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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite)

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Mais nous voici bien loin de nos maîtres des oeuvres du moyen âge. Retournons à eux, d'autant qu'ils ne se doutaient guère, probablement, qu'il fallût un jour noircir tant de papier, dans leur propre pays, pour essayer de faire apprécier leurs efforts et leurs progrès. En avance sur leur siècle, par l'étendue de leurs connaissances, et plus encore par leur indépendance comme artistes; dédaignés par les siècles plus éclairés, qui n'ont pas voulu se donner la peine de les comprendre, en vérité leur destinée est fâcheuse. Le jour de la justice ne viendra-t-il jamais pour eux?

Les besoins de la construction civile sont beaucoup plus variés que ceux de la construction religieuse; aussi l'architecture civile fournit-elle aux architectes du moyen âge l'occasion de manifester les ressources nombreuses que l'on peut trouver dans les principes auxquels ils s'étaient soumis. Il est nécessaire de bien définir ces principes, car ils ont une grande importance. L'architecture des Romains (non celle des Grecs, entendons-nous bien 43) est une structure revêtue d'une décoration qui devient ainsi, par le fait, l'architecture, l'architecture visible. Si l'on relève un monument romain, il faut faire deux opérations: la première consiste à se rendre compte des moyens employés pour élever la carcasse, la construction, l'édifice véritable; la seconde, à savoir comment cette construction a pris une forme visible plus ou moins belle, ou plus ou moins bien adaptée à ce corps. Nous avons rendu compte ailleurs de cette méthode 44. Ce système possède ses avantages, mais il n'est souvent qu'un habile mensonge. On peut étudier la construction romaine indépendamment de l'architecture romaine, et ce qui le prouve, c'est que les artistes de la renaissance ont étudié cette forme extérieure sans se rendre compte du corps qu'elle recouvrait. L'architecture et la construction du moyen âge ne peuvent se séparer, car cette architecture n'est autre chose qu'une forme commandée par cette construction même. Il n'est pas un membre, si infime qu'il soit, de l'architecture gothique, à l'époque où elle passe aux mains des laïques, qui ne soit imposé par une nécessité de la construction; et si la structure gothique est très-variée, c'est que les besoins auxquels il lui faut se soumettre sont nombreux et variés eux-mêmes. Nous n'espérons pas faire passer sous les yeux de nos lecteurs toutes les applications du système de la construction civile chez les gens du moyen âge; nous ne pouvons prétendre non plus tracer à grands traits les voies principales suivies par ce système; car l'un des caractères les plus frappants de l'art comme des moeurs du moyen âge, c'est d'être individuel. Si l'on veut généraliser, on tombe dans les plus étranges erreurs, en ce sens que les exceptions l'emportent sur la règle; si l'on veut rendre compte de quelques-unes de ces exceptions, on ne sait trop quelles choisir, et on rétrécit le tableau. On peut, nous le croyons, faire ressortir les principes, qui sont simples, rigoureux, et chercher parmi les applications celles qui expriment le mieux et le plus clairement ces principes.

Les quelques exemples que nous avons donnés mettent en lumière, nous en avons l'espoir, les conséquences du principe admis par les architectes laïques du moyen âge: apparence des moyens employés dans la structure des édifices, et apparence produisant réellement l'architecture, c'est-à-dire la forme visible; solution des problèmes donnés, par les lois naturelles de la statique, de l'équilibre des forces, et par l'emploi des matériaux en raison de leurs propriétés; acceptation de tous les programmes, quelle que soit leur variété, et assujettissement de la construction à ces programmes, par suite de l'architecture elle-même, puisque cette architecture n'est que l'apparence franchement admise de cette construction. Avec ces principes médités, avec quelques exemples choisis parmi les applications de ces principes, il n'est pas un architecte qui ne puisse construire comme les maîtres du moyen âge, procéder comme eux et varier les formes en raison des besoins nouveaux qui naissent perpétuellement au milieu d'une société comme la nôtre, puisque chaque besoin nouveau doit provoquer une nouvelle application du principe. Si l'on nous accuse de vouloir faire rétrograder notre art, il est bon que l'on sache du moins comment nous entendons le ramener en arrière; la conclusion de tout ce que nous venons de dire étant: «Soyez vrais.» Si la vérité est un signe de barbarie, d'ignorance, nous serons heureux d'être relégués parmi les barbares et les ignorants, et fiers d'avoir entraîné quelques-uns de nos confrères avec nous.

Les encorbellements jouent un rôle important dans les constructions civiles, nous en avons donné plus haut la raison; il nous reste à suivre les applications variées de cette méthode. Il existe dans la partie de la Champagne qui touche à la Bourgogne, et vice versâ, des maisons, très-simples d'ailleurs, construites pendant les XIIIe et XIVe siècles, qui portent pignon sur rue, et se composent, à l'extérieur, d'une sorte de porche avec balcon au-dessus, abrité par un comble très-saillant. Tout le système ne se compose que d'encorbellements adroitement combinés.


Ainsi (134), les murs goutterots portent un premier encorbellement en retour d'équerre, destiné à soutenir un poitrail recevant les bouts des solives du plancher du premier étage portant aussi sur le mur en retraite. Ce poitrail est surmonté d'un garde-corps. Un second encorbellement A donne aux murs goutterots une saillie qui protège le balcon et reçoit une ferme de pignon disposée de façon à porter le plancher du grenier et à permettre l'introduction des provisions dans ce grenier. La clôture en retraite à l'aplomb du mur de rez-de-chaussée n'est qu'un pan de bois hourdé.



Observons que le second encorbellement A (134 bis) laisse, au-dessus de sa dernière assise H, une portion de mur vertical HI, afin de charger les queues de pierres en encorbellement par une masse de maçonnerie. En arrière est le pan de bois G, qui clôt le premier étage. Pour éviter à la masse en encorbellement toute chance de bascule, les doubles sablières N qui portent le comble et qui couronnent les murs goutterots sur toute leur longueur, sont armées à leur extrémité de fortes clefs O qui maintiennent la tête des encorbellements. Cette disposition si simple se retrouve dans beaucoup de maisons de paysans (voy. MAISON).

Mais voyons maintenant comment, dans des bâtisses plus riches, plus compliquées, plus importantes, les constructeurs arrivent à se servir des encorbellements avec adresse, en se soumettant à des dispositions commandées par un besoin particulier. Il s'agit de percer une porte dans l'angle rentrant formé par deux bâtiments qui se coupent à angle droit, disposition assez commode, d'ailleurs, et qui était souvent commandée par les habitants d'un manoir ou d'une maison; de faire que cette porte donne entrée dans les salles du rez-de-chaussée à droite et à gauche, puis au premier étage; de supprimer le pan coupé dans lequel s'ouvre la porte, de retrouver l'angle droit formé par la rencontre des murs de face, dont l'un des deux, au moins, fera mur de refend en se prolongeant, et d'établir alors, au-dessus de cette porte et dans l'angle rentrant, un escalier de service communiquant du premier étage aux étages supérieurs. À force de ferrailles recouvertes de plâtre, on arriverait facilement aujourd'hui à satisfaire à ce programme. Mais s'il ne faut point mentir à la construction, la chose devient moins aisée.



Soit donc (135) le plan A du rez-de-chaussée de cette construction et le plan B du premier étage. On voit, en C, la porte qui s'ouvre dans le pan coupé; en D, les piles intérieures; en E, la projection horizontale des encorbellements intérieurs supportant l'angle rentrant, et en F, la projection horizontale des encorbellements portant l'angle saillant; GG sont les arcs contre-buttant l'angle rentrant et portant les murs de refend du premier étage.

 


Nous présentons (136) la vue extérieure de la porte avec les encorbellements qui lui servent d'auvent et qui portent l'angle saillant de l'escalier de service tracé sur le plan B du premier étage. Au besoin même, ces encorbellements peuvent masquer un mâchicoulis destiné à défendre la porte.



La fig. 137 donne la vue intérieure de la porte avec les encorbellements portant l'angle rentrant; en G sont les deux arcs contre-buttant ces encorbellements et supportant les murs de refend supérieurs. Le noyau de l'escalier s'élève sur le milieu H du pan coupé, et les encorbellements intérieurs et extérieurs sont maintenus en équilibre par les pesanteurs opposées des deux angles saillants de la cage de cet escalier. On a, depuis, voulu obtenir des résultats analogues au moyen de trompes; mais les trompes chargent les maçonneries inférieures beaucoup plus que ce système d'encorbellements, exigent des matériaux plus nombreux et plus grands, des coupes de pierres difficiles à tracer et plus difficiles encore à tailler. Ce n'est donc point là un progrès, à moins que l'on ne considère comme un progrès le plaisir donné à un appareilleur de montrer son savoir au détriment de la bourse de celui qui fait bâtir.

Si, pendant les XIVe et XVe siècles, les constructions religieuses ne modifièrent que peu les méthodes appliquées à l'art de bâtir par les architectes du XIIIe siècle, il n'en est pas de même dans les constructions civiles. Celles-ci prennent une allure plus franche; les procédés employés sont plus étendus, les méthodes plus variées; les architectes font preuve de cette indépendance qui leur manque dans les monuments religieux. C'est que déjà, en effet, la vie se retirait de l'architecture religieuse et portait toute son énergie vers les constructions civiles. Sous les règnes de Charles V et de Charles VI, le développement de l'architecture appliquée aux édifices publics, aux châteaux et aux maisons, est très-rapide. Aucune difficulté n'arrête le constructeur, et il arrive, en étendant les principes admis par ses devanciers, à exécuter les constructions les plus hardies et les mieux entendues sous le double point de vue de la solidité et de l'art. À cette époque, quelques seigneurs surent donner une impulsion extraordinaire aux constructions; ils les aimaient, comme il faut les aimer, en laissant à l'artiste toute liberté quant aux moyens d'exécution et au caractère qui convenait à chaque bâtiment 45. Les ducs de Bourgogne et Louis d'Orléans, frère de Charles VI firent élever des résidences, moitié forteresses, moitié palais de plaisance, qui indiquent chez les artistes auxquels furent confiés ces travaux une expérience, un savoir rares, en même temps qu'un goût parfait; chez les seigneurs qui commandèrent ces ouvrages, une libéralité sage et bien entendue qui n'est guère, depuis lors, la qualité propre aux personnages assez riches et puissants pour entreprendre de grandes constructions. Si Louis d'Orléans fut un grand dissipateur des deniers publics et s'il abusa de l'état de démence dans lequel le roi son frère était tombé, il faut reconnaître que, comme grand seigneur pourvu d'immenses richesses, il fit bâtir en homme de goût. Ce fut lui qui reconstruisit presque entièrement le château de Coucy, qui éleva les résidences de Pierrefonds, de la Ferté-Milon, et augmenta celles de Crépy et de Béthisy. Toutes les constructions entreprises sous les ordres de ce prince sont d'une exécution et d'une beauté rares. On y trouve, ce qu'il est si difficile de réunir dans un même édifice, la parfaite solidité, la force, la puissance avec l'élégance, et cette richesse de bon aloi qui n'abandonne rien aux caprices. À ce point de vue, les bâtiments de Coucy, élevés vers 1400, ont toute la majesté grave des constructions romaines, toute la grâce des plus délicates conceptions de la renaissance. Laissant de côté le style de l'époque, on est obligé de reconnaître, chez les architectes de ce temps, une supériorité très-marquée sur ceux du XVIe siècle, comme constructeurs; leurs conceptions sont plus larges et leurs moyens d'exécution plus sûrs et plus savants; ils savent mieux subordonner les détails à l'ensemble et bâtissent plus solidement. La grand'salle du château de Coucy, dite salle des Preux, était une oeuvre parfaite (voy. SALLE); nous n'en montrerons ici que certaines parties tenant plus particulièrement à l'objet de cet article. Cette salle s'élevait au premier étage sur un rez-de-chaussée dont les voûtes reposaient sur une épine de colonnes et sur les murs latéraux. Elle n'a pas moins de 16m,00 de largeur sur une longueur de 60m,00; c'est dire qu'elle pouvait contenir facilement deux mille personnes. D'un côté, elle prenait ses jours sur la campagne, à travers les épaisses courtines du château; de l'autre, sur la cour intérieure (voy. CHÂTEAU, fig. 16 et 17). Deux énormes cheminées doubles la chauffaient, et les baies latérales étaient au nombre de six, trois sur le dehors et trois sur la cour, sans compter un immense vitrage percé au midi sous le lambris de la voûte en bois. Les baies latérales étaient surmontées de lucarnes pénétrant dans le comble.




Voici (138) la coupe de cette salle prise sur une des fenêtres latérales avec la lucarne ouverte au-dessus, et (139) la vue perspective intérieure de cette fenêtre, qui n'a pas moins de 4m,00 d'ébrasement. La plate-bande qui la couvre est appareillée de dix claveaux, posés avec grand soin, lesquels, serrés par les courtines qui ont près de 4m,00 d'épaisseur, se sont maintenus horizontaux sans le secours d'aucune armature de fer. Dans la vue perspective, nous avons supposé le comble enlevé en A, afin de faire voir la construction de la lucarne du côté de l'intérieur. Ces lucarnes (voy. la coupe) donnaient sur le large chemin de ronde crénelé extérieur, de sorte qu'au besoin les gens postés sur ce chemin de ronde pouvaient parler aux personnes placées dans la salle. Les défenseurs étaient à couvert sous un petit comble posé sur le crénelage et sur des piles isolées A. La lumière du jour pénétrait donc sans obstacle dans la salle par les lucarnes, et cette construction est à une si grande échelle que, de la salle en B, on ne pouvait voir le sommet du comble du chemin de ronde, ainsi que le démontre la ligne ponctuée BC 46. De la charpente, il ne reste plus trace, et on ne trouve sur place, aujourd'hui, de cette belle construction, que les fenêtres et la partie inférieure des lucarnes; ce qui suffit, du reste, pour donner une idée de la grandeur des dispositions adoptées. Dans la salle des Preuses, dépendant du même château, nous voyons encore des fenêtres dont les ébrasements sont voûtés, ainsi que l'indique la fig. 140, afin de porter une charge considérable de maçonnerie. Les sommiers des arcs doubles en décharge s'avancent jusqu'à la rencontre de l'ébrasement avec les pieds-droits A (voy. le plan) de la fenêtre, afin d'éviter des coupes biaises dans les claveaux dont les intrados sont ainsi parallèles entre eux. L'arc supérieur seul reparaît à l'extérieur et décharge complétement le linteau.



Mais il va sans dire que les constructeurs n'employaient cette puissance de moyens que dans des bâtiments très-considérables et qui devaient résister moins à l'effort du temps qu'à la destruction combinée des hommes. Il semble même que, dans les intérieurs des châteaux, là où l'on ne pouvait craindre l'attaque, les architectes voulussent distraire les yeux des habitants par des constructions très-élégantes et légères. On sait que Charles V avait fait faire dans le Louvre, à Paris, un escalier et des galeries qui passaient pour des chefs-d'oeuvre de l'art de bâtir, et qui fixèrent l'admiration de tous les connaisseurs jusqu'au moment où ces précieux bâtiments furent détruits. Les escaliers particulièrement, qui présentent des difficultés sans nombre aux constructeurs, excitèrent l'émulation des architectes du moyen âge. Il n'était pas de seigneur qui ne voulût avoir un degré plus élégant et mieux entendu que celui de son voisin, et, en effet, le peu qui nous reste de ces accessoires indispensables des châteaux indique toujours une certaine recherche autant qu'une grande habileté dans l'art du tracé (voy. ESCALIER).

Pour les habitations plus modestes, celles des bourgeois des villes, leur construction devint aussi, pendant les XIVe et XVe siècles, plus légère, plus recherchée. C'est alors que l'on commence à vouloir ouvrir des jours très-larges sur la voie publique, ce qui était d'autant plus nécessaire que les rues étaient étroites; que l'on mêle avec adresse le bois à la pierre ou à la brique; que l'on cherche à gagner de la place dans les intérieurs en diminuant les points d'appui, en empiétant sur la voie publique par des saillies données aux étages supérieurs; que, par suite, les constructeurs sont portés à revenir aux pans-de-bois en façade.

 

Nous ne voulons pas étendre cet article, déjà bien long, outre mesure, et donner ici des exemples qui trouvent leur place dans les autres articles du Dictionnaire; nous avons essayé seulement de faire saisir les différences profondes qui séparent la construction civile de la construction religieuse au moyen âge. Nos lecteurs voudront bien recourir, pour de plus amples détails, aux mots BOUTIQUE, CHARPENTE, CHÉNEAU, ÉGOUT, ESCALIER, FENÊTRE, FONTAINE, GALERIE, MAISON, PAN-DE-BOIS, PLANCHER, PONT, etc.

