Za darmo

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S)

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Dans les restaurations, il est une condition dominante qu'il faut toujours avoir présente à l'esprit. C'est de ne substituer à toute partie enlevée que des matériaux meilleurs et des moyens plus énergiques ou plus parfaits. Il faut que l'édifice restauré ait passé pour l'avenir, par suite de l'opération à laquelle on l'a soumis, un bail plus long que celui déjà écoulé. On ne peut nier que tout travail de restauration est pour une construction une épreuve assez dure. Les échafauds, les étais, les arrachements nécessaires, les enlèvements partiels de maçonnerie, causent dans l'oeuvre un ébranlement qui parfois a déterminé des accidents très-graves. Il est donc prudent de compter que toute construction laissée a perdu une certaine partie de sa force, par suite de ces ébranlements, et que vous devez suppléer à cet amoindrissement de forces par la puissance des parties neuves, par des perfectionnements dans le système de la structure, par des chaînages bien entendus, par des résistances plus grandes. Inutile de dire que le choix des matériaux entre pour une grande part dans les travaux, de restauration. Beaucoup d'édifices ne menacent ruine que par la faiblesse ou la qualité médiocre des matériaux employés. Toute pierre à enlever doit donc être remplacée par une pierre d'une qualité supérieure. Tout système de cramponnage supprimé doit être remplacé par un chaînage continu posé à la place occupée par ces crampons; car on ne saurait modifier les conditions d'équilibre d'un monument qui a six ou sept siècles d'existence, sans courir des risques. Les constructions, comme les individus, prennent certaines habitudes d'être avec lesquelles il faut compter. Ils ont (si l'on ose ainsi s'exprimer) leur tempérament, qu'il faut étudier et bien connaître avant d'entreprendre un traitement régulier. La nature des matériaux, la qualité des mortiers, le sol, le système général de la structure par points d'appui verticaux ou par liaisons horizontales, le poids et le plus ou moins de concrétion des voûtes, le plus ou moins d'élasticité de la bâtisse, constituent des tempéraments différents. Dans tel édifice où les points d'appui verticaux sont fortement roidis par des colonnes en délit, comme en Bourgogne, par exemple, les constructions se comporteront tout autrement que dans un édifice de Normandie ou de Picardie, où toute la structure est faite en petites assises basses. Les moyens de reprises, d'étaiement qui réussiront ici, causeront ailleurs des accidents. Si l'on peut reprendre impunément par parties une pile composée entièrement d'assises basses, ce même travail, exécuté derrière des colonnes en délit, causera des brisures. C'est alors qu'il faut bourrer les joints de mortier à l'aide de palettes de fer et à coups de marteau, pour éviter toute dépression si minime qu'elle soit; qu'il faut même, en certains cas, enlever les monostyles pendant les reprises des assises, pour les replacer après que tout le travail en sous-oeuvre est achevé et a pris le temps de s'asseoir.

Si l'architecte chargé de la restauration d'un édifice doit connaître les formes, les styles appartenant à cet édifice et à l'école dont il est sorti, il doit mieux encore, s'il est possible, connaître sa structure, son anatomie, son tempérament, car avant tout il faut qu'il le fasse vivre. Il faut qu'il ait pénétré dans toutes les parties de cette structure, comme si lui-même l'avait dirigée, et cette connaissance acquise, il doit avoir à sa disposition plusieurs moyens pour entreprendre un travail de reprise. Si l'un de ces moyens vient à faillir, un second, un troisième, doivent être tout prêts.

