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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)

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Chaque maison ne contient qu'une pièce avec sa cheminée; si l'on veut deux pièces, ce sont deux maisons qui se joignent par les pignons. Dans cette habitation, aucune décoration, rien qui fasse pressentir un goût pour l'art même le plus grossier. Les bois sont à peine équarris, le plancher est couvert d'une terre battue enduite d'une couche formée de sable granitique et d'argile 167. Si on se rapproche du Nivernais et de la haute Bourgogne, souvent au contraire, dans les maisons de paysans, trouve-t-on les traces d'un art; les intérieurs de porte sont taillés avec soin, les jambages bien dressés, les intérieurs sont enduits et quelquefois recouverts jusqu'à la hauteur d'appui d'un lambris. Les bois sont équarris, chanfreinés même; la tuile, dès les temps anciens, remplace la lourde couverture en pierre. Parfois les escaliers extérieurs sont coquettement disposés, le palier garni de beaux garde-corps en pierre; les solives des plafonds débordent à l'extérieur, forment auvent et s'assemblent dans les chevrons (41) 168. Ces habitations de la campagne bourguignonne sont souvent parementées avec soin, et affectent certaines formes architectoniques.



Les maisons de paysans encore bien conservées, dans le village de Rougemont, entre Montbar et Aisy, en fournissent la preuve. Ces maisons, qui datent la plupart du commencement du XIIIe siècle, présentent leur pignon sur la route, sont bâties avec un soin remarquable (42) et possèdent presque toutes un étage au-dessus du rez-de-chaussée; mais il faut dire que ce village dépendait d'une riche abbaye.



C'est, en effet, dans le voisinage des établissements religieux que les maisons des campagnards sont le mieux construites, jusques au XIVe siècle, et ces maisons sont habituellement élevées en maçonnerie. Suenon 169 dit que les terrains destinés aux habitations des paysans autour des établissements agricoles des religieux étaient divisés en parties égales. «Nous croyons, dit M. L. Delisle 170, que ce précepte a été souvent suivi dans notre province (en Normandie), où, depuis longtemps, le mot boels a le sens de cour ou masure. On assignait donc aux colons des boels, ordinairement plus longs que larges, d'où le nom si répandu de longs boels. À l'une des extrémités du boel, chacun élevait sa chaumière. Toutes les portes s'ouvraient du même côté sur le chemin, qui devenait la rue du village.» Cette disposition est observée à Rougemont comme dans beaucoup d'autres centres agricoles appartenant aux abbayes pendant les XIIe et XIIIe siècles.

Dans le Nord, en Normandie et en Picardie, les habitations des champs, la masure «mansura, masura, masagium, mesagium, masnagium,» était un clos avec maison habituellement construite en bois. Sur les bords de la basse Seine, de l'Orne, de la Dives, sur les côtes de la Manche, depuis Eu jusqu'à Cherbourg, les Normands ont laissé des traces encore apparentes de leur génie particulier. Les maisons des paysans sont en pans de bois hourdés en terre mêlée de paille, couvertes en chaume ou en bardeaux. Si, depuis quelques années, les anciennes habitations de ces campagnes tendent à disparaître pour être remplacées par la petite maison de brique, couverte en ardoise, on en voyait encore un grand nombre jusqu'en 1830, qui rappelaient, par leur structure, les charpentes de la Norvége, du Danemark, et celles indiquées sur la tapisserie de Bayeux. Les Normands, comme tous les peuples de la Scandinavie, ne construisaient qu'en bois et étaient bons charpentiers dès l'époque où ils vinrent s'établir sur les côtes de la France. Navigateurs, leurs habitations conservaient quelque chose de la structure navale. Les manuscrits considérés comme saxons en Angleterre, et conservés en assez grand nombre au British Museum, présentent dans leurs vignettes des spécimens d'habitations qui rappellent aussi les constructions navales.

En Norvége et en Islande, il existe encore quelques-unes de ces bâtisses en charpente d'une époque assez récente (XVIe siècle), mais qui reproduisent exactement les formes et les procédés d'un art beaucoup plus ancien. Dans ces habitations, comme sur les broderies de la tapisserie de Bayeux, on remarque, par exemple, ces poinçons richement décorés qui terminent les deux extrémités du faîtage et qui sont reliés au-dessus du comble par une pièce de bois découpée en manière de crête. On voyait encore dans les campagnes de l'Eure, il n'y a pas longtemps, des restes affaiblis de cette tradition exprimés clairement dans notre figure 43.