CONSTRUCTIONS MILITAIRES. Entre les constructions militaires des premiers temps du moyen âge et les constructions romaines, on ne peut constater qu'une perfection moins grande apportée dans l'emploi des matériaux et l'exécution; les procédés sont les mêmes; les courtines et les tours ne se composent que de massifs en blocages revêtus d'un parement de moellon menu ou d'un très-petit appareil. Il semble que les Normands les premiers aient apporté, dans l'exécution des ouvrages militaires, certains perfectionnements inconnus jusqu'à eux et qui donnèrent, dès le XIe siècle, une supériorité marquée à ces constructions sur celles qui existaient sur le sol de l'Europe occidentale. L'un de ces perfectionnements les plus notables, c'est la rapidité avec laquelle ils élevaient leurs forteresses. Guillaume le Conquérant couvrit en peu d'années l'Angleterre et une partie de la Normandie de châteaux forts en maçonnerie, exécutés avec une parfaite solidité, puisque nous en trouvons un grand nombre encore debout aujourd'hui. Il est à croire que les Normands établis sur le sol occidental employèrent les procédés usités par les Romains, c'est-à-dire les réquisitions, pour bâtir leurs forteresses, et c'est, dans un pays entièrement soumis, le moyen le plus propre à élever de vastes constructions qui ne demandent que des amas très-considérables de matériaux et beaucoup de bras. On ne trouve, d'ailleurs, dans les constructions militaires primitives des Normands, aucune trace d'art: tout est sacrifié au besoin matériel de la défense. Ces sortes de bâtisses n'ont rien qui puisse fournir matière à l'analyse; elles n'ont d'intérêt pour nous qu'au point de vue de la défense, et, sous ce rapport, leurs dispositions se trouvent décrites dans les articles ARCHITECTURE MILITAIRE, CHÂTEAU, DONJON, TOUR.

Ce n'est guère qu'à la fin du XIIe siècle que l'on voit employer des procédés de construction particuliers aux ouvrages défensifs, composant un art à part. Aux blocages massifs opposant une résistance égale et continue, on substitue des points d'appui réunis par des arcs de décharge et formant ainsi, dans les courtines comme dans les tours, des parties plus résistantes que d'autres, indépendantes les unes des autres, de façon à éviter la chute de larges parties de maçonnerie, si on venait à les saper. C'est alors aussi que l'on attache une grande importance à l'assiette des ouvrages militaires, que les constructeurs choisissent des sols rocheux difficiles à entamer par la sape, et qu'ils taillent souvent le rocher même pour obtenir des escarpements indestructibles; c'est qu'en effet, pendant les grands siéges entrepris à cette époque, notamment par Philippe-Auguste, la sape et la mine étaient les moyens les plus ordinaires employés pour renverser les murailles (voy. SIÉGE).



Un des bas-reliefs qui décorent la façade occidentale de Notre-Dame-la-Grande à Poitiers, et qui date du commencement du XIIe siècle, nous représente déjà des murs de ville composés d'arcs de décharge portant sur des contre-forts extérieurs peu saillants (141). Mais il ne faut pas trop s'arrêter à ces représentations de monuments qui ne sont pas toujours conformes à la réalité. Les arcs de décharge, lorsqu'ils existent, sont habituellement apparents à l'intérieur des murailles pour porter le chemin de ronde et masqués par le parement extérieur. Le simple bon sens indiquait, en effet, que les arcs de décharge vus à l'extérieur marquaient aux assiégeants les points où il fallait attacher la sape et que la saillie des contre-forts cachait les pionniers. On doit donc prendre l'exemple ci-dessus comme la figure retournée de la muraille pour les besoins de la décoration sculpturale.

L'esprit que nous voyons déployer par les constructeurs français, vers la fin du XIIe siècle, dans les édifices religieux et civils, se retrouve dans les édifices militaires: ils songent à remplacer les forces passives de la construction romaine par des forces actives; mais, dans l'architecture militaire, il ne s'agit pas seulement de résister aux agents extérieurs, aux lois naturelles de la pesanteur, il faut opposer une résistance à la main destructive des hommes. La logique des artistes qui développent l'art de l'architecture au moyen âge, et le font sortir de l'ornière romane, est rigoureuse; nous avons eu l'occasion de le démontrer à nos lecteurs dans les deux premières parties de cet article; on comprendra que cet esprit logique et vrai trouvait une belle occasion de s'exercer dans la construction des édifices militaires, où tout doit être sacrifié au besoin de se défendre. La sape et la mine pratiquées au moyen des étançonnements auxquels on mettait le feu étant le principe d'attaque le plus ordinaire au XIIe siècle, il fallait opposer à ce principe un système capable de rendre inutiles les travaux des assaillants.



Si donc (142) nous construisons une tour conformément au plan A, et que les mineurs viennent s'attacher sur deux points rapprochés de la paroi extérieure et pratiquent les deux trous BC en les étançonnant avec des potelets, lorsqu'ils mettront le feu à ces potelets, toute la partie EF de la tour tombera en dehors et l'ouvrage sera détruit; mais si, en employant le même cube de matériaux et en occupant la même surface de pleins, nous avons le soin d'élever, au lieu d'un mur plein, une suite de niches comprises entre des contre-forts intérieurs, comme l'indique le plan G, il y a chance égale pour que le mineur tombe au-dessous d'un vide au lieu de tomber sous un plein, et alors son travail d'étançonnements incendiés ne produit pas de résultats; mais s'il s'attache sous un plein, celui-ci offrant une épaisseur plus grande que dans le plan A, son travail devient plus long et plus difficile; les renfoncements H permettent d'ailleurs de contre-miner, s'il travaille au-dessous de ces niches. De plus, les niches H peuvent être étançonnées elles-mêmes, à l'intérieur, de façon à rendre la chute d'une portion de la tour impossible, en admettant même que les trous de mine aient été faits en I et en K, sous les piédroits. Ainsi, déjà vers la fin du XIIe siècle, avec un cube de matériaux égal à celui employé précédemment, et même moindre, les constructeurs militaires étaient arrivés à donner une assiette beaucoup plus forte à leurs ouvrages. De plus, les constructeurs noyaient, dans l'épaisseur des maçonneries, de fortes pièces de bois chevillées entre elles par des chevilles de fer, afin de cercler leurs tours à différentes hauteurs. Le principe était excellent, mais le moyen très-mauvais; car ces pièces de bois, complétement dépourvues d'air, s'échauffaient rapidement et pourrissaient. Plus tard on s'aperçut de la destruction très-prompte de ces bois, et on y suppléa par des chaînages composés de crampons de fer scellés entre deux lits d'assises (voy. CHAÎNAGE).

Il est une remarque que chacun peut faire et qui ne laisse pas d'être intéressante. Les mortiers employés généralement, pendant le XIIe siècle et le commencement du XIIIe, dans les églises et la plupart des constructions religieuses, sont mauvais, manquent de corps, sont inégalement mélangés, souvent même le sable fait défaut et paraît avoir été remplacé par de la poussière de pierre; tandis que les mortiers employés dans les constructions militaires à cette époque, comme avant et après, sont excellents et valent souvent les mortiers romains; il en est de même des matériaux. Les pierres employées dans les fortifications sont d'une qualité supérieure, bien choisies et exploitées en grand; elles accusent, au contraire, une grande négligence ou une triste économie dans la plupart des constructions religieuses. Évidemment les seigneurs laïques, lorsqu'ils faisaient bâtir des forteresses, avaient conservé la méthode romaine de réquisitions et d'approvisionnements que les abbés ou les évêques ne voulaient ou ne pouvaient pas maintenir. Il semblerait que les seigneurs normands eussent été les premiers à réorganiser le système de travail de bâtiments employé par les Romains 47, et leur exemple avait été suivi dans toutes les provinces du nord et de l'ouest. L'enthousiasme produit de grandes choses, mais il est de peu de durée. C'était un sentiment de réaction contre la barbarie qui avait fait élever les églises abbatiales et les vastes bâtiments qui les entouraient, c'était un désir de liberté et un mouvement de foi qui avaient fait élever les cathédrales (voy. CATHÉDRALE); mais, ces moments d'effervescence passés, les abbés comme les évêques ne trouvaient plus qu'un dévouement refroidi; par suite, des négligences ou des tromperies dans l'exécution des travaux. Avec la noblesse laïque, il n'en pouvait pas être ainsi; on ne demandait pas aux paysans du dévouement, on exigeait d'eux des corvées régulièrement faites, sous une surveillance inflexible. Cette méthode était certainement meilleure pour exécuter régulièrement des travaux considérables. Aussi ne devons-nous pas être surpris de cette haine transmise de génération en génération chez nous contre les forteresses féodales, et de l'affection que les populations ont conservée à travers les siècles pour leurs cathédrales. À la fin du dernier siècle, on a certes détruit beaucoup d'églises, surtout d'églises conventuelles, parce qu'elles tenaient à des établissements féodaux; mais on a peu détruit de cathédrales, tandis que tous les châteaux, sans exception, ont été dévastés, beaucoup même avaient été ruinés sous Louis XIII et Louis XIV. Pour nous constructeurs, qui n'avons ici qu'à constater des faits dont chacun peut tirer des conséquences suivant sa manière devoir les choses, nous sommes obligés de reconnaître qu'au point de vue du travail matériel on trouve, dans les forteresses du moyen âge, une égalité et une sûreté d'exécution, une marche régulière et une attention qui manquent dans beaucoup de nos édifices religieux.

Dans la construction des églises, on remarque des interruptions, des tâtonnements, des modifications fréquentes aux projets primitifs; ce qui s'explique par le manque d'argent, le zèle plus ou moins vif des évêques, des chapitres ou des abbés, les idées nouvelles qui surgissaient dans l'esprit de ceux qui ordonnaient et payaient l'ouvrage. Tout cela est mis bénévolement sur le compte de l'ignorance des maîtres des oeuvres, de la faiblesse de leurs moyens d'exécution 48. Mais quand un seigneur puissant voulait faire construire une forteresse, il n'était pas réduit à solliciter les dons de ses vassaux, à réchauffer le zèle des tièdes et à se fier au temps et à ses successeurs pour terminer ce qu'il entreprenait. C'était de son vivant qu'il voulait son château, c'était en vue d'un besoin pressant, immédiat. Rien ne coûte à Richard Coeur-de-Lion quand il veut élever la forteresse des Andelis, le château Gaillard, ni les usurpations, ni les sacrifices, ni les violences, ni l'argent; il commence l'édification de la place, malgré l'archevêque de Rouen, bien que la ville d'Andeli lui appartînt. La Normandie est déclarée en interdit, à l'instigation du roi de France. L'affaire est portée aux pieds du pape, qui conclut à une indemnité en faveur du prélat et lève l'interdit. Mais pendant ces protestations, ces menaces, ces discussions, Richard ne perd pas une journée; il est là, surveillant et activant les ouvriers; sa forteresse s'élève, et en un an elle est construite, et bien construite, la montagne et les fossés taillés, la place en état complet de défense, et l'une des plus fortes du nord de la France. Quand Enguerrand III fit élever le château de Coucy, c'était dans la prévision d'une lutte prochaine et terrible avec son suzerain. Un mois de retard pouvait faire échouer ses projets ambitieux; aussi peut-on voir encore aujourd'hui que les énormes travaux exécutés sous ses ordres furent faits avec une rapidité surprenante, rapidité qui ne laisse passer aucune négligence. De la base au fait, ce sont les mêmes matériaux, le même mortier, bien mieux, les mêmes marques de tâcherons; nous en avons compté, sur les parements encore visibles, près d'une centaine. Or chaque marque de tâcheron appartient à un tailleur de pierre, comme encore aujourd'hui en Bourgogne, en Auvergne, dans le Lyonnais, etc. 49 Cent tailleurs de pierre, de nos jours, donnent les proportions suivantes dans les autres corps d'ouvriers, en supposant une construction semblable à celle d'Enguerrand III:

4343 Pour les architectes qui ont quelque peu étudié les arts de l'antiquité, la différence entre l'architecture des Grecs et celle des Romains est parfaitement tranchée: ces deux arts suivent, ainsi que nous l'avons dit bien des fois, des voies opposées; mais pour le vulgaire, il n'en est pas ainsi, et l'on confond ces deux arts, comme si l'un n'était qu'un dérivé de l'autre. Combien de fois n'a-t-on pas dit et écrit, par exemple, que le portail de Saint-Gervais, à Paris, est un portail d'architecture grecque? Il n'est guère plus grec que romain. C'est cependant sur des jugements aussi aveugles que la critique des arts de l'architecture se base chez nous depuis longtemps, et cela parce que nous, architectes, par insouciance peut-être, nous sommes les seuls en France qui n'écrivons pas sur notre art.
4444 Voy. nos Entretiens sur l'Architecture.
4545 Rien ne nous semble plus funeste et ridicule que de vouloir, comme cela n'arrive que trop souvent aujourd'hui, imposer aux architectes autre chose que des programmes; rien ne donne une plus triste idée de l'état des arts et de ceux qui les professent, que de voir les artistes accepter toutes les extravagances imposées par des personnes étrangères à la pratique, sous le prétexte qu'elles payent. Les tailleurs ont, à ce compte, plus de valeur morale que beaucoup d'architectes; car un bon tailleur, si on lui commande un habit ridicule, dira: «Je ne puis vous faire un vêtement qui déshonorerait ma maison et qui ferait rire de vous.» Ce mal date d'assez loin déjà, car notre bon Philibert Delorme écrivait, vers 1575: «...Je vous advertiray, que depuis trente cinq ans en ça, et plus, j'ay observé en divers lieux, que la meilleure partie de ceux qui ont faicts ou voulu faire bastiments, les ont aussi soubdainement commencez, que légèrement en avoient délibéré: dont s'en est ensuivy le plus souvent repentance et dérision, qui toujours accompagnent les mal advisez: de sorte que tels pensans bien entendre ce qu'ils vouloient faire, ont veu le contraire de ce qui se pouvoit et devoit bien faire. Et si par fortune ils demandoient à quelques uns l'advis de leur délibération et entreprinse, c'estoit à un maistre maçon, ou à un maistre charpentier, comme l'on a accoutumé de faire, ou bien à quelque peintre, quelque notaire, et autres qui se disent fort habiles, et le plus souvent n'ont gueres meilleur jugement et conseil que ceux qui le leur demandent... Souventes fois aussi j'ay veu de grands personnages qui se sont trompez d'eux-mêmes, pour autant que la plupart de ceux qui sont auprès d'eux, jamais ne leur veulent contredire, ains comme désirant de leur complaire, ou bien à faulte qu'ils ne l'entendent, respondent incontinent tels mots, C'est bien dict, monsieur; c'est une belle invention, cela est fort bien trouvé, et montrez bien que vous avez très bon entendement; jamais ne sera veu une telle oeuvre au monde. Mais les fascheux pensent tout le contraire, et en discourent par derrière, peult-être ou autrement. Voilà comment plusieurs seigneurs se trompent et sont contentez des leurs.» Nous pourrions citer les six premiers chapitres tout entiers du traité de Philibert Delorme; nous y renvoyons nos lecteurs comme à un chef-d'oeuvre de bon sens, de raison, de sagesse et d'honnêteté.
4646 Ces grandes salles étaient habituellement dallées; on les lavait chaque jour, et des gargouilles étaient réservées pour l'écoulement de l'eau. «Le sang des victimes s'écoulait de toute part et ruisselait par les ouvertures (rigel-stein) pratiquées vers le seuil des portes.» (Les Niebelungen, 35e aventure.)
4747 En Normandie, il existait, pendant le moyen âge, une classe de paysans désignés sous le nom général de bordiers. Les bordiers étaient assujettis aux travaux les plus pénibles, et entre autres aux ouvrages de bâtiments, tels que transports de matériaux, terrassements, etc.; en un mot, ils aidaient les maçons. (Voy. Étud. sur la condit. de la classe agric. en Normandie au moyen âge, par Léop. Delisle, 1851, p. 15, 20, 79, 83, et les notes p. 709.)
4848 On ne manque jamais, par exemple, de dire que l'on a mis deux siècles à bâtir telle cathédrale, sans songer que, sur ces deux cents ans, on y a travaillé dix ou vingt ans seulement.
4949 Les marques gravées sur les parements vus, par les tailleurs de pierre, étaient faites pour permettre au chef d'atelier de constater le travail de chacun; ces marques prouvent que le travail était payé à la pièce, à la tâche, et non à la journée (voy. CORPORATION); de plus, elles donnent le nombre des ouvriers employés, puisque chacun avait la sienne.