N'oublions pas que les monuments du moyen âge ne sont pas construits comme les monuments de l'antiquité romaine, dont la structure procède par résistances passives, opposées à des forces actives. Dans les constructions du moyen âge, tout membre agit. Si la voûte pousse, l'arc-boutant ou le contre-fort contre-butent. Si un sommier s'écrase, il ne suffit pas de l'étayer verticalement, il faut prévenir les poussées diverses qui agissent sur lui en sens inverse. Si un arc se déforme, il ne suffit point de le cintrer, car il sert de butée à d'autres arcs qui ont une action oblique. Si vous enlevez un poids quelconque sur une pile, ce poids a une action de pression à laquelle il faut suppléer. En un mot, vous n'avez pas à maintenir des forces inertes agissant seulement dans le sens vertical, mais des forces qui toutes agissent en sens opposé, pour établir un équilibre; tout enlèvement d'une partie tend donc à déranger cet équilibre. Si ces problèmes posés au restaurateur déroutent et embarrassent à chaque instant le constructeur qui n'a pas fait une appréciation exacte de ces conditions d'équilibre, ils deviennent un stimulant pour celui qui connaît bien l'édifice à réparer. C'est une guerre, une suite de manoeuvres qu'il faut modifier chaque jour par une observation constante des effets qui peuvent se produire. Nous avons vu, par exemple, des tours, des clochers établis sur quatre points d'appui, porter les charges, par suite de reprises en sous-oeuvre, tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et dont l'axe changeait son point de projection horizontale de quelques centimètres en vingt-quatre heures.

Ce sont là de ces effets dont l'architecte expérimenté se joue, mais à la condition d'avoir toujours dix moyens pour un de prévenir un accident; à la condition d'inspirer assez de confiance aux ouvriers, pour que des paniques ne puissent vous enlever les moyens de parer à chaque événement, sans délais, sans tâtonnements, sans manifester des craintes. L'architecte, dans ces cas difficiles qui se présentent souvent pendant les restaurations, doit avoir tout prévu, jusqu'aux effets les plus inattendus, et doit avoir en réserve, sans hâte et sans trouble, les moyens d'en prévenir les conséquences désastreuses. Disons que dans ces sortes de travaux les ouvriers, qui chez nous comprennent fort bien les manoeuvres qu'on leur ordonne, montrent autant de confiance et de dévouement lorsqu'ils ont éprouvé la prévoyance et le sang-froid du chef, qu'ils montrent de défiance lorsqu'ils aperçoivent l'apparence d'un trouble dans les ordres donnés.

Les travaux de restauration qui, au point de vue sérieux, pratique, appartiennent à notre temps, lui feront honneur. Ils ont forcé les architectes à étendre leurs connaissances, à s'enquérir des moyens énergiques, expéditifs, sûrs; à se mettre en rapports plus directs avec les ouvriers de bâtiments, à les instruire aussi, et à former des noyaux, soit en province, soit à Paris, qui fournissent, à tout prendre, les meilleurs sujets, dans les grands chantiers.