Ces maisons normandes des XIe et XIIe siècles ne contenaient qu'une salle assez élevée, éclairée de tous côtés, couverte par une charpente grossièrement lambrissée. Le foyer était placé vers le milieu de la pièce, et la fumée s'échappait par un tuyau de bois passant à travers la couverture en bardeaux épais.

Dans les provinces du Centre, comme l'Auvergne, le Vélay et la partie septentrionale de l'ancienne Aquitaine, il semblerait que les traditions celtiques s'étaient conservées très-avant dans le moyen âge. Les maisons des habitants des campagnes étaient en partie creusées sous terre et recouvertes d'une sorte de tumulus formé de terre et de pierres amoncelées sur des pièces de bois posées rayonnant autour d'une poutre principale. Une ouverture pratiquée sur un des côtés de cet amoncellement servait de porte et de fenêtre, la fumée du foyer s'échappait par un orifice ménagé au centre du tumulus. Nous avons vu, dans les montagnes du Cantal, des habitations de ce genre qui paraissaient anciennes, et qui certainement étaient une tradition d'une époque fort reculée. Il n'est pas besoin de dire que l'art n'entre pour rien dans ces sortes d'habitations. Certaines chaumières du Bocage et de la Bretagne ont bien quelques rapports avec celles-ci, en ce que le sol intérieur est plus bas que le sol extérieur, et que les toits couverts en chaume descendent presque jusqu'à terre. Mais ces habitations n'affectent pas à l'extérieur la forme conique, elles sont couvertes par des toits à double pente avec deux pignons en pierres sèches ou en pans de bois hourdés en torchis.

En nous rapprochant des bords du Rhin, dans les provinces de l'Est, dans les montagnes des Vosges, près des petits lacs de Gérardmer et de Retournemer, on voit encore des habitations de paysans qui présentent tous les caractères de la construction de bois par empilage. Basses, larges, bien faites pour résister aux ouragans et pour supporter les neiges, elles ont un aspect robuste. Presque toujours ces maisons se composent de trois pièces à rez-de-chaussée et de quatre pièces sous comble (43 bis).



Le plan A d'une de ces maisons, prise au niveau du rez-de-chaussée, présente en B la salle d'entrée, de laquelle on passe ou dans la grande salle C, ou dans l'arrière-pièce D qui possède l'unique escalier montant au premier étage sous comble. C'est dans la salle C, éclairée par les deux bouts, que se réunit toute la maisonnée pour les repas et la veillée. C'est aussi dans cette pièce que se préparent les aliments. Une grande cheminée avec pieds-droits, contre-coeur, manteau et tuyau en maçonnerie, traverse la toiture. C'est la seule partie du bâtiment qui, avec les socles, ne soit pas en bois. La couverture est faite ou en tuiles, ou en grès schisteux, ou en lames minces de grès; de plus elle est chargée de pierres. Les maisons s'élèvent sur un soubassement de 1m,00 de hauteur environ, formé de gros blocs de grès. Un pan de bois composé de troncs d'arbres assez grossièrement équarris sépare la masure dans sa longueur par le milieu, et supporte l'extrémité supérieure des chevrons. Ce pan de bois, les deux autres latéraux, débordent sur les deux pignons, en encorbellement, et forment ainsi des auvents très-prononcés. Un plancher fait de solives porte sur ces trois pans de bois parallèles. Ces masures ne prennent de jour qu'à travers les pans de bois formant pignons. Il est difficile de ne pas voir, dans ces habitations, une tradition fort ancienne et qui se rapproche des constructions en bois de la vieille Suisse, si intéressantes à étudier.

 

C'est sur les bords de la Garonne, dans le Languedoc et la Provence que l'on trouve les habitations rurales les plus gracieuses, celles qui rappellent le mieux ces maisons des champs des peintures antiques. La tradition romaine est restée plus pure, dans ces contrées, que partout ailleurs en France. Ces maisons de paysans sont larges, spacieuses, basses, orientées toujours de la manière la plus favorable, possédant des portiques ou plutôt des appentis à jour, bas, afin d'abriter les habitants qui, sous ce climat doux, se livrent à leurs travaux en dehors de la maison.

