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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z)

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Vers la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe, on plaça dans les églises beaucoup de ces tombes avec effigie en demi-relief, peu élevées au-dessus du pavé. Elles étaient très-fréquemment exécutées en bronze coulé ou repoussé, émaillé, et consistaient en une plaque de métal posée aux quatre coins sur des colonnettes très-trapues, sur des lions, ou simplement sur des cales. La tombe de Charles le Chauve, placée au milieu du choeur des religieux de Saint-Denis, et dont la fabrication paraît appartenir aux premières années du XIIIe siècle, était ainsi composée.


Nous en donnons (fig. 27) une copie d'après le bon dessin de la collection Gaignières. L'empereur est représenté en demi-relief; sa tête repose sur un coussin, ses pieds sur un lion. La main droite tient le sceptre fleurdelisé, la gauche une sphère. Il est vêtu des trois robes, les deux de dessus fendues sur le côté, et du manteau rond attaché sur l'épaule droite; il porte la couronne fleuronnée. Deux angelets, placés dans les écoinçons du trilobe qui encadre la tête du prince, tiennent des encensoirs et des navettes. Aux quatre coins A de la plaque sont assises quatre statuettes d'évêques. Une inscription en creux formait la bordure de la tombe. Le fond de la plaque est entièrement émaillé en bleu, avec fleurs de lis et réseau or. Des plaques d'émail incrusté décoraient aussi les bordures des robes et du manteau. Quatre lions de bronze, reposant sur des colonnettes jumelles très-courtes, de pierre, supportaient cette table (voyez l'élévation, fig. 27 bis), laissant un vide de 0m,55 environ au-dessous d'elle 58.



Nous ne possédons plus en France que quatre tombes de métal dans le genre de celle de Charles le Chauve. Deux sont sans émaux, ce sont les tombes des évêques d'Amiens, Ewrard de Fouilloy et Godefroy; l'un de ces deux monuments est d'une grande valeur comme art, c'est celui de l'évêque Ewrard. La tête, les draperies, admirablement modelées, sont d'un style excellent.



Nous donnons (fig. 28) une copie de ce tombeau. Le personnage, demi ronde bosse, est fondu avec la plaque, et la table repose sur un socle de pierre très-bas, avec six lions issants. L'évêque bénit et porte la crosse. Deux anges thuriféraires, en bas-relief, encensent sa tête, qui repose sur un coussin richement décoré. Deux clercs, également en bas-relief, tiennent des flambeaux. Les pieds du prélat reposent sur deux dragons. Une inscription et un bel ornement courant enveloppent la figure encadrée par une sorte de dais à sa partie supérieure. L'évêque Ewrard de Fouilloy fut le fondateur de la cathédrale actuelle d'Amiens, commencée en 1220. Il mourut en 1223; donc, son tombeau, placé autrefois à l'entrée de la nef, dans l'axe, date de la première moitié du XIIIe siècle; il possède d'ailleurs tous les caractères de cette époque.

Les deux autres tombes de bronze qui nous restent encore sont celles de Jean et de Blanche de France, enfants de saint Louis, et déposées, avant la révolution, dans l'église de l'abbaye de Royaumont, sous deux niches décorées de peintures. Ces tombes, fort petites, représentent, en cuivre repoussé, doré et gravé, les deux enfants, sur deux plaques de cuivre doré et émaillé, avec riche bordure également émaillée aux armes de France, de Castille et d'Aragon. Le jeune prince pose ses pieds sur un lion, et la princesse sur un lévrier. Des anges thuriféraires, en demi-relief, sont fixés aux côtés de la tête de chacun d'eux, et des religieux, aussi en demi-relief, se détachent sur les fonds d'émail aux côtés des personnages. Ces deux plaques très-intéressantes sont aujourd'hui déposées dans l'église de Saint-Denis, à côté du maître autel, en face du tombeau de Dagobert 59.

