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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5 - (D - E- F)

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L'élévation latérale (24) indique la pente du plateau de craie, son escarpement fait à main d'homme, la position des souterrains communiquant avec le château et les niveaux différents des parapets des deux chemises, ainsi que le commandement de la tour principale. Tout, dans cette construction entièrement dépourvue d'ornements, est profondément calculé au point de vue de la défense. Le renforcement des murs des deux chemises, à mesure que ces murs prennent plus d'élévation et se rapprochent du point attaquable, la disposition des éperons destinés à résister à la sape et à recevoir un nombre considérable de défenseurs à l'extrémité du saillant en face la partie dominante du plateau, la manière dont les poternes sont disposées de façon à être masquées pour les assaillants, tout cela est fort sagement conçu et exécuté avec soin. Ici la règle «ce qui défend doit être défendu» est parfaitement observée. Les constructions sont bien faites, en moellons avec arêtes, arcs et pieds-droits en pierre de taille. Dans cette bâtisse, pas un profil, pas un coup de ciseau inutile; celui qui l'a commandée et celui qui l'a exécutée n'ont eu que la pensée d'élever sur ce promontoire un poste imprenable; l'artillerie moderne seule peut avoir raison de cette petite forteresse.



Il est certain que les seigneurs féodaux qui habitaient ces demeures devaient y mourir d'ennui, lorsqu'ils étaient obligés de s'y renfermer (ce qui arrivait souvent); aussi ne doit-on pas s'étonner si, à la fin du XIe siècle et pendant le XIIe, ils s'empressèrent de se croiser et de courir les aventures en terre sainte. Pendant les longues heures de loisir laissées à un châtelain enfermé dans un de ces tristes donjons, l'envie, les sentiments de haine et de défiance devaient germer et se développer sans obstacles; mais aussi, dans les âmes bien faites, les résolutions généreuses, mûries, les pensées élevées devaient se faire jour: car si la solitude est dangereuse pour les esprits faibles, elle développe et agrandit. les coeurs bien nés. C'est, en effet, du fond de ces sombres donjons que sont sortis ces principes de chevalerie qui ont pris dans l'histoire de notre pays une si large part, et qui, malgré bien des fautes, ont contribué à assurer sa grandeur. Respectons ces débris; s'ils rappellent des abus odieux, des crimes même, ils conservent l'empreinte de l'énergie morale dont heureusement nous possédons encore la tradition.



On observera que les donjons romans que nous avons reproduits jusqu'à présent ne sont pas voûtés à l'intérieur, mais que leurs étages sont habituellement séparés par des planchers de bois; les défenseurs admettaient qu'un étage inférieur étant pris, la défense pouvait encore se prolonger et la garnison reprendre l'offensive. L'assaillant avait cependant un moyen bien simple de s'emparer de la forteresse s'il parvenait à pénétrer dans les étages bas: c'était de mettre le feu aux planchers. Les assiégés devaient déployer une bien grande activité s'ils voulaient empêcher cette catastrophe. Il est certain que ce moyen fut souvent employé par des assaillants; aussi pensa-t-on bientôt à voûter au moins les étages inférieurs des donjons.



Il existe encore à Provins un donjon bâti sur le point culminant de cette ville, si curieuse par la quantité d'édifices publics et privés qu'elle renferme: c'est la tour dite de

César

, ou la

Tour-le-Roi

, ou

Notre-Sire-le-Roi

. C'est un véritable donjon dont relevaient la plupart des fiefs du domaine de Provins, et qui fut construit vers le milieu du XIIe siècle. Le donjon de Provins présente en plan un octogone à quatre côtés plus petits que les quatre autres, les petits côtés étant flanqués de tourelles engagées à leur base, mais qui, se détachant du corps de la construction dans la partie supérieure, permettent ainsi de battre tous les alentours. Ce donjon pouvait être garni d'un grand nombre de défenseurs, à cause des différents étages en retraite et de la position flanquante des tourelles.









Voici (25) le plan du rez-de-chaussée de ce donjon dont la base fut terrassée, au XVe siècle, par les Anglais, pour recevoir probablement de l'artillerie à feu. En C, on voit la place qu'occupe ce terrassement. En P est un puits auquel on descend par une rampe dont l'entrée est en F. En G, un four établi au XVe siècle; en H, une ancienne chapelle.









