvert sur ma table, et voilà que vous me montrez que vous aviez emporté le même ouvrage dans votre promenade! Mais ce n’est pas tout: quel est notre ravissement quand nous nous apercevons, au signet de votre livre, qu’ainsi que moi, la dernière méditation que vous aviez lue était aussi

la prière

! Vous souvenez-vous combien cette découverte nous étonna délicieusement, et quels heureux présages nous y cherchâmes pour l’avenir? car l’amitié, comme tous les sentiments tendres et délicats, semble vouloir se rassurer contre l’avenir par les présages, comme si le hasard prouvait quelque chose contre l’avenir!



«Vous le voyez bien, alors notre jeune imagination n’était pas assez riche, assez fertile, assez vive pour suffire aux plans de bonheur que nous formions. Que de brillants songes nous avions improvisés! Mais aussi quelque loin que nous emportassent ces rêves capricieux et dorés, nos idées venaient toujours se rallier à l’existence de notre père et de notre mère: nous faisions comme ces jeunes oiseaux qui essaient leurs ailes naissantes au milieu des feuilles et des fleurs, mais sans jamais quitter du regard le nid paternel.



«Eh bien! de toutes ces riantes visions, que m’est-il resté à moi? j’ai perdu tous ceux par qui ma vie avait un but, je suis seule, seule, oh! affreusement seule, Sarah!.. Et deux ans sont à peine écoulés depuis ce temps où l’avenir nous paraissait si beau!



«Mais vous me pardonnez, n’est-ce pas? chère Sarah, si je vous parle tant de mon malheur et si peu de votre bonheur…; à vous si heureuse, si aimée, si appréciée de tout ce qui vous entoure; à vous qui avez su trouver le bonheur à l’aide d’une sérieuse et haute raison, à vous qui vous sentez revivre dans un enfant adoré…; à vous enfin pour qui l’espérance a été une réalité!



«Savez-vous bien que le malheur enlaidit l’âme: savez-vous qu’il y a des moments où je vous envie avec amertume, où je vous hais presque de toute la force de votre bonheur?



«Mais pardon, pardon, mon amie! C'est que je suis si malheureuse aussi!.. Car il faut enfin que je vous ouvre mon âme tout entière, bien sûre après cela que vous aurez au moins pitié de votre pauvre

folle

, comme vous m’appelez…



«C'est qu’aussi, tout ce que je souffre est au-dessus de toute description. C'est que vous ne pouvez pas vous figurer l’horrible supplice qui m’est imposé; c’est que vous ne saurez jamais ce que c’est que vivre chaque jour, chaque heure, chaque minute avec un être qui vous est odieusement antipathique, dont la présence vous irrite ou vous accable, et qui est sans pitié parce qu’il ne sait pas, parce qu’il ne peut pas savoir ni comprendre la torture affreuse qu’il vous fait subir avec une si cruelle bonhomie.



«Car enfin une pauvre femme du peuple, que son mari brutalise et frappe, peut espérer qu’un jour la méchanceté de cet homme aura un terme, quand elle lui dira en pleurant:



«Voyez comme elle saigne, la blessure que vous m’avez faite? Voyez… je suis toute meurtrie! au nom du ciel, ayez donc pitié d’une malheureuse femme qui ne peut que souffrir!»



«Eh bien! Sarah, si cet homme n’est pas un monstre, il aura pitié, il aura un remords ou au moins la conscience qu’il a fait le mal à cette femme, et pour la victime résignée c’est presque une consolation que de se dire: Mon bourreau sait que je souffre, au moins!



«Mais moi, mon amie, comment lui faire comprendre l’amertume des douleurs toutes morales que j’endure, à lui qui ne se doute pas qu’il y ait des douleurs morales? Comment lui faire comprendre que sa seule présence pèse affreusement sur mon âme, quand il ignore peut-être ce que c’est qu’une âme; quand il ne s’aperçoit seulement pas du frisson involontaire, de l’horreur indicible que j’éprouve alors qu’il me prend la main ou qu’il me tutoie?



«Oui, j’ai honte de l’avouer, ce

toi

… ce mot solennel et sacré, que le respect m’empêchait même de dire à ma mère, et qu’elle, et que mon père ne m’ont dit qu’une fois en mourant lorsqu’ils m’ont bénie; eh bien! ce mot, qui pour moi se rattache au plus cruel et au plus imposant souvenir de toute ma vie… cet homme me le dit sans cesse, et pour la cause la plus vulgaire; il me dit

toi

 devant le monde qu’il reçoit; il me dit

toi

 devant ses laquais!



«Oh! Sarah! l’entendre ainsi profaner ce mot sublime et mystérieux, qui, prononcé par une voix aimée, m’eût peut-être révélé, à lui seul, tout ce qu’il doit y avoir de passion et de bonheur dans l’amour partagé, comme il m’avait déjà appris tout ce qu’il y avait d’angoisse et de tendresse déchirante dans les derniers adieux d’une mère adorée! oh! mon amie! entendre ainsi souiller ce mot à chaque instant du jour, est-ce souffrir, dites-le?..



«Oh! oui, c’est souffrir, et bien souffrir, sans pouvoir le dire qu’à vous seule, qui me comprendrez, n’est-ce pas… Car puisque maintenant vous savez toutes mes douleurs… je suis sûre que vous me plaindrez… et cela adoucira mes chagrins, de pouvoir pleurer avec vous, au moins; car aux yeux de tous, aux yeux des autres est-ce que j’ai le droit de souffrir, moi? De quoi me plaindrais-je? ne suis-je pas riche, jeune? mon mari n’est-il pas bon, dévoué, d’une conduite irréprochable? Et puis, voyez quel luxe, quel éclat, quelle splendeur m’environne, aussi! – Qu’elle est

heureuse

! dit le monde… Le monde!.. ce froid égoïste, qui vous fait heureux pour n’avoir pas l’ennui de vous plaindre, et qui ne s’arrête jamais qu’aux surfaces, parce que les plus malheureux ont toujours une fleur à y effeuiller pour cacher leur misère aux yeux de ce tyran si ingrat et si insatiable!



«Ou bien encore, Sarah, les gens profonds, les philosophes, les savants dans les secrets du cœur humain, répondraient à mes douleurs avec un insouciant mépris: – Vous souffrez?.. mais la cause de votre ennui est toute simple; c’est que vous pouvez vous passer toutes vos fantaisies; en un mot, c’est que vous êtes

trop heureuse

!



«

Trop heureuse

! mon amie!..

trop heureuse

!..



«Et puis encore, avant ce fatal mariage, je me disais: Au moins la solitude me sera permise, je reconstruirai à peu près ma vie d’autrefois; que je puisse ravir seulement quelques heures à cette existence morne et décolorée qui m’entoure comme un linceul, et je remercierai Dieu… Mais non, si je veux lire, si je veux chercher dans les arts un oubli passager de mes maux, une réflexion stupide ou choquante vient m’arracher à mon extase; car

lui

 est toujours là, sans cesse là; parce que cet homme m’aime, comme il peut aimer, et que c’est par sa présence continuelle, assidue, obsédante, qu’il croit me prouver cet amour. Si je souffre, il est là pour me demander ce

que j’ai

!.. si je dis que je ne souffre plus, il est encore là pour me

distraire

… Et puis, enfin, il est là, parce qu’il a le droit d'être là… et que c’est son devoir d’honnête homme d'être là; car il est honnête homme après tout, il est bon à sa manière; il m’est dévoué à sa manière. Aussi je ne puis le haïr, et pourtant il me tue; il me fait mourir à petit feu; c’est une torture lente et horrible, une agonie affreuse que j’éprouve; et lui, qui ne s’en doute même pas, voit cela d’un air souriant, tranquille, placide, intimement convaincu que j’ai toutes les chances de bonheur possibles.



«Et se dire que si j’avais cinquante années à vivre, j’aurais cette vie pendant cinquante ans! savez-vous que cela serait bien horrible…; mais rassurez-vous… mon amie j’ai une espérance…



«Et puis encore ce n’est pas tout… il est un autre supplice qu’il me faut endurer chaque jour, c’est celui de rougir de mon mari; aussi ai-je dû rompre avec quelques amis de famille; car si vous l’aviez vu! si vous l’aviez entendu! lorsqu’il se fut affranchi de l’espèce de gêne et de contrainte qui le retenait avant mon mariage… C'était à en mourir de honte.



«Et même, dans ce monde où il m’a menée, monde que je ne puis d’ailleurs ni louer ni blâmer, parce que je ne le comprends pas, parce qu’on n’y parle pas la même langue que j’ai parlée depuis mon enfance; mais enfin, dans ce monde aussi, je m’apercevais bien qu’il était moqué, compté pour rien, maintenant que son sort était fixé, et que les familles n’avaient plus à se le disputer pour leurs filles.



«Et moi, mon amie, moi, j’avais l’air de m'être mariée bassement à la fortune de cet homme qu’on bafouait.



«Et pourtant, vous le savez, je vous ai dit mes inquiétudes, ma répugnance, ma peur de ce mariage, mes prévisions, que vous traitiez de chimères, et qui se réaliseront… vous le verrez… mon amie. Je vous ai dit et le chagrin que mes refus causaient à mon pauvre oncle, et son obsession continuelle, et sa santé qui s’altérait, et mon consentement aussi presque arraché par quelques amis de ma famille, qui, en gens du monde, ne voyaient avant tout qu’une chose, c’était que j’acquisse une brillante position de fortune; vous le savez, mon consentement fut aussi décidé par vous, qui voyant plus froidement ou plus juste que moi, croyiez mon bonheur certain, parce qu’étant supérieure à mon mari, je pourrais, diriez-vous, lui imposer les goûts et les habitudes de mon existence privée.

 



«Mais en cela, mon amie, vous vous êtes trompée. Il est de ces natures qu’on ne change pas, qu’on ne peut pas même modifier. Je subirai donc mon sort jusqu’à la fin: ce qui me consolera seulement, ce sera de penser que je n’ai pas

donné raison

 au sort qui m’accable, en devenant indigne du nom de mon père, et en manquant à mes devoirs, quelques mortels qu’ils soient.



«Oui, mortels est le mot, Sarah… heureusement le mot, car vous ne reconnaîtriez plus cette Cécile que vous flattiez avec tant de cœur et d’esprit, qu’elle croyait à vos flatteries…; ma santé est devenue si mauvaise que je ne sors presque plus… Oh! comme j’attends l’automne! mais, hélas! ce n’est peut-être pas vrai ce qu’on dit de la chute des feuilles à l’automne…



«Adieu, adieu, ma seule amie; ne me laissez pas sans réponse trop longtemps, et répondez-moi toujours comme je vous écris, en anglais, vous devinez pourquoi.



«Dites-moi, Sarah, quoique je possède bien peu de chose, je veux faire un testament; c’est un enfantillage; mais enfin, tout ce qui ornait le parloir de ma mère, je l’ai conservé, sauf l’écritoire que vous savez… eh bien! je voudrais bien que vous eussiez cela comme un souvenir de moi.



«Mon Dieu, que je suis faible et brûlante!.. Je viens de demander un miroir, et j’ai eu peur, peur d’abord, et puis après… oh! après, cela a été de la joie… une joie du ciel; car vous savez qui est au ciel, et qui m’y attend.



«Encore adieu, mon amie, car je me sens pleurer, et je veux fermer cette lettre; ne me laissez pas trop longtemps sans réponse. Mille bons souvenirs à ceux que vous aimez; embrassez bien votre ange d’enfant, et joignez ses petites mains pour moi. Encore adieu.



«CÉCILE de N.»

CHAPITRE VI

UNE SOIRÉE

Ce jour-là, Cécile était plus triste, plus rêveuse, plus souffrante encore que de coutume. Par hasard elle avait passé le matin devant l’ancien hôtel d'Elmont, et cette circonstance venait de réveiller dans son cœur tout un monde de cruels et amers souvenirs.



Plongée dans un large fauteuil, son beau front appuyé sur sa main blanche et amaigrie… Cécile était dans son parloir.



Depuis long-temps il faisait nuit, et la lueur incertaine et vacillante du foyer éclairait seule la douce et mélancolique figure de la jeune femme!



Cécile aimait cette lueur vague et capricieuse du feu qui s’éteint, se ravive pour étinceler et mourir encore. Cette demi-obscurité lui plaisait… et c’est avec un triste bonheur qu’elle laissait alors planer sa pensée sur les jours qui n’étaient plus…



C'est alors qu’évoquant le passé elle revoyait sa mère… son père… c’est alors que la concentration de sa pensée sur ces objets chéris… l’absorbait tellement qu’elle croyait les entendre, tant leurs moindres paroles vibraient encore dans son âme…



C'est dans cette disposition d’esprit triste et amère que se trouvait madame de Noirville, lorsque tout à coup la porte de son parloir s’ouvre avec fracas; un torrent de lumière dissipe les ténèbres de l’appartement, et M. de Noirville, riant aux éclats de son gros rire, se précipite sur un divan, après avoir ordonné aux deux valets de chambre de déposer sur la cheminée les candélabres chargés de bougies.



On ne saurait peindre l’horrible souffrance physique et morale qui fit douloureusement tressaillir tous les nerfs de Cécile lorsque, violemment arrachée à ses plus chères et ses plus pieuses pensées… elle vit tout à coup cette lumière éblouissante, et qu’elle entendit ces éclats de rire stupides.



C'était odieux… Elle pleura…



– Ah! mon Dieu…! mon Dieu…! la bonne farce! – cria Noirville en appuyant son front empourpré sur un des coussins du divan pour rire plus à son aise… – Ah! mon Dieu! la bonne farce…! C'est Dumont qui va joliment rire!



Cécile essuya une larme, et resta muette.



– Et toi aussi tu vas joliment rire, – dit Noirville, qui ne s’aperçut de rien; – oui, tu vas joliment rire… Malgré ton petit air sainte-n’y-touche… je te défie de ne pas rire. Voilà la chose: figure-toi donc que nos gens d’écurie… ah! mon Dieu! mon Dieu! que c’est donc drôle!.. Figure-toi donc que nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque… Ah! mon Dieu!.. je ne pourrai jamais te raconter cela… voilà le rire qui me reprend…; je ris trop, ma parole d’honneur ça fait mal de tant rire, d’autant plus que j’ai mangé des Dartois chez Félix comme un vrai goulu… Ah! la bonne farce! je vais écrire à Dumont pour qu’il vienne de suite et que je la lui raconte.



Cécile se leva pour sortir.



Mais Noirville, devinant son intention et fort en gaîté, se jeta sur la porte, la ferma, mit la clef dans sa poche, et continua toujours en riant aux larmes:



– Du tout, tu entendras la farce jusqu’au bout, madame

la pincée

; ça t’égaiera; ça te vaudra mieux que tes bêtes d’idées noires que tu as par genre, j’en suis sûr… Je te disais donc que nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque… Ah! j’en crèverai, c’est sûr…; ah! mon Dieu! c’est que c’est si drôle aussi! ah! ah! voilà encore que ça me reprend… Non… non, je me remets… Eh bien, nos gens d’écurie, sachant que le concierge portait une perruque, lui ont donc mis de la poix dans son chapeau, au concierge, de façon qu’en rentrant en tilbury avec l’alezan… qu’est-ce que je vois… qui me salue?.. notre concierge qui avait la tête nue comme mon genou… Sa perruque était restée collée à son chapeau… Hein! est-ce drôle!.. C'est ça une bonne farce, ah!.. la bonne farce!.. Comme ça fera rire Dumont! J'ai demandé tout de suite qui avait fait le coup, on m’a dit que c’était Pierre, et je lui ai donné dix francs pour boire. Ah! farceur de Pierre! va… oh! oui ça va joliment amuser Dumont… je m’en fais une fête, ma parole d’honneur; et puis il faudra que je fasse la même farce à M. Boitou, qui a un faux toupet… N'est-ce pas, ma femme?



Nous n’essaierons pas de dire ce que dut éprouver Cécile tant que dura l’accès de gaîté de monsieur de Noirville; lorsqu’il eut fini sa narration, madame de Noirville lui dit seulement:



– Voulez-vous avoir la bonté, Monsieur, de m’ouvrir cette porte?..



– Pas de cela, Lisette…; ou bien si… mais je ne t’ouvrirai qu’à une condition, oui, ma petite chatte, à une condition, c’est que tu viendras baiser ton gros geôlier… ton Adolphe… ton Dodophe… comme dit Dumont.



– En vérité, Monsieur, je vous dis que j’ai besoin de respirer…; j’étouffe ici; je voudrais aller dans la serre… ouvrez-moi par pitié, Monsieur… encore une fois, je souffre…



A ce moment, le maître d’hôtel, qui avait en vain cherché la clé dans la serrure, fit entendre ces mots derrière la porte du parloir:



– Madame est servie…



– Ah ciel! Monsieur, et vos gens qui me trouvent enfermée avec vous! – s’écria Cécile en rougissant d’indignation.



– Eh bien! après?.. tiens! est-ce qu’un mari… ne peut pas…



Un regard rempli de dignité, de hauteur et d’écrasant mépris… stupéfia M. de Noirville et arrêta sur ses lèvres je ne sais quelle triviale brutalité prête à lui échapper.



Il ouvrit la porte du parloir, offrit le bras à sa femme et l’accompagna dans la salle à manger.



M. et madame de Noirville se mirent à table.



C'était un vendredi, et Cécile, d’une piété profonde, suivait exactement les lois de l'Église.



M. de Noirville, lui, mettait sa vanité d’esprit fort à taquiner sa femme sur les scrupules religieux qui l’empêchaient de faire comme lui, qui s’acharnait à ne manger ce jour-là ni poissons ni légumes, quoiqu’il les aimât beaucoup, préférant se gorger de viande, pour humilier les jésuites, disait-il, et narguer les prêtres.