Les tombes plates de cuivre, isolées, comme celles de Charles le Chauve et des deux évêques d'Amiens, précieuses par la matière et le travail, étaient très-probablement, comme nous l'avons dit plus haut, protégées à certains jours par des poêles de riches étoffes, et illuminées au moyen de porte-lumières. Nous avons la preuve de cette dernière disposition dans les magnifiques tombeaux de cuivre doré et émaillé qui se voyaient, avant 1793, dans l'église de Villeneuve, près de Nantes, et dont les dessins nous sont conservés dans la collection de Gaignières. L'un de ces monuments, élevé sur la sépulture de deux princesses qui sont Alix, comtesse de Bretagne, morte en 1221, et sa fille Yolande de Bretagne, qui mourut en 1212, date de cette dernière époque. Le vêtement de la comtesse Alix appartient même aux années comprises entre 1225 et 1235. Cette figure était-elle déjà faite alors, ou le statuaire voulut-il reproduire le costume de la princesse, morte en 1221? Nous ne pourrions décider la question; cependant on peut admettre que la statue d'Alix était faite après sa mort, ainsi que la plaque sur laquelle on l'avait fixée (car l'ornementation émaillée de cette plaque est évidemment plus ancienne que celle de Yolande), et qu'après la mort de celle-ci les deux tombes furent encadrées dans un même socle. Quoi qu'il en soit, sur les bordures armoyées qui entourent et séparent les deux plaques, sont disposées douze douilles en forme de fleurettes fermées, qui étaient destinées évidemment à recevoir des bobèches et des cierges, ainsi que l'indique notre figure 29.



Les socles très-bas de la tombe jumelle sont également couverts d'émaux armoyés. Aux angles sont quatre lions issants de bronze doré. Le tout reposait sur une marche de pierre.

C'est aux angles de ce socle de pierre que l'on retrouve presque toujours la trace de scellements de métal ou de bases de colonnettes, soutenant l'armature de fer sur laquelle on jetait une étoffe aux anniversaires ou à certaines occasions.



La figure 29 rend compte de cette disposition.

Rien n'égale la splendeur de ces monuments de métal doré et émaillé. L'abbaye de Braisne, les cathédrales de Beauvais et de Paris, l'abbaye de Royaumont, en possédaient plusieurs 60.

Il y a une sorte de monument intermédiaire entre ces derniers tombeaux et les plates-tombes: ce sont des statues couchées sur un lit légèrement incliné, et ayant au-dessus du pavé un faible relief. Ces tombes étaient placées dans le choeurs des églises ou dans des chapelles, de façon à être vues des fidèles et à ne pas gêner la circulation. Il existait avant la révolution, dans l'église de Chaloché, au milieu du choeur, un tombeau ainsi composé: c'était celui de Thibaut, seigneur de Mothefélon, de Béatrix de Dreux, sa femme, de leur fils et de leur bru. Les quatre statues étaient couchées sur un socle peu élevé, en forme de lit de camp (fig. 30); les statues étaient peintes; les deux sires de Mothefélon avaient leurs mailles dorées et portaient des cottes armoyées de leurs armes, qui sont de gueules aux six écussons d'or posés 3, 2 et 1. Ce tombeau datait du commencement du XIVe siècle 61.

Les tombés plates gravées ne remontent pas, comme nous l'avons dit déjà, au delà du XIIIe siècle. Mais vers la fin du XIIe et le commencement du XIIIe, on plaçait dans les églises beaucoup de pierres tombales, au ras du sol, qui présentaient l'effigie du mort en bas-relief. Le respect que l'on avait pour les sépultures faisait que les fidèles ne marchaient point sur ces pierres; mais s'il y avait foule dans l'église, il était assez difficile d'éviter de butter contre ces saillies, si faibles qu'elles fussent: aussi se contenta-t-on bientôt de graver sur des dalles de pierre ou des plaques de bronze la figure entière du défunt.

 


Nous possédons en France un assez grand nombre de ces plates-tombes en bas-relief. Il nous suffira d'en donner ici un exemple qui se trouve aujourd'hui déposé dans la nef, à l'entrée de l'église de Saint-Martin de Laon (fig. 31). La tombe, de pierre noire de Belgique, est celle d'un chevalier portant le costume militaire du commencement du XIIIe siècle. Son écu est vairé; la sculpture du personnage, de grandeur naturelle, est très-peu saillante sur le fond légèrement taillé en cuvette. D'ailleurs il est à croire que ces plates-tombes étaient, au moins pendant un laps de temps après la mort du personnage et à l'occasion des anniversaires, surmontées de dais d'étoffes. La forme de ces dalles sculptées est souvent celle d'un trapèze, c'est-à-dire que la pierre est plus étroite du côté des pieds que du côté de la tête.

Les pavages de nos églises ne se composaient plus, à la fin du XVe siècle déjà, que de dalles tombales juxtaposées, et bien que depuis lors on ait détruit une prodigieuse quantité de ces monuments si précieux pour les études historiques et archéologiques, il en reste encore beaucoup. Plusieurs de ces plates-tombes sont même d'une grande beauté de style, et montrent à quel degré de perfection l'art du dessin s'était élevé pendant le moyen âge. Les meilleures sont celles qui appartiennent aux XIIIe et XIVe siècles.

Les plates-tombes de cuivre gravé ou légèrement modelé ont toutes été fondues. Celles que nous possédons encore dans quelques églises sont de pierre, parfois avec incrustations de marbre blanc pour les nus, et noir pour certaines parties des vêtements ou pour les fonds. Le trait gravé est rempli de plomb ou de mastic noir et brun rouge. La forme de ces tombes est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'en donner ici des exemples. Nous citerons parmi les plus belles celles de la cathédrale et de l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, celles des églises de Troyes, de Beaune, de la sainte Chapelle du Palais à Paris, etc. Gaignières nous a laissé les dessins de plusieurs de ces plates-tombes provenant de l'abbaye de Jumiéges, et qui étaient de terre cuite émaillée.

Souvent ces plates-tombes n'étaient décorées que par une inscription gravée sur les bords et un emblème sur le milieu. L'abbé Lebeuf cite un certain nombre de ces dalles placées dans des paroisses du diocèse de Paris, et qui avaient pour toute gravure un écu, ou une croix, ou un calice. Ces dernières sont des tombes de curés. Les pierres tombales posées sur les sépultures des templiers ne portaient habituellement aucune inscription, mais une simple croix grecque, un écu, et parfois un triangle équilatéral (voyez TEMPLE) 62. On cessa de graver l'effigie du mort sur les dalles tombales vers le milieu du XVIIe siècle.

TOUR, s. f. (tor). Dans l'ancienne fortification, la tour est un ouvrage saillant sur les courtines, à plan carré ou circulaire, et formant un flanquement suffisant avant l'emploi des bouches à feu.

Il serait difficile de remonter au premier emploi de la tour comme défense. Dès la plus haute antiquité, la tour est connue: les Asiatiques et les Grecs, les Phéniciens et les Étrusques bâtissaient des tours pour fortifier les murailles de leurs villes et forteresses. Ces tours étaient généralement élevées sur plan carré ou barlong, et dépassaient le niveau du chemin de ronde des courtines.

Les Romains avaient pris la tour aux Étrusques et aux Grecs, et dès l'époque des rois ils flanquaient les courtines au moyen de tours à plan carré. Autour de Rome, sous les remparts de l'empire, des bas temps et du moyen âge, on retrouve encore d'assez nombreuses traces de ces ouvrages élevés en gros blocs de pépérin par les Tarquins.

Cependant il n'est pas rare de trouver des tours romaines d'une époque assez ancienne, sur plan circulaire, flanquant des portes. À Arles, on voit encore, du côté opposé au Rhône, deux souches de tours qui flanquaient une porte, qui datent d'une très belle époque et sont sur plan circulaire. Ces tours ont 8 mètres de diamètre et sont espacées l'une de l'autre de 15 mètres. À Nîmes, la porte dite d'Auguste était flanquée de deux tours circulaires. Il en était de même aux portes d'Arroux et de Saint-André, à Autun (IVe siècle), à la porte de Vézone (Périgueux), à l'est de l'ancienne cathédrale. Les tours romaines sur plan circulaire, flanquant des courtines, sont beaucoup plus rares: on en voit quelques-unes sur le front occidental des remparts d'Autun, mais qui appartiennent à une très basse époque; de même à Rome.

Les Romains élevaient aussi des tours isolées en dehors des remparts, sortes d'ouvrages avancés qui protégeaient un point faible, un passage de rivière, et commandaient la campagne. Ces tours tenaient lieu de ce que nous appelons aujourd'hui des forts détachés; elles étaient parfois reliées par un vallum, ou relief de terre avec fossé, soit avec d'autres tours, soit avec les murailles de la ville. L'édifice auquel, à Autun, on donne le nom de temple de Janus, paraît avoir été un de ces ouvrages, qui formait le saillant d'une large tête de pont, d'un camp retranché sur la rive droite de l'Arroux.

Quand les frontières de l'empire furent menacées, les empereurs romains firent bâtir des tours isolées pour protéger les passages et pour maintenir les populations voisines 63. Ces tours, comme plus tard les donjons féodaux, n'avaient point de portes au niveau du sol, mais à une certaine hauteur, de manière qu'on fût obligé de se servir d'une échelle pour entrer 64. La tour carrée d'Autun, dont nous venons de parler, paraît avoir eu sa porte relevée au-dessus du sol extérieur.

Certaines tours romaines n'étaient que des postes d'observation. «Une ligne non interrompue de ces tours part de Beuvray et se dirige, par la Vieille-Montagne, vers le cours de l'Aron, jusqu'à Decize, par Cercy-la-Tour... La plaine d'Autun en offre une autre semblable qui longe la chaîne des montagnes au nord-ouest, entre les camps de la vallée d'Arroux, au-dessus et au-dessous de la ville. Elle commence au coude d'Arroux, sur la rive droite, entre le Mont-Dru et la Perrière, et, franchissant le bassin d'Autun, sur les points culminants de la plaine, va aboutir à la vallée de Barnay, en face du camp de la montagne de Bar, sans qu'aucune des tours qui composent cette ligne se perde jamais de vue l'une l'autre. Le souvenir de leurs fanaux s'est conservé presque partout, soit dans leur nom, soit dans la tradition populaire. Le nom de Montigny, Mons ignis, Mons ignitus, est resté à plusieurs de ces localités 65

La colonne Trajane nous montre, dans ses bas-reliefs, beaucoup de ces tours d'observation avec fanaux, qui permettaient de concerter des opérations militaires pendant la nuit, et de surveiller les mouvements d'ennemis ou de bandes de pillards pendant le jour. Quand un gouvernement approche de sa dissolution, le premier symptôme qui se manifeste bien avant les grandes crises finales, c'est le brigandage. L'empire romain à son déclin, mais longtemps avant le moment des débordements des barbares, était rongé par le brigandage; des bandes armées se répandaient non-seulement sur les frontières de l'empire, mais autour des grands centres et jusque dans la campagne de Rome. Les derniers empereurs se préoccupèrent, non sans raison, de guérir cet ulcère des gouvernements qui finissent, sans y parvenir. Constance, Julien, Valentinien, établirent dans les Gaules des lignes de postes sur les marches, le long des vallées voisines des frontières, et à l'entour des grandes villes. Ces postes n'étaient autre chose que des tours élevées sur des promontoires, des monticules naturels ou factices (mottes). Nous verrons bientôt que ce système romain fut longtemps observé pendant le moyen âge.

Il convient donc tout d'abord de distinguer les tours flanquantes, c'est-à-dire attachées aux courtines d'une place, des tours isolées.

Vitruve explique comment il faut établir les tours flanquantes: «Elles doivent, dit-il 66, être en saillie sur le parement extérieur du mur de telle manière que lorsque l'ennemi s'approche (de la courtine), il soit pris en flanc par deux tours, l'une à droite, l'autre à gauche... Les murs des forteresses doivent être plantés, non sur plan carré ou présentant des angles saillants, mais suivant un périmètre circulaire (ou se rapprochant de cette figure), afin que l'ennemi puisse être vu de plusieurs points, car les saillants sont difficilement défendables, et plus favorables aux assiégeants qu'aux assiégés... L'intervalle entre les tours doit être calculé en raison de la portée d'un trait, afin que l'assiégeant soit repoussé par les machines de jet manoeuvrant sur les deux flancs.

Il faut, au droit des tours, que les courtines soient interrompues par une coupure ayant une largeur égale au diamètre de ces tours. De la sorte les chemins de ronde, étant interrompus, sont seulement complétés intérieurement par des passerelles de charpente qui, n'étant pas fixées avec des attaches de fer, peuvent être jetées bas si l'ennemi s'est emparé d'une portion de courtine, et rendre ainsi l'occupation des autres courtines et des tours impossible.

Les tours doivent être élevées sur plan circulaire ou polygonal, car, étant carrées, les béliers les détruisent plus facilement en ruinant leurs angles. Circulaires, chaque pierre formant coin et reportant la percussion au centre, ces tours résistent mieux à l'effort des machines. Mais rien n'est tel que de terrasser les remparts et les tours pour leur donner une grande puissance de résistance...»

Ces préceptes, sauf les modifications amenées par la portée des engins modernes, sont les mêmes que ceux admis de nos jours. Voir l'ennemi de plusieurs points, éviter, par conséquent, les saillants qui sont difficiles à flanquer; mettre toujours l'assiégeant entre des feux convergents; faire qu'un ouvrage pris n'entraîne pas immédiatement l'abandon des autres; relier au besoin ou séparer les ouvrages, tels sont les immuables principes de la fortification. Ils furent établis, à notre connaissance, par les Grecs et les Romains, pratiqués pendant le moyen âge avec une supériorité marquée, singulièrement développés dans les temps modernes par suite de l'emploi des bouches à feu. En effet, de la tour ronde à court flanquement, et ayant toujours des points morts, au bastion moderne avec ses flancs et ses faces, il y a une longue suite d'essais, de tentatives et de transitions 67.

 

La tour romaine sur plan circulaire ou carré (car, quoi qu'ait enseigné Vitruve, les Grecs et les Romains ont élevé beaucoup de tours flanquantes carrées), était ouverte ou fermée à la gorge, c'est-à-dire du côté intérieur de la forteresse. Si elle était ouverte, le chemin de ronde des courtines voisines s'interrompait, comme l'indique Vitruve, au droit de cette ouverture. Si elle était fermée, les rondes circulant sur la courtine devaient se faire ouvrir deux portes pour entrer et sortir de la tour, afin de reprendre l'autre courtine. Dans ce cas, la tour formait obstacle à la circulation continue de plain-pied sur le sommet des remparts; Les premières de ces tours sont, à proprement parler, des tours retranchées, tandis que les secondes sont des postes ou petits forts espacés, commandant les remparts.

Ce qui prouverait que le système des tours retranchées a été de préférence pratiqué par les Romains, c'est que nous voyons pendant le moyen âge l'emploi de ce système persister dans les villes qui ont le mieux conservé les traditions romaines; tandis que dans le Nord, où l'influence normande se fait sentir de bonne heure dans l'art de la fortification, les tours sont toujours fermées, à moins toutefois qu'elles ne flanquent une enceinte extérieure commandée par une enceinte intérieure.

Nous diviserons donc cet article en: TOURS FLANQUANTES, ouvertes ou fermées à la gorge; TOURS RÉDUITE, tenant lieu de donjons ou dépendant de donjons; TOURS DE GUET, TOURS ISOLÉES, postes, tours de signaux, de passages, de ponts, de phares.

Tours flanquantes. Les tours flanquantes établies suivant la tradition romaine, qui se perpétua en Occident jusqu'à l'époque des grandes invasions normandes, sont (à moins qu'elles ne dépendent de portes) généralement pleines jusqu'à une certaine hauteur au-dessus du fossé ou du sol extérieur, afin de résister à l'effort des engins d'attaque ou à la sape; leur flanquement ne commence donc qu'au niveau des chemins de ronde des courtines, et consiste en des ouvertures assez larges masquées par des mantelets mobiles de bois. Ce premier flanquement est surmonté de l'étage supérieur crénelé, formant couronnement et second flanquement. Cet étage supérieur est couvert par un comble, de manière à mettre le crénelage à l'abri, ou découvert, le comble étant alors établi en contre-bas du chemin de ronde ou au ras de ce chemin de ronde.



Voici (fig. 1) un type de ces tours de la fin de l'empire romain 68, ouvertes à la gorge, mais interrompant les chemins de ronde des courtines.

Des plats-bords posés sur les poutres engagées A permettaient de passer d'un chemin de ronde sur l'autre, et d'entrer de plain-pied au premier étage de la tour. Ce premier étage est mis en communication avec le second et avec le crénelage au moyen d'échelles de bois. Une échelle mobile, que l'on relève au moyen d'un treuil, met le plancher du premier étage en communication avec le sol du chemin militaire intérieur. Cette portion d'échelle relevée et les plats-bords enlevés, le poste gardant la tour ne peut redouter une surprise; il est complétement isolé. Cependant il voit ce qui se passe dans la ville et peut être surveillé. La tour, occupée par l'ennemi, ne peut battre le chemin militaire, puisque les étages de cette tour sont ouverts sur ce chemin. Les approvisionnements de projectiles se font, comme l'indique notre figure, par ces ouvertures sur le chemin militaire.

La tour se défend, extérieurement, par des ouvertures pratiquées dans les deux étages et par le crénelage supérieur. Les larges créneaux en façon d'arcades sont masqués par des mantelets mobiles de bois roulant sur un axe.

La cité de Carcassonne possède encore des tours datant de la domination des Visigoths, construites suivant cette donnée, si ce n'est que le chemin de ronde passe à travers la tour, et que celle-ci est percée de portes au niveau de ce chemin de ronde. À Carcassonne, les tours visigothes avaient leurs crénelages couverts, des mantelets pour les créneaux supérieurs comme pour les créneaux des étages, et des hourds de bois pour permettre de battre le pied de la défense.



Voici (fig. 2) le plan d'une de ces tours 69, au niveau du chemin de ronde. Au-dessous de ce niveau, l'ouvrage est de maçonnerie pleine.



La figure 3 montre la face latérale de cette tour, avec la coupe du chemin de ronde de la courtine. En A est tracée en place une ferme des hourds 70; en B, le détail perspectif d'un des corbeaux des créneaux supérieurs, destinés à recevoir les tourillons des mantelets, et en C les pierres saillantes posées sous les arcades-créneaux pour supporter de même les axes à tourillons qui permettent de relever ou d'abaisser les volets fermant ces arcades. Au-dessus du plancher, posé en D, est ouvert, sur la ville, un arc qui laisse voir ce qui se passe à l'étage supérieur et qui facilite les approvisionnements de projectiles. Cet arc surmonte le mur de fermeture C (voyez le plan), et porte sur les deux pieds-droits H, I.

La question des approvisionnements rapides de projectiles destinés à défendre ces tours ne paraît pas avoir été examinée avec assez d'attention. On remarquera que ces tours, d'une époque ancienne, c'est-à-dire qui datent de la fin de l'empire romain aux derniers Carlovingiens, sont généralement d'un faible diamètre, et ne pouvaient, par conséquent, contenir un approvisionnement très-considérable de projectiles, soit armes de trait, soit pierres propres à être jetées sur les assaillants qui voulaient s'approcher du pied des ouvrages pour les saper.

En supposant qu'une tour, comme celle que nous présentons ici (fig. 2 et 3), soit attaquée à son pied; que, protégés par des chats, les mineurs s'attachent à la maçonnerie, les défenseurs ne peuvent repousser cette attaque qu'en jetant sur les galeries, sur les chats, force pierres ou matières enflammées, afin de les détruire. Si l'attaque se prolongeait, on peut estimer la quantité considérable de projectiles qu'il fallait avoir sous la main. Il était donc nécessaire de renouveler à chaque heure cette provision, comme aujourd'hui il faut, dans une place assiégée, renouveler sans cesse les munitions des bouches à feu placées sur les ouvrages qui contribuent à la défense d'un point attaqué.

Ces tours ouvertes à la gorge se prêtaient à ces approvisionnements incessants, car plus leur diamètre était petit, plus il fallait remplacer souvent les projectiles employés à la défense. D'ailleurs l'attaque n'étant sérieuse qu'autant qu'elle était très-rapprochée, c'était le point attaqué qui se défendait sans attendre secours des ouvrages voisins. Tous les efforts de l'attaque, et, par suite, de la défense, étant ainsi limités à un champ très-étroit, les moyens de résistance s'accumulaient sur ce point attaqué et devaient être renouvelés avec activité et facilité. Nous verrons comment cette partie du programme de la défense des tours se modifie peu à peu suivant les perfectionnements apportés dans le mode d'attaque.



Il est encore une observation dont il faut tenir compte. Dans les ouvrages de la fin de l'empire romain, comme pendant les périodes grecque et romaine, les tours ont sur les courtines un commandement considérable (fig. 4) 71: cette disposition est assez régulièrement observée jusque vers le milieu du XIIIe siècle, mais alors les courtines s'élèvent; le commandement des tours sur ces courtines diminue d'autant. À cette époque, il arrive même parfois que ces tours ne remplissent que la fonction de flanquement, et n'ont plus de commandement Sur les courtines. C'est encore le système de l'attaque qui provoque ces changements. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet.

En examinant les tours d'angle du château de Carcassonne, dont la construction remonte aux premières années du XIIe siècle, on peut se rendre un compte exact des moyens d'approvisionnement des défenses supérieures de ces tours, car ces ouvrages sont parfaitement conservés, les anciennes charpentes ayant seules été supprimées.



La figure 5 présente le plan de la tour de l'angle nord-est, dite tour du Major, au niveau du sol de la cour du château. La salle ronde voûtée en calotte hémisphérique se défend par cinq meurtrières qui battent le fond du fossé.



La figure 6 donne le plan du premier étage, qui se trouve au niveau du chemin de ronde des courtines. Les meurtrières qui, de la salle, s'ouvrent sur les dehors au nombre de quatre, ne sont pas percées au-dessus de celles du rez-de-chaussée, afin de laisser le moins de points morts possible. La voûte également en calotte qui couvre cette seconde salle est percée d'un trou A, ou porte-voix, qui communique avec les étages supérieurs. Le deuxième étage n'est pas voûté, mais couvert par un plancher placé en contre-bas du chemin de ronde de la tour. Cette troisième salle n'était destinée qu'au logement du poste de la tour, elle ne se défend pas. Au-dessus s'élève le crénelage avec son chemin de ronde et ses hourds (fig. 7).



Pour faciliter la pose de la charpente du comble, l'intérieur du crénelage est à pans. Ce comble était ainsi pyramidal, avec des coyaux qui formaient la transition entre la pyramide et le cône. De B en C, les fermes des hourds sont supposées placées. Ces hourds étaient évidemment très-saillants, car les deux trous superposés réservés dans la construction pour recevoir les fermes, indiquent un système de liens avec corbelets 72 soulageant la bascule des pièces horizontales destinées à porter le plancher. La coupe, faite sur la ligne ab, du plan du rez-de-chaussée (fig. 8), montre la disposition des deux salles inférieures percées de meurtrières, de la salle D, chambrée des hommes de garde, et de l'étage supérieur, poste du capitaine et défense principale. La corne E (voy. fig. 7), s'élevant d'aplomb sur la cour du château, permettait de hisser les munitions au sommet des défenses, sans qu'il fût nécessaire de les monter à dos d'homme par l'escalier. Au moyen d'un treuil posé en G et d'une poulie passant en E à travers le bout de l'entrait de la ferme principale du comble, on élevait facilement des poids assez considérables.



Notre coupe (fig. 8) indique ce mécanisme si simple. Le bourriquet hissé au niveau du plancher du hourd, on fermait la trappe, on lâchait sur le treuil, et les munitions étaient disposées le long des hourds ou dans la salle supérieure; car on remarquera que cette salle est mise en communication avec le chemin de ronde des hourds au moyen des créneaux.

Cette salle bien garnie de pierres et les hourds de sagettes et de carreaux, il était possible de couvrir les assaillants de projectiles pendant plusieurs heures. Les mâchicoulis de hourds, aussi saillants, étaient habituellement doubles, c'est-à-dire qu'ils permettaient de laisser tomber des pierres en I et en L. Les matériaux tombant en I ricochaient sur le talus K, et prenaient les assaillants en écharpe (voyez MÂCHICOULIS).



La figure 9 explique d'une façon claire, pensons-nous, le mode de montage des munitions. Le servant attend que le bourriquet soit hissé au niveau du plancher, pour fermer la trappe et répartir les projectiles où besoin est. En A, est tracée la section horizontale des potelets doubles des hourds au droit des angles, laissant entre eux la rainure dans laquelle s'engagent les masques du chemin de ronde. Le plancher de la salle supérieure, étant à 1 mètre 28 centimètres en contre-bas de l'appui des créneaux, permettait d'approvisionner une quantité considérable de projectiles que les servants, postés dans cette salle, passaient, au fur et à mesure du besoin, aux défenseurs des hourds, de manière à ne pas encombrer leur chemin de ronde. Pendant une attaque même, on pouvait hisser, à l'aide du treuil, de la chaux vive, de la poix bouillante, de la cendre qui aveuglait les assaillants 73 (voyez SIÉGE). On observera que cette tour d'angle, comme toutes celles des défenses de la cité de Carcassonne, interrompt la circulation sur les chemins de ronde des courtines, et force ainsi les patrouilles de se faire reconnaître à chaque tour. D'ailleurs, c'était dans les tours que logeaient les postes de défense, et chacun de ces postes avait à défendre une portion de courtine. La tactique des assaillants consistait à s'emparer d'une courtine en dépit des flanquements, et de se répandre ainsi dans la place.

5858 Ce monument a été envoyé à la fonte en 1793.
5959 L'une d'elles est gravée dans la Monographie de l'église royale de Saint-Denis par M. le baron de Guilhermy.
6060 Voyez Gaignières, Bibl. Bodléienne, et la Monographie de saint Yved de Braisne, par Stanislas Prioux (Paris, 1859, Didron, édit.).
6161 Voyez Gaignières, Bibl. Bodléienne.
6262 Nous aurons l'occasion, dans le tome II du DICTIONNAIRE DU MOBILIER FRANÇAIS, de donner un grand nombre de ces gravures tombales si précieuses pour l'étude des habillements; c'est pourquoi nous n'en donnons point d'exemple ici: d'ailleurs ces objets sortent du domaine de l'architecture.
6363 «Castra extollens altius et castella, turresque adsiduas per habiles locos et opportunos, quà Galliarum extenditur longitudo; nonnunquam etiam ultra flumen ædificiis positis snbradens barbaros fines.» (Ammien Marcellin, lib. XXVIII, cap. II.)
6464 C'est ainsi que sont construites les tours romaines de Besigheim, au confluent du Necker et de l'Enz.
6565 Voyez Essai sur le système défensif des Romains dans le pays éduen, par M. Bulliot, p. 26.
6666 Lib. I, cap. V.
6767 Voyez La fortification déduite de son histoire, par le général Tripier. Paris, 1866.
6868 Tours visigothes de Carcassonne; tours d'Autun, de Cologne, de Dax; tours de Rome du temps de Bélisaire.
6969 La tour dite du Four Saint-Nazaire.
7070 Voyez HOURD.
7171 Mosaïque gallo-romaine, musée de Carpentras.
7272 Voyez HOURD, fig. 1.
7373 Quant au plomb fondu, à l'huile bouillante, ce sont là des moyens de défense un peu trop dispendieux pour qu'on les puisse prendre au sérieux. D'ailleurs le plomb fondu, tombant de cette hauteur, serait arrivé en bas en gouttes froides, ce qui n'était pas très-redoutable. Ce n'était que par exception qu'on avait recours à ces moyens de défense. De simples cailloux du poids de 8 à 10 kilogrammes, tombant d'une hauteur de 20 mètres, étaient les projectiles les plus dangereux pour des hommes armés et pavaisés.