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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite)

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Philippe-Auguste, par ses conquêtes, put satisfaire largement cette hiérarchie d'ambitions, et, quoiqu'il ne perdît aucune des occasions qui s'offrirent à lui d'englober les fiefs dans le domaine royal, de les diviser et de diminuer l'importance politique des grands vassaux, en faisant relever les petits fiefs directement de la couronne; cependant il laissa, en mourant, bon nombre de seigneurs dont la puissance pouvait porter ombrage à un suzerain ayant un bras moins ferme et moins d'activité à déployer. Si Philippe-Auguste eût vécu dix ans de plus et qu'il eût eu à gouverner ses provinces en pleine paix, il est difficile de savoir ce qu'il aurait fait pour occuper l'ambition des grands vassaux de la couronne, et comment il s'y serait pris pour étouffer cette puissance qui pouvait se croire encore rivale de la royauté naissante. Le court règne de Louis VIII fut encore rempli par la guerre; mais pendant la minorité de Louis IX, une coalition des grands vassaux faillit détruire l'oeuvre de Philippe-Auguste. Des circonstances heureuses, la division qui se mit parmi les coalisés, l'habileté de la mère du roi, sauvèrent la couronne; les luttes cessèrent, et le pouvoir royal sembla de nouveau raffermi.

Un des côtés du caractère de saint Louis qu'on ne saurait trop admirer, c'est la parfaite connaissance du temps et des hommes au milieu desquels il vivait; avec un esprit de beaucoup en avance sur son siècle, il comprit que la paix était pour la royauté un dissolvant en face de la féodalité ambitieuse, habituée aux armes, toujours mécontente lorsqu'elle n'avait plus d'espérances d'accroissements; les réformes qu'il méditait n'étaient pas encore assez enracinées au milieu des populations pour opposer un obstacle à l'esprit turbulent des seigneurs. Il fallait faire sortir de leurs nids ces voisins dangereux qui entouraient le trône, user leur puissance, entamer leurs richesses; pour obtenir ce résultat, le roi de France avait-il alors à sa disposition un autre moyen que les croisades? Nous avons peine à croire qu'un prince d'un esprit aussi droit, aussi juste et aussi éclairé que saint Louis n'ait eu en vue, lorsqu'il entreprit sa première expédition en Orient, qu'un but purement personnel. Il ne pouvait ignorer qu'en abandonnant ses domaines pour reconquérir la terre sainte, dans un temps où l'esprit des croisades n'était rien moins que populaire, il allait laisser en souffrance les grandes réformes qu'il avait entreprises, et que devant Dieu il était responsable des maux que son absence volontaire pouvait causer parmi son peuple. Le royaume en paix, les membres de la féodalité entraient en lutte les uns contre les autres; c'était la guerre civile permanente, le retour vers la barbarie; vouloir s'opposer par la force aux prétentions des grands vassaux, c'était provoquer de nouvelles coalitions contre la couronne. Entraîner ces puissances rivales loin de la France, c'était pour la monarchie, au XIIIe siècle, le seul moyen d'entamer profondément la féodalité et de réduire ces forteresses inexpugnables assises jusque sur les marches du trône. Si saint Louis n'avait été entouré que de vassaux de la trempe du sire de Joinville, il est douteux qu'il eût entrepris ses croisades; mais l'ascendant moral qu'il avait acquis, ses tentatives de gouvernement monarchique n'eussent pu rompre peut-être le faisceau féodal, s'il n'avait pas occupé et ruiné en même temps la noblesse par ces expéditions lointaines. Saint Louis avait pour lui l'expérience acquise par ses prédécesseurs, et chaque croisade, quelle que fut son issue, avait été, pendant les XIe et XIIe siècles, une cause de déclin pour la féodalité, un moyen pour le suzerain d'étendre le pouvoir monarchique. Quel moment saint Louis choisit-il pour son expédition? C'est après avoir vaincu la coalition armée, à la tête de laquelle se trouvait le comte de Bretagne, après avoir protégé les terres du comte de Champagne contre les seigneurs ligués contre lui, c'est après avoir délivré la Saintonge des mains du roi d'Angleterre et du comte de la Marche, c'est enfin après avoir donné la paix à son royaume avec autant de bonheur que de courage, et substitué la suzeraineté de fait à la suzeraineté de nom. Dans une semblable occurrence, la paix, le calme, les réformes et l'ordre pouvaient faire naître les plus graves dangers au milieu d'une noblesse inquiète, oisive, et qui sentait déjà la main du souverain s'étendre sur ses priviléges.

Il est d'ailleurs, dans l'histoire des peuples, une disposition morale à laquelle, peut-être, les historiens n'attachent pas assez d'importance, parce qu'ils ne peuvent pénétrer dans la vie privée des individus; c'est l'ennui. Lorsque la guerre était terminée, lorsque l'ordre renaissait et par suite l'action du gouvernement, que pouvaient faire ces seigneurs féodaux dans leurs châteaux fermés, entourés de leurs familiers et gens d'armes? S'ils passaient les journées à la chasse et les soirées dans les plaisirs, s'ils entretenaient autour d'eux, pour tuer le temps, de joyeux compagnons, ils voyaient bientôt leurs revenus absorbés, car ils n'avaient plus les ressources éventuelles que leur procuraient les troubles et les désordres de l'état de guerre. Si, plus prudents, ils réformaient leur train, renvoyaient leurs gens d'armes et se résignaient à vivre en paisibles propriétaires, leurs forteresses devenaient un séjour insupportable, les heures pour eux devaient être d'une longueur et d'une monotonie désespérantes; car si quelques nobles, au XIIIe siècle, possédaient une certaine instruction et se livraient aux plaisirs de l'esprit, la grande majorité ne concevait pas d'autres occupations que celles de la guerre et des expéditions aventureuses. L'ennui faisait naître alors les projets les plus extravagants dans ces cerveaux habitués à la vie bruyante des camps, aux émotions de la guerre.

Saint Louis, qui n'avait pas cédé à la noblesse armée et menaçante, après l'avoir forcée de remettre l'épée au fourreau, ne se crut peut-être pas en état de lutter contre l'ennui et l'oisiveté de ses vassaux, de poursuivre, entre les forteresses jalouses dont le sol était couvert, les réformes qu'il méditait.

«Les croisades dévorèrent une grande quantité de seigneurs, et firent retourner au trône leurs fiefs devenus vacants. Mais, sous aucun règne, elles ne contribuèrent davantage à l'accroissement du domaine royal que sous celui de saint Louis; il est facile de s'en rendre raison: les croisades étaient déjà un peu vieillies au temps de saint Louis, les seigneurs ne croyaient plus y être exposés, et n'avaient par conséquent ni armes ni chevaux, ni provisions de guerre; il fallait emprunter; ils engagèrent leurs fiefs au roi, qui, étant riche, pouvait prêter. À la fin de la croisade, ceux des seigneurs qui survivaient à leurs compagnons d'armes revenaient si pauvres, si misérables, qu'ils étaient hors d'état de dégager leurs fiefs, qui devenaient alors la propriété définitive de ceux qui les avaient reçus en nantissement. Cette espèce d'usure politique parut naturelle dans le temps où elle eut lieu; les envahissements de saint Louis étaient couverts par la droiture de ses intentions; personne n'eût osé le soupçonner d'une chose injuste. Il semblait, par l'empire de ses vertus, consacrer jusqu'aux dernières conséquences de sa politique 73

Saint Louis, au moyen de ces expéditions outre-mer, non-seulement ruinait la féodalité, l'enlevait à ses châteaux, mais centralisait encore, sous son commandement, une nombreuse armée, qu'à son retour, et malgré ses désastres, il sut employer à agrandir le domaine royal, sous un prétexte religieux. De même que, sous le prétexte de se prémunir contre les menaces du Vieux de la Montagne, il établit une garde particulière autour de sa personne, qui «jour et nuit étoit en cure diligente de son corps bien garder 74,» mais qui, par le fait, était bien plutôt destinée à prévenir les perfidies des seigneurs.

Joinville rapporte qu'en partant pour la croisade et pour se mettre en état, il engagea à ses amis une grande partie de son domaine, «tant qu'il ne lui demoura point plus hault de douze cens livres de terre de rente.» Arrivé en Chypre, il ne lui restait plus d'argent vaillant que deux cent livres tournois d'or et d'argent lorsqu'il eut payé son passage et celui de ses chevaliers. Saint Louis, l'ayant su, l'envoya quérir et lui donna huit cents livres tournois pour continuer l'expédition. Au moment de partir pour la seconde croisade, «le roy de France et le roy de Navarre, dit Joinville, me pressoient fort de me croisser, et entreprandre le chemin du pélerinage de la croix. Mais je leur répondi, que tandis que j'avois esté oultre mer ou service de Dieu, que les gens et officiers du roy de France avoient trop grevé et foullé mes subgets, tant qu'ilz en estoient apovriz: tellement que jamais il ne seroit, que eulz et moy ne nous ensantissions.» Certes il y a tout lieu de croire que Joinville était un bon seigneur et qu'il disait vrai; mais combien d'autres, en se croisant et laissant leurs sujets gouvernés par les officiers du roi, leur permettaient ainsi de passer d'un régime insupportable sous un gouvernement moins tracassier en ce qu'il était moins local et partait de plus haut? Les seigneurs féodaux possédaient l'autorité judiciaire sur leurs terres; les baillis royaux, chargés par Philippe-Auguste de recevoir tous les mois aux assises les plaintes des sujets du roi, de nommer dans les prévôtés un certain nombre d'hommes sans lesquels aucune affaire concernant les villes ne pouvait être décidée, de surveiller ces magistrats, furent entre les mains de saint Louis une arme puissante dirigée contre les prérogatives féodales. Ce prince fit instruire dans le droit romain ceux qu'il destinait aux fonctions de baillis; il étendit leur pouvoir en dehors des tribunaux en les chargeant de la haute administration, et bientôt ces hommes dévoués à la cause royale attaquèrent ouvertement l'autorité judiciaire des barons en créant les cas royaux. «C'est-à-dire qu'ils firent recevoir en principe, que le roi, comme chef du gouvernement féodal, avait, de préférence à tout autre, le droit de juger certaines causes nommées pour cela cas royaux. À la rigueur, cette opinion était soutenable; mais il fallait déterminer clairement les cas royaux, sous peine de voir le roi devenir l'arbitre de toutes les contestations; or, c'est ce que ne voulurent jamais faire les baillis: prières, instances, menaces, rien ne put les y décider; toutes les fois qu'ils entendaient débattre dans les cours seigneuriales une cause qui paraissait intéresser l'autorité du roi, ils s'interposaient au milieu des partis, déclaraient la cause cas royal, et en attiraient le jugement à leurs cours 75.» Les empiétements des baillis sur les juridictions seigneuriales étaient appuyés par le parlement, qui enjoignait, dans certains cas, aux baillis, d'entrer sur les terres des seigneurs féodaux et d'y saisir tels prévenus, bien que ces seigneurs fussent hauts-justiciers, et, selon le droit, pouvant «porter armes pour justicier leurs terres et fiefs 76.» En droit féodal, le roi pouvait assigner à sa cour le vassal qui eût refusé de lui livrer un prévenu, considérer son refus comme un acte de félonie, prononcer contre lui les peines fixées par l'usage, mais non envoyer ses baillis exploiter dans une seigneurie qui ne lui appartenait pas 77. À la fin du XIIIe siècle, la féodalité, ruinée par les croisades, attaquée dans son organisation par le pouvoir royal, n'était plus en situation d'inspirer des craintes sérieuses à la monarchie, ni assez riche et indépendante pour élever des forteresses comme celle de Coucy. D'ailleurs, à cette époque, aucun seigneur ne pouvait construire ni même augmenter et fortifier de nouveau un château, sans en avoir préalablement obtenu la permission de son suzerain. Nous trouvons, dans les Olim, entre autres arrêts et ordonnances sur la matière, que l'évêque de Nevers, qui actionnait le prieur de la Charité-sur-Loire parce qu'il voulait élever une forteresse, avait été lui-même actionné par le bailli du roi pour avoir simplement fait réparer les créneaux de la sienne. Saint Louis s'était arrogé le droit d'octroyer ou de refuser la construction des forteresses; et s'il ne pouvait renverser toutes celles qui existaient de son temps sur la surface de ses domaines et qui lui faisaient ombrage, il prétendait au moins empêcher d'en construire de nouvelles; et, en effet, on rencontre peu de châteaux de quelque importance élevés de 1240 à 1340, c'est-à-dire pendant cette période de la monarchie française qui marche résolûment vers l'unité de pouvoir et de gouvernement.

 

À partir du milieu du XIVe siècle, au contraire, nous voyons les vieux châteaux réparés ou reconstruits, de nouvelles forteresses s'élever sur le territoire français, à la faveur des troubles et des désastres qui désolent le pays; mais alors l'esprit féodal s'était modifié, ainsi que les moeurs de la noblesse, et ces résidences revêtent des formes différentes de celles que nous leur voyons choisir pendant le règne de Philippe-Auguste et au commencement de celui de saint Louis; elles deviennent des palais fortifiés, tandis que, jusqu'au XIIIe siècle, les châteaux ne sont que des forteresses pourvues d'habitations. Ces caractères bien tranchés sont faciles à saisir; ils ont une grande importance au point de vue architectonique, et le château de Coucy, tel qu'il devait exister avant les reconstructions de la fin du XIVe siècle, sert de transition entre les châteaux de la première et de la seconde catégorie; ce n'est plus l'enceinte contenant des habitations disséminées, comme un village fortifié dominé par un fort principal, le donjon; et ce ne devait pas être encore le palais, la réunion de bâtiments placés dans un ordre régulier soumettant la défense aux dispositions exigées par l'habitation, le véritable château construit d'après une donnée générale, une ordonnance qui rentre complètement dans le domaine de l'architecture.

Aujourd'hui, toutes les résidences seigneuriales sont tellement ruinées qu'on ne peut plus guère se faire une idée exacte des parties qui servaient à l'habitation; les tours et les courtines, plus épaisses que le reste des constructions, ont pu résister à la destruction, et nous laissent juger des dispositions défensives permanentes, sans nous donner le détail des distributions intérieures, ainsi que des nombreuses défenses extérieures qui protégeaient le corps de la place. Il nous faut, pour nous rendre compte de ce que devait être un château pendant la première moitié du XIIIe siècle, avoir recours aux descriptions contenues dans les chroniques et les romans; heureusement ces descriptions ne nous font pas défaut et elles sont souvent assez détaillées. L'une des plus anciennes, des plus complètes et des plus curieuses, est celle qui est contenue dans la première partie du Roman de la Rose, et qui, sous le nom du Château de la Jalousie, nous dépeint le Louvre de Philippe-Auguste. Personne n'ignore que la grosse tour ou donjon du Louvre avait été bâtie par ce prince pour renfermer son trésor et servir au besoin de prison d'État; tous les fiefs de France relevaient de la tour du Louvre, dans laquelle les grands vassaux rendaient hommage et prêtaient serment de fidélité au roi. Les autres constructions de ce château avaient été également élevées par Philippe-Auguste. Mais laissons parler Guillaume de Lorris 78:

 
«Dès or est drois que ge vous die
La contenance Jalousie,
Qui est en male souspeçon:
Où païs ne remest maçon
Ne pionnier qu'ele ne mant.
Si fait faire au commancement
Entor les Rosiers uns fossés
«Qui cousteront deniers assés,
Si sunt moult lez et moult parfont.
Li maçons sus les fossés font
Ung mur de quarriaus tailléis,
Qui ne siet pas sus croléis (qui n'est pas assis sur terre meuble),
Ains est fondé sus roche dure:
Li fondement tout à mesure
Jusqu'au pié du fossé descent,
Et vait amont en estrecent (et s'élève en talus);
S'en est l'uevre plus fors assés.
Li murs si est si compassés,
Qu'il est de droite quarréure;
Chascuns des pans cent toises dure,
Si est autant lons comme lés 79.
Les tornelles sunt lés à lés (de distance en distance),
Qui richement sunt bataillies (fortifiées)
Et sunt de pierres bien taillies,
As quatre coingnés (coins) en ot quatre
Qui seroient fors à abatre;
Et si i a quatre portaus
Dont li mur sunt espés et haus,
Ung en i a ou front devant
Bien déffensable par convant 80,
Et deux de coste, et ung derriere 81,
Qui ne doutent cop de perrière.
Si a bonnes portes coulans
Por faire ceus defors doulans,
Et por eus prendre et retenir,
«S'il osoient avant venir 82.
Ens où milieu de la porprise (de l'enceinte)
Font une tor par grant mestrise
Cil qui du fere furent mestre 83;
Nule plus bele ne pot estre,
Qu'ele est et grant, et lée, et haute 84;
Li murs ne doit pas faire faute
Por engin qu'on saiche getier;
Car l'en destrempa le mortier
De fort vin-aigre et de chaus vive 85
La pierre est de roche naïve
De quoi l'en fist le fondement,
Si iert dure cum aïment.
La tor si fu toute réonde,
Il n'ot si riche en tout le monde,
Ne par dedens miex ordenée.
Elle iert dehors avironnée
D'un baille qui vet tout entor,
...
Dedens le chastel ot perrières
Et engins de maintes manières.
Vous poïssiés les mangonniaus
Véoir pardessus les creniaux 86;
«Et as archieres tout entour
Sunt les arbalestes à tour 87,
Qu'armeure n'i puet tenir (résister),
Qui près du mur vodroit venir,
Il porroit bien faire que nices.
Fors des fossés a unes lices
De bons murs fors à creniaux bas,
Si que cheval ne puent pas
Jusqu'as fossés venir d'alée,
Qu'il n'i éust avant mellée 88.
«Jalousie a garnison mise
Où chastel que ge vous devise,
Si m'est avis que Dangier porte
La clef de la première porte
Qui ovre devers orient 89
Avec li, au mien escient,
A trente sergens tout à conte 90
«Et l'autre porte garde Honte,
Qui ovre par devers midi 91,
El fut moult sage, et si vous di
Qu'el ot sergens à grant planté (en grand nombre)
Près de faire sa volenté,
Paor (Peur) ot grant connestablie,
Et fu à garder establie,
L'autre porte, qui est assise,
A main senestre devers bise 92,
Paor n'i sera ja seure,
S'el n'est fermée à serréure,
Et si ne l'ovre pas sovent;
Car, quant el oit (entend) bruire le vent,
Ou el ot saillir deus langotes,
Si l'en prennent fievres et gotes (gouttes).
Male-bouche (Mauvais propos, médisance), que Diex maudie!
Ot sodoiers de Normandie 93.
Si garde la porte destrois 94;
Et si sachiés qu'as autres trois
Va souvent et vient 95. Quant il scet
Qu'il doit par nuit faire le guet,
Il monte le soir as creniaus 96,
Et atrempe ses chalemiaus (prépare ses chalumeaux)
Et ses busines (trompettes), et ses cors.
...
«Jalousie, que Diex confonde!
A garnie la tor réonde (le donjon):
Et si sachiés qu'ele i a mis
Des plus privés de ses amis,
Tant qu'il i ot grant garnison 97
 

C'est là un château royal; la nécessité où se trouvait un seigneur de placer un poste, une petite garnison, dans chaque porte principalement, faisait qu'on ne multipliait pas les issues, d'autant plus que les attaques étaient toujours tentées sur ces points. Ce passage du Roman de la Rose nous fait connaître que, dans les châteaux considérables, la multiplicité des défenses exigeait des garnisons comparativement nombreuses. Or ces garnisons ruinaient les seigneurs; s'ils les réduisaient, le système défensif adopté au commencement du XIIIe siècle, excellent lorsqu'il était convenablement muni d'hommes, était mauvais lorsque tous les points ne pouvaient pas être bien garnis et surveillés. Alors ces détours, ces solutions de communications devenaient au contraire favorables aux assiégeants. Nous verrons comme, au XIVe siècle, les châtelains ayant reconnu ces défauts cherchèrent à y remédier et à se bien défendre avec des garnisons que leur état de fortune ne leur permettait plus d'entretenir très-nombreuses.

 

Voici maintenant des descriptions de travaux exécutés dans des châteaux de seigneurs féodaux qui datent de la même époque (commencement du XIIIe siècle):

 
«Vers son chastel point tant et broche 98
Qu'il en a véue la roche 99;
Venuz est, si descent au pont 100.
Les ovriers qui les euvres font
Amoneste de tost ovrer 101
Et de lor porte delivrer,
Et de reparer ses fossez,
Car moult bien estoit apanssez (il se préoccupait fort)
Se li Rois vient sur lui à ost (avec son armée),
Qu'il n'a pas pooir qu'il l'en ost,
Einçoiz en seroit moult penez.
Moult s'esforce li forcenez
De faire fossez et tranchiées,
Tot entor lui à sis archiées,
Fait un fossé d'eve parfont (rempli d'eau profonde)
«Riens n'i puet entrer qui n'afont (qui ne tombe au fond).
Desor fu li ponz tornéiz
Moult bien tornez toz coléiz 102.
Desor la tor sont les perrieres
Qui lanceront pierres plenieres 103:
N'est nus hom qui en fust féruz,
Qui à sa fin ne fust venuz.
Les archières sont as querniax
Par où il trairont les quarriax
Por damagier la gent le roi.
Moult est Renart de grant desroi
Qui si contre le roi s'afete (se prépare).
Sor chascune tor une gaite
A mise por eschargaitier 104,
Qar il en avoit grant mestier (grand besoin).
Moult fut bien d'eye (d'eau) avironez,
Einsi s'est Renart atornez.
Hordéiz ot et bon et bel,
Par defors les murs dou chastel 105
Ses barbacanes fist drecier
Por son chastel miaux enforcier 106.
...»
 

Il mande des soldats, des gens de pied et à cheval pour défendre le château; ils se rendent en grand nombre à son appel.

 
«...Grant joie en fist
Renart, et maintenant les mist
Es barbacanes por deffense 107,
Nus ne puet savoir ce qu'il pense,
Moult s'est Renart bien entremis
D'aide faire à ses amis,
Que bien quide sanz nul retor
Qu'ii soit assis dedenz sa tor 108
 

Outre les dépenses qu'occasionnaient aux seigneurs féodaux la construction des châteaux et l'entretien d'une garnison suffisante en prévision d'une attaque, il leur fallait faire exécuter des travaux considérables, s'ils voulaient être en état de résister à un siége en règle, approvisionner quantité de munitions de bouche et de guerre. Les hourdages en bois dont, pendant les XIIe et XIIIe siècles, on garnissait les sommets des tours et courtines, exigeaient l'apport, la façon et la pose d'une quantité considérable de charpentes, par conséquent un nombre énorme d'ouvriers. Ces ouvrages transitoires se détérioraient promptement pendant la paix; ce n'était pas une petite affaire de posséder et de garder un château à cette époque.

Dans un autre poëme, contemporain de ce dernier (commencement du XIIIe siècle), nous trouvons encore des détails intéressants, non-seulement sur les défenses des châteaux, mais sur les logements, les dépendances, les armes et les passe-temps des seigneurs. Nous demanderons à nos lecteurs la permission de leur citer encore ce passage:

 
«...
Li chastiax sist an une roche 109;
Li aigue jusc'à mur s'aproche,
La roche fut dure et naïve,
Haute et large jusc'à la rive;
Et sist sor une grant montaigne
Qui samble qu'as nues se teigne.
El chastel n'avoit c'une entrée 110;
«Trop riche porte i ot fermée 111
Qui sist sor la roche entaillie.
De cele part fut la chaucie,
Li fossez et li rolléis (les palissades, littéralement les bâtons).
Et si fut li ponz levéiz 112
Si estoit assiz li chastiax
Que parrière ne mangoniax
Ne li grevast de nulle part:
Por nul anging, ne por nul art
Nel' poïst-on adamaigier,
Tant k'il éussent à maingier
Cil ki del chastel fussent garde,
N'éussent de tot le monde garde.
Moult fut estroite li antreie,
Qu'ansi fut faite et compasseie,
Par devant la haute montaigne;
I covient c'uns solx hom i veigne.
J'ai dui ni vauroient ansamble 113.
D'autre part devers l'aigue sambre,
Por ceu k'il siet en si haut mont,
Qu'il doie chéoir en .i. mont.
De tant com om trait d'un quarrel
N'aprochoit nuns hons lo chastel.
Il i ot portes colléisces (herses),
Bailles (enceintes extérieures), fossez et murz et lices 114,
Trestot fut an roche antaillet.
Moult i ot ferut et tailliet
Ainçoiz ke li chastels fust fais;
«Onkes tels ne fut contrefaiz
Trop par fut fors et bien assiz 115.
. . . . . . . . .
Sor la roche ki fut pandans,
Grant fut et large par dedans,
Trop i ot riche herberjaige 116;
En la tor (le donjon) ot moult riche estaige,
Bien fut herbergiez tot entor 117
Li pallais sist prest de la tor 118
Qui moult fut haus et bons et leis (larges)
Li estauble (écuries) furent deleis,
Greniers et chambres et cuisines;
Moult i ot riches officines.
Moult fut la salle grans et large 119:
Maint fort escut et mainte targe
Et mainte lance et maint espiet (épieu)
Et bon cheval et bon apiet
Dont li fer sont bon et tranchant,
Et maint cor bandeit d'argent
Avoit pandut por lo pallais 120.
. . . . . . .
Vers l'estanc furent les fenestres,
Lai fut li sires apoieis;
Ne sai c'il estoit annuiés,
Mais, en pansant, l'aigue esgardoit (regardait l'eau),
An esgardant, les cignes voit
Qui estoient et bel et gent.
Dont comandoit tote sa gent
Que moult doucement les véissent;
. . . . . . .
 

Les fenêtres des appartements donnent sur l'étang dont les eaux enveloppent le château; le seigneur, qui s'ennuie (le poëte penche à le croire et nous aussi), regarde l'eau, puis les cygnes; il leur jette du pain et du blé, et appelle ses gens afin de jouir de ce spectacle en compagnie... Tout est bon à ceux qui s'ennuient, et cette vie monotone du château, lorsqu'elle n'était pas remplie par la guerre ou la chasse, s'attachait aux moindres accidents pour y trouver un motif de distraction. Le pèlerin qui frappait à la porte et réclamait un gîte pour la nuit, le moine qui venait demander pour son couvent, le trouvère qui débitait ses vers, apportaient seuls des bruits et nouvelles du dehors entre ces murailles silencieuses. Cela explique le succès de ces lais, gestes, chansons et légendes qui abondaient à cette époque et occupaient les longs loisirs d'un châtelain, de sa famille et de ses gens.

Si le seigneur était riche, il cherchait à embellir sa demeure féodale, faisait bâtir une chapelle, et la décorait de peintures et de vitraux; il garnissait ses appartements de tapisseries, de meubles précieux, de belles armes; de là ce goût effréné pour le luxe qui, dès le XIIIe siècle, trouve sa place chez des hommes encore rudes, cette excitation de l'imagination, cet amour pour le merveilleux, pour la poésie, la musique, le jeu, les aventures périlleuses. Pendant que le peuple des villes participait chaque jour davantage à la vie politique du pays, devenait industrieux, riche par conséquent, était tout occupé de l'existence positive et prenait ainsi une place plus large, le seigneur, isolé dans son château, repaissait son imagination de chimères, comprimait difficilement ses instincts turbulents, nourrissait des projets ambitieux de plus en plus difficiles à réaliser entre la royauté qui s'affermissait et s'étendait, et la nation qui commençait à se sentir et se connaître.

Dès l'époque de saint Louis, la féodalité française n'était plus qu'un corps hétérogène dans l'État, elle ne pouvait plus que décroître. Au point de vue militaire, les guerres du XIVe siècle lui rendirent une certaine importance, la forcèrent de rentrer dans la vie publique (sous de tristes auspices, il est vrai), et prolongèrent ainsi son existence; la noblesse releva ses châteaux, adopta des moyens de défense nouveaux, appropriés aux temps, fit faire ainsi un pas à l'art de la fortification, jusqu'au moment où, l'artillerie à feu devenant un moyen d'attaque puissant, elle dut se résigner à ne plus jouer qu'un rôle secondaire en face de la royauté, et à ne considérer ses châteaux que comme de vieilles armes que l'on conserve en souvenir des services qu'elles ont rendus, sans espérer pouvoir s'en servir pour se défendre. De Charles VI à Louis XI, les barons semblent ne vouloir pas faire à l'artillerie l'honneur de la reconnaître; ils persistent, dans la construction de leurs châteaux, à n'en point tenir compte, jusqu'au moment où ses effets terribles viennent détruire cette vaine protestation au moyen de quelques volées de coups de canon 121.

7373 Instit. de saint Louis, le comte Beugnot.
7474 Guill. de Nangis.
7575 Instit. de saint Louis, le comte Beugnot.
7676 Les Olim (Ordonnances, t. I, p. 411).
7777 Ibid., note 35.
7878 Le Roman de la Rose, vers 3813.
7979 Guillaume de Lorris double ici les dimensions en longueur et largeur; mais il faut bien permettre l'exagération aux poëtes.
8080 En effet, devant la porte principale, vers la Seine, était un petit ouvrage avancé propre à contenir un poste.
8181 Ces quatre portes étaient une exception; généralement les châteaux ne possédaient, à cette époque, qu'une ou deux portes au plus, avec quelques poternes. Mais le Louvre était un château de plaine à proximité d'une grande ville, et la multiplicité des portes était motivée par les défenses extérieures qui étaient fort importantes et par la nécessité où se trouvait le souverain de pouvoir recevoir dans son château un grand concours de monde. Nous voyons cette disposition de quatre portes conservée, au XIVe siècle, à Vincennes et au château de la Bastille, qui n'était cependant qu'un fort comparativement peu important comme étendue. Les quatre portes étaient surtout motivées, nous le croyons, par le besoin qui avait fait élever ces forteresses plantées autour de la ville de Paris pour maintenir la population dans le respect. Il ne s'agissait pas ici de se renfermer et de se défendre comme un seigneur au milieu de son domaine; mais encore, dans un cas pressant, de détacher une partie de la garnison sur un point de la ville en insurrection, et, par conséquent, de ne pas se laisser bloquer par une troupe d'insurgés qui se seraient barricadés devant l'unique porte. Bien en prit, longtemps après, à Henri III, d'avoir plusieurs portes à son Louvre.
8282 Il est évident qu'il s'agit ici de herses (portes coulans).
8383 Les maîtres de l'oeuvre élèvent une tour avec une grande habileté au milieu de l'enceinte; il est question ici du donjon du Louvre, qui, contrairement aux habitudes des XIIe et XIIIe siècles, se trouvait exactement au milieu de l'enceinte carrée. Mais n'oublions pas que le donjon du Louvre était une tour exceptionnelle, un trésor autant qu'une défense. D'ailleurs les quatre portes expliquent parfaitement la situation de ce donjon, qui les masquait et les enfilait toutes les quatre.
8484 Il y a encore ici exagération de la part de Guillaume de Lorris; le donjon du Louvre n'avait que vingt mètres de diamètre environ sur trente mètres de haut; le donjon de Coucy est bien autrement important, son diamètre étant de trente-un mètres et sa hauteur de soixante-cinq environ; cependant le donjon de Coucy devait être élevé lorsque notre poëte écrivait son roman. Il est certain que ce donjon ne fut bâti qu'après celui de Philippe-Auguste. L'orgueilleux châtelain de Coucy, faisant dresser à la hâte les murs de son château, dans l'espoir de mettre la couronne de France sur sa tête, voulut-il faire plus et mieux que le suzerain auquel il prétendait succéder?
8585 Pensait-on, du temps de Guillaume de Lorris, que la chaux éteinte avec du vinaigre fit de meilleur mortier? et cette méthode était-elle employée?
8686 Ce passage mérite la plus sérieuse attention; il ne s'agit plus ici du donjon, mais de l'ensemble du château. Les courtines du Louvre de Philippe-Auguste n'étaient point doublées de bâtiments à l'intérieur, et le château du Louvre se composait seulement encore, comme les châteaux des XIe et XIIe siècles, d'une enceinte flanquée de tours avec un donjon au centre. Le seigneur habitait le donjon et la garnison les tours. On comprend comment alors on pouvait voir par-dessus les crénelages des courtines la partie supérieure des pierrières et mangonneaux établis sur l'aire de la cour. Il n'était pas possible de songer à placer ces énormes engins sur les chemins de ronde des courtines, encore moins sur les tours. Guillaume de Lorris dit bien «dedens le chastel,» c'est-à-dire en dedans des murs; et les descriptions de Guillaume de Lorris sont toujours précises. S'il y eût eu des bâtiments adossés aux courtines, ces bâtiments auraient été couverts par des combles, et on n'aurait pu voir le sommet des engins par-dessus les créneaux. Ce passage du poëte explique un fait qui paraît étrange lorsqu'on examine les fortifications de la première moitié du XIIIe siècle, et particulièrement celles des châteaux. Presque toutes les forteresses féodales de cette époque qui n'ont point été modifiées pendant les XIVe et XVe siècles présentent une suite de tours très-élevées et de courtines relativement basses; c'est qu'en effet, alors, les tours étaient des postes, des fortins protégeant une enceinte, qui avaient assez de relief pour garantir les grandes machines de jet, mais qui n'étaient pas assez élevées pour que ces machines ne pussent jeter des pierres sur les assaillants par-dessus les crénelages. Lorsque Simon de Montfort assiége Toulouse, il s'empare du château extérieur, qui passait, à tort ou à raison, pour être un ouvrage romain, mais dont les murs étaient fort élevés. Pressé par le temps, plutôt que de déraser les murs entre les tours, pour permettre l'établissement de grands engins, il fait faire des terrassements à l'intérieur. Ainsi, le système défensif des châteaux antérieurs à la seconde moitié du XIIIe siècle consiste en des tours d'un commandement considérable, réunies par des courtines peu élevées, libres à l'intérieur, afin de permettre l'établissement de puissantes machines de jet posées sur le sol. Ceci explique comment il se fait que, dans la plupart de ces châteaux, on ne voit pas trace de bâtiments d'habitation adossés à ces courtines. Au Château-Gaillard des Andelys, il n'y a que deux logis adossés aux courtines, l'un dans l'enceinte extérieure, l'autre dans l'enceinte intérieure; mais ces logis sont élevés du côté de l'escarpement à pic, qui ne pouvait permettre à l'assiégeant de s'établir en face des remparts. Nous verrons bientôt comment et pourquoi ce système fut complétement modifié au XVe siècle.
8787 Les chemins de ronde supérieurs des donjons se trouvaient munis d'armes de jet à demeure, outre les armes transportables apportées par chaque soldat au moment de la défense.
8888 En dehors de la porte du sud (porte principale) donnant sur la Seine, une première défense, assez basse, flanquée de tours, avait été bâtie à cinquante mètres environ de l'entrée du Louvre; cette première défense était double avec une porte à chaque bout. C'était comme un petit camp entouré de murailles formant, en avant de la façade sud du Louvre, ce qu'on appelait alors une lice. Ces ouvrages avaient une grande importance, car ils laissaient à la garnison d'un château, si elle parvenait à les conserver, toute sa liberté d'action; elle facilitait les sorties et remplissait l'office des barbacanes des grandes places fortes (voy. ce mot). Comme le dit Guillaume de Lorris, ces ouvrages bas, plantés en dehors des fossés, empêchaient la troupe ennemie de venir d'emblée jusqu'au bord du fossé, sans trouver de résistance. À une époque où les armes de jet n'avaient pas une portée très-longue, il était fort important d'entourer les châteaux d'ouvrages extérieurs très-considérables; car, autrement, la nuit et par surprise, une troupe aurait pu combler le fossé en peu d'instants et écheller les murailles. Ce fait se présente fréquemment dans l'histoire de nos guerres en France, lorsqu'il s'agit de châteaux de peu de valeur ou qui n'avaient pas une garnison assez nombreuse pour garnir les dehors.
8989 Footnote 89: Du côté de Saint-Germain-l'Auxerrois.
9090 Ce passage est fort curieux; il nous donne une idée de la disposition des postes dans les châteaux. Chaque porte composait une défense qui pouvait s'isoler du reste de la forteresse, véritable châtelet muni de ses tours, de ses salles, cuisines, fours, puits, caves, moulins même; le seigneur en confiait la garde à un capitaine ayant un certain nombre d'hommes d'armes sous ses ordres. Il en était de même pour la garde des tours de quelque importance. Ces postes, habituellement, n'étaient pas relevés comme de nos jours; la garnison d'un château n'était dès lors que la réunion de plusieurs petites garnisons, comme l'ensemble des défenses n'était qu'une réunion de petits forts pouvant au besoin se défendre séparément. Les conséquences du morcellement féodal se faisaient ainsi sentir jusque dans l'enceinte des châteaux. De là ces fréquentes trahisons d'une part, ou ces défenses désespérées de l'autre, de postes qui résistent encore lorsque tous les autres ouvrages d'une forteresse sont tombés. De là aussi l'importance des donjons qui peuvent protéger le seigneur contre ces petites garnisons séparées qui l'entourent. Nous trouvons encore, dans ce passage de la description du Louvre, la confirmation de ce que nous disions tout à l'heure au sujet de la disposition des courtines et des tours. Les tours étant des ouvrages isolés reliés seulement par des courtines basses qu'elles commandaient, les rondes étaient difficiles, ou du moins ne pouvaient se faire qu'à un étage; les communications entre ces postes séparés étaient lentes; cela était une conséquence du système défensif de cette époque, basé sur une défiance continuelle. Ainsi, à une attaque générale, à un siége en règle, on opposait 1º les courtines basses munies par-derrière d'engins envoyant des projectiles par-dessus les remparts; 2º les crénelages de ces courtines garnis d'archers et d'arbalétriers; 3º les tours qui commandaient la campagne au loin et les courtines si elles étaient prises par escalade. Pour se garantir contre les surprises de nuit, pour empêcher qu'une trahison partielle pût faire tomber l'ensemble des défenses entre les mains de l'ennemi, on renfermait, chaque soir, les postes dans leurs tours séparées, et on évitait qu'ils pussent communiquer entre eux. Des guetteurs placés aux créneaux supérieurs des tours par les postes qu'elles abritaient, des sentinelles sur les chemins de ronde posées par le connétable et qui ne dépendaient pas des postes enfermés dans les tours, exerçaient une surveillance double, contrôlée pour ainsi dire. Ce ne sont pas là des conjectures basées sur un seul texte, celui d'un poëte; Sauval, qui a pu consulter un grand nombre de pièces perdues aujourd'hui, entre autres les registres des oeuvres royaux de la chambre des comptes, et qui donne sur le Louvre des détails d'un grand intérêt, dit (p. 14, liv, VII.): «Une bonne partie des tours, chacune, avoit à part son capitaine ou concierge, plus ou moins qualifié, selon que la tour étoit grosse, ou détachée du Louvre. Le comte de Nevers fut nommé, en 1411, concierge de celle de Windal, le 20 septembre. Sous Charles VI, les capitaines de celles du Bois, de l'Écluse et de la Grosse tour furent cassés plusieurs fois.» Le commandement d'une tour n'était donc pas une fonction transitoire, mais un poste fixe, une charge donnée par le seigneur.
9191 Du côté de la Seine.
9292 Du côté de la rue du Coq. Peur a la charge de grand connestable; la porte qui lui est confiée restant toujours fermée. Il semblerait que, du temps de Guillaume de Lorris, la porte du nord demeurait le plus souvent fermée, à cause du vent de bise. Cette porte n'était d'ailleurs qu'une poterne percée à la base d'une grosse tour servant probablement de logement à la connétablie du Louvre. La garde de cette poterne étant facile, puisqu'elle était fort étroite et habituellement fermée, pouvait être confiée au connétable, dont les fonctions consistaient à surveiller tous les postes, à donner les ordres généraux et à se faire remettre chaque soir les clefs des différentes portes.
9393 Ceci est une épigramme à l'adresse des Normands.
9494 Du côté des Tuileries.
9595 Pour médire, répandre de mauvais bruits.
9696 Chaque chef de poste faisait donc le guet à tour de rôle.
9797 La garnison du donjon, composée des plus fidèles, et en grand nombre.
9898 Le Roman du Renart, vers 18463 et suiv.
9999 Renart fuit et se réfugie dans son château qu'il fait réparer.
100100 Il était rare que l'on entrât à cheval dans le château même, les écuries étant généralement bâties dans la basse-cour comprise dans une première enceinte; on laissait les montures devant le pont du château.
101101 Renart engage les ouvriers à terminer promptement leur travail.
102102 Il fait faire un pont à bascule (voy. PONT).
103103 Il est encore question ici d'engins fixes dressés sur les chemins de ronde des tours.
104104 Il fait élever une guette sur chaque tour pour guetter les dehors.
105105 Il fait faire des hourds en dehors des murs (voy. HOURD).
106106 Des ouvrages avancés en bois pour défendre les dehors.
107107 En temps de guerre, on faisait faire, en dehors des châteaux, de grandes barbacanes de bois, que l'on garnissait de gens d'armes appelés par le seigneur. Celui-ci n'aimait guère à introduire, dans l'enceinte même du château, des soudoyers, les hommes qui lui devaient un service temporaire, et de la fidélité desquels il ne pouvait être parfaitement assuré.
108108 Ce dernier trait peint les moeurs du seigneur féodal. Personne du dehors ne connaît ses desseins.
109109 Extraits de Dolopathos d'Herbers, p. 282.
110110 Presque tous les châteaux n'ont qu'une entrée, ainsi que nous l'avons dit plus haut à propos du Louvre. Dans Li Romans de Parise la Duchesse, nous trouvons ces vers: «An la porte devant a fet .i. pont lever. . . . N'i ot que .i. antrée, bien la firent garder.» Et dans la seconde branche du roman d'Auberi le Bourguignon (voy. la chanson de Roland, XIIe siècle, pub. par Francisque Michel, 1837, p. XL): «Fu li chastiax et la tors environ; Bien fu assise par grant devision (réflexion, prévoyance) De nulle part habiter (entrer) n'i puet-on Fors d'une part, si comme nous cuidonz; Là est l'antrée et par là i va-on. Pont torneiz (à bascule) et barre à quareillon (à serrure) Selve (forêt) i ot vielle dès le tans Salemon; Bien fu garnie de riche venoison. Las (proche) la rivière sont créu li frès jon Et l'erbe drue que coillent li garson. Li marois sont entor et environ Et li fossé qui forment (entourent) sont parfont; «Li mur de maubre, de chaus et de sablon, Et les tornelles où mainnent li baron. Et li vivier où furent li poisson. Si fort chastel ne vît onques nus hom; Là dedens ot sa sale et son donjon Et sa chapelle por devant sa maison. ...
111111 La défense de la porte est toujours considérée comme devant être très-forte.
112112 Les ponts-levis étaient assez rares au XIIIe siècle; du moins ils ne tenaient pas encore aux ouvrages mêmes des portes, mais ils étaient posés en avant, à l'entrée ou au milieu des ponts, et se composaient d'un grand châssis mobile posé sur deux piles ou deux poteaux, roulant sur un axe et relevant un tablier au moyen de deux chaînes de suspension (voy. ARCHITECTURE MILITAIