Za darmo

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

La figure 21 donne le plan et l'élévation d'une maison de Laval d'une époque un peu plus récente, mais où la structure de bois prend plus d'importance et s'élève en encorbellement sur le rez-de-chaussée. Cette maison, dont la façade s'élève sur une rue ayant une forte pente, est divisée pour deux ménages. La pente de la rue a permis au constructeur de donner un entre-sol A à l'habitant de gauche, les solivages des planchers étant en B et C; l'habitant de droite ne possède qu'un rez-de-chaussée élevé et un premier étage, le solivage du plancher étant au niveau C'. Ainsi que l'indique le plan P, chaque habitant possède son escalier, montant de la boutique au premier. Un pan de bois de refend posé dans l'axe de la façade sépare les deux habitations du haut en bas. Le pan de bois de face du premier étage est en saillie sur le nû du pan de bois du rez-de-chaussée et repose sur trois sablières en encorbellement (voy. PAN DE BOIS). Ce pan de bois du premier étage est abrité par la ferme de tête du comble posée sur les abouts des sablières S. Les poteaux corniers de face ne sont là que pour maintenir le pan de bois sur la rue, car derrière ces poteaux corniers s'élèvent les murs mitoyens en moellon portant cheminées. Ici la maçonnerie de la façade s'arrête à la hauteur du rez-de-chaussée de l'habitation de gauche, et plus bas pour l'habitation de droite. Les pans de bois, comme dans l'exemple précédent, sont hourdés en maçonnerie entre les poteaux, décharges et tournisses.

Ces deux exemples font déjà voir avec quelle liberté les architectes de maisons employaient ces méthodes simples et sensées qu'ils avaient su trouver; profitant de la disposition des lieux, des pentes, de la qualité des matériaux, remplissant les programmes donnés sans s'attacher à des formes de convention, mais cependant observant avec scrupule les principes d'une construction solide et durable. Il fallait bien que ces principes fussent bons pour que des habitations élevées à l'aide de moyens aussi simples et peu dispendieux aient pu durer cinq siècles.

Au moment où le mode des pans de bois en encorbellement semble prévaloir pour les habitations urbaines, ce mode n'est pas soumis au même système de construction dans toutes les provinces composant aujourd'hui la France. Savant, recherché dans les provinces au nord de la Loire, il conserve vers celles du centre et de l'est une apparence primitive. Dans la Bresse, par exemple, les maisons en bois des XIVe et XVe siècles possèdent des pans de bois où le système d'empilage, admis en Suisse encore aujourd'hui, est apparent et se mêle au système de charpente d'assemblage. Ce système de charpente par empilages de bois, outre qu'il appartient à certaines populations dont le caractère ethnique est reconnaissable, est aussi provoqué par l'abondance des arbres résineux, droits, comme le sapin des Vosges, du Jura et des Alpes. S'il est difficile, en effet, d'empiler horizontalement des brins de chêne qui demandent un équarrissement long et pénible, rien n'est plus aisé au contraire que de poser les uns sur les autres des troncs de sapins, naturellement droits et faciles à équarrir. Dans les provinces de l'est et même dans celles du centre, les forêts étaient abondantes et nombreuses au moyen âge; dans la Haute-Loire notamment, dans la Loire et l'Ardèche, partie de l'ancien Lyonnais, les montagnes, arides aujourd'hui, étaient, il y a quatre siècles, couvertes de forêts séculaires, protégées par les lois féodales. Aussi n'est-il pas rare de trouver encore dans ces contrées de vieilles maisons de bois, témoins de l'abondance de cette matière. Dans la petite ville d'Annonay, il existe, ou il existait encore il y a quelques années (car ces vieilles habitations disparaissent comme les feuilles en automne), un petit nombre de maisons des XIVe et XVe siècles presque entièrement construites en bois, dont la construction méritait d'être étudiée, et qui avaient échappé aux incendies du XVIe siècle. Nous donnons (22) l'une d'elles, que nous classons parmi les maisons du XIVe siècle.