Dans les plaines de Toulouse, dans l'Ariége et l'Aude, du côté de Limoux, on voit au milieu de bouquets d'arbres séculaires des maisons bâties sur ces données et qui sont relativement anciennes, c'est-à-dire qui datent du XVe siècle. D'ailleurs, celles que l'on construit encore aujourd'hui, en briques crues ou en cailloux, suivent exactement le même programme. En effet, ces populations ont toujours été agricoles, attachées à la terre, et n'ont guère modifié leurs habitudes depuis le XIVe siècle. Voici (44) une de ces habitations rurales.



Le système des tenures à moitié des fiefs fermes était usité au moyen âge dans les provinces du Languedoc comme il l'est encore aujourd'hui. Les paysans qui tenaient ces fermages, ces métayers couraient moins de risques que ceux qui affermaient à temps ou qui obtenaient une concession territoriale moyennant certaines redevances fixes; ils vivaient dans un état de sécurité plus complet. C'est ce qui explique le caractère d'aisance que l'on observe dans les habitations rurales de cette contrée, mais aussi leur uniformité depuis plusieurs siècles.

Dans le Nord, et particulièrement en Normandie, le système des tenures à moitié, ou des concessions perpétuelles moyennant une rente fixe, fut généralement remplacé dès le XIIIe siècle par le bail à terme. Le seigneur conservait la propriété de sa terre et en cédait la jouissance à un cultivateur pour un temps limité et à des conditions déterminées. «Plusieurs causes, dit M. L. Delisle 171, favorisèrent les développements de cette tenure, et la firent préférer aux concessions perpétuelles. Dans les premiers siècles de la féodalité, on n'avait guère connu que ces dernières; mais on finit par s'apercevoir que la rente stipulée par contrat d'inféodation perdait avec le temps la plus grande partie de sa valeur. C'était une conséquence inévitable, non-seulement de l'altération des monnaies, mais encore de la révolution qui s'opérait dans le rapport de l'argent avec les objets de consommation. D'une autre part, l'affaiblissement du régime féodal tendait à priver les seigneurs des principaux moyens qu'ils employaient précédemment pour exploiter leurs domaines non fieffés. On conçoit donc comment ils furent amenés à traiter avec les fermiers. Ils se déchargeaient des embarras et des frais de l'exploitation, et n'étaient plus exposés à voir leur fortune réduite à des rentes dont la valeur nominale n'était pas altérée, mais dont la valeur réelle devenait de plus en plus insignifiante.» Quelquefois même le seigneur, ayant besoin d'argent comptant, faisait payer au fermier, en passant le contrat de louage, le montant total du prix de fermage pendant plusieurs années. Il est évident que ces véritables emprunts étaient faits à des conditions onéreuses pour le propriétaire et tendaient à enrichir le laboureur. Aussi, est-ce en Normandie où l'on voit les habitations rurales prendre une importance relative considérable et se modifier plus rapidement que dans toute autre province.

Sur les côtes de la Méditerranée, on trouve parfois des habitations des champs qui affectent la forme d'une tour ou d'un petit donjon, et qui appartiennent à une époque assez ancienne; mais ces maisons ont été plutôt habitées par des pirates que par des agriculteurs. Il en existe quelques-unes entre Toulon et Cannes.



Voici (45) l'une d'elles encore entière, bâtie à l'entrée du village de Cannet, près Cannes, à mi-côte et à quatre kilomètres environ de la mer. Elle consiste en une tour carrée possédant deux étages et un rez-de-chaussée sans communication avec l'extérieur. La porte, relevée de trois mètres au-dessus du terrain extérieur, n'était accessible qu'au moyen d'une échelle que l'on pouvait facilement rentrer pour éviter les importuns. Le premier étage, ou plutôt le second (car on ne communique au rez-de-chaussée que par une trappe ménagée dans le plancher du premier), est percé de six mâchicoulis en forme de hottes, et ne possédait pas de fenêtre. Le premier n'a d'autre ouverture que la porte. De cet étage on montait à celui des mâchicoulis par une échelle de meunier 172. L'ornement en torsade qui décore le linteau de la porte indique une époque assez ancienne. Au Cannet, cette tour est connue sous le nom de la Maison du brigand. Le dernier étage est voûté en moellon sous le comble. On voit encore, en Corse, un certain nombre d'habitations de ce genre.

Ces habitations des champs, disposées de manière à pouvoir servir de refuge à quelques hommes vivant isolés et mal, probablement, avec leurs voisins, se retrouvent aussi sur les côtes occidentales. L'une des mieux conservées et des plus importantes existe près de Bordeaux (46); elle était entourée autrefois d'un fossé plein d'eau.



Un escalier de douze marches engagées dans la muraille conduisait du niveau de l'eau à la porte relevée. Peut-être jetait-on une planche sur le fossé lorsqu'on voulait entrer. Cette porte donne issue dans la salle unique du premier étage, laquelle est munie d'une cheminée, percée d'une petite fenêtre et de six meurtrières.

On communiquait à une cave par une trappe percée au centre de la pièce. En prenant l'escalier à vis on arrive au second étage possédant une cheminée comme le premier; des meurtrières et un mâchicoulis sont suspendus sur la porte d'entrée 173.

On nous a signalé quelques-unes de ces habitations sur les côtes entre Bordeaux et Bayonne et même au delà, jusqu'à Saint-Jean de Luz. Nous inclinons à croire que ces maisons datent de l'époque de la domination anglaise en Guienne. En effet, on voit dans le comté de Suffolk, en Angleterre, une petite maison (Wenham Hall) construite en brique d'après le même mode et qui date de la fin du XIIIe siècle. Cette construction est un parallélogramme avec escalier à vis dans une tourelle à l'un des angles. L'entrée était relevée, et on arrivait par des marches engagées dans la muraille.

Il ne faut pas omettre ici les maisons bâties dans les cimetières, les maisons croisées qui étaient franches, en dehors de toute juridiction séculière, qui servaient de refuge aux pèlerins, aux malades, et qui se trouvaient placées sous la surveillance de religieux. Ces maisons se reconnaissaient à des croix de bois fichées sur leur comble.

MANOIR, s. m. (manerium 174). Le manoir, bien que ce nom désigne parfois un château, est l'habitation d'un propriétaire de fief, noble ou non, mais qui ne possède pas les droits seigneuriaux permettant d'élever un château avec tours et donjon. Le manoir est fermé cependant, il peut être clos de murs et entouré de fossés, mais non défendu par des tours, hautes courtines crénelées et réduit formidable. Le manoir est la maison des champs placée, au point de vue architectonique, entre le château féodal et la maison du vavasseur, degré supérieur de la classe attachée à la terre seigneuriale, homme libre. «Les vavasseurs,» dit M. Delisle 175 à propos de la position de cette classe en Normandie, «différaient essentiellement des nobles, qui ne tenaient leur fief que moyennant la foi, l'hommage et le service militaire.» Dans certaines seigneuries cependant, ils devaient le service militaire à cheval, armés de lances, d'écus et d'épées. Les demeures des vavasseurs, et même des aînés, c'est-à-dire de ceux qui tenaient du seigneur des terres plus ou moins étendues, qui réunissaient plusieurs vavassoreries sous leur main et qui demeuraient responsables du service et des redevances des vavasseurs du groupe, ne pouvaient être considérées comme des manoirs en ce qu'elles n'étaient point fermées.

Le manoir quelquefois n'est qu'une maison peu étendue, entourée de murs avec jardin; plus souvent c'est une agglomération de bâtiments destinés à l'exploitation, entourés de fossés, avec logis principal pour l'habitation du propriétaire. Les villæ des rois de la première race étaient plutôt des manoirs que des châteaux, et, jusqu'au XVIe siècle, les grands seigneurs suzerains en France, outre leurs châteaux, qui étaient de véritables places fortes, se plaisaient à élever des maisons de plaisance pour se livrer au plaisir de la chasse, ou pour se retirer pendant un certain temps; ces maisons peuvent être considérées comme des manoirs. Beaucoup d'abbayes royales possédaient dans leur enclos des manoirs où les princes venaient se reposer des affaires (voy. ARCHITECTURE MONASTIQUE). La maison de plaisance de Bicêtre, près Paris, ou plutôt de Vincestre 176, qui fut brûlée par le peuple en 1411, était un grand manoir plutôt qu'un château, bien qu'elle possédait une tour 177. Sous les rois de la troisième race, Fontainebleau, Blois étaient de même, de grandes maisons de plaisance qui avaient les caractères du manoir.

 

L'Angleterre a conservé un nombre assez considérable de ces maisons de campagne des XIIIe, XIVe et XVe siècles; mais en France nous n'en connaissons pas qui soient entières et qui remontent au-delà du XVe siècle. Le manoir, proprement dit, contenait toujours une salle, comme le château, et en Angleterre la dénomination de manor-house s'est conservée. C'est qu'en effet dans ces résidences la salle est la partie importante du programme jusqu'au XVe siècle.

Au XIIe siècle, le roi Richard d'Angleterre avait à Southampton un manoir qui servait de lieu de rendez-vous au moment de l'embarquement. Ce bâtiment se composait d'une salle, d'une chapelle et d'un cellier 178. Une chambre privée était souvent placée à côté de la salle.

Le nom de manoir est quelquefois appliqué à la maison de l'hôte, du colon, mais lorsque cette maison est entourée d'une clôture:

 
«Lez le bois avoit un manoir
Où un vilain soloit manoir
Qui moult avoit cos et gelines 179
 

La disposition des manoirs, à la fin du XIIe siècle et pendant une partie du XIIIe, était la même en France et en Angleterre. L'abbaye de Saint-Maur possédait au Piple, près Boissy-Saint-Léger, un manoir d'où dépendaient vingt-deux arpents de vigne, avec deux pressoirs et sept arpents de bois. L'abbé Pierre Ier, vers le milieu du XIIIe siècle, fit rebâtir ce manoir en partie; on y construisit, par son ordre, une chapelle, une salle avec cellier au-dessous, et un logis qui fut entouré de murs et de larges fossés 180. Cependant, dès le XIIIe siècle, la distinction entre le château et le manoir fut moins tranchée en Angleterre que de ce côté-ci du détroit. Beaucoup de châteaux anglais de cette époque seraient pour nous de grands manoirs en ce qu'ils ne possèdent pas les défenses qui constituent chez nous le château. Les châteaux d'Aydon (Northumberland) de Stokesay (Shropshire) 181 seraient, en France, classés parmi les manoirs, et celui d'Aydon particulièrement est un des plus complets et des plus vastes que l'on puisse voir. Il comprend un corps de logis principal à trois étages avec ailes, des cours et un jardin enclos de bonnes murailles. Ce manoir est crénelé, mais ne possède ni tours ni donjons. Les châteaux les plus forts en Angleterre conservent, sauf de rares exceptions, une apparence de maison de campagne qui les distingue de nos grandes résidences féodales, telles que Coucy, par exemple, ce qu'explique l'état intérieur du pays depuis le XIIIe siècle.

Plusieurs des châteaux de la Guienne, bâtis sous la domination anglaise, bien qu'ils conservent, dans leurs détails, tous les caractères dé l'architecture française de la fin du XIIIe siècle et du commencement du XIVe, présentent cette particularité de rappeler les dispositions des grands manoirs anglo-normands. Il suffit, pour s'en assurer, de feuilleter l'excellent ouvrage que publie sur ces édifices M. Léo Drouyn 182. Logis carrés, avec enceintes, absence de tours flanquantes, bâtiments percés sur le dehors, basses-cours entourées de murs, fossés extérieurs. Plans irréguliers comme ceux de la villa romaine, services séparés les uns des autres et formant autant de corps de bâtisses. Les Anglais ont conservé, dans les dispositions des maisons de campagne qu'ils élèvent aujourd'hui, ces traditions du moyen âge, ne s'en trouvent pas plus mal et appliquent sans difficulté ces principes vrais à la vie moderne. Nous reconnaissons volontiers que les Anglais sont nos maîtres en fait de confort (ils ont trouvé le mot), et nous répétons sur tous les tons que l'architecture du moyen âge ne peut se prêter à nos habitudes modernes. Il y a là une de ces contradictions si nombreuses dans les jugements que nous portons en France à propos des choses d'art.

Déjà, dans le château du moyen âge, on reconnaît que les services divers occupent la place convenable, prennent leur importance relative sans que les architectes se soient autrement préoccupés des questions de symétrie. Mais dans le château la raison militaire imposait souvent des distributions qui ont pu contrarier ou modifier certaines habitudes de bien-être (voy. CHÂTEAU); il n'en est pas ainsi dans le manoir. Là il s'agit seulement de satisfaire aux besoins et aux goûts de l'habitant. La question de défense est accessoire; le manoir n'est qu'une maison de campagne suffisamment fermée pour être à l'abri d'un coup de main tenté par quelques aventuriers, elle ne prétend point résister à un siége en règle. Simple, pendant les XIIe et XIIIe siècles, comme les habitudes des propriétaires terriens de ce temps, le manoir ne possède alors qu'une salle avec cellier au-dessous et petit appartement accolé; à l'entour viennent se grouper quelques bâtiments ruraux, granges, étables, pressoir, fournil, logis des hôtes ou des colons, le tout enclos d'une muraille ou d'un fossé profond.

Au XIVe siècle le manoir s'étend, il essaye de ressembler au château, il possède plusieurs étages, les services se compliquent. À la fin du XVe siècle, le manoir prend souvent toute l'importance du château, sauf les défenses, consistant en tours nombreuses, ouvrages avancés, courtines élevées. Plessis-les-Tours, habité par Louis XI, n'était qu'un grand manoir, et sa véritable défense consistait en une surveillance assidue des abords qui en éloignait les indiscrets et les gens suspects. Lorsque l'artillerie à feu devint un moyen d'attaque contre lequel la fortification du moyen âge fut reconnue impuissante, des manoirs s'élevèrent en grand nombre parce qu'on constatait chaque jour l'inutilité des défenses dispendieuses élevées par les siècles précédents. Au XVIe siècle, beaucoup de petits châteaux même virent démolir leurs tours inutiles, percer leurs courtines sur les dehors, et furent ainsi convertis en manoirs. Ces modifications apportées en France par les moeurs, par la centralisation du pouvoir, par l'affaiblissement de la féodalité, dans les résidences des champs, modifications qui tendaient à remplacer le château par le manoir, n'avaient pas de raisons de se produire en Angleterre. Dans ce pays le château n'est qu'une place forte; l'habitation de campagne prend, dès une époque ancienne, l'aspect du manoir, et elle le conserve encore aujourd'hui.

Il n'existe plus en France de ces manoirs des XIIIe et XIVe siècles, comme on en voit encore en Angleterre; les guerres des XVe et XVIe siècles en renversèrent un grand nombre, car ces résidences ne pouvaient se défendre contre des corps armés. Au dernier siècle, l'amour de la nouveauté fit détruire une quantité immense de ces demeures des champs. Quelques-unes des plus solides, se rapprochant des dispositions défensives du château, furent seules conservées. Quant aux manoirs ouverts, et qui seraient pour nous des maisons de campagne, c'est à peine si dans quelques fermes de la Champagne, de la Bourgogne, de l'Île-de-France, de Laonnais, du Soissonnois et du Beauvoisis, on en retrouve quelques traces, telles que caves, substructions et enceintes.

Nous décrirons plusieurs des manoirs encore debout, et nous entrerons dans quelques détails touchant les conditions imposées aux constructeurs de ces demeures. Charlemagne fit bâtir deux palais «d'un remarquable travail, dit Eginhard 183, le premier non loin de Mayence, près de la terre d'Ingelheim 184; l'autre à Nimègue sur le Vahal 185.» À l'exemple de l'empereur, sous les carlovingiens, les demeures construites par les grands propriétaires tenaient de la villa romaine. Mais à mesure que le système féodal se constituait, l'habitation des champs se convertissait en place forte, et ce ne fut guère qu'au XIIIe siècle, sous le règne de Louis IX, que le pouvoir royal fut assez fort pour réglementer la construction des habitations des propriétaires terriens. À ce sujet, les Olim nous fournissent de nombreux renseignements. Nous voyons que le parlement intervient pour empêcher des chevaliers, des écuyers, de fortifier leurs demeures 186. Au sein de l'organisation féodale plusieurs motifs arrêtaient le trop grand développement des demeures fortifiées, obligeaient même, dans certains cas, les grands barons à se contenter de manoirs. «Des seigneurs puissants relevaient souvent, pour certains fiefs, de seigneurs qui, dans l'ordre hiérarchique de la société, leur étaient de beaucoup, inférieurs; ainsi, le duc de Bourgogne était, par rapport au fief de Châtillon, vassal de l'évêque de Langres. Ces grands vassaux devaient donc porter leurs causes au tribunal de ces seigneurs, quand des procès surgissaient, soit à l'occasion des fiefs qu'ils tenaient d'eux, soit par rapport à un délit quelconque commis sur le territoire de ces fiefs. Cette jurisprudence était trop simple, trop conforme à l'usage des fiefs, pour avoir jamais été contestée. Mais les plaignants, quand ils avaient pour adversaire un des grands barons du royaume, et pour juge un seigneur hors d'état de faire exécuter ses arrêts et par conséquent de les prononcer avec indépendance, s'adressaient à la cour du roi, et demandaient que l'inculpé fut tenu, comme vassal direct de la couronne, de répondre devant elle 187

Grâce à cette intervention du parlement du roi dans les contestations entre vassaux, intervention provoquée par les baillis royaux, un grand seigneur possédant un fief relevant d'un seigneur moins puissant que lui ne pouvait plus y élever une de ces demeures fortifiées qui eut dominé le pays; il était contraint de se contenter d'un simple manoir, auquel, bien entendu, il donnait, si bon lui semblait, toute l'importance, comme habitation, mais non comme place forte, d'un véritable château. C'est aussi au moment où la féodalité est sérieusement attaquée, c'est-à-dire à dater du règne de Louis IX, que l'on éleva beaucoup de grands manoirs en France. Ces manoirs, bien qu'ils n'eussent pas les signes visibles de la demeure féodale, c'est-à-dire les tours munies, les courtines et le donjon, possédaient, comme fiefs, les droits féodaux, droits de chasse entre autres, car nous voyons presque toujours que des garennes dépendent des manoirs; or la garenne, comme l'a démontré M. Championnière 188, était le droit exclusif de chasse sur les terres des vassaux et non le droit d'élever, en certains lieux, des lapins. Mais des arrêts du parlement 189 avaient admis en principe que le droit d'établir de nouveaux péages, de nouvelles garennes et de nouveaux viviers 190 n'appartenait qu'au roi. Ainsi d'une part, le roi, par l'organe de son parlement, s'opposait, autant qu'il était possible, à la construction des châteaux fortifiés, et de l'autre refusait la sanction des droits les plus chers aux seigneurs, la chasse et les péages, lorsque ces droits n'étaient pas établis sur une possession antérieure. D'ailleurs, l'acquisition d'un fief ne donnait pas les prérogatives de la noblesse, et si des roturiers achetaient un fief, ou portion d'un fief, ce qui eut lieu fréquemment à dater du XIIIe siècle, ils ne pouvaient y bâtir un château, une demeure fortifiée; des contestations s'élevaient souvent entre un seigneur et son vassal sur la nature de la construction élevée par ce dernier; beaucoup de manoirs prétendaient ressembler à des châteaux et tenir lieu de défense, à dater du moment surtout où les grands barons ruinés étaient obligés d'aliéner leurs biens. Ce fut ainsi que pendant les XIVe et XVe siècles, la France se couvrit de manoirs qui pouvaient protéger leurs habitants contre les bandes armées répandues sur le territoire, et que beaucoup de maisons de propriétaires de fiefs devinrent des postes assez bien munis et fermés pour inquiéter le pays et ajouter aux causes de désordre de ce temps.

Dès le XIIIe siècle, les bords de la Garonne, de la Dordogne, du Lot, du Gers, du Tarn et de l'Aveyron virent élever un grand nombre de ces manoirs fermés, propres à la défense; c'est qu'en effet dans ces contrées les fiefs étaient très-divisés, et, depuis la guerre des Albigeois, les grands barons des provinces méridionales ruinés, réduits à l'impuissance. Le sol se couvrait de propriétaires à peu près égaux en pouvoir et en richesse; la domination anglaise, loin de changer cet état de choses, y voyait au contraire un gage de sécurité pour elle, de prospérité pour le pays.

Ces manoirs fermés sont désignés, dans le Bordelais, sous le nom de Casteras, et sont encore assez communs.

Non loin de Bordeaux, à l'entrée des Landes, est un manoir qui paraît appartenir à la première moitié du XIIIe siècle, et qui conserve des traces de distributions intérieures d'un grand intérêt; il s'agit du Castera de Saint-Médard-en-Jalle. La Jalle est un ruisseau qui prend sa source au lieu nommé Cap d'aou bos (Tête du bois), et qui se jette dans la Garonne.