C'est grâce à ces travaux de restauration, que des industries importantes se sont relevées 17, que l'exécution des maçonneries est devenue plus soignée, que l'emploi des matériaux s'est répandu; car les architectes chargés de travaux de restauration, souvent dans des villes ou villages ignorés, dépourvus de tout, ont dû s'enquérir de carrières, au besoin en faire rouvrir d'anciennes, former des ateliers. Loin de trouver toutes les ressources que fournissent les grands centres, ils ont dû en créer, façonner des ouvriers, établir des méthodes régulières, soit comme comptabilité, soit comme conduite de chantiers. C'est ainsi que des matériaux qui étaient inexploités ont été mis dans la circulation; que des méthodes régulières se sont répandues dans des départements qui n'en possédaient pas; que des centres d'ouvriers devenus capables ont fourni des sujets dans un rayon étendu; que l'habitude de résoudre des difficultés de construction s'est introduite au milieu de populations sachant à peine élever les maisons les plus simples. La centralisation administrative française a des mérites et des avantages que nous ne lui contestons pas, elle a cimenté l'unité politique; mais il ne faut pas se dissimuler ses inconvénients. Pour ne parler ici que de l'architecture, la centralisation a non-seulement enlevé aux provinces leurs écoles, et avec elles les procédés particuliers, les industries locales, mais les sujets capables qui tous venaient s'absorber à Paris ou dans deux ou trois grands centres; si bien que dans les chefs-lieux de département, il y a trente ans, on ne trouvait ni un architecte, ni un entrepreneur, ni un chef d'atelier, ni un ouvrier en état de diriger et d'exécuter des travaux quelque peu importants. Il suffit, pour avoir la preuve de ce que nous disons ici, de regarder en passant les églises, mairies, les marchés, hôpitaux, etc., bâtis de 1815 à 1835, et qui sont restés debout dans les villes de province (car beaucoup n'ont eu qu'une durée éphémère). Les neuf dixièmes de ces édifices (nous ne parlons pas de leur style) accusent une ignorance douloureuse des principes les plus élémentaires de la construction. La centralisation conduisait, en fait d'architecture, à la barbarie. Le savoir, les traditions, les méthodes, l'exécution matérielle, se retiraient peu à peu des extrémités. Si encore, à Paris, une école dirigée vers un but utile et pratique avait pu rendre aux membres éloignés des artistes capables de diriger des constructions, les écoles provinciales n'auraient pas moins été perdues, mais on aurait ainsi renvoyé sur la surface du territoire des hommes qui, comme cela se voit dans le service des ponts et chaussées, maintiennent à un niveau égal toutes les constructions entreprises dans les départements. L'école d'architecture établie à Paris, et établie à Paris seulement, songeait à toute autre chose; elle formait des lauréats pour l'Académie de France à Rome, bons dessinateurs, nourris de chimères, mais fort peu propres à diriger un chantier en France au XIXe siècle. Ces élus, rentrés sur le sol natal après un exil de cinq années, pendant lequel ils avaient relevé quelques monuments antiques, n'ayant jamais été mis aux prises avec les difficultés pratiques du métier, préféraient rester à Paris, en attendant qu'on leur confiât quelque oeuvre digne de leur talent, au labeur journalier que leur offrait la province. Si quelques-uns d'entre eux retournaient dans les départements, ce n'était que pour occuper des positions supérieures dans nos plus grandes villes. Les localités secondaires restaient ainsi en dehors de tout progrès d'art, de tout savoir, et se voyaient contraintes de confier la direction des travaux municipaux à des conducteurs des ponts et chaussées, à des arpenteurs, voire à des maîtres d'école un peu géomètres. Certes, les premiers qui pensèrent à sauver de la ruine les plus beaux édifices sur notre sol, légués par le passé, et qui organisèrent le service des monuments historiques, n'agirent que sous une inspiration d'artistes. Ils furent effrayés de la destruction qui menaçait tous ces débris si remarquables, et des actes de vandalisme accomplis chaque jour avec la plus aveugle indifférence; mais ils ne purent prévoir tout d'abord les résultats considérables de leur oeuvre, au point de vue purement utile. Cependant ils ne tardèrent point à reconnaître que plus les travaux qu'ils faisaient exécuter se trouvaient placés dans des localités isolées, plus l'influence bienfaisante de ces travaux se faisait sentir et rayonnait, pour ainsi dire. Après quelques années, des localités où l'on n'exploitait plus de belles carrières, où l'on ne trouvait ni un tailleur de pierre, ni un charpentier, ni un forgeron capable de façonner autre chose que des fers de chevaux, fournissaient à tous les arrondissements voisins d'excellents ouvriers, des méthodes économiques et sûres, avaient vu s'élever de bons entrepreneurs, des appareilleurs subtils, et inaugurer des principes d'ordre et de régularité dans la marche administrative des travaux. Quelques-uns de ces chantiers virent la plupart de leurs tailleurs de pierre fournir des appareilleurs pour un grand nombre d'ateliers. Heureusement, si dans notre pays la routine règne parfois en maîtresse dans les sommités, il est aisé de la vaincre en bas, avec de la persistance et du soin. Nos ouvriers, parce qu'ils sont intelligents, ne reconnaissent guère que la puissance de l'intelligence. Autant ils sont négligents et indifférents dans un chantier où le salaire est la seule récompense et la discipline le seul moyen d'action, autant ils sont actifs, soigneux, là où ils sentent une direction méthodique, sûre dans ses allures, où l'on prend la peine de leur expliquer l'avantage ou l'inconvénient de telle méthode. L'amour-propre est le stimulant le plus énergique chez ces hommes attachés à un travail manuel, et, en s'adressant à leur intelligence, à leur raison, on peut tout en obtenir.