Sur un rez-de-chaussée élevé en gros blocs de pierre est posée une épaisse en rayure en sapin, dont le troisième rang forme plancher et déborde sur la face de manière à porter, en encorbellement, le pan de bois du premier, composé sur la face antérieure de trois sablières superposées, jointives, sur lesquelles s'assemblent les montants. Deux poteaux corniers retiennent les extrémités des trois sablières. Latéralement, des pans de bois ordinaires, hourdés en moellon et mortier, forment murs mitoyens. Sur ce premier pan de bois, un second plancher en bascule reçoit un second étage également en pans de bois, surmonté d'un comble très-saillant sur la rue, dont notre figure explique suffisamment la combinaison. La saillie du comble sur le nû du mur du rez-de-chaussée est de 3m50 environ; la façade était donc parfaitement mise à l'abri de la pluie et de la neige; ces habitations étaient ainsi appropriées au climat de cette contrée, chaud en été, très-rude en hiver. Il est facile de reconnaître que ces sortes de maisons en bois ne ressemblent point à celles élevées au nord de la Loire. Il y a là d'autres traditions et aussi d'autres besoins. Le citadin des villes du Lyonnais demandait moins de jour et un abri plus efficace. À Annonay, par exemple, on voulait non-seulement garantir les façades contre les bourrasques de neige, mais aussi les rues montueuses, de manière à faciliter la circulation des habitants en hiver. C'est qu'au moyen âge, quoi qu'en aient pu dire les détracteurs de cette époque, le citadin ne se renfermait pas dans cet égoïsme brutal si général aujourd'hui; en élevant sa maison, il pensait aussi qu'il était citoyen, il bâtissait pour lui et pour sa ville. De notre temps, les règlements de voirie sont établis pour sauvegarder les intérêts communs. Alors les règlements de voirie étaient certainement moins complets et moins prévoyants, mais chaque citoyen pensait un peu plus à l'intérêt général et tenait à assurer le bien-être de tous. Or, cette alliance de l'intérêt général et de l'intérêt particulier, comprise par tous les habitants d'une même ville, est plus intelligente que ne peuvent l'être les règlements les plus complets et les mieux exécutés. Au point de vue de l'art, le résultat est bien autrement intéressant. Il en est de cela comme de la charité privée comparée à la charité publique. Si celle-ci est plus régulière et peut-être plus efficace, la première est plus délicate et intelligente. Mais nous n'avons pas à nous occuper de ce triste côté de notre civilisation moderne, qui semble avoir besoin d'être journellement vantée pour se distraire de comparaisons fâcheuses. Revenons à notre architecture domestique.

Les constructions de maisons par empilages sont mieux caractérisées si nous nous rapprochons des Alpes, Nantua (Ain), on voit encore quelques maisons à peu près de la même époque que celle d'Annonay, donnée ci-dessus, mais dont la structure se rapproche davantage de celle des habitations suisses dites châlets 147.



On retrouve dans ces maisons (23) des traditions fort anciennes. La manière dont les pans de bois du premier étage sont posés sur la maçonnerie, les sablières doublées sous le comble, appartiennent tout à fait à des constructions primitives de certaines peuplades qui n'employaient que le mode de charpente par empilage, tandis que le tracé de la ferme de face formant auvent et certaines parties des pans de bois se rapprochent des charpentes assemblées si fréquentes dans le nord de la France. Il faut se hâter de faire une étude complète et critique de ces vieux débris des habitations du sol des Gaules, car cette étude peut puissamment aider au classement des races répandues sur ce territoire. Les édifices religieux et les châteaux se sont élevés sous des influences souvent étrangères au sol où nous les trouvons aujourd'hui, tandis que les maisons ont conservé très-tard les traditions primitives des populations indigènes. En Angleterre, par exemple, on ne peut méconnaître que toutes les constructions de bois des XIVe et XVe siècles, nombreuses encore, ont une grande analogie avec l'art de la charpenterie navale. Les assemblages des bois, leur force relative, l'emploi fréquent des courbes, reportent sans cesse l'esprit vers les combinaisons de la charpente des navires; tandis qu'à la même époque, dans le nord de la France, nous voyons employer un mode de charpente qui ne se compose que de bois de bout et de traverses avec quelques décharges et croix de saint André; dans l'est, un mode fort ancien et qui appartient plus ou moins à ce noyau de populations qui occupaient tout l'espace compris entre la haute Loire, la Saône, les Alpes et le Jura; dans l'ouest et le midi, un système de charpente très-restreint, et qui ne se compose que de planchers et de chevronnages, laissant le maçon élever les murs de face, latéraux et de refend.

Nous sommes très-porté à croire que les maisons de certaines contrées au moyen âge ne différaient guère de celles élevées par leurs populations avant la domination romaine; les Romains n'ont exercé une influence sur le mode de construire les habitations que dans quelques provinces: dans la Provence, une petite partie du Lyonnais, le Languedoc, la Saintonge, l'Angoumois, le Périgord et une partie de la Bourgogne. Partout ailleurs, des traditions remontant à une haute antiquité s'étaient conservées, et, vers le XIVe siècle, sauf dans la Provence et le Languedoc, il s'est fait une réaction définitivement antiromaine, au point de vue de la structure des habitations. Il semblerait qu'à cette époque, la vieille nation gauloise revenait, en construisant ses habitations, à un art dont les principes étaient restés à l'état latent. La féodalité séculière, loin de comprimer ce mouvement, paraît au contraire y avoir aidé, non certainement par suite d'un goût particulier pour une forme d'art, mais à cause de sa haine sourde pour les institutions monastiques, lesquelles, comme nous l'avons dit plus haut, avaient conservé les traditions gallo-romaines assez pures. Le moyen âge est un composé d'éléments très-divers et souvent opposés; il est difficile, sans entrer dans de longs développements, de rendre compte des effets, étranges en apparence, qui se produisent tout à coup au sein des populations sans cesse en travail. C'est dans l'habitation du citadin et de l'homme des champs, autant que dans l'histoire politique, que l'on trouve les traces du mouvement national qui commença pendant le règne de saint Louis, et qui se continua avec une merveilleuse activité pendant les XIVe et XVe siècles, à travers ces temps d'invasions, de guerres et de misères de toutes sortes. Il semble qu'alors les habitants des villes, qui s'étaient emparés de la pratique des arts, cherchaient dans toutes les constructions à s'éloigner des traditions conservées par les couvents; ils revenaient à la structure de bois, et se livraient aux combinaisons hardies que permet la charpente; ils ouvraient de plus en plus les façades de leurs maisons, de manière à composer les rues de devantures à jour qui semblaient faites pour rendre la vie de tous les citadins commune. Il résultait nécessairement de ce voisinage intime une solidarité plus complète entre les citoyens; sans être obligés de descendre sur la voie publique, ils pouvaient s'entendre, se concerter. Dans certaines rues du XIVe siècle, les habitants des maisons formaient un conciliabule en ouvrant leurs fenêtres. Ce besoin politique, cette entente nécessitée par l'état de lutte de la classe bourgeoise contre les pouvoirs cléricaux et séculiers, explique ces dispositions, qui nous paraissent si bizarres aujourd'hui, de maisons qui, quoique très-ouvertes sur leurs façades, forment des ruelles impénétrables, qui se touchent presque au faîte, en laissant à leur base une circulation très-facile à intercepter. La grande question pour la cité alors, c'était la concentration, la réunion des moyens, l'entente complète à un moment donné; force était donc de grouper les maisons autant que possible et de mettre leurs habitants en communication immédiate. Les façades en charpente se prêtaient bien mieux que celles en maçonnerie à ces dispositions resserrées et à ce système de claires-voies; de plus elles prenaient moins de ce terrain si précieux. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, parmi les populations urbaines qui ont acquis vers le XIVe siècle des priviléges, une certaine indépendance, qui sont devenues industrieuses et riches, la construction de bois a été presque exclusivement adoptée. Dans les villes du Midi, où les traditions de la municipalité romaine ne s'étaient jamais entièrement perdues, et qui n'avaient pas éte forcées de réagir violemment contre le pouvoir féodal, surtout contre le pouvoir féodal clérical devenu plus lourd pour les cités que la puissance laïque, l'architecture domestique conserva la construction de maçonnerie, des dispositions de rues relativement plus larges, et n'adopta point ces façades entièrement ouvertes qui mettaient, pour ainsi dire, tous les bourgeois d'une cité en contact les uns avec les autres.

 

Nous venons de dire que le pouvoir féodal clérical pesait plus lourdement alors sur les villes du Nord que tout autre. On se rappelle que (dans l'article CATHÉDRALE) nous avons expliqué comment les évêques, vers la fin du XIIe siècle, préoccupés de l'importance exagérée que prenaient les établissements monastiques, lesquels avaient absorbé à leur profit une grande partie de l'autorité diocésaine d'une part, et désireux d'empiéter sur le pouvoir féodal laïque de l'autre, s'entendirent avec la plupart des grandes villes situées au nord de la Loire 148, pour élever des cathédrales qui deviendraient le monument de la cité, dans lequel les habitants pourraient se réunir à leur gré, traiter des affaires publiques, faire juger leurs procès 149; comment ces évêques espéraient ainsi détruire le pouvoir colossal que s'étaient attribué les abbayes, et amoindrir celui des seigneurs laïques; comment cette tentative, d'abord secondée avec une ardeur extrême par les cités, échoua en partie à la suite de la protestation des quatre barons délégués en 1246 vers le roi Louis IX, et de l'établissement des baillis royaux; comment cependant la bourgeoisie, faisant alliance plus intime avec la royauté dont elle sentait dès lors le pouvoir protecteur, cessa brusquement de subvenir à la construction de ces immenses basiliques, regardées comme une garantie de leurs libertés futures, pour lutter contre le pouvoir féodal de l'évêque et des chapitres, le plus étendu, presque toujours, dans la cité. Cette lutte, soutenue souvent par les seigneurs laïques et tolérée par le pouvoir royal lorsqu'il y trouvait un moyen d'étendre son autorité, eut pour résultat d'entretenir au sein de la population de ces villes une fermentation incessante et de lui donner une idée de sa force si elle se maintenait unie. De là ces habitations si intimement liées, si voisines, toutes construites à peu près sur un même programme suivi jusqu'à la fin du XVe siècle.

Il nous faut toujours pénétrer dans les moeurs du moyen âge lorsque nous voulons avoir la raison de son architecture. Les Romains passaient une grande partie de leur temps dans les monuments publics, dans les basiliques, sous les portiques, dans les thermes et les édifices destinés à des jeux, théâtres, cirques, amphithéâtres, etc. Bien que, de nos jours, les grandes villes contiennent beaucoup de monuments publics, cependant, lorsqu'on jette les yeux sur le plan de la Rome antique, où les monuments occupent une si grande surface relative, on se demande où logeaient les habitants d'une ville aussi populeuse; c'est que les Romains (nous ne parlons pas de ceux qui possédaient des palais immenses dont la surface prenait encore un espace considérable) ne demeuraient guère chez eux que pour prendre leur repas et dormir. Au moyen âge, au contraire, dans les villes du nord de la France, chaque famille vivait dans sa maison; les citoyens n'avaient pas d'occasion de se grouper, et les villes eussent-elles été assez riches pour élever de nombreux édifices publics, que le principe du gouvernement féodal s'y serait opposé. L'église était le seul monument de la cité où la réunion des citoyens fût admise; ainsi s'explique-t-on l'empressement avec lequel les villes populeuses vinrent en aide aux évêques, lorsqu'ils projetèrent de construire les grandes cathédrales. Mais lorsque cet élan fut tout à coup suspendu, la bourgeoisie, trouvant dans le pouvoir royal des garanties sérieuses, se mit à construire des habitations avec une ardeur toute nouvelle, et le bois se prêtait merveilleusement à la satisfaction prompte de ces besoins: rapidité dans l'exécution, économie, et, ce qui importait plus encore, faible surface occupée par les pleins.

Partout ailleurs, jusqu'à la fin du XVIe siècle, l'architecture suit son cours régulier, elle améliore les habitations, les rend plus claires et plus commodes, mais continue à employer les méthodes romaines. La forme seule se modifie. On voit dans la Bourgogne, dans le Lyonnais, dans le Limousin, dans le Périgord, dans l'Auvergne et le Languedoc, des maisons des XIVe et XVe siècles qui ne diffèrent de celles du XIIe et du XIIIe que par leur style d'architecture 150. Ni la structure, ni la disposition de ces habitations ne se modifient d'une manière sensible. Dans des provinces plus méridionales encore et qui, au XIVe siècle, n'étaient pas françaises, on voit élever, à cette époque, des habitations dont le style conservait absolument le caractère roman. Telles sont, par exemple, quelques maisons de la ville de Perpignan; l'une de ces maisons, qui depuis avait été affectée aux service du palais de justice, présente une façade d'un goût presque antique, malgré les détails empruntés au style aragonais de cette époque (24) 151.



Du côté de l'est, les traditions de la construction romane se conservent aussi très-tard dans les habitations, c'est-à-dire jusqu'au XVe siècle. Certaines maisons de Trèves, de Cologne, de Mayence, qui ont été élevées au commencement du XIIIe siècle, pourraient, dans l'Île-de-France et la Champagne, passer pour des maisons romanes. On retrouve même encore dans quelques-unes de ces habitations des dispositions particulières qui n'appartiennent en France qu'au XIIe siècle ou au commencement du XIIIe: telles sont, par exemple, ces cheminées dont les tuyaux sont portés en encorbellement sous les murs de face, à partir du premier étage (voy. CHEMINÉE). Nous donnons (25) la façade d'une des vieilles maisons de la ville de Trèves qui date du commencement du XIVe siècle, et qui montre sa cheminée au milieu du mur pignon sur la rue.



L'âtre est placé ainsi que l'indique le fragment de plan A, et le tuyau, terminé par le couronnement B, repose sur trois consoles en forme de chapiteaux et sur deux petits arcs entre les fenêtres du premier étage. Il devait être assez agréable, en se chauffant, de jouir de la vue du dehors. Des fenêtres ainsi percées permettaient de travailler auprès de la cheminée, et de se chauffer sans être incommodé par la réverbération de la flamme. Les gens de ce temps avaient donc leur confort, et de ce que nous ne saurions nous en accommoder aujourd'hui, il ne s'ensuit pas que le nôtre soit plus sagement entendu. Si primitif que fût ce confort, au moins l'architecture s'y soumettait-elle entièrement, tandis qu'aujourd'hui notre architecture (du moins celle qu'on veut nous persuader être nôtre) est en désaccord perpétuel avec nos habitudes intérieures.

Revenons aux maisons des villes françaises des XIVe et XVe siècles. Le bois domine décidément dans leur construction à dater de cette époque, et généralement ce sont les pignons qui se présentent sur la rue, les terrains propres à bâtir ayant plus de profondeur que de largeur, par cette raison, qui domine toujours dans les villes, que le terrain en façade est le plus recherché. Cependant si le terrain était en bordure, ce qui se présentait quelquefois, les pignons s'établissaient sur les murs mitoyens et le pan de bois de face sur la rue était goutterot. Voici (26) une maison de Beauvais 152 qui présentait cette disposition.

 


Au rez-de-chaussée était un portique avec boutiques en arrière, ainsi qu'on en voit encore à Reims 153. Le premier étage sur la rue se composait de deux pièces auxquelles on montait par un escalier à vis disposé au fond de l'allée A. Sous le comble était une grande pièce éclairée par deux lucarnes, une sur la rue, l'autre sur une petite cour. Cette habitation datait du commencement du XVe siècle. Il existe encore quelques maisons de ce genre à Orléans, sauf le portique.

Après la guerre de l'indépendance, au XVe siècle, lorsque les Anglais furent contraints d'abandonner le nord et l'ouest de la France, il y eut, sous le règne de Louis Xl, un mouvement prononcé de prospérité au sein des populations urbaines. Des constructions privées s'élevèrent en grand nombre, à Paris, à Reims, à Orléans, à Beauvais, à Rouen, dans toutes les cités de la Normandie, de la Picardie et de l'Île-de-France. Par suite de ce besoin de construire, le terrain acquit une valeur considérable, et tout en laissant une circulation libre à rez-de-chaussée, en supprimant même les portiques dont les piliers ou poteaux étaient un embarras, on posa les façades en encorbellement sur la rue dès le niveau du plancher du premier étage. Ces façades devenaient ainsi de véritables bretèches, larges et donnant aux étages jusqu'à deux mètres de saillie sur le nu du soubassement. Les devantures des boutiques étaient dès lors parfaitement abritées. Ce système de construction était surtout admis au débouché des rues sur les places de marchés, presque toujours entourées de portiques.

On voit encore à Reims 154 une maison dont la façade en pan de bois, parfaitement conservée du haut en bas, est ainsi portée en encorbellement sur cinq fortes potences et est en saillie de 1m,65 sur la voie publique (26 bis). D'un côté, un mur mitoyen A en pierre porte les cheminées, et sa jambe étrière reçoit deux liens.



De l'autre, la mitoyenneté n'est établie que sur un simple pan de bois. Les statues en bois qui étaient rapportées sur le poteau cornier du côté de la jambe étrière de pierre n'existent plus; mais les deux liens inférieurs extrêmes représentent sculptés, en demi-ronde bosse, d'un côté Samson tuant le lion, et de l'autre saint Michel terrassant le démon. Ce pan de bois de face, faisant bretèche, puisqu'il prend un jour latéral, est taillé avec une grande perfection; et il faut, en effet, que ses assemblages aient été parfaitement disposés, puisque la charpente n'a pas subi de déformation, bien que dans toute sa hauteur il n'y ait pas de croix de Saint-André. Les intervalles des poteaux sont hourdés en maçonnerie et enduits.



Voici également (27) une maison de Rouen en pan de bois, à quatre étages, un peu antérieure à la précédente, c'est-à-dire appartenant à la première moitié du XVe siècle, et qui forme angle de deux rues 155. Les pans de bois de chaque étage sont posés en encorbellement les uns sur les autres (voir la coupe A), de sorte que le troisième étage prend une surface sensiblement plus grande que celle occupée par le rez-de-chaussée. La corniche à la base du pignon figure une suite de mâchicoulis.

Au XVe siècle, les fenêtres de ces maisons de bois sont multipliées et petites; cela était une nécessité de construction dès lors que les pans de bois atteignaient une grande hauteur. En effet, ces sortes de constructions, par la nature même de la matière employée, sont sujettes à jouer. De grands châssis de fenêtres eussent été souvent dérangés, comprimés ou gauchis par le mouvement des pièces de bois. Il eût fallu continuellement les démonter et les retoucher, tandis que de petits châssis étaient bien moins sensibles aux changements de température ou suivaient plus aisément les mouvements de la charpente. On remarquera, d'ailleurs, que les alléges de ces fenêtres, soigneusement garnies de croix de Saint-André, empêchaient le déversement des poteaux d'huisseries, et que le poids des pans de bois est reporté sur les poteaux corniers par des décharges à chaque étage. Mais les habitants des villes du Nord cherchent de plus en plus à ouvrir ces façades en bois. À la fin du XVe siècle souvent, ils en font de véritables lanternes, ainsi que le démontre l'exemple ci-contre (28) tiré également d'une maison de Rouen 156. Seules les alléges avec leurs croix de Saint-André arrêtent le roulement du pan de bois, taillé du reste avec toute la perfection d'une oeuvre de menuiserie. C'est que aussi, à cette époque, la maison de bois perd le caractère de construction de charpenterie pour prendre celui d'un meuble, d'un bahut immense.