167167 Dans ces maisons, d'un aspect si pauvre, il n'est pas rare de trouver des familles de paysans relativement riches et possédant des biens assez considérables. Chez ces populations, rien n'est sacrifié au bien-être. Leur unique préoccupation est de posséder la terre et d'amasser des écus pour agrandir leur petit domaine.
168168 Entre Dijon et Saint-Seine.
169169 Leges Scaniæ, I. IV. c. j, cité dans le Gloss. de du Cange, au mot Boel.
170170 Études sur la condition de la classe agric. en Normandie au moyen âge, p. 396. Évreux, 1851.
171171 Études sur la condit. de la classe agric. en Normandie au moyen âge, p. 51. Évreux, 1851.
172172 Nous devons ces dessins à l'obligeance de M. Mérimée.
173173 Ces dessins nous ont été fournis par M. Durand, architecte à Bordeaux.
174174 Habitatio cum certa agri portione, a manendo dicta, Gallis, Manoir; quomodo in Consuetudinibus nostris municipalibus vulgo accipitur pro præcipua feudi domo, quæ cum universo ipsius ambitu penes primogenitum esse debet... (DUCANGE.)
175175 Études sur la condition de la classe agr. en Normandie au moyen âge, p. 6. Évreux, 1851.
176176 Parce qu'elle avait appartenu en 1204 à Jean, évêque de Vinchester. (Voy. Sauval, Antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 72.)
177177 On voit des ruines du manoir de Bicêtre dans une gravure représentant le ballet donné par le comte de Soissons au Louvre en 1632. M. le comte Horace de Vielcastel nous a fourni de précieux renseignements à ce sujet.
178178 Voy. Domest. archit., twelfth century, par Huds. Turner, H. Parker. Oxford, 1851.
179179 Le roman du Renart, v. 8593.
180180 Hist. du diocèse de Paris, Lebeuf, t. XIV, p. 324.
181181 Domest. archit., thirteenth century, chap. IV.
182182 La Guienne militaire, pendant la domination anglaise, par Léo Drouyn. Bordeaux.
183183 Vita Karoli imperat., cap. XVII.
184184 À quatre lieues S.-O. de Mayence.
185185 Le manoir d'Ingelheim et celui de Nimègue furent rebâtis sous forme de châteaux par Frédéric Ier. Ermoldus Nigellus donne la description du palais d'Ingelheim, I. IV et V. Il ressemblait à une villa romaine par les dispositions d'ensemble.
186186 Voici un exemple: «Étienne de Breziac, écuyer, construisait une maison fortifiée, ainsi qu'il était dit, sur le mont Avoie. L'abbé de Cluny s'y opposait, prétendant que cet écuyer ne pouvait construire en ce lieu à cause de certaines conventions intervenues autrefois entre leurs prédécesseurs, et aussi parce que cela tournait au détriment de son Église et de tout le pays; c'est pourquoi l'abbé demandait que l'on détruisit ce qui avait été construit en cet endroit et que l'on enjoignit à l'écuyer de ne plus y bâtir désormais. Étienne, d'autre part, répondait que l'abbé ne devait pas être écouté à ce sujet et qu'on ne devait pas détruire sa demeure; il ajoutait qu'il n'avait pas élevé une forteresse, qu'il ne relevait pas de l'abbé, que lui-même et ses prédécesseurs étaient de temps immémorial en saisine de cette montagne comme de son aleu, ainsi que de la garenne et des autres dépendances. En résumé, ayant entendu les raisons des deux parties, et ayant appris par le bailli de Mâcon que cette montagne, par elle-même, était déjà très-forte, et que plusieurs nobles et autres personnes réclamaient et s'opposaient de leur côté à ce que l'on édifiât en ce lieu, parce qu'une maison (forte) pourrait causer au pays un grand préjudice, il fut arrêté que l'écuyer Étienne de Breziac ne pourrait construire une maison de ce genre sur la montagne sus désignée, et que la portion de la dite maison déjà construite par Étienne serait détruite et supprimée.» (Arrestat. in pallam, 1264, arr. VI.)
187187 Les Olim, publ. par le comte Beugnot, t. I, notes, p. 1045. Docum. inéd. sur l'Histoire de France, Ire série, hist. polit.
188188 De la Propriété des eaux courantes. Paris, 1846, p. 86-97.
189189 Voir à ce sujet un arrêt de 1317. Les Olim, t. III, 2e part., 1317, arr. LXV.
190190 Les vivaria ou viaria étaient des lieux clos ou non, dans lesquels étaient élevés des animaux de petite espèce et particulièrement des lapins.