La fig. 26 donne le plan du premier étage de ce donjon; c'est seulement au niveau de cet étage que l'on trouvait quatre poternes I mises en communication avec la chemise extérieure au moyen de ponts volants. D'un côté, au sud, l'un de ces ponts volants, tombant sur une chaussée détournée, correspondait au mur de prolongement D aboutissant à la porte de Paris et mettant le parapet de la chemise en communication avec le chemin de ronde de ce rempart. Par l'escalier à vis K, on montait aux chemins de ronde supérieurs indépendants du logis. Il fallait du premier étage descendre au rez-de-chaussée, qui n'avait avec les dehors aucune communication. On trouve dans l'épaisseur du mur du rez-de-chaussée un assez vaste cachot qui, dit-on, servit de prison à Jean le Bon, duc de Bretagne. Le premier étage présente un grand nombre de réduits, de pièces séparées propres au logement des chefs. On pouvait du premier étage, par les quatre poternes I, se répandre facilement sur le chemin de ronde de la chemise, terrassée aujourd'hui.



Le second étage (27) fait voir, en K, l'arrivée de l'escalier à vis; en L, les chemins de ronde crénelés auxquels on arrive par les petites rampes doubles N; en M, les quatre tourelles flanquantes. Ici, comme à Chambois, un chemin de ronde voûté en berceau se trouve sous le crénelage supérieur.









La coupe (28), faite sur la ligne AB des plans du rez-de-chaussée et du premier étage, indique la descente au puits, les poternes percées à des niveaux différents, celle de droite, principale (puisqu'elle est percée en face le chemin d'arrivée), n'étant pas en communication directe avec la salle intérieure du premier étage. À mi-hauteur du premier étage, on voit un crénelage défendant les quatre faces principales; puis, à la hauteur du second étage, le chemin de ronde voûté en berceau et le crénelage supérieur dont les crénelages sont munis de hourds saillants débordant les tourelles. Aujourd'hui, la construction est à peu près détruite à partir du niveau XX. La position des hourds en bois des quatre faces supérieures ne paraît pas douteuse; on ne s'expliquerait pas autrement la retraite ménagée au-dessus du chemin de ronde de l'entre-sol, retraite qui paraît avoir été destinée à porter les pieds des grands liens de ces hourds, assez saillants pour former mâchicoulis en avant du chemin de ronde supérieur. Ces hourds, ainsi disposés, flanquent les tourelles qui, elles-mêmes, flanquent les faces.









Une élévation intérieure (29), en supposant le mur de la chemise coupé suivant la ligne RS du plan, fig. 26, explique la disposition des poternes avec les ponts volants C, ainsi que les étages de défenses superposées avec les hourds de bois. Le donjon de Provins est bâti avec grand soin. Au XVIe siècle, ces ponts volants n'existaient plus; le mur de la chemise, dérasé, terrassé, laissait le seuil des poternes à quelques mètres au-dessus du niveau de la plate-forme, et on n'entrait dans le donjon que par des échelles

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        25



          Voy. l'excellent ouvrage de M. Félix Bourquelot sur l'

Hist. de Provins

. Provins, 1839. T. I, p. 305 et suivantes.



. Le rez-de-chaussée et le premier étage, ainsi que le fait voir la coupe (fig. 28), sont voûtés, la voûte supérieure étant percée d'un oeil afin de permettre de hisser facilement des projectiles sur les chemins de ronde supérieurs et de donner des ordres du sommet aux gens postés dans la salle du premier étage.



Le principal défaut de ces forteresses, en se reportant même au temps où elles ont été bâties, c'est la complication des moyens défensifs, l'exiguïté des passages, ces dispositions de détail multipliées, ces chicanes qui, dans un moment de presse, ralentissaient l'action de la défense, l'empêchaient d'agir avec vigueur et promptitude sur un point attaqué. Ces donjons des XIe et XIIe siècles sont plutôt faits pour se garantir des surprises et des trahisons que contre une attaque de vive force dirigée par un capitaine hardi et tenace. De ces sommets étroits, encombrés, on se défendait mal. Au moment d'une alerte un peu chaude, les défenseurs, par leur empressement même, se gênaient réciproquement, encombraient les chemins de ronde, s'égaraient dans les nombreux détours de la forteresse. Aussi, quand des princes devinrent assez puissants pour mettre en campagne des armées passablement organisées, nombreuses et agissant avec quelque ensemble, ces donjons romans ne purent se défendre autrement que par leur masse. Leurs garnisons, réduites à un rôle presque passif, ne pouvaient faire beaucoup de mal à des assaillants bien couverts par des mantelets ou des galeries, procédant avec méthode et employant déjà des engins d'une certaine puissance. Philippe-Auguste et son terrible adversaire, Richard-Coeur-de-Lion, tous deux grands preneurs de places, tenaces dans l'attaque, possédant des corps armés pleins de confiance dans la valeur de leurs chefs, excellents ingénieurs pour leur temps, firent une véritable révolution dans l'art de fortifier les places et particulièrement les donjons. Tous deux sentirent l'inutilité et le danger même, au point de vue de la défense, de ces détours prodigués dans les dernières forteresses romanes. Nous avons essayé de faire ressortir l'importance de la citadelle des Andelys, le Château-Gaillard, bâti sous la direction et sous les yeux de Richard

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        26



          Voy. CHÂTEAU, fig. 11 et 44.



; le donjon de cette forteresse est, pour le temps, une oeuvre tout à fait remarquable. Le premier, Richard remplaça les hourds de bois des crénelages par des mâchicoulis de pierre, conçus de manière à enfiler entièrement le pied de la fortification du côté attaquable.

 









La vue perspective (30) du donjon du Château-Gaillard, prise du côté de la poterne, explique la disposition savante de ces mâchicoulis, composés d'arcs portés sur des contre-forts plus larges au sommet qu'à la base et naissant sur un talus prononcé très-propre à faire ricocher les projectiles lancés par les larges rainures laissées entre ces arcs et le nu du mur.









Le plan (31) de ce donjon, pris au niveau de la poterne qui s'ouvre au premier étage, fait voir la disposition de cette poterne P, avec sa meurtrière enfilant la rampe très-roide qui y conduit et le large mâchicoulis qui la surmonte; les fenêtres ouvertes du côté de l'escarpement; l'éperon saillant A renforçant la tour du côté attaquable et contraignant l'assaillant à se démasquer; le front B développé en face la porte du château. Le degré C aboutissait à une poterne d'un accès très-difficile ménagée sur le précipice et s'ouvrant dans l'enceinte bien flanquée décrite dans l'article CHÂTEAU, fig. 11. Le donjon, dont le pied est entièrement plein et par conséquent à l'abri de la sape, se composait d'une salle ronde à rez-de-chaussée à laquelle il fallait descendre, d'un premier étage au niveau de la poterne P, d'un second étage au niveau des mâchicoulis avec chemin de ronde crénelé, d'un troisième étage en retraite, fermé, propre aux approvisionnements de projectiles, et d'un quatrième étage crénelé et couvert, commandant le chemin de ronde et les dehors au loin (fig. 30). Du côté de l'escarpement abrupt D, qui domine le cours de la Seine (fig. 31), les mâchicoulis étaient inutiles, car il n'était pas possible à des assaillants de se présenter sur ce point; aussi Richard n'en fit point établir. À l'intérieur, les divers étages n'étaient en communication entre eux qu'au moyen d'escaliers de bois traversant les planchers. Ainsi, dans ce donjon, rien de trop, rien d'inutile, rien que ce qui est absolument nécessaire à la défense. Cet ouvrage, à notre avis, dévoile, chez le roi Richard, un génie militaire vraiment remarquable, une étude approfondie des moyens d'attaque employés de son temps, un esprit pratique fort éloigné de la fougue inconsidérée que les historiens modernes prêtent à ce prince. Aujourd'hui les constructions sont dérasées à la hauteur de la naissance des mâchicoulis en O (fig. 30).



Cependant ce donjon fut pris par Philippe-Auguste, sans que les défenseurs, réduits à un petit nombre d'hommes, eussent le temps de s'y réfugier; ces défenses étaient encore trop étroites, l'espace manquait; il faut dire que cette tour ne doit être considérée que comme le réduit d'un ouvrage très-fort qui lui servait de chemise. Les portes relevées des donjons romans, auxquelles on ne pouvait arriver qu'au moyen d'échelles ou de rampes d'un accès difficile, étaient, en cas d'attaque vive, une difficulté pour les défenseurs aussi bien que pour les assiégeants, si ces défenseurs, à cause de la faiblesse de la garnison, se trouvaient forcés de descendre tous pour garder les dehors. Mais alors, comme aujourd'hui, toute garnison qui n'était pas en rapport de nombre avec l'importance de la forteresse était compromise, et ces réduits devaient conserver leur garnison propre, quitte à sacrifier les défenseurs des ouvrages extérieurs, si ces ouvrages étaient pris. À la prise du Château-Gaillard, Roger de Lascy, qui commandait pour le roi Jean sans Terre, ne possédant plus que les débris d'une garnison réduite par un siége de huit mois, avait dû se porter avec tout son monde sur la brèche de la chemise extérieure du donjon pour la défendre; ses hommes et lui, entourés par les nombreux soldats de Philippe-Auguste se précipitant à l'assaut, ne purent se faire jour jusqu'à cette rampe étroite du donjon: Roger de Lascy fut pris, et le donjon tomba entre les mains du vainqueur à l'instant même. Il semble que cette expérience profita à Philippe-Auguste, car lorsque ce prince bâtit le donjon du Louvre, il le perça d'une poterne presque au niveau du sol extérieur avec pont à bascule et fossé. Du donjon du Louvre il ne reste que des descriptions très-laconiques et des figurés fort imparfaits; nous savons seulement qu'il était cylindrique, que son diamètre extérieur était de vingt mètres et sa hauteur de quarante mètres environ. Philippe-Auguste paraît avoir considéré la forme cylindrique comme étant celle qui convenait le mieux à ces défenses suprêmes. Si le donjon du Louvre n'existe plus, celui du château de Rouen, bâti par ce prince, existe encore, du moins en grande partie, et nous donne un diminutif de la célèbre tour du Louvre dont relevaient tous les fiefs de France. Ce donjon était à cheval sur la courtine du château et possédait deux entrées le long des parements intérieurs de cette courtine. Ces entrées, peu relevées au-dessus du sol, étaient en communication avec de petits degrés isolés, sur la tête desquels tombaient des ponts à bascule.









Voici (32) le plan du rez-de-chaussée du donjon du château de Rouen. En AA' sont les deux poternes; en BB', les murs de la courtine dont on voit encore les arrachements. À côté de l'escalier à vis qui monte aux étages supérieurs sont des latrines, et en C est un puits. Ce rez-de-chaussée et le premier étage (33) sont voûtés; les murs ont près de quatre mètres d'épaisseur. Aujourd'hui (34)

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        27



          Nous devons ces figurés, plans, coupes et élévations, à l'obligeance de M. Barthélemy, architecte diocésain de Rouen.



, les constructions sont dérasées au niveau D, et nous n'avons, pour restaurer la partie supérieure, que des données insuffisantes.









Toutefois on doit admettre que cette partie supérieure comprenait, suivant l'usage, un étage sans plancher et l'étage de la défense avec son chemin de ronde muni de hourds portés sur des corbeaux de pierre. Le donjon du château de Rouen tenait à deux courtines, en interrompant absolument la communication d'un chemin de ronde à l'autre, puisque aucune issue ne s'ouvrait de l'intérieur du donjon sur ces chemins de ronde. Au Louvre, le donjon, planté au centre d'une cour carrée, était entièrement isolé et ne commandait pas les dehors suivant la règle ordinaire. Mais le Louvre tout entier pouvait être considéré comme un vaste donjon dont la grosse tour centrale était le réduit. Cependant la forme cylindrique, adoptée par Philippe-Auguste, était évidemment celle qui convenait le mieux à ce genre de défense, eu égard aux moyens d'attaque de l'époque. Ce prince pensait avec raison que ses ennemis emploieraient, pour prendre ses châteaux, les moyens que lui-même avait mis en pratique avec succès: or Philippe-Auguste avait eu à faire le siége d'un grand nombre de châteaux bâtis conformément au système normand, et il avait pu reconnaître, par expérience, que les angles des tours et donjons quadrangulaires donnaient toujours prise aux assaillants; car ces angles saillants, mal défendus, permettaient aux pionniers de s'attacher à leur base, de saper les fondations à droite et à gauche, et de faire tomber deux pans de mur. La forme cylindrique ne donnait pas plus de prise sur un point que sur un autre, et, admettant que les pionniers pussent saper un segment du cercle, il fallait que ces excavations fussent très-étendues pour faire tomber une tranche du cylindre: de plus, Philippe-Auguste, ainsi que le fait voir le plan du donjon du château de Rouen, donnait aux murs de ses donjons cylindriques une épaisseur énorme comparativement à leur diamètre; il était avare d'ouvertures, renonçait aux planchers de bois inférieurs afin d'éviter les chances d'incendie. Ce système prévalut pendant le cours du XIIIe siècle.



Le donjon du Louvre était à peine bâti et Philippe-Auguste dans la tombe, que le seigneur de Coucy, Enguerrand III, prétendit élever un château féodal dont le donjon surpassât de beaucoup, en force et en étendue, l'oeuvre de son suzerain. Cette entreprise colossale fut conduite avec une activité prodigieuse, car le château de Coucy et son donjon, commencés sitôt après la mort de Philippe-Auguste en 1223, étaient achevés en 1230 (voy. CHÂTEAU, CONSTRUCTION). Le donjon de Coucy est la plus belle construction militaire du moyen âge qui existe en Europe, et heureusement elle nous est conservée à peu près intacte. Auprès de ce géant, les plus grosses tours connues, soit en France, soit en Italie ou en Allemagne, ne sont que des fuseaux. De plus, cette belle tour nous donne de précieux spécimens de la sculpture et de la peinture du commencement du XIIIe siècle appliqués aux résidences féodales. Les plans que nous avons donnés du château de Coucy à l'article CHÂTEAU, fig. 16, 17 et 18, font assez connaître l'assiette de la forteresse pour qu'il ne soit pas nécessaire de revenir ici sur cet ensemble de constructions militaires. Nous nous occuperons exclusivement ici du donjon, en renvoyant nos lecteurs à l'article précité, pour l'explication de ses abords, de sa chemise, de ses défenses, de ses issues extérieures et de son excellente assiette, si bien choisie pour commander les dehors de la forteresse du côté attaquable, pour protéger les défenses du château lui-même. Le diamètre de l'énorme tour, non compris le talus inférieur, a trente mètres cinquante centimètres hors oeuvre; sa hauteur, du fond du fossé dallé au sommet, non compris les pinacles, est de cinquante-cinq mètres.









Voici (35) le plan du rez-de-chaussée du donjon de Coucy. La poterne est en A; c'est l'unique entrée défendue par un pont à bascule très-adroitement combiné (voy. POTERNE), par un mâchicoulis, une herse, un ventail barré, un second ventail au delà de l'entrée de l'escalier et une grille. Une haute chemise en maçonnerie protége la base du donjon du côté des dehors, et, entre cette chemise et la tour, est un fossé de huit mètres de largeur, entièrement dallé, dont le fond est à cinq mètres en contre-bas du seuil de la poterne. Le couloir d'entrée permet de prendre à droite une rampe aboutissant à un large escalier à vis qui dessert tous les étages. En se détournant à gauche, on arrive à des latrines B. En D est un puits très-large, qui n'a pas encore été vidé, mais qui, dans l'état actuel, n'a pas moins de trente mètres de profondeur. De plain-pied, par le couloir de la poterne, on entrait dans une salle à douze pans percés de douze niches à double étage pour pouvoir ranger des provisions et des armes; une de ces niches, la seconde après le puits, sert de cheminée. Cette salle, éclairée par deux fenêtres carrées très-relevées au-dessus du sol, était voûtée au moyen de douze arcs aboutissant à une clef centrale percée d'un oeil, pour permettre de hisser au sommet les armes et engins de défense. Nous avons fait, au centre de cette salle, une fouille, afin de reconnaître s'il existait un étage souterrain; mais la fouille ne nous a montré que le roc à une assez faible profondeur, de sorte que les pionniers qui seraient parvenus à percer le cylindre au niveau du fond du fossé auraient pu cheminer sans rencontrer de vide nulle part. On remarquera que, du fond des niches à la circonférence de la tour, la maçonnerie n'a pas moins de cinq mètres cinquante centimètres.

 









L'escalier à vis nous conduit au premier étage (36), voûté comme le rez-de-chaussée, possédant des niches, trois fenêtres, des latrines et une cheminée E avec un four par-derrière. Au-dessous de l'une des baies de fenêtres, on établit, au XVe siècle, un cabinet avec passage particulier; cette modification est indiquée au plan par une teinte grise. Au fond d'une des niches de droite est percé un couloir étroit aboutissant à un pont volant D communiquant avec le chemin de ronde de la chemise (voy. la description du château à l'article CHÂTEAU, fig. 17).









Reprenant l'escalier à vis, nous montons au second étage (37), qui nous présente l'une des plus belles conceptions du moyen âge. Cet étage, voûté comme ceux du dessous, se composait d'une salle dodécagone entourée d'une galerie relevée de 3m,30 au-dessus du pavé de cette salle et formant ainsi un large portique avec balcons disposés pour réunir toute la garnison sur un seul point, en permettant à chacun d'entendre les ordres généraux et de voir le commandant placé au centre. Deux fenêtres et l'oeil central éclairaient cette salle. Sous les balcons, en G, sont des niches qui ajoutent à la surface de la salle. L'escalier à vis est disposé de façon à donner entrée à droite et à gauche dans le portique.









Le troisième étage (38) est à ciel ouvert, percé de nombreuses meurtrières et de créneaux; des corbeaux en pierre, formant une forte saillie à l'extérieur, étaient destinés à supporter un double hourdage en bois, propre à la défense. La voûte centrale était couverte de plomb ainsi que celles du portique. Les créneaux, fermés par des arcs brisés, sont surmontés d'une belle corniche à doubles crochets avec larmier.









Une coupe de ce donjon (39), faite sur OP, explique mieux que toute description les dispositions grandioses de la grosse tour du château de Coucy. Nous avons représenté, au sommet, une partie des hourds à double défense, posés sur les corbeaux de pierre. Quatre grands pinacles en pierre avec fleurons et crochets surmontaient le chaperon supérieur du mur crénelé; ces pinacles sont indiqués dans la gravure de Ducerceau, et, dans les décombres extraits du fossé, nous en avons retrouvé des fragments d'un beau style du commencement du XIIIe siècle. Tout, dans ce donjon, est bâti sur une échelle plus grande que nature; les allèges des créneaux, les marches des escaliers, les bornes, les appuis semblent faits pour des hommes d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Les salles étaient entièrement peintes à l'intérieur, sur un enduit mince à la chaux, recouvrant l'appareil qui est grossier (voy. PEINTURE). La maçonnerie, élevée en assises régulières de 0,40 c. à 0,50 c. de hauteur, est bien faite; le mortier excellent, les lits épais et bien remplis. La sculpture est traitée avec un soin particulier et des plus belles de cette époque; elle est complétement peinte.



L'ingénieur Métezeau, qui fut chargé par le cardinal Mazarin de détruire le château de Coucy, voulut faire sauter le donjon. À cet effet, il chargea, au centre, à deux mètres au-dessous du sol, un fourneau de mine dont nous avons retrouvé la trace. Il pensait ainsi faire crever l'énorme cylindre; mais l'explosion n'eut d'autre résultat que d'envoyer les voûtes centrales en l'air et d'occasionner trois principales lézardes dans les parois du tube de pierre. Les choses restèrent en cet état jusqu'à ces derniers temps. De nouveaux mouvements ayant fait craindre l'écroulement d'une des tranches de la tour lézardée, des travaux de restauration furent entrepris sous la direction des Monuments historiques dépendant du ministère d'État, et aujourd'hui cette belle ruine est à l'abri des intempéries; les lézardes ont été reprises à fond, les parties écrasées consolidées. Si les voûtes étaient rétablies, on retrouverait le donjon d'Enguerrand III dans toute sa splendeur sauvage. La disposition vraiment originale du donjon de Coucy est celle de ce second étage destiné à réunir la garnison.









Nous essayons d'en donner une faible idée dans la fig. 40. Qu'on se représente par la pensée un millier d'hommes d'armes réunis dans cette rotonde et son portique disposé comme des loges d'une salle de spectacle, des jours rares éclairant cette foule; au centre, le châtelain donnant ses ordres, pendant qu'on s'empresse de monter, au moyen d'un treuil, des armes et des projectiles à travers les oeils des voûtes. Ou encore, la nuit, quelques lampes accrochées aux parois du portique, la garnison sommeillant ou causant dans ce vaste réservoir d'hommes; qu'on écoute les bruits du dehors qui arrivent par l'oeil central de la voûte, l'appel aux armes, les pas précipités des défenseurs sur les hourds de bois, certes on se peindra une scène d'une singulière grandeur. Si loin que puisse aller l'imagination des romanciers ou des historiens chercheurs de la

couleur locale

, elle leur représentera difficilement ce que la vue de ces monuments si grands et si simples dans leurs dispositions rend intelligible au premier coup d'oeil. Aussi conseillons-nous à tous ceux qui aiment à vivre quelquefois dans le passé d'aller voir le donjon de Coucy, car rien ne peint mieux la féodalité dans sa puissance, ses moeurs, sa vie toute guerrière, que cet admirable débris du château d'Enguerrand.



Les donjons normands sont des logis plus ou moins bien défendus, élevés par la ruse et la défiance; les petits moyens sont accumulés pour dérouter l'assaillant: ce sont des tanières plutôt que des édifices. Au fond, dans ces forteresses, nulle disposition d'ensemble, mais force expédients. Le donjon normand tient encore de la demeure du sauvage rusé; mais, à Coucy, on reconnaît la conception méthodique de l'homme civilisé qui sait ce qu'il veut et dont la volonté est puissante; ici plus de tâtonnements: la forteresse est bâtie rapidement, d'un seul jet; tout est prévu, calculé, et cela avec une ampleur, une simplicité de moyens faites pour étonner l'homme indécis de notre temps.



Cependant, au XIIIe siècle déjà, la féodalité perdait ces moeurs héroïques, peut-on dire, dont Enguerrand III est le dernier et le plus grand modèle. Ces demeures de géants ne pouvaient convenir à une noblesse aimant ses aises, politiquement affaiblie, ruinée par son luxe, par ses luttes et ses rivalités, prévoyant la fin de sa puissance et incapable de la retarder. Les grands vassaux de saint Louis et de Philippe le Hardi n'étaient plus de taille à construire de pareilles forteresses; ils ne pouvaient se résoudre à passer les journées d'un long siége dans ces grandes salles voûtées, à peine éclairées, en compagnie de leurs hommes d'armes, partageant leur pain et leurs provisions. Chose digne de remarque, d'ailleurs, le donjon normand est divisé en un assez grand nombre de chambres; le seigneur peut y vivre seul; il cherche à s'isoler des siens, et même, au besoin, à se garantir d'une trahison. Le donjon de Philippe-Auguste, dont Coucy nous présente le spécimen le plus complet, est la forteresse dernière, le réduit d'un corps armé, agissant avec ensemble, mu par la pensée d'unité d'action. La tour est cylindrique; cette forme de plan seule indique le système de défense partant d'un centre, qui est le commandant, pour se répandre suivant le besoin et rayonner, pour ainsi dire. C'est ainsi qu'on voit poindre chez nous, en pleine féodalité, ce principe de force militaire qui réside, avant tout, dans l'unité du commandement et la confiance des soldats en leur chef suprême. Et ce principe, que Philippe-Auguste avait si bien compris et mis en pratique, ce principe admis par quelques grands vassaux au commencement du XIIIe siècle, la féodalit