Dans la figure 28, les hourdis en maçonnerie dans les alléges sont encore apparents; bientôt ces hourdis disparaissent derrière des panneaux de menuiserie, et toute la face de la maison ne présente plus qu'un assemblage de boiseries. C'est d'après cette donnée qu'ont été construites beaucoup de maisons à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe.



La figure 29, qui reproduit une portion d'habitation de l'abbaye de Saint-Amand, à Rouen, laisse voir au-dessus d'un rez-de-chaussée en maçonnerie deux étages de pans de bois entièrement garnis, à l'extérieur, de panneaux de menuiserie sculptés. Lorsqu'un peu plus tard, avec la Renaissance, on en revint aux constructions de pierre, cette habitude s'était si bien conservée que l'on bâtit encore un grand nombre de maisons de bois, mais dans lesquelles cependant on trouve des formes de pilastres et de bandeaux qui n'appartiennent point au système de construction en charpente. Il existe encore dans la rue de la Grosse-Horloge, à Rouen, deux maisons de ce genre qui sont couvertes de détails précieux. Nous donnons (30) une portion de l'une d'elles 157.



Le XVIe siècle vit élever encore quantité de ces maisons si coquettes, dernier reflet de l'art du moyen âge. Après les désastres de la fin de ce siècle, les habitations reviennent à un style plus simple, mais les plans se modifient très-peu et beaucoup de maisons du temps de Henri IV et de Louis XIII reproduisent exactement les plans des habitations antérieures. Ce n'est guère que sous le règne de Louis XIV que les maisons (nous ne parlons pas des hôtels) perdent tout caractère extérieur. Ce sont presque toujours alors des murs unis ou des pans de bois hourdés et crépis, percés de fenêtres carrées, sans rien qui occupe les yeux; mais aussi les intérieurs se modifient profondément.

La salle, que nous retrouvons dans les habitations jusque vers le commencement du XVIIe siècle, fait place à des chambres. Les surfaces sont divisées; chacun veut être chez soi, et les habitudes de la vie en commun disparaissent. On comprend comment une famille s'attachait à sa maison lorsque la salle commune, qui même souvent servait de chambre aux maîtres, avait vu naître et mourir plusieurs générations, avait été témoin des fêtes de l'intérieur, avait été longtemps foulée par des pas amis; on comprend alors comment chaque bourgeois tenait à ce que sa maison fût plaisante, ornée; mais on ne comprend pas le luxe répandu sur des façades de maisons banales dans lesquelles les habitants ne laissent qu'un souvenir fugitif. Naturellement l'aspect de ces maisons doit être banal comme leur usage. Au point de vue de l'art, est-ce là un progrès?

Des exemples d'habitations urbaines que nous venons de présenter dans cet article il ressort une série d'observations intéressantes. Le caractère individuel de ces habitations est frappant; or, nous nous rangeons de l'avis de ceux qui prétendent que l'état moral d'un peuple, sa vitalité est en raison du plus ou moins de responsabilité laissée à chacun. La véritable civilisation, cette civilisation distincte de l'état policé, la civilisation fertile, active, est celle au milieu de laquelle le citoyen conserve la plénitude de son individualité. Les civilisations théocratiques ou despotiques de l'Orient sont destinées à jeter un vif éclat à un moment donné, puis à s'éteindre peu à peu, pour ne jamais plus se relever. Alors, en effet, le citoyen n'existe pas: il y a le souverain, la théocratie ou l'aristocratie; puis un troupeau d'hommes dont le passage est marqué seulement par ces monuments prodigieux tels que ceux de l'Égypte, de l'Inde ou de l'Asie Mineure. Sous un état pareil, la maison n'existe pas; entre le palais et la hutte de terre il n'y a pas d'intermédiaire, et encore toutes les huttes de terre se ressemblent-elles et par la forme et par la dimension. Aux races septentrionales qui émigrèrent en Occident, conduisant avec eux ces grands charriots contenant leurs familles, véritables maisons roulantes que l'on fixait au sol le jour où la tribu avait conquis une place, à ces races seules, les Grecs de l'antiquité en tête, il a été donné de bâtir des maisons, c'est-à-dire des habitations indiquant les habitudes et les goûts de chacun, se modifiant au fur et à mesure des changements qui s'opèrent dans ces habitudes et ces goûts. Le système féodal, bien qu'imposé en France par la conquête, bien qu'anthipatique aux populations gallo-romaines, n'était pas fait pour détruire l'individualisme, la responsabilité personnelle; au contraire, il développait avec énergie ce sentiment naturel aux populations occidentales, il établissait la lutte à l'état permanent, il laissait un dernier recours contre l'oppression par l'emploi du mécanisme féodal lui-même: car tout individu opprimé par un seigneur pouvait toujours recourir au suzerain, et toute municipalité pouvait, en se jetant tantôt dans le parti de l'évêque, tantôt dans celui du baron laïque, ou en les repoussant l'un et l'autre pour se donner au suzerain, faire un dernier appel contre la tyrannie. Ce n'était pas là certainement un état réglé, policé, comme nous l'entendons; mais ce n'était pas non plus un état contraire au développement intellectuel de l'individu. Aussi, l'individu, dans les villes du moyen âge, est quelque chose et, par suite, son habitation conserve un caractère défini, reconnaissable.

147147 La construction des châlets est des plus intéressantes à étudier, et c'est une de celles qui se rapprochent le plus, en Europe, des structures en bois des âges primitifs.
148148 Noyon, Senlis, Paris, Bourges, Chartres, Rouen, Sens, Arras, Amiens, Cambrai, Troyes, Reims, Laon, Soissons, Beauvais, Auxerre, etc.
149149 Par suite de ce raisonnement «que l'Église, en vertu d'un pouvoir que Dieu lui a donné, doit prendre connaissance de tout ce qui est péché, afin de savoir si elle doit remettre ou retenir, lier ou délier.» C'était là un empiétement sur le pouvoir judiciaire de la féodalité laïque en masse.
150150 Voy. l'Architecture civile et domestique, de MM. Verdier et Cattois.
151151 Les colonnettes des fenêtres du premier étage de cette maison sont en marbre; le reste de la façade est construit en pierre et en petit moellon. On remarquera l'appareil exagéré des claveaux de la porte centrale, les plates-bandes des baies latérales du rez-de-chaussée. Il y a là les restes de traditions qui sont bien éloignées de celles des provinces du Nord.
152152 Cette maison existait encore sur la place de Beauvais, côté oriental, en 1834.
153153 D'une époque plus récente.
154154 Place des Marchés.
155155 Rue de la Tuile. Le dessin de cette maison nous a été fourni par M. Devret, architecte, qui, au salon de 1861, a exposé plusieurs habitations anciennes de Rouen et d'Orléans relevées avec un soin extrême. Le ministre d'État, sur la demande de la commission des monuments historiques, a fait relever aussi un certain nombre de ces maisons d'Orléans par M. Vaudoyer.
156156 Rue Malpalu. Nous empruntons encore ce dessin au travail de M. Devret.
157157 Ces maisons, qui font aussi partie du travail de M. Devret, vont prochainement disparaître par suite du percement d'une nouvelle voie. Il serait à désirer que ces précieuses façades fussent déposées, à l'abri des intempéries, dans quelque monument public de la ville de Rouen.