 

Aussi avec quel intérêt les architectes qui s'étaient attachés à cette oeuvre de la restauration de nos anciens monuments, ne suivaient-ils pas de semaine en semaine les progrès de ces ouvriers arrivant peu à peu à se prendre d'amour pour l'oeuvre à laquelle ils concouraient? Il y aurait de notre part de l'ingratitude à ne pas consigner dans ces pages les sentiments de désintéressement, le dévouement qu'ont bien souvent manifestés ces ouvriers de nos chantiers de restauration; l'empressement avec lequel ils nous aidaient à vaincre des difficultés qui semblaient insurmontables, les périls même qu'ils affrontaient gaiement quand ils avaient une fois entrevu le but à atteindre. Ces qualités, nous les trouvons dans nos soldats, est-il surprenant qu'elles existent chez nos ouvriers?

Les travaux de restauration entrepris en France, d'abord sous la direction de la commission des monuments historiques, et plus tard par le service des édifices dits diocésains, ont donc non-seulement sauvé de la ruine des oeuvres d'une valeur incontestable, mais ils ont rendu un service immédiat. Le travail de la commission a ainsi combattu, jusqu'à un certain point, les dangers de la centralisation administrative en fait de travaux publics; il a rendu à la province ce que l'École des beaux-arts ne savait pas lui donner. En présence de ces résultats, dont nous sommes loin d'exagérer l'importance, si quelques-uns de ces docteurs qui prétendent régenter l'art de l'architecture sans avoir jamais fait poser une brique, décrètent du fond de leur cabinet que ces artistes ayant passé une partie de leur existence à ce labeur périlleux, pénible, dont la plupart du temps on ne retire ni grand honneur, ni profit, ne sont pas des architectes; s'ils cherchent à les faire condamner à une sorte d'ostracisme et à les éloigner des travaux à la fois plus honorables et plus fructueux, et surtout moins difficiles, leurs manifestes et leurs dédains seront oubliés depuis longtemps, que ces édifices, une des gloires de notre pays, préservés de la ruine, resteront encore debout pendant des siècles, pour témoigner du dévouement de quelques hommes plus attachés à perpétuer cette gloire qu'à leurs intérêts particuliers.

Nous n'avons fait qu'entrevoir d'une manière générale les difficultés qui se présentent à l'architecte chargé d'une restauration, qu'indiquer, comme nous l'avons dit d'abord, un programme d'ensemble posé par des esprits critiques. Ces difficultés cependant ne se bornent pas à des faits purement matériels. Puisque tous les édifices dont on entreprend la restauration ont une destination, sont affectés à un service, on ne peut négliger ce côté d'utilité pour se renfermer entièrement dans le rôle de restaurateur d'anciennes dispositions hors d'usage. Sorti des mains de l'architecte, l'édifice ne doit pas être moins commode qu'il l'était avant la restauration. Bien souvent les archéologues spéculatifs ne tiennent pas compte de ces nécessités, et blâment vertement l'architecte d'avoir cédé aux nécessités présentes, comme si le monument qui lui est confié était sa chose, et comme s'il n'avait pas à remplir les programmes qui lui sont donnés.

