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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)

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Mais il y a un certain air magistral, dans cette architecture, qui lui donne une supériorité marquée sur celle des villes du midi. Nous avons rétabli le pignon et le rez-de-chaussée d'après d'autres fragments du même temps et des mêmes contrées, ces parties ayant été détruites ou modifiées dans la maison de la rue Saint-Martin d'Amiens 140.



Cette différence marquée de style est plus frappante encore lorsqu'on établit le parallèle entre les habitations bâties en pierre dans le nord, et celles en grande partie élevées en brique dans certaines villes du midi. Voici (10) une maison de Caussade (Tarn-et-Garonne); elle est contemporaine de celle de Saint-Antonin et de celle d'Amiens, et date du milieu du XIIIe siècle. Les bases des piles du rez-de-chaussée, les colonnettes des fenêtres, les bandeaux et les sommiers sont seuls en pierre dure de Caylus; le reste de la construction est en brique 141. En plan, cette maison donne au premier et au second étage une grande salle presque carrée avec cheminée, un escalier et un cabinet postérieurs éclairés sur un jardin. Le troisième étage est divisé par une cloison et forme deux pièces. On sent encore, dans cette habitation, l'influence de la petite forteresse privée; c'était là un reste de ces traditions des municipalités méridionales si fort éprouvées pendant les guerres des Albigeois 142. Prenons encore dans le nord une maison un peu plus récente, de 1240 à 1250 environ; cherchons une des plus grandes et des plus riches de cette époque; allons à Reims, et examinons la maison dite des Musiciens, située dans la rue du Tambour. Cette maison, dont le rez-de-chaussée est fort mutilé, a conservé intact son premier étage sur la voie publique. Au-dessus s'élevait le toit, avec des mansardes dont on ne trouve plus que des traces sous le comble moderne.

La façade de cette maison possède quatre fenêtres hautes et larges au premier étage avec cinq niches dans les trumeaux; ces niches sont décorées de figures de musiciens assis, plus grandes que nature: le premier musicien, en commençant par la gauche, joue du tambour et d'une sorte de clarinette; le second joue de la cornemuse, le troisième (celui du milieu) tenait un faucon sur le poing, le quatrième joue de la harpe et le cinquième du violon; ce dernier est coiffé d'un chapel de fleurs.



Voici (11) une travée de cette façade. Des boutiques du rez-de-chaussée indiquées dans notre figure, il ne reste que les petits arcs et un des pieds-droits. Une large porte cochère s'ouvre vers l'extrémité opposée et donnait dans une cour autrefois entourée de bâtiments de la même époque, mais dont on ne trouve que des fragments. Le bâtiment sur la rue est simple en épaisseur, et était, paraît-il, divisé en deux salles à peu près égales. L'escalier tenait aux bâtiments de la cour.

Cette maison appartenait peut-être à la confrérie des ménétriers de Reims qui, au XIIIe siècle, jouissait d'une certaine réputation non-seulement en Champagne, mais dans tout le nord. Comme on peut en juger par l'examen de notre figure, la construction est simple, l'ornementation riche. Les figures sont du meilleur style champenois 143.

Les provinces avaient pour leurs bâtiments privés des écoles d'art différentes comme pour leurs églises et leurs établissements publics; une maison de la Bourgogne, au XIIIe siècle, ne ressemblait pas à une maison de l'Aquitaine, de l'Île-de-France ou de la Normandie. Ainsi, par exemple, nous ne trouvons qu'en Bourgogne ces sortes de maisons dont l'escalier à vis est engagé dans le mur de face sur la rue et sert de vestibule à rez-de-chaussée. À Avallon, à Flavigny, dans la petite ville de Sémur en Auxois et même à Dijon, on voit encore des restes de maisons qui présentent en plan la disposition que voici (12).