– Cécile, qui mangeait comme un oiseau, prit quelques cuillerées d’un potage qu’on lui avait servi à part, et retomba dans sa rêverie.



Elle en fut tirée par un retentissant éclat de rire de M. de Noirville, qui s’écria: Devine ce que tu viens de manger là!..



– Je ne vous comprends pas, Monsieur, répondit Cécile.



– Ah! ah! dit Noirville – en redoublant ses éclats de rires, – c’est ça… qui prouve bien la bêtise de faire maigre; tu ne sais pas ce que j’ai fait? je suis descendu moi même à la cuisine pour mettre dans ta soupe maigre une grande cuillerée de bouillon gras. Eh bien! croiras-tu encore qu’il faut faire maigre maintenant?.. Te voilà bien attrapée… Ah! la bonne farce!.. tu as commis un péché… un fameux péché… fameux… C'est encore ça qui fera rire Dumont!



Cécile rougit, ne répondit pas un mot, et se leva de table en disant à son mari:



– Vous m’excuserez, Monsieur; mais je me retire chez moi… je suis souffrante.



Et elle disparut, malgré les supplications de Noirville, qui s’écriait la bouche pleine:



– Mais ma femme… ma femme, ne te fâche pas, c’est une farce; on peut bien rire un peu aussi… Puis il ajouta: – C'est égal, elle a fait gras; son confesseur sera joliment enfoncé quand il saura qu’elle a fait gras; car je l’ai en horreur ce vieux jésuite-là, et je recommande toujours à mes domestiques de rire quand il passe… le tartufe qu’il est…



Monsieur de Noirville, après avoir exhalé sa haine contre les jésuites et le

maigre

, dîna parfaitement comme toujours, puis alla dormir au ballet de l'Opéra.



Cécile, en rentrant chez elle, trouva une lettre de Dresde: c’était la réponse de la baronne d'Herlmann à la lettre si triste et si désolée qu’elle lui avait écrite.



Enfin – dit Cécile – après tout ce que j’ai souffert aujourd’hui, le ciel me devait bien cette consolation. Que deviendrais-je, mon Dieu, si je n’avais pas au moins une amie qui comprît tous mes chagrins!..



Et brisant le cachet avec émotion, elle lut:



CHAPITRE VII

UNE LETTRE RAISONNABLE

«Grâce au mariage d’une de mes belles-sœurs qui s’unit à un homme qu’elle aime depuis cinq ans, je n’ai pu, ma chère Cécile, répondre à votre lettre, d’autant plus que je voulais le faire très longuement, afin de vous prouver toute votre folie, toute votre mauvaise volonté à ne pas jouir d’un bonheur réel que vous méprisez par cela peut-être que vous le possédez.



«Oui, ma chère Cécile, je vous parais peut-être bien sévère; mais en vérité votre dernière lettre est tellement remplie d’exagérations et d’idées chimériques, que je suis obligée de vous gronder bien sérieusement cette fois; car vos autres lettres n’étaient rien auprès de celle-ci, et je me croirais réellement coupable si je vous laissais plus longtemps accuser le ciel parce qu’il lui plaît de vous combler de ses dons.



«En résumé, en fait, en positif, de quoi vous plaignez-vous? que vous manque-t-il pour être heureuse? oui, que vous manque-t-il? Vous le voyez, Cécile, je dis comme ce monde que vous accusez à tort d’égoïsme et de cruauté, car il ne faut pas ainsi, ma chère amie, répudier la logique et l’appréciation du monde, elle est ordinairement marquée d’un cachet de profonde vérité.



«Si vous n’aviez pas cette admirable pureté de principes que je vous connais, si votre conscience pouvait vous faire le moindre reproche… je comprendrais le chagrin vague et indéterminé que vous

croyez ressentir

; mais vous, d’une piété sincère, d’une vertu si angélique, pourquoi vous tourmenter ainsi quand vous savez n’avoir rien à vous reprocher?



«Le plus grand de vos griefs, dites-vous, est de n'être pas comprise par M. de Noirville…; mais cela est un mot, ma chère enfant. En quoi n'êtes-vous pas comprise? Votre mari comprend vos goûts, vos volontés, quand vous les lui exprimez; je suis sûre que vous lui diriez demain que votre terre de Normandie vous déplaît et que vous en voulez une en Touraine, qu’il vous comprendrait à merveille, et qu’il ne serait fâché que d’une chose, ce serait de n’avoir pas prévenu votre désir.



«Encore une fois,

ne pas être comprise

 c’es