Mais c'est dans ces circonstances, qui se présentent habituellement, que la sagacité de l'architecte doit s'exercer. Il a toujours les facilités de concilier son rôle de restaurateur avec celui d'artiste chargé de satisfaire à des nécessités imprévues. D'ailleurs le meilleur moyen pour conserver un édifice, c'est de lui trouver une destination, et de satisfaire si bien à tous les besoins que commande cette destination, qu'il n'y ait pas lieu d'y faire des changements. Il est clair, par exemple, que l'architecte chargé de faire du beau réfectoire de Saint-Martin des Champs une bibliothèque pour l'École des arts et métiers, devait s'efforcer, tout en respectant l'édifice et en le restaurant même, d'organiser les casiers de telle sorte qu'il ne fût pas nécessaire d'y revenir jamais et d'altérer les dispositions de cette salle.

Dans des circonstances pareilles, le mieux est de se mettre à la place de l'architecte primitif et de supposer ce qu'il ferait, si, revenant au monde, on lui posait les programmes qui nous sont posés à nous-mêmes. Mais on comprend qu'alors il faut posséder toutes les ressources que possédaient ces maîtres anciens, qu'il faut procéder comme ils procédaient eux-mêmes. Heureusement, cet art du moyen âge, borné par ceux qui ne le connaissent pas à quelques formules étroites, est au contraire, quand on le pénètre, si souple, si subtil, si étendu et libéral dans ses moyens d'exécution, qu'il n'est pas de programme qu'il ne puisse remplir. Il s'appuie sur des principes, et non sur un formulaire; il peut être de tous les temps et satisfaire à tous les besoins, comme une langue bien faite peut exprimer toutes les idées sans faillir à sa grammaire. C'est donc cette grammaire qu'il faut posséder et bien posséder.

Nous conviendrons que la pente est glissante du moment qu'on ne s'en tient pas à la reproduction littérale, que ces partis ne doivent être adoptés qu'à la dernière extrémité; mais il faut convenir aussi qu'ils sont parfois commandés par des nécessités impérieuses auxquelles on ne serait pas admis à opposer un non possumus. Qu'un architecte se refuse à faire passer des tuyaux de gaz dans une église, afin d'éviter des mutilations et des accidents, on le comprend, parce qu'on peut éclairer l'édifice par d'autres moyens; mais qu'il ne se prête pas à l'établissement d'un calorifère, par exemple, sous le prétexte que le moyen âge n'avait pas adopté ce système de chauffage dans les édifices religieux, qu'il oblige ainsi les fidèles à s'enrhumer de par l'archéologie, cela tombe dans le ridicule. Ces moyens ae chauffage exigeant des tuyaux de cheminée, il doit procéder, comme l'aurait fait un maître du moyen âge s'il eût été dans l'obligation d'en établir, et surtout ne pas chercher à dissimuler ce nouveau membre, puisque les maîtres anciens, loin de dissimuler un besoin, cherchaient au contraire à le revêtir de la forme qui lui convenait, en faisant même de cette nécessité matérielle un motif de décoration. Qu'ayant à refaire à neuf le comble d'un édifice, l'architecte repousse la construction en fer, parce que les maîtres du moyen âge n'ont pas fait de charpentes de fer, c'est un tort, à notre avis, puisqu'il éviterait ainsi les terribles chances d'incendie qui ont tant de fois été fatales à nos monuments anciens. Mais alors ne doit-il pas tenir compte de la disposition des points d'appui? Doit-il changer les conditions de pondération? Si la charpente de bois à remplacer chargeait également les murs, ne doit-il pas chercher un système de structure en fer qui présente les mêmes avantages? Certainement il le doit, et surtout il s'arrangera pour que ce comble de fer ne pèse pas plus que ne pesait le comble de bois. C'est là un point capital. On a eu trop souvent à regretter d'avoir surchargé d'anciennes constructions; d'avoir restauré des parties supérieures d'édifices avec des matériaux plus lourds que ceux qui furent primitivement employés. Ces oublis, ces négligences, ont causé plus d'un sinistre. Nous ne saurions trop le répéter, les monuments du moyen âge sont savamment calculés, leur organisme est délicat. Rien de trop dans leurs oeuvres, rien d'inutile; si vous changez l'une des conditions de cet organisme, vous modifiez toutes les autres. Plusieurs signalent cela comme un défaut; pour nous, c'est une qualité que nous négligeons un peu trop dans nos constructions modernes, dont on pourrait enlever plus d'un membre sans compromettre leur existence. À quoi, en effet, doivent servir la science, le calcul, si ce n'est, en fait de construction, à ne mettre en oeuvre que juste les forces nécessaires? Pourquoi ces colonnes, si nous les pouvons enlever sans compromettre la solidité de l'ouvrage? Pourquoi des murs coûteux de 2 mètres d'épaisseur, si des murs de 50 centimètres, renforcés de distance en distance par des contre-forts d'un mètre carré de section, présentent une stabilité suffisante? Dans la structure du moyen âge, toute portion de l'oeuvre remplit une fonction et possède une action. C'est à connaître exactement la valeur de l'une et de l'autre que l'architecte doit s'attacher, avant de rien entreprendre. Il doit agir comme l'opérateur adroit et expérimenté, qui ne touche à un organe qu'après avoir acquis une entière connaissance de sa fonction, et qu'après avoir prévu les conséquences immédiates ou futures de son opération. S'il agit au hasard, mieux vaut qu'il s'abstienne. Mieux vaut laisser mourir le malade que le tuer.

La photographie, qui chaque jour prend un rôle plus sérieux dans les études scientifiques, semble être venue à point pour aider à ce grand travail de restauration des anciens édifices, dont l'Europe entière se préoccupe aujourd'hui.

En effet, lorsque les architectes n'avaient à leur disposition que les moyens ordinaires du dessin, même les plus exacts, comme la chambre claire, par exemple, il leur était bien difficile de ne pas faire quelques oublis, de ne pas négliger certaines traces à peine apparentes. De plus, le travail de restauration achevé, on pouvait toujours leur contester l'exactitude des procès-verbaux graphiques, de ce qu'on appelle des états actuels. Mais la photographie présente cet avantage, de dresser des procès-verbaux irrécusables et des documents que l'on peut sans cesse consulter, même lorsque les restaurations masquent des traces laissées par la ruine. La photographie a conduit naturellement les architectes à être plus scrupuleux encore dans leur respect pour les moindres débris d'une disposition ancienne, à se rendre mieux compte de la structure, et leur fournit un moyen permanent de justifier de leurs opérations. Dans les restaurations, on ne saurait donc trop user de la photographie, car bien souvent on découvre sur une épreuve ce que l'on n'avait pas aperçu sur le monument lui-même.

 

Il est, en fait de restauration, un principe dominant dont il ne faut jamais et sous aucun prétexte s'écarter, c'est de tenir compte de toute trace indiquant une disposition. L'architecte ne doit être complétement satisfait et ne mettre les ouvriers à l'oeuvre que lorsqu'il a trouvé la combinaison qui s'arrange le mieux et le plus simplement avec la trace restée apparente; décider d'une disposition à priori sans s'être entouré de tous les renseignements qui doivent la commander, c'est tomber dans l'hypothèse, et rien n'est périlleux comme l'hypothèse dans les travaux de restauration. Si vous avez le malheur d'adopter sur un point une disposition qui s'écarte de la véritable, de celle suivie primitivement, vous êtes entraîné par une suite de déductions logiques dans une voie fausse dont il ne vous sera plus possible de sortir, et mieux vous raisonnez dans ce cas, plus vous vous éloignez de la vérité. Aussi, lorsqu'il s'agit, par exemple, de compléter un édifice en partie ruiné; avant de commencer, faut-il tout fouiller, tout examiner, réunir les moindres fragments en ayant le soin de constater le point où ils ont été découverts, et ne se mettre à l'oeuvre que quand tous ces débris ont trouvé logiquement leur destination et leur place, comme les morceaux d'un jeu de patience. Faute de ces soins, on se prépare les plus fâcheuses déceptions, et tel fragment que vous découvrez après une restauration achevée, démontre clairement que vous vous êtes trompé. Sur ces fragments que l'on ramasse dans des fouilles, il faut examiner les lits de pose, les joints, la taille; car il est telle ciselure qui n'a pu être faite que pour produire un certain effet à une certaine hauteur. Il n'est pas jusqu'à la manière dont ces fragments se sont comportés en tombant, qui ne soit souvent une indication de la place qu'ils occupaient. L'architecte, dans ces cas périlleux de reconstruction de parties d'édifices démolis, doit donc être présent lors des fouilles et les confier à des terrassiers intelligents. En remontant les constructions nouvelles, il doit, autant que faire se peut, replacer ces débris anciens, fussent-ils altérés: c'est une garantie qu'il donne et de la sincérité et de l'exactitude de ses recherches.