Au milieu de la façade est planté l'escalier A, partie en encorbellement au-dessus de la porte d'entrée B; à gauche ou à droite, selon que gironne l'escalier, est la porte C qui donne entrée dans la première pièce D, de laquelle on pénètre dans la seconde E, puis dans la troisième F; ainsi à chaque étage. De la pièce E commune, on entre dans une cour ou un petit jardin G. En façade sur la voie publique, cette maison présente l'élévation (13).



La porte d'entrée B est abritée par la saillie de l'escalier, dont la cage est posée sur l'about des marches formant encorbellement devant la façade; une entrée de cave O est pratiquée sous l'allége d'une des fenêtres du rez-de-chaussée; les caves, en Bourgogne, ont toujours été une dépendance importante des habitations. Cette disposition simple, économique et commode (car rien ne s'oppose à ce qu'au premier et au second la petite pièce E ne devienne une antichambre donnant dans les deux salles D et F), s'accordait bien avec les procédés et matériaux de construction de la Bourgogne, qui fournit de la pierre dure excellente, propre à monter ces cages d'escalier d'une faible épaisseur en saillie sur l'about des marches de la première révolution.

Du reste, en examinant les habitations de cette époque qui existent encore dans une même province, si l'on constate que certaines dispositions générales des plans étaient adoptées par tous au même moment, comme s'accordant avec les besoins, on signale également dans les détails, dans la manière dont les jours sont percés, une extrême variété. C'est que dans cette belle phase du moyen âge, le sentiment de l'individualité n'était pas éteint; que chacun pensait plutôt à satisfaire à ses goûts ou à ses besoins personnels qu'à imiter son voisin et à se modeler sur un type uniforme. Aucune municipalité alors n'aurait songé à imposer à tous les propriétaires d'une même rue une hauteur uniforme de bandeaux et un style uniforme d'architecture, et dans ce siècle, qu'on nous signale comme un temps d'oppression, l'idée ne serait jamais venue à une autorité quelconque de mouler les habitations de mille citoyens sur un même type. Chacun avait trop alors la conscience de son individualité, de la responsabilité personnelle, pour supposer que des hommes pussent être parqués comme des animaux d'un jardin zoologique dans des barraques pareilles pour récréer les yeux des promeneurs oisifs. On remarquera dans l'élévation fig. 13 la disposition des chéneaux de pierre inclinés vers deux gargouilles extrêmes et portés sur des corbeaux saillants. C'est encore là une disposition commune en Bourgogne et dans la haute Champagne. Ailleurs, là où les pierres longues et résistantes font défaut, ces chéneaux sont simplement creusés dans une poutre ou en planches recouvertes de plomb. Dès le milieu du XIIIe siècle en effet, en Bourgogne et en Champagne, on évite de laisser égoutter les eaux des combles devant les façades, et on les conduit par des chéneaux dans des gargouilles saillantes posées à l'aplomb des jambes-étrières.

 

Nous avons encore vu à Vitteaux (Côte-d'Or), il y a quinze ans, plusieurs maisons charmantes des XIIIe et XIVe siècles, presque toutes démolies ou dénaturées aujourd'hui. L'une d'elles, datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, présentait en plan la disposition suivante (14) à rez-de-chaussée.



En A, sous la cage d'escalier, comme dans l'exemple précédent, est la porte d'entrée. La porte de cave donne sur la rue, en B. Ayant franchi la porte d'entrée, on passe dans un petit vestibule C; de là en face, dans la cuisine D, et à gauche dans la salle. La même distribution se répète au premier étage et donne deux chambres; puis au second, sous comble, est une grande pièce divisée en deux dans l'épaisseur du bâtiment.



