Za darmo

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6 - (G - H - I - J - K - L - M - N - O)

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

Pour ne pas sortir des limites de cet ouvrage, nous devons nous borner à signaler ce fait, dont nous essayerons ailleurs de donner l'explication.

MAISONS DES VILLES.--La rareté du terrain, dans les villes ou bourgades fermées, obligeait les constructeurs à élever plusieurs étages au-dessus du rez-de-chaussée.


Si à Rome, dans l'antiquité, les maisons possédaient un grand nombre d'étages superposés, il ne paraît pas que cette méthode fût suivie dans les villes provinciales. À Pompeï, les maisons n'ont qu'un rez-de-chaussée, à très-peu d'exceptions près; les peintures antiques indiquent rarement des habitations composées de plusieurs étages. Au contraire, dès l'époque mérovingienne, les maisons urbaines possèdent un ou plusieurs étages au-dessus du rez-de-chaussée; les auteurs mentionnent souvent leurs étages, et les représentations sculptées ou peintes nous les montrent plutôt dans la forme de tours ou de pavillons élevés que comme des logis juxtaposés. Grégoire de Tours signale des maisons à plusieurs étages: «Priscus, dit-il, avait ordonné, au commencement de son épiscopat, que l'on exhaussât les bâtiments de la maison épiscopale 124.»... «Le duc Beppolen étant à table dans une maison à trois étages, tout à coup le plancher s'écroula 125...»

Les maisons mérovingiennes, dont il reste des traces nombreuses dans le nord de la France, se composent habituellement d'une cave en maçonnerie non voûtée, surmontée de constructions de bois; leur périmètre est petit et les logements devaient nécessairement être superposés. C'est d'après ce programme que paraissent avoir été construites les maisons dont nous donnons ici (1 et 2) les copies. La figure 1 indique évidemment une construction de bois; mais il faut dire qu'elle se trouve sur un chapiteau de l'église primitive de Vézelay, antérieure à l'établissement de la commune; tandis que, dans cette même localité, on voit encore de nombreux fragments de maisons de pierre du commencement du XIIe siècle 126. En effet, Aug. Thierry, dans ses Lettres sur l'histoire de France 127, en racontant les phases de l'établissement de la commune de Vézelay, signale cette tendance des citoyens émancipés à s'entourer des signes extérieurs de leur affranchissement. «Ils élevèrent autour de leurs maisons, chacun selon sa richesse, des murailles crénelées... L'un des plus considérables parmi eux, nommé Simon, jeta les fondements d'une grosse tour carrée...»



La figure 2 présente une particularité qu'il ne faut pas omettre, c'est un escalier extérieur; nous verrons en effet que ces escaliers extérieurs, ou grands perrons, jouent un rôle important dans les habitations des XIe et XIIe siècles. La tapisserie de Bayeux nous montre Harold et ses compagnons banquetant dans une maison au moment de leur passage en Normandie. La salle du banquet est située au premier étage sur un rez-de-chaussée formé d'arcades; un perron descend de cette salle supérieure au bord de la mer. Ce rez-de-chaussée est évidemment construit en maçonnerie, tandis que le premier étage paraît être un ouvrage de charpenterie.

On retrouve cette disposition des escaliers extérieurs dans des manuscrits grecs du VIIIe siècle (voy. PERRON), et nous la voyons se perpétuer jusqu'au XVIe siècle. Signalons ce fait important: c'est qu'en France, pendant la première période du moyen âge et jusqu'au XIIe siècle, il semble que dans les habitations privées on ait maintenu les traditions de l'antiquité gallo-romaine pour le rez-de-chaussée, et que l'on ait adopté les habitudes introduites par les peuples venus du nord pour les étages supérieurs. Il se pourrait bien, en effet, qu'après l'invasion, les nouveaux conquérants aient conservé bon nombre de ces habitations de ville ou de campagne gallo-romaines, et que sur les rez-de-chaussées qui les composaient ils aient fait élever, en charpenterie, des salles et des services dont ils avaient besoin. On aurait ainsi adopté depuis lors un système de construction résultant de deux méthodes entées l'une sur l'autre par les habitudes de deux civilisations ou plutôt de deux races différentes. Dans les maçonneries, l'influence gallo-romaine se fait sentir très-tard, tandis que les ouvrages de bois ont, dès l'origine, un caractère qui appartient évidemment aux races du nord et qui ne rappelle point l'art de la charpenterie des Romains. Cette superposition de deux systèmes de constructions, issus de deux civilisations opposées, ne parvient qu'à grand peine à former un ensemble complet, et, jusqu'à la fin du XIIe siècle, on reconnaît que le mélange n'est point effectué.

L'école laïque du XIIIe siècle parvient à opérer ce mélange, parce qu'elle abandonne entièrement les traditions romaines, et c'est seulement à cette époque que les constructions privées prennent un caractère véritablement français, homogène, adoptent des méthodes logiques, en raison des matériaux mis en oeuvre. Il suffit de jeter les yeux sur les manuscrits occidentaux des IXe, Xe et XIe siècles, sur quelques sculptures d'ivoire de cette époque et même sur la tapisserie de Bayeux, pour constater l'influence des traditions de constructions gallo-romaines dans les maçonneries du rez-de-chaussée des habitations et celle des constructions de bois indo-germaniques pour les couronnements des palais et maisons, tandis que les églises affectent toujours ou la forme de la basilique latine ou celle de l'édifice religieux byzantin.

Évidemment, si les seigneurs et les citadins laissaient les moines arranger l'architecture de leurs monastères à leur guise (et ceux-ci étaient latins par tradition), ils exerçaient une influence sur les constructeurs chargés d'élever leurs habitations, et malgré l'antipathie qui existait entre les castes des conquérants venus d'outre-Rhin et les vieux Gaulois devenus latins, il semblerait qu'au contact de ces races plus pures, le Gallo-Romain se rappelait son origine, reprenait peu à peu les goûts natifs, réagissait contre l'influence si longtemps subie des arts romains et, dans ses habitations, se plaisait à composer un art qui fût à lui. Aussi, au XIIe siècle déjà, les maisons des citadins ne ressemblent nullement aux bâtiments d'habitation des monastères: c'est un autre art, ce sont d'autres méthodes de construire; l'architecture civile se forme avec l'établissement des communes, elle prend une allure indépendante tout comme le château féodal qui, de son côté, s'éloigne de plus en plus de la villa romaine aux traditions de laquelle les abbayes seules restent fidèles. Il est toujours intéressant de voir comment, chez les populations livrées à leurs instincts, les arts, et l'architecture en particulier, reflètent les tendances des esprits.

Au XIIe siècle, l'architecture monastique, arrivée à son apogée, ne progresse plus. Saint Bernard essaye de lui rendre la signification qu'elle perd chaque jour, en lui imposant la simplicité comme première condition; mais après lui, cet art puritain, qu'il a prétendu donner comme type des établissements religieux, est entraîné dans le torrent commun. L'architecture militaire féodale et l'architecture domestique au contraire se développent avec une prodigieuse activité; les vieux restes des arts romains sont décidément mis de côté, et les bourgeois, comme les seigneurs, veulent avoir un art flexible qui se prête à toutes les exigences des habitudes changeantes d'une société. Dès que le pouvoir des établissements religieux s'affaiblit, l'esprit municipal et même politique se révèle, et le siècle n'est pas encore achevé que tous les travaux d'art et d'industrie sont entre les mains de ces gens de ville qui, cinquante ans plus tôt, devaient tous demander aux couvents depuis le plan du palais jusqu'aux serrures des portes.

Il serait du plus haut intérêt de posséder encore aujourd'hui quelques-unes de ces maisons de ville du XIe siècle, c'est-à-dire de l'époque où les traditions gallo-romaines, encore assez entières, et gauloises primitives, se mélangeaient si étrangement avec les formes d'architecture importées par les peuples du nord de la Germanie et par les Normands. Nous n'avons sur ces temps que les documents très-imparfaits donnés par les manuscrits; ils nous permettent, toutefois, de constater la présence de ces ouvrages de bois qui n'ont guère d'analogie qu'avec quelques anciennes charpenteries du Danemark, du Tyrol et de la Suisse 128.

 

L'aspect de la maison de ville française de la fin du XIe siècle et du commencement du XIIe ne rappelle pas la maison romaine. Les vues ne sont plus prises, ainsi que dans la maison antique, sur des cours intérieures, mais sur la voie publique, et la cour, s'il en existe, n'est réservée qu'aux services domestiques. De la rue on entre directement dans la salle principale, presque toujours relevée au-dessus du sol de plusieurs marches. Si l'habitation a quelque importance, cette première salle, dans laquelle on reçoit, dans laquelle on mange, est doublée d'une arrière-salle qui sert alors de cuisine, ou, les jours ordinaires, de salle à manger; les chambres sont situées au premier étage. Mais un plan tracé nous évitera de trop longues explications.



Voici donc (3) le plan d'une de ces maisons du commencement du XIIe siècle 129. De la rue on monte à la salle A par un escalier détourné 130 présentant un premier palier avec banc, puis un second palier fermé devant la porte d'entrée qui est pleine.

Ce second palier est ou porté en encorbellement ou posé à l'angle externe sur une colonnette; le dessous du palier ainsi suspendu sert d'abri à la descente des caves. Celles-ci sont généralement spacieuses, bien bâties, bien voûtées, avec colonnes centrales et arcs-doubleaux. Quelquefois même il y a deux étages de caves, particulièrement dans les pays vignobles. À côté de la porte d'entrée, qui est pleine et ferrée lourdement, est une petite ouverture pour reconnaître les personnes qui frappent à l'huis. De cette première salle, qui n'est habituellement éclairée que par une fenêtre donnant sur le dehors et par la porte lorsqu'il fait beau 131, on entre dans un dégagement B aboutissant à l'escalier en limaçon qui monte au premier, et sous lequel on passe dans la petite cour D intérieure, commune quelquefois à plusieurs habitations et possédant un puits. C'est sur cette cour que s'éclaire l'arrière-salle C servant de cuisine. Au premier, la distribution est la même; la pièce du devant sert de chambre à coucher pour les maîtres, la salle postérieure est réservée aux domestiques.



Mais ce premier étage est très-souvent construit en bois 132. Son fenêtrage large occupe plus de la moitié de l'espace et le tout est couvert par un toit saillant, car le bâtiment, double à cette époque, ne présente que rarement son pignon sur la rue. Le pan de bois de face du premier étage, fait en grosses pièces, porté sur de très-fortes solives qui d'autre part reposent sur le mur de refend, est hourdé en mortier entre les bois; sur l'enduit sont tracés des dessins à la pointe. Le dessous de la saillie des toits et le pan de bois lui-même sont peints de couleurs tranchantes, jaune et noir, blanc et brun ou rouge, rouge et noir 133. Nous donnons, au-dessous du plan, la vue de la façade de cette maison romane.

Les distributions intérieures de la maison romane s'étaient sensiblement éloignées de celles des maisons gallo-romaines et mérovingiennes; en effet, on constate encore dans ces dernières la séparation de l'appartement des femmes, tandis que la vie en commun est indiquée dans la maison du XIe siècle. Grégoire de Tours mentionne encore des gynécées: «On envoya, dit-il, Septimine dans le domaine de Marlheim tourner la meule pour préparer chaque jour les farines nécessaires à la nourriture des femmes réunies dans le gynécée 134.» Dans la maison romane du XIIe siècle, la famille se réunit autour du même foyer. À rez-de-chaussée, la grande pièce est la boutique, si le propriétaire est un marchand; alors la salle est au premier étage. Cette salle sert de chambre à coucher, de lieu de réunion; elle est vaste et contient le lit du père, de la mère et des enfants en bas âge. Les apprentis ou domestiques couchent dans le galetas élevé au-dessus du premier. Presque toujours alors la cuisine est séparée du logis principal par une petite cour; une galerie permet d'y arriver à couvert; une allée contenant un degré droit flanque la boutique et donne entrée directement de la rue dans la salle du premier étage. De cette salle on communique également à l'étage au-dessus de la cuisine par une galerie. C'est d'après ce système que sont élevées les maisons de la ville de Cluny qui datent du XIIe siècle 135. Nous donnons (4) le plan de l'une d'elles.

Le rez-de-chaussée A fait voir l'allée avec le degré droit en C, la boutique en D, la galerie ou portique à jour en E, la cour en F, la cuisine en H avec sa grande cheminée I. Un puits est en G. Le premier étage, tracé en B, montre l'arrivée du degré en K, la salle en L, la galerie à jour ou vitrée en N avec un petit degré pour monter aux galetas, et une chambre en O. La coupe générale sur ab de cette maison est tracée dans la figure 5 en A, et l'élévation de la façade sur la rue en B.



Cette façade est encore aujourd'hui conservée jusqu'au niveau C, l'étage du galetas ayant seul été détruit; quant aux bâtiments postérieurs, il en reste à peine quelques traces. Les maisons du XIIe siècle de la ville de Cluny sont mitoyennes, c'est-à-dire séparées par des murs communs à deux propriétés, et bien que cette coutume soit ordinaire dans la plupart des villes françaises, il est certaines localités, particulièrement en Bourgogne, où les maisons des XIIe et XIIIe siècles sont séparées par une ruelle étroite et possèdent par conséquent chacune des murs latéraux indépendants. On peut reconnaître que cette coutume existait également dans la plupart des bastides, ou petites villes fermées, élevées d'un seul jet à la fin du XIIIe siècle, sous la domination d'Édouard Ier, dans la Guienne. Mais les règlements en vigueur concernant la plantation des maisons dans les villes de France au moyen âge, leurs saillies sur la voie publique, la manière de prendre les jours, les écoulements des eaux, variaient à l'infini, chaque seigneur ayant établi une coutume particulière sur le territoire soumis à sa juridiction. Il arrivait aussi que deux maisons étaient accolées avec mur mitoyen intermédiaire, comble unique à deux égoûts sur deux ruelles latérales.

On voit encore dans la petite ville de Montréale (Yonne) quelques maisons construites d'après ce système, et une, entre autres, proche de la porte du côté d'Avallon, qui est assez bien conservée. La fig. 6 en reproduit le plan. Cette maison double paraît remonter aux premières années du XIIIe siècle.



En A sont les entrées avec perrons et bancs de pierre; en B, les descentes de caves donnant, suivant l'habitude bourguignonne, sur la voie publique; en CC', les salles du rez-de-chaussée. En D sont deux petites cours entourées d'appentis en bois ne s'élevant que d'un rez-de-chaussée. La cage de l'escalier est commune, bien que ses rampes soient séparées. De la salle C, on monte au premier en prenant le palier E, et de la salle C' en prenant le palier F; ainsi, à l'étage supérieur, la porte de l'escalier de la maison C est en G, et celle de la maison C' est en H. En I est un puits commun. Sur la rue, cette maison double présente la façade (7).



Les contre-forts antérieurs avec leurs encorbellements portent un balcon au premier étage et la saillie du toit a deux égoûts avec pignon commun, de sorte que les deux perrons, les deux descentes de caves et les deux balcons sont abrités. Derrière ces habitations sont plantés de petits jardins auxquels on arrive par les ruelles. Nous ne saurions dire si ces jardins étaient communs à plusieurs maisons ou s'ils appartenaient seulement à quelques-unes d'elles, car les clôtures de ces terrains ont été depuis longtemps bouleversées; ils arrivaient en bordure le long de l'ancien rempart.

 

Les ruelles d'isolement entre les maisons, qu'elles fussent simples ou jumelles, avaient nécessairement amené les architectes à élever les murs goutterots sur les ruelles et les pignons sur la rue. Ces ruelles, qu'en langage gascon on appelle endronnes, existaient même parfois lorsque les maisons formaient portique continu ou allée couverte sur la rue, disposition assez fréquente dans les bastides françaises et anglaises bâties aux XIIIe et XIVe siècles sur les bords de la Garonne, de la Dordogne, du Lot et dans les provinces méridionales 136. On conçoit parfaitement pourquoi, s'il fallait laisser des ruelles entre les propriétés, on réunissait deux lots pour profiter du terrain d'une ruelle. De deux maisons, deux propriétaires n'en faisaient réellement qu'une, avec mur de séparation dans l'axe du pignon. Toutefois cette méthode est rarement employée.

Les ruelles entre les maisons n'ont quelquefois que la largeur d'un caniveau, ainsi qu'on peut le constater encore dans la ville de Montpazier, dont le plan général est d'une si parfaite régularité et ordonnance (voyez ALIGNEMENT, fig. 1); mais alors ces maisons possèdent deux façades, l'une sur une rue de 10 mètres de largeur, l'autre postérieure sur une ruelle de 3 mètres environ 137. Nous reviendrons tout à l'heure sur ces habitations de la fin du XIIIe siècle.

Nous avons donné une maison de la ville de Cluny qui date du XIIe siècle; dans notre article CONSTRUCTION, fig. 115, 116, 117 et 118, on voit les élévations, plans et coupes d'une façade de maison de cette même ville, construite vers la moitié du XIIIe siècle. Déjà les jours sont plus larges, les étages plus élevés, la construction de pierre plus importante et d'une apparence plus svelte. Dans quelques villes fermées on élevait, au XIIIe siècle, des habitations à plusieurs étages dont les façades étaient entièrement construites en pierre. Sur la place de la petite ville de Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne), qui possède une si belle maison municipale du XIIe siècle (voy. HÔTEL DE VILLE), on voit encore un assez grand nombre de maisons du XIIIe siècle d'une apparence monumentale 138. Ces maisons sont spacieuses, profondes, possédant des façades assez étendues, remarquablement construites. Le rez-de-chaussée est occupé par des magasins ou boutiques, le premier et le second étage sont occupés sur la rue par une grande salle sur le devant avec un escalier et petite salle annexe donnant sur une ruelle, comme à Montpazier. Voici (8) la façade d'une de ces maisons donnant sur la place de la ville.



Les arcades du rez-de-chaussée servaient de lieu de vente les jours de marché, ainsi que cela se pratique encore dans beaucoup de localités. Alors des rideaux étaient tendus sous les arcs pour abriter vendeurs et acheteurs. Les grandes salles du premier et du second étage sont éclairées largement par des arcatures continues, qui à l'intérieur forment quatre fenêtres séparées par des trumeaux étroits. Au sommet de la maison, sous le comble, est le galetas où habitaient les gens, où l'on mettait les provisions. On observera que les pieds-droits des fenêtres du premier et du second étage sont garnis, à la hauteur des naissances, d'anneaux de fer avec crochets. Ces anneaux étaient destinés à recevoir des perches auxquelles étaient fixées des bannes. Cet usage s'est perpétué dans le midi de la France, en Italie et en Espagne. La fig. 9 reproduit la disposition de ces bannes.



En A est un des anneaux-crochets scellés dans la maçonnerie. Les bannes étaient divisées par travées, ainsi que les perches qui s'emmanchaient l'une dans l'autre (voir le détail B). Des perches-étais C soulevaient les extrémités des toiles dont le mouvement et le déversement étaient maintenus par des cordelles passant dessous, en croix de saint André, et venant se fixer par des anneaux aux crochets D. Une large pente froncée tombait sur le devant, autant pour arrêter les rayons du soleil que pour donner du poids à la partie inférieure de la banne et obliger ainsi les perches-étais C à rester inclinées.

La petite ville de Cordes, entre Saint-Antonin et Gaillac, a conservé presque toutes ses maisons qui datent des XIIIe et XIVe siècles et se rapprochent, par leur style d'architecture et leurs dispositions intérieures, de celle que nous venons de décrire. Mais ces villes des bords de la Garonne, du Tarn, du Lot et de l'Aveyron, étaient profondément pénétrées de l'esprit communal, ou plutôt n'avaient jamais abandonné les traditions municipales de l'époque gallo-romaine; la plupart ont conservé des restes d'habitations privées qui indiquent une administration locale très-développée, une grande prospérité intérieure et des habitudes de bien-être et même de luxe qui ont disparu depuis les guerres de religion du XVIe siècle. Notre époque se laisse aller volontiers au courant de certains préjugés qui flattent l'amour propre et dispensent d'étudier bien des questions ardues, en ce qu'elles demandent du temps et des recherches. Combien de fois n'a-t-on pas dit ou écrit, par exemple, que les maisons des villes du moyen âge ne sont que de pauvres bicoques, tristes, petites, obscures, inhabitables enfin 139? Certes, les vieilles maisons de Saint-Antonin, de Cordes, de Saint-Yriex, de Montpazier, de Toulouse, de Périgueux, d'Alby, de Mont-Ferrand, de Cluny, de Provins, de Bourges, de Laon, de Beauvais, de Reims, de Soissons, de Dol, de Caen, de Chartres, de Dreux, d'Angers, etc., ne sont que des petits édifices, si on les compare à nos hôtels modernes de Paris, de Lyon ou de Rouen; mais il ne faut pas oublier que la plupart de ces maisons anciennes, debout encore, n'existent que dans des villes singulièrement déchues, que dans des villes de deuxième ou troisième ordre, abandonnées aujourd'hui, alors riches et prospères, quoiqu'elles fussent peu importantes si on les compare aux grands centres de population de la même époque; que ces vieilles maisons, si on les met en parallèle avec celles que l'on bâtit aujourd'hui dans ces mêmes localités, sont incomparablement mieux construites, mieux entendues et d'un aspect moins pauvre; qu'elles indiquent un état social plus avancé, établi plus solidement, une prospérité moins fugitive, des institutions municipales plus robustes. Il est évident que, établissant un parallèle entre une des maisons de la petite ville de Cordes et l'hôtel de M..., à Paris, on donnera le champ libre à la raillerie; mais comparons une maison ancienne de Saint-Antonin avec une de celles qu'on bâtit aujourd'hui dans la même localité; comparons l'hôtel de M... avec l'hôtel de Sens ou l'hôtel de Trémoille, ou l'hôtel Saint-Pol, ou l'hôtel de Cluny, ou même la maison de Jacques Coeur, à Bourges, qui existe encore à peu près entière: de quel côté seront les rieurs?

Nous ne voulons point faire ici de la critique sociale, ni même de la politique; nous parlons art. Or, c'est une étrange illusion de confondre, quand il s'agit d'art, l'état civilisé avec le développement intellectuel. De ce qu'une société est parfaitement policée, de ce qu'elle a répandu des habitudes de confort dans les dernières classes de la société, cela ne dit point du tout qu'elle développe son intelligence; cela ne fait pas surtout que la vie se répande dans tous les rameaux du corps social. Si au XIIe siècle, si pendant les XIIIe et XIVe siècles on bâtissait de grands édifices, et si les artistes abondaient à Paris, à Rouen, à Lyon, à Reims, à Chartres, à Bourges, à Tours, à Toulouse; dans la dernière petite ville, dans le dernier village de France, on trouvait un art relativement aussi élevé: en est-il ainsi aujourd'hui? Nous bâtissons de magnifiques palais à Paris, à Lyon ou à Marseille; mais que fait-on dans les chefs-lieux de canton, dans les villages? de pauvres constructions branlantes, mal conçues, hideuses d'aspect, bien qu'elles affectent une certaine apparence de luxe; des maisons incommodes, à peine abritées, cachant l'ignorance du constructeur ou la mesquinerie du propriétaire sous des enduits que chaque hiver fait tomber. Dans ces faibles bâtisses, non-seulement l'art n'entre plus, mais le bon sens, la raison semblent en être exclus. Un lambeau de vanité puérile apparaît seulement sur la façade symétrique ou dans des intérieurs pauvrement luxueux. Nous sommes émerveillés de voir dans une petite ville antique comme Pompéï de méchantes maisons bâties en briques revêtues d'enduits présenter cependant des exemples d'un art délicat; mais nous possédions, au moyen âge, ce même privilége de mettre de l'art dans tout. Les maisons de Pompéï ne seraient guère confortables pour nous, gens du XIXe siècle; celles du XIIIe siècle en France ne le sont guère plus: qu'est-ce que cela fait à la question d'art? Les maisons de Pompéï nous charment parce qu'elles sont bien les demeures des habitants de la Campanie; celles de Cluny ou de Cordes ont les mêmes qualités. Mais que seront les nôtres pour les populations qui les verront dans six siècles, s'il en reste quelqu'une? Le confort est aujourd'hui le maître, nous l'admettons; alors soyons conséquents.

Est-il confortable d'élever à Marseille des maisons sur le modèle de celles de Paris, ou même de construire des façades exposées au nord pareilles à celles qui sont ouvertes vers le midi? Est-il confortable d'éclairer des pièces, petites et grandes, au moyen de fenêtres d'égales dimensions, d'avoir des trumeaux étroits pour de grandes salles, et larges pour des cabinets? Des portiques sur la rue, qui laissent pénétrer le soleil ou la pluie sur toute la largeur de leur pavé, sont-ils confortables? Est-ce une chose confortable que cette division multipliée des pièces sur une surface peu étendue, qui fait que la vie intérieure se passe à ouvrir et fermer des portes, et qu'on ne sait où placer les meubles les plus indispensables. Et ces étages de moins de trois mètres de hauteur, sous plafond, sont-ils sains et confortables? Ces murs minces, ces toits en zinc qui soumettent les intérieurs à toutes les variations de la température, cette absence de saillies devant les façades qui laisse les baies exposées tout le jour au soleil, sont-ce là des choses confortables? Allons aux champs, c'est bien pis! La petite maison blanche, aux murs minces comme du carton, aux toits couverts de feuilles de zinc, aux fenêtres fermant mal, aux rez-de-chaussées humides, aux planchers qui crient, aux escaliers qui crient, aux cuisines répandant une odeur nauséabonde dans l'intérieur, mais qui, à l'extérieur, paraît un beau petit, pavillon carré, brillant au soleil; cette habitation est-elle confortable? Le château moderne avec ses tourelles, ses toits ornés, des placages de briques et de pierres qui prétendent imiter la vieille construction... ce château est-il confortable? Non point. Tout cela est apparence: les tourelles sont accrochées avec du fer; les toits compliqués, couverts avec des moyens économiques, mais garnis de crêtes à jour en zinc, laissent filtrer les eaux dans les intérieurs; les murs trop minces craquent; les planchers, trop faibles pour leurs portées, fléchissent. Les écoulements d'eau sont insuffisants; les cheminées fument parce que les âtres sont larges comme il convient dans un château, et que les tuyaux sont étroits puisqu'ils passent dans des murs minces. Partout les porte-à-faux produisent des lézardes, parce qu'on a demandé de grandes pièces à rez-de-chaussée, et que les étages supérieurs sont divisés à l'infini par des cloisons. Des cheminées portent sur le milieu des planchers. Nous n'en finirions pas si nous voulions énumérer toutes les misères plus ou moins secrètes du château moderne; misères qui se révèlent de temps à autre par quelque procès intenté à l'architecte complaisant qui n'a fait, au total, que ce qu'on lui a demandé. Sur son refus d'ailleurs ne s'en serait-il pas trouvé dix autres?

Les maisons du moyen âge étaient faites pour les habitudes de ceux qui les élevaient; de plus, elles sont toujours sagement et simplement construites. Chaque besoin est indiqué par une disposition particulière: la porte n'est pas faite pour plaire aux regards du passant, mais pour celui qui entre dans la maison. La fenêtre n'est pas disposée avec un art symétrique, mais elle éclaire la pièce qu'elle est destinée à éclairer, et elle prend la dimension qui convient à cette pièce. L'escalier n'est point caché, mais apparent. La façade est abritée si cela est nécessaire. La sculpture est rare, mais les planchers sont bons et solides, les murs d'une épaisseur suffisante. Dans les provinces méridionales, les fenêtres sont petites; dans celles du nord, elles sont nombreuses et larges. D'ailleurs, pour la maison du bourgeois, le programme diffère peu. Toujours la salle à chaque étage avec escalier intérieur, ou, plus souvent, sur le derrière avec petite cour. Cela n'est pas confortable pour nous, c'est accordé; mais cette disposition convenait aux habitudes du temps où, même dans le château, la famille, c'est-à-dire les proches et les serviteurs, se réunissaient dans la même pièce autour du maître. Le programme étant donné, les architectes y ont satisfait pleinement, ce qui nous permet de supposer qu'ils eussent satisfait également à tout autre programme, voire à ceux d'aujourd'hui.

Si, dans une ville du nord, commerçante et populeuse, nous cherchons des maisons construites sur un programme semblable à celui qui faisait élever celles de Saint-Antonin, de Cordes, de Sarlat, datant de 1230 à 1300, nous en trouvons quelques-unes à Beauvais, à Soissons, à Amiens, très-mutilées, il est vrai, mais qui laissent encore voir leur système de structure. C'est toujours la grande salle à chaque étage sur la rue; mais dans les villes du nord, l'architecture civile est plus large, plus monumentale. Les maisons se ressentent de l'esprit des communes ayant reconquis leurs priviléges. Examinons, par exemple, cette maison dont on voit encore de beaux fragments dans la rue Saint-Martin, à Amiens, et qui rappelle par son style les maisons de Beauvais et de Soissons de la même époque (9 bis); elle date de 1230 à 1240, comme celle de Saint-Antonin.

124124 Hist. Franc. Lib. IV, cap. XXXVI.
125125 Ibid. Lib. VIII, cap. XLII.
126126 La figure 1 reproduit une maison sculptée sur un chapiteau de l'église de Vézelay, antérieur à la reconstruction du commencement du XIIe siècle. La figure 2 donne une maison copiée sur un chapiteau du cloître de Moissac (XIIe siècle).
127127 Lettre XXII.
128128 Il faut dire toutefois que l'élément slave a modifié profondément ces constructions dans le Tyrol; cependant on y reconnaît encore la trace de ces charpentes indo-germaniques, caractérisées dans les monuments manuscrits.
129129 D'après des plans recueillis particulièrement en Bourgogne, dans le Nivernais et la haute Champagne.
130130 Cette disposition est fréquente dans les contrées où la pierre est belle et abondante, comme en Bourgogne et la haute Champagne; elle était adoptée, bien entendu, lorsque les maisons appartenaient à des particuliers n'ayant pas besoin de boutiques sur la rue. On voit des restes de ces maisons avec escalier et palier fermé à Vézelay, à Montréale (Yonne). Nous avons également pu reconnaître ces dispositions dans des habitations de Montbar, de Semur, de Châtillon-sur-Seine, d'Arc-en-Barrois, de Château-Villain, de Joinville. Il existe encore des rez-de-chaussées de ce genre parfaitement conservés dans certaines villes d'Italie et particulièrement à Viterbe (voyez l'Architecture civile et domestique de MM. Verdier et Cattois).
131131 L'usage de laisser les portes des rez-de-chaussées ouvertes dans les temps tranquilles, et lorsque la température n'était pas trop rude, est un usage antique qui s'est perpétué très-tard. Ces portes étaient alors simplement masquées par un rideau. Les vignettes des manuscrits et les vitraux indiquent toujours ce genre de fermeture.
132132 Ayant trouvé quantité de ces rez-de-chaussées de maisons du XIIe siècle surmontés d'étages modernes en maçonnerie, nous avons été induit à penser que les premiers étages étaient construits légèrement dans l'origine. C'est alors qu'examinant les têtes des murs de refend qui seules restaient anciennes dans ces constructions, nous avons pu constater la trace des pans de bois de face portés en encorbellement et affleurant la saillie de ces sortes de contre-forts élevés sur le prolongement des murs mitoyens.
133133 Nous avons trouvé des traces de ces peintures sur des bois déposés et reposés dans des constructions des XIVe et XVe siècles, particulièrement sur des chevrons de combles retaillés.
134134 Hist. Franc. Lib. IX, cap. XXXVIII.
135135 Voy. l'Architecture domestique de MM. Verdier et Cattois. M. Verdier a relevé quelques-unes de ces jolies maisons.
136136 Nous citerons parmi ces bastides bâties d'un seul jet, de 1260 à 1330, celles d'Aigues-Mortes, de Carcassonne (ville basse), de Libourne, de Villeneuve-d'Agen, de Villefranche-de-Rouergue, de Montflanquin, de Valence, de Castillonnès, de Sauveterre, de Puyguilhem, de La Sauvetat, de Villeréal en Agénais, de Villefranche-de-Belvès, de La Linde, de Beaumont, de Domme, de Sainte-Foy (Gironde), de Ville-franche-de-Longchapt, de Molières et de Montpazier dans le bas Périgord; de Mont-Ségur, de Belin, de Cadillac, de Saint-Osbert, de Créon, dans les environs de Bordeaux (voy, les articles sur l'Architec. civile du moyen âge, par MM. Félix de Verneilh et Victor Petit; Annales archéologiques, t. VI, X, XI et XII.) Dans le nord de la France, nous citerons encore les villes de Villeneuve-le-Roi, de Villeneuve-l'Archevêque; toutes ces bastides présentent des plans réguliers tirés au cordeau, avec places, marchés, églises, fontaines et remparts, maisons avec ou sans allées couvertes, mais bâties d'après un lotissement égal. Nous savons que ces faits dérangent quelque peu les théories sur l'irrégularité et le désordre systématiques que l'on prête aux constructions civiles du moyen âge; mais nous ne pouvons qu'engager les archéologues à visiter ces localités, s'ils veulent prendre une idée de ce qu'était une petite ville du XIIIe siècle, élevée, sur un plan arrêté, dans un espace de temps très-court. Comme le dit si bien M. F. de Verneilh: «Dans la seconde moitié du XIIIe siècle et dans une région très-limitée de la France, en Guienne et en Languedoc, cinquante villes peut-être se sont fondées sans que nos historiens aient donné la moindre attention à cette grande oeuvre de civilisation et de progrès. Au moins vingt de ces bastides, les plus récentes et les plus parfaites, sont dues à la domination anglaise, et l'histoire des Sismondi et des Guizot ne parle pas de ce bienfait toujours actuel, quoiqu'il date de six siècles. Si, au lieu de fonder tant de villes, Édouard Ier en avait violemment détruit une seule, tous nos livres retentiraient encore de ce fait d'armes. Mais l'histoire du moyen âge est ainsi faite...» Ajoutons que ces renseignements précieux, recueillis par un de nos plus savants archéologues français, ne paraissent pas avoir été consultés par M. Champollion-Figeac, qui, s'étendant longuement sur les constructions urbaines du moyen âge dans son traité des Droits et usages, et entamant la question d'architecture sans avoir eu le loisir d'aller visiter quelques-unes de ces constructions civiles, nous demande où nous avons pris les plans d'Aigues-Mortes, de Villeneuve-le-Roi, de Sainte-Foy et de Montpazier! et si l'exécution répondit aux projets! qui nous demande encore de lui démontrer l'ancienneté des maisons de la ville de Cluny... Mais ne pourrions-nous, avec bien plus de raison, lui demander de nous démontrer l'authenticité des textes qu'il prend la peine de transcrire? Ces villes sont debout, habitées, et en quelques jours chacun peut les voir avec leurs vieilles rues alignées, les restes de leurs remparts, leurs places et leurs églises; quant aux projets de leur plantation, il serait intéressant de les retrouver sans doute, bien que cette découverte ne pût rien ajouter à l'importance du fait de l'existence de ces villes qui, depuis six siècles, n'ont pas cessé d'être habitées.
137137 On observera que cet usage s'est conservé à Londres.
138138 Saint Louis acheta du comte de Toulouse la ville de Saint-Antonin, moyennant 1,500 livres tournois. La maison que nous donnons est un peu postérieure à l'époque de cette acquisition.
139139 Voir l'ouvrage de M. Champollion-Figeac, Droits et usages, déjà cité. Si un homme d'une érudition profonde partage ces préjugés, on ne doit pas s'étonner de les voir répandus dans le vulgaire.