Nous en avons assez dit pour faire comprendre les difficultés que rencontre l'architecte chargé d'une restauration, s'il prend ses fonctions au sérieux, et s'il veut non-seulement paraître sincère, mais achever son oeuvre avec la conscience de n'avoir rien abandonné au hasard et de n'avoir jamais cherché à se tromper lui-même.

RETABLE, s. m. Nous expliquons, à l'article AUTEL, comment les retables n'existaient pas sur les autels de la primitive Église. Thiers 18, auquel il est toujours utile de recourir lorsqu'il s'agit de l'ancienne liturgie, s'exprime ainsi à propos des retables: «Les anciens autels qui avoient pour caractère particulier la simplicité, étoient disposés de telle sorte que les évêques ou les prestres qui y célébroient les mystères divins, et les personnes qui étoient derrière, se pouvoient voir les uns les autres. En voici deux raisons qui me paroissent dignes de considération.

«La première est prise des siéges ou throsnes épiscopaux... Ces siéges étoient placés derrière les autels et afin que les prélats s'y pussent asseoir, et afin qu'y étant assis, ils eussent en vue leur clergé et leur peuple... et qu'ils fussent eux-mêmes en vue à leur clergé et à leur peuple. Ainsi, où il y avoit des siéges épiscopaux, il n'y avoit point de retables; il y avoit des siéges épiscopaux au moins dans toutes les églises cathédrales...

«La seconde raison est tirée de l'ancienne cérémonie pour laquelle, aux messes solennelles, le sous-diacre, après l'oblation, se retiroit derrière l'autel avec la patène, qu'il y tenoit cachée en regardant néanmoins le célébrant...»

Or, le retable étant un dossier posé sur une table d'autel et formant ainsi, devant le célébrant, une sorte d'écran, les retables ne furent donc placés sur les autels principaux qu'à dater de l'époque où les choeurs et les siéges épiscopaux s'établirent en avant, et non plus autour de l'abside. Et même alors, dans les cathédrales du moins, le retable ne fut guère admis pour les maîtres autels (voy. AUTEL). Dans son Dictionnaire, Quatremère de Quincy définit ainsi le retable: «Ouvrage d'architecture fait de marbre, de pierre ou de bois, qui forme la décoration d'un autel adossé.» Il y a là une erreur manifeste. D'abord les autels n'étaient pas et ne devaient pas être adossés, puisque certaines cérémonies exigeaient que l'on tournât autour; puis les retables n'étaient pas et ne pouvaient pas être ce qu'on appelle un ouvrage d'architecture, mais bien un simple dossier décoré de bas-reliefs et de peintures.

Les autels primitifs n'étaient qu'une table posée horizontalement sur des piliers isolés, table sur laquelle, dans l'Église grecque comme dans l'Église d'Occident, jusqu'au XIVe siècle, on ne posait que l'Évangile et le ciboire au moment de l'office. Dans les choeurs, le célébrant pouvait ainsi être vu de tous les points de l'abside. Mais vers la fin du XIe siècle, en Occident, sans adosser jamais les autels aux parois d'un mur, puisque certaines cérémonies exigeaient qu'on en fît le tour, on plaça parfois des retables sur les tables de l'autel, pour former derrière celui-ci un réduit propre à renfermer des reliques. Ces retables étaient même le plus souvent mobiles 19, en orfévrerie ou en bois, quelquefois recouverts d'étoffes 20. Nous n'avons à nous occuper ici que des retables fixes, et nous n'en connaissons pas en France qui soient antérieurs au commencement du XIIe siècle. Celui que nous donnons ici (fig. 1) est un des plus intéressants. Il appartient à la petite église de Carrière-Saint-Denis près Paris, et date de cette époque. Il est taillé dans trois morceaux de pierre de liais, et représente, au centre, la Vierge tenant l'enfant Jésus sur ses genoux; à gauche l'annonciation, et à droite le baptême du Sauveur. Un riche rinceau encadre les bas-reliefs latéralement et par le bas.


Ce retable n'a qu'une faible épaisseur: c'est une dalle sculptée qui masquait une capsa, un coffre, un reliquaire 21. On ne pouvait placer au-dessus ni un crucifix, ni des flambeaux. En effet, ce ne fut que beaucoup plus tard qu'on plaça le crucifix sur le retable; jusqu'au XVIe siècle, on le posait sur l'autel. Les flambeaux étaient placés sur les marches à côté de l'autel, sur une table voisine, ou parfois sur la table même de l'autel. Quant aux autels majeurs des cathédrales, ils n'avaient, comme nous l'avons dit, jamais de retables fixes; beaucoup même n'en possédaient point de mobiles: ils consistaient en une simple table sur des colonnes. Les retables paraissent avoir été plus particulièrement adoptés d'abord dans les églises conventuelles qui possédaient des reliques nombreuses et qui les suspendaient au-dessus et derrière l'autel. Nous avons indiqué, à l'article AUTEL (fig. 13, 13bis, 14, 15 et 16), comment étaient disposés ces reliquaires, et comment les fidèles pouvaient se placer, en certaines circonstances, au-dessous d'eux 22. Cet arrangement nécessitait un retable qui servait ainsi de support à la tablette sur laquelle était posé le reliquaire, et qui formait une sorte de grotte (voy. AUTEL, fig. 14, 15 et 16).



Voici (fig. 2) une des positions fréquemment adoptées pour les autels secondaires des églises. Le retable masquait et supportait le reliquaire, sous lequel on pouvait se placer, suivant un ancien usage, pour obtenir la guérison de certaines infirmités. Cet exemple, tiré d'une représentation de l'autel des reliques de l'église d'Erstein, indique l'utilité du retable. Plus tard, on plaça les reliquaires sur le retable lui-même, et cet usage est encore conservé dans quelques églises.

1717 C'est dans les chantiers de restauration que les industries de la serrurerie fine forgée, de la plomberie ouvragée, de la menuiserie, comprise comme une structure propre; de la vitrerie d'art, de la peinture murale, se sont relevées de l'état d'abaissement où elles étaient tombées au commencement du siècle. Il serait intéressant de donner un état de tous les ateliers formés par les travaux de restauration, et dans lesquels les plus ardents détracteurs de ces sortes d'entreprises sont venus chercher des ouvriers et des méthodes. On comprendra le motif qui nous interdit de fournir une pièce de cette nature.
1818 J. B. Thiers, Dissertation ecclésiastique sur les principaux autels des églises, 1688, p. 181.
1919 Voyez le Dictionnaire du mobilier français, art. RETABLE.
2020 Voyez l'article AUTEL, l'autel matutinal de Saint-Denis (fig. 7), les autels des cathédrales d'Arras et de Paris (fig. 8 et 9).
2121 Ce retable, enlevé à l'église de Carrière-Saint-Denis, fut replacé en 1847 dans cet édifice par les soins de la Commission des monuments historiques. Il est bien conservé; une partie de l'ornement inférieur a seule été brisée.
2222 Voyez la disposition des autels des chapelles de la sainte Vierge et de saint Eustache à Saint-Denis, fig. 13 et 17.