L'élévation (15) montre en A la porte d'entrée, et en B celle de la cave. La cage de l'escalier n'est plus portée sur l'about des marches, mais sur une plate-bande rampante bien appareillée. Au sommet, la cage de l'escalier passe de la forme cylindrique au plan hexagonal, afin de faciliter la couverture faite en bardeaux. Une cour intérieure, ou plutôt un petit jardin planté, derrière la maison, donne de l'air et de la lumière à la cuisine et à la partie postérieure de la salle. Le bâtiment du côté de ce jardin est fermé par un pan de bois (voir le plan). Profitant de la saillie donnée par l'escalier en encorbellement, et d'une console à l'aplomb de la jambe-étrière de gauche, l'architecte a posé une ferme boiteuse en saillie, abritant toute la façade (voir l'élévation). Les eaux coulant dans les chéneaux mitoyens sont rejetées à gauche sur la rue par une gargouille en bois, et à droite dans la cour par une conduite en bois-tombant dans un petit réservoir en pierre placé à l'angle de la cuisine. Au rez-de-chaussée et au premier sont disposées des cheminées sur les murs mitoyens, cheminées dont les têtes sont visibles dans l'élévation. Ainsi donc sur un terrain de 100 mètres environ, sur lesquels 49 mètres superficiels étaient réservés à la construction, l'architecte bourguignon de la petite ville de Vitteaux trouvait le moyen d'élever une maison capable de loger convenablement une famille dans des pièces saines, bien éclairées, assez spacieuses, et pour une somme évidemment très-modique; car on remarquera que le mur de face et les murs mitoyens sont seuls en maçonnerie; les planchers portent sur ces deux murs mitoyens et sur le pan de bois du milieu. Une construction de ce genre, avec le mode adopté, coûterait, caves comprises, en province, 250 fr. le mètre superficiel; la maison reviendrait donc à la somme de 12,250 fr. Or, nous pouvons voir les bâtisses que l'on élève tous les jours dans les petites villes des départements; sur une surface aussi peu étendue, elles coûtent plus cher, sont moins saines et moins commodes, mais aussi sont-elles remarquablement laides, bien qu'elles essayent de ressembler à la grosse maison bourgeoise de la grande ville la plus voisine. Ce n'est certainement pas la richesse de l'ornementation qui plaît dans ces constructions civiles, puisqu'elles sont généralement dépourvues de sculpture jusqu'au XVe siècle; ce n'est pas non plus cette symétrie vulgaire tant prisée par les édilités modernes. Ce qui plaît, ce qui charme dans ces modestes bâtisses, c'est l'empreinte des besoins et des habitudes de la famille qu'elles protégent; c'est la sincérité des procédés de construction, l'imprévu, l'adresse et l'esprit, disons-le, avec lesquels l'artiste a su profiter de tous les accidents du programme donné. En supposant que nos villes modernes fussent ensevelies sous les cendres, comme Pompéï, il serait bien difficile aux archéologues qui les découvriraient dans deux mille ans de se faire une idée des goûts, des moeurs et des habitudes de la génération qui les a élevées; mais si on pénètre aujourd'hui dans une maison du moyen âge passablement conservée, tout, dans ces habitations, nous reporte aux façons de vivre de leurs habitants. Là on sent un peuple qui a son caractère à lui, ses goûts distincts, ses traditions et ses tendances.

D'ailleurs, l'hôtel du seigneur et même la maison du bourgeois devenu un personnage important dans la cité se distinguent de l'habitation du citadin, du commerçant ou du fabricant, d'une manière tranchée. Si le citadin pose sa façade sur la rue, tient à vivre sur la rue, l'homme noble, au contraire, élève son logis en arrière, entre cour et jardin; sur la voie publique, il place un mur de clôture ou des communs. Autant la maison du simple bourgeois ressemble à une lanterne, autant celle du seigneur ou de l'homme devenu un gros personnage est fermée aux regards du passant. Nous avons lu quelque part que la marquise de Rambouillet fut la première à Paris qui eut l'idée de se faire bâtir un hôtel entre cour et jardin; c'est là une de ces erreurs comme tant d'autres propagées avec insistance pour faire croire que le XVIIe siècle a tout fait et qu'avant cette époque il n'y avait que ténèbres et barbarie. D'abord, Tallemant des Réaux, qui seul, parmi les contemporains de la marquise, parle des soins qu'elle prit de la construction de son hôtel, ne dit pas un mot de cela, et, l'eût-il dit, que les hôtels existant bien antérieurement à cette époque lui donneraient le plus complet démenti. En effet, les hôtels de Saint-Pol, des Tournelles, de Bourbon, de la Trémoille, de Sens, de Guise, de Cluny, à Paris, étaient et sont encore entre cour et jardin. Il était donc facile, dans une ville, de reconnaître les habitations des personnages considérables entre celles des bourgeois. Mais les maisons des bourgeois elles-mêmes avaient un cachet particulier en raison de l'état ou de la position de ceux qui les habitaient. Les maisons d'une ville manufacturière et marchande comme Beauvais, Amiens, Reims, Troyes, ne ressemblaient pas à celles d'une ville habitée par des propriétaires de terres et vivant de leurs revenus ou d'un commerce de grains, de vins ou autres produits. Si la maison du Rémois ou du bourgeois de Troyes est ouverte à rez-de-chaussée ou élevée sur un portique qui permet aux marchands de parler de leurs affaires, celle de Provins, par exemple, ou de Laon, est soigneusement murée sur la rue jusqu'à la hauteur du premier étage. La fig. 16 reproduit la façade d'une de ces maisons de Provins, donnant sur la rue de Paris, et datant de la seconde moitié du XIIIe siècle.



Ici, l'habitant se renferme; le dehors n'a pas à s'occuper de ce qui se passe chez lui. La salle est au premier étage ainsi que les chambres. Le rez-de-chaussée est réservé aux communs, aux provisions, à la cuisine. Les étages sont hauts entre planchers; on sent que dans ces habitations la vie est simple et large. D'ailleurs, on observera avec quel soin la construction est faite, comme les vides des fenêtres sont bien soulagés par ces arcs de décharge en pierre; comme cette façade, composée de si peu d'éléments, prend un caractère monumental. Savoir mettre de l'art dans un mur en moellon percé de baies, sans décoration aucune, sans procédés de construction dispendieux, en se bornant au strict nécessaire, n'est-ce pas la marque d'un état social très-avancé, au point de vue de l'art, et pouvons-nous en dire autant de notre siècle? Nous n'ignorons pas que, pour un grand nombre de personnes aujourd'hui, l'art n'est qu'une des expressions du luxe, une superfluité, et qu'en fait d'architecture, une façade qui n'est pas plaquée de colonnes ou de pilastres, de moulures et d'ornements ramassés un peu partout suivant la mode, n'est point une oeuvre d'art. Le moyen âge qui a laissé peu de livres ou de discours sur l'art, mais qui était artiste, savait mettre de l'art sur la façade la plus riche et sur le mur de l'humble habitation du citadin d'une petite ville; il savait aimer et respecter cet art dans ses modestes expressions comme dans ses conceptions splendides. Un siècle qui ne croit plus pouvoir manifester son goût pour l'art qu'en accumulant les ornements, qu'en dépensant des sommes énormes, mais qui dans les oeuvres de chaque jour oublie ses principes élémentaires, passe d'un type à un autre, n'a plus d'originalité, ce siècle penche vers le déclin des arts. Quand une époque est descendue à ce niveau inférieur dans l'histoire des arts, peu à peu l'exécution s'appauvrit; ne trouvant plus à s'attacher qu'à des oeuvres privilégiées, elle se retire des extrémités pour concentrer ses derniers efforts sur quelques points; chaque jour la barbarie gagne du terrain.

On bâtit encore des palais, des monuments où toutes les richesses sont amoncelées sans ordre ni raison; mais les habitations, les édifices de la petite cité, ne sont plus que des oeuvres grossières, ridicules, uniformément vulgaires, et dont les vices de construction feront promptement justice. C'est la seule consolation qui reste, au milieu de ces misères, aux esprits assez préoccupés des choses d'art, pour croire encore que la postérité juge un peu les civilisations d'après leurs monuments. Quand l'art n'est plus qu'une affaire de luxe, le jour de sa proscription est proche. Au moyen âge, la puissance vitale de l'art se manifeste partout; son expression est un besoin pour tous, grands et petits. Les vieilles maisons qui couvraient encore nos anciennes villes françaises il y a quelques années, et que des besoins nouveaux font disparaître rapidement, en étaient la preuve vivante. Nous ne prétendons pas que l'on doive, aux dépens de la salubrité publique, en présence des développements de la prospérité des classes moyennes, conserver quand même des masures pourries; mais nous aimerions retrouver aujourd'hui dans nos constructions privées ces instincts d'une population aimant les arts et sachant en répandre partout les véritables expressions. Mais non, ce vieux et riche sang gaulois, qui, après une longue compression, avait pu, vers le XIIIe siècle, circuler librement, porter la vie dans toutes les provinces, couvrir le sol d'édifices de toute nature, originaux, logiques, francs, sans alliages, véritable enveloppe d'une nation pleine de qualités brillantes; ce sang limpide et pur s'est coagulé de nouveau sous une seconde invasion étrangère. Il a fallu redevenir romains, et encore, sous quels Romains! La symétrie a dû remplacer la logique, une imitation pâle d'un art mort s'est substituée à l'originalité native de notre pays. Des doctrines faussées, enseignées avec persistance, ont peu à peu pris racine dans tous les esprits, et l'engouement pour un art fastueux que personne ne comprend et que personne n'explique, parce qu'il ne saurait être expliqué devant des esprits naturellement clairs et logiques, a remplacé ce goût inné pour cet art vrai fait pour notre taille et au milieu duquel nous nous sentions chez nous.

La maison du moyen âge, en France, est l'habitation de l'homme ne sur le sol. La maison de nos jours est l'habitation banale, uniformément confortable; comme si la vie du négociant, ses moeurs et ses besoins ressemblaient à la vie, aux moeurs et aux besoins du soldat; comme si le logement qui convient à un notaire convenait à une femme à la mode. Cette uniformité, incommode pour tous, à tout prendre, est telle que l'homme aujourd'hui voué à une carrière est obligé de se faire bâtir une maison pour lui, s'il ne veut pas chaque jour avoir à lutter contre les ennuis et les difficultés que lui cause le logis banal. Chacun est mal à l'aise dans la boîte qu'il loue, mais les passants ne voient que des façades à peu près identiques et qui nous auraient déjà fait mourir du spleen si dans notre pays nous pouvions tomber sous l'empire de cette maladie 144.

Mais (et c'est là un motif de ne pas désespérer de l'avenir) ce n'est pas de notre temps qu'on a tenté pour la première fois de mouler, dirons-nous, les habitants d'une cité dans des compartiments réguliers, alignés, identiques. Les seigneurs, au moyen âge, ne comprenaient pas beaucoup mieux que nos édilités modernes les questions d'art, ce qui n'a pas empêché la nation de posséder son art. Les Anglais, notamment, ne paraissent pas à cette époque avoir pénétré le génie français; et en leur qualité d'étrangers, nous ne saurions leur en vouloir: «Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, temps de paix et de prospérité, dit M. Félix de Verneilh 145, un petit coin de l'une des provinces se couvrit rapidement de ces villes neuves appelées bastides dans l'ancienne langue du midi. Voici par quelles circonstances. Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis, était devenu, par son mariage avec l'héritière des comtes de Toulouse, le seigneur nominal d'une partie de la Guienne.» Comme tel, et bien que cette souveraineté se réduisît souvent à un titre, il prétendit assurer son autorité directe en faisant bâtir une capitale, Villefranche de Rouergue. «Dans l'Agénois, il fonda Villeneuve d'Agen et plusieurs bourgs moins considérables. Dans le Périgord, où il avait quelques possessions, il fonda aussi des bastides.» Ces villes, ou bastides, étaient construites sur des terrains accordés gratuitement, suivant l'indication des ingénieurs, et jouissaient de franchises étendues. C'était un moyen d'attirer sous la dépendance directe du suzerain des populations entières; le moyen réussit malgré les protestations des seigneurs féodaux et les excommunications des évêques. «De son côté, continue M. F. de Verneilh, Édouard Ier, d'abord comme duc et bientôt comme roi, multiplia singulièrement les fondations de ce genre; et c'est un des meilleurs titres de ce grand prince au souvenir reconnaissant de l'ancien duché de Guienne. Libourne, entre autres, lui doit son existence (1286)...» Beaumont fut ainsi construit pour le compte du roi d'Angleterre en 1272; le maréchal Jean de La Linde commença sur son propre domaine la bastide de La Linde. On bâtit la ville de Montpazier vers 1284. Or, ce plan de Montpazier tracé en 1284 n'a pas été altéré depuis. Comme tous les plans de villes de cette époque, tracés en Guienne et en Périgord, la ville de Montpazier est non-seulement alignée avec une régularité parfaite (voir l'article ALIGNEMENT, fig. 1), mais encore toutes les maisons sont d'égales dimensions et distribuées de la même manière.

 


Un îlot des maisons de la ville de Montpazier (17) fait voir avec quelle uniformité cellulaire ces habitations sont construites. Certes, la régularité observée dans des villes modernes, comme Napoléon-Vendée, comme certaines villes d'Algérie, n'est que désordre, en comparaison de cette symétrie absolue. Il faut admettre (ce qui était vrai alors) que tous les gens venant s'établir dans ces bastides privilégiées, sorte de refuges offerts par en suzerain, étaient tous sur le pied de l'égalité; quels qu'ils fussent, il est certain qu'ils se soumettaient à ces conditions d'alignement, de façades et de surfaces imposées, puisque ces villes ont été bâties d'un seul jet et ont atteint un degré de prospérité relative très-élevé peu après leur construction.

On reconnaît ainsi que ces idées, que nous croyions appartenir à notre époque, de cités ouvrières, de centres de populations établies sous une apparence d'égalité absolue, ne sont pas nouvelles, et que le moyen âge a même atteint dans ce sens un point pratique dont nous sommes encore fort éloignés. Mais si modestes que soient ces habitations, elles sont du moins en rapport avec les besoins et les habitudes de l'époque. Elles se composent toutes d'un rez-de-chaussée, d'un premier et quelquefois d'un second étage; leurs façades sont variées d'aspect, en raison des goûts ou de l'état de fortune de chacun; d'ailleurs bien bâties et solides. La place de la ville seule, sur un côté de laquelle s'élève la halle, est entourée de portiques très-larges, bas et aboutissant aux rues donnant entrée sur cette place; car les ingénieurs qui ont tracé les plans de ces bastides se sont bien gardés de percer les rues dans les milieux des côtés du carré, ce qui eût été peut-être conforme aux règles académiques, mais point du tout à celles de la raison. Une place est généralement, dans une ville, une aire plus ou moins vaste où l'on se réunit; si deux rues coupent le centre à angles droits, il est clair que les gens qui passent gênent beaucoup ceux qui demeurent. Établir la circulation sur les côtés d'une place et laisser le milieu en dehors de cette circulation a toujours été la préoccupation des planteurs de villes du moyen âge.



Des pans coupés, ménagés aux retours d'équerre des maisons d'angle, permettent aux chariots d'entrer dans la place facilement les jours de marché. Nous présentons (18) le plan d'un quart de la place de la bastide de Montpazier 146, et (19) la vue perspective d'une des entrées de cette place prise du point A du plan. On voit dans cette figure comment les angles des maisons sont portés en encorbellement au-dessus des larges pans coupés qui donnent entrée diagonalement sur la place.



Les maisons de ces bastides de la fin du XIIIe siècle sont construites en pierre, en brique ou moellon; la structure de bois est exclue des façades. Du reste, les maisons de bois sont très-rares dans les provinces méridionales, tandis que dès la fin du XIII siècle nous voyons qu'elles deviennent de plus en plus fréquentes dans les provinces du Nord. D'abord, ce ne sont que les étages supérieurs qui sont construits en pans de bois, puis bientôt le rez-de-chaussée seul se maintient en pierre; puis enfin, pendant le XVe siècle et le commencement du XVIe, des façades tout entières sont non-seulement élevées en pans de bois, mais souvent même entièrement boisées comme de grands meubles, sans qu'il y ait trace apparente de maçonnerie. Outre le goût que les populations du Nord ont toujours conservé pour les constructions de bois, outre l'influence qu'exerçaient sur ces populations les traditions apportées par les invasions septentrionales, le voisinage de grandes forêts, la construction de bois présentait des avantages qui devaient entraîner tous les habitants des villes populeuses des provinces françaises proprement dites à employer cette méthode.

Comme nous l'avons dit, dans ces grandes villes du Nord, telles que Paris, Rouen, Beauvais, Amiens, Troyes, Caen, etc., la place était rare. Ces villes, entourées de murailles, ne pouvaient s'étendre comme de nos jours; on cherchait donc à gagner en hauteur la surface qui manquait en plan, et on empiétait autant que faire se pouvait sur le vide de la voie publique, au moyen d'étages posés en encorbellement: or, la construction de bois se prêtait seule à ces dispositions imposées par la nécessité. On pensait alors à bien abriter les parements des façades par la saillie des toits, soit que l'on élevât sur la rue un mur goutterot ou un pignon. Les rues devenant de plus en plus étroites à mesure que les villes devenaient plus riches et populeuses sans pouvoir reculer leurs murailles, on agrandissait les fenêtres pour prendre le plus de jour possible. Mais, à ce sujet, nous devons placer ici une observation. De notre temps, et non sans raison, on aime à éclairer largement les intérieurs des pièces d'une habitation; il n'en était pas ainsi pendant le moyen âge. Les maisons romanes les plus anciennes sont percées de fenêtres relativement étroites et laissent passer peu de lumière, les habitants cherchaient l'obscurité dans les intérieurs avec autant de soin que nous cherchons la lumière; il y avait là encore les restes d'une tradition antique. Au XIIIe siècle, les maisons commencent à prendre des jours plus larges; on veut au moins une salle bien éclairée. Ce goût s'étend à mesure que la vie active, l'industrie et le commerce prennent plus d'importance parmi les populations urbaines. Tous les états avaient besoin de la lumière du jour pour se livrer à leurs occupations. La maison n'était plus le refuge fermé de la famille, c'était encore l'atelier; aussi est-ce dans les villes industrielles que les maisons s'ouvrent largement sur la rue dès la fin du XIIIe siècle.

Malgré la mise à jour des façades des maisons dès cette époque, on ne conçoit guère aujourd'hui comment, dans ces rues étroites, bordées d'habitations dont les étages surplombaient, certaines industries pouvaient s'exercer; cela ne s'explique que quand on a vu, par exemple, les ouvriers en soie de Lyon travailler aux tissus les plus délicats dans des pièces où à peine on croirait pouvoir lire. La vue s'habitue à l'obscurité, et l'excessive lumière naturelle ou factice que nous répandons partout aujourd'hui n'est pas une condition absolue pour travailler à des ouvrages d'une grande finesse. Quoi qu'il en soit, de ces ateliers du moyen âge, qui nous sembleraient si sombres aujourd'hui, sortaient des ouvrages d'orfévrerie, des broderies et des tissus dont, avec toute la lumière que nous nous donnons, nous atteignons difficilement la délicatesse. Ce sont là des questions d'habitude, et de ce qu'un ouvrier s'est habitué dès l'enfance à travailler sous un jour douteux, il ne s'ensuit pas que cet ouvrier est un maladroit. De ce que nos pères voyaient représenter le Cid de Corneille à la lueur des chandelles, il ne faudrait pas en conclure qu'ils appréciaient moins vivement le chef-d'oeuvre du poëte tragique. Laissons donc là, une fois pour toutes, ces reproches adressés aux architectes des maisons du moyen âge d'en avoir fait des réduits sombres, inhabitables; sombres et inhabitables pour nous, soit; mais les citadins de ce temps les trouvaient commodes et suffisamment claires. Cela est indépendant de la question d'art; le plus ou moins de qualité architectonique d'une façade de maison ne dépend pas de la plus ou moins grande largeur de la rue sur laquelle elle s'élève. Nous en avons la preuve tous les jours.



Voici (20) une de ces maisons élevées en maçonnerie et bois que nous avons dessinée à Châteaudun en 1841. Le rez-de-chaussée et le premier étage sont élevés en pierre, les murs mitoyens en moellon; le mur du fond, sur une cour, également en pierre. Au rez-de-chaussée (voir le plan A) s'ouvre sur la rue un vaste magasin avec poteau central et bout de mur de refend B. Une poutre maîtresse porte sur un corbeau de la pile du milieu de la façade, sur le poteau central et sur la tête de ce tronçon de mur de refend; il reçoit le solivage. Un escalier à vis, ajouré, monte au premier et au second étage. Du couloir C, on passe dans la cour D et dans une arrière-salle E. Au premier étage, la distribution est pareille; seulement la poutre maîtresse passe à travers les murs de face et reçoit les entraits de la charpente. Pour obtenir le plus de lumière possible sur la rue, le constructeur a bandé deux arcs de décharge dans l'épaisseur du mur de face, et sous ces arcs il a posé de véritables châssis en pierre très-ajourés. L'étage de comble est divisé en deux pièces dans l'épaisseur du bâtiment. On observera qu'une ferme de la charpente est en saillie sur le mur de face, afin de bien l'abriter. Cette ferme repose sur les bouts des sablières soulagées par des liens et sur l'about de la filière d'axe également soulagée par un lien. Les solivages des planchers sont posés aux niveaux G et H. La construction de cette maison appartient au commencement du XIVe siècle. Toutefois, dans cet exemple, l'étage de comble en bois n'est pas posé en encorbellement.

140140 Il existe encore sous cette maison denx étages de caves fort belles.
141141 Cette maison appartient à M. de Maleville, qui a bien voulu nous promettre de ne point la vendre ni la détruire. Les boutiques du bas ont été bouchées et les fenêtres du premier étage modifiées au XVe siècle, mais on retrouve parfaitement le plan et la forme des fenêtres primitives. Celles des deux étages supérieurs sont conservées.
142142 Voyez dans l'ouvrage de MM. Verdier et Cattois, l'Architecture civile et domestique, quelques maisons des provinces méridionales, notamment celle du Veneur, à Cordes. On voit sur la façade de la maison Caussade, donnée ici, des anneaux scellés aux jambages des fenêtres pour porter les perches et les bannes, préservatives du soleil.
143143 Plusieurs fois déjà il a été question de démolir cette belle maison, le plus intéressant des édifices civils de Reims. En attendant cette démolition, l'un des propriétaires (car la façade appartient à deux particuliers) a le soin de faire peindre à l'huile tous les deux ou trois ans sa façade, compris les statues. Si cette maison doit être démolie, il serait bien à souhaiter que la façade pût être replacée à Reims même; certes, le sacrifice minime que la ville s'imposerait alors serait bien largement compensé par l'intérêt que présente la conservation de cette oeuvre d'art.
144144 Il faut être vrai, l'excès, en France, amène bientôt la réaction, et tout porte à croire que les orgies de symétrie auxquelles on s'est livré depuis le commencement du siècle, et particulièrement depuis quelques années, conduiront à un soulèvement universel contre cette façon barbare de comprendre l'art de l'architecture.
145145 Voy. les Annales archéologiques, t. VI, p. 71. Peu d'archéologues ont fait, de notre temps, des études aussi complètes et riches de fait que M. Félix de Verneilh, en ce qui regarde les villes du moyen âge particulièrement.
146146 À Montpazier, les propriétés possèdent toutes leurs murs latéraux. Il n'y a pas de murs mitoyens. Cette disposition est même conservée autour de la place, là où existe un portique: c'est une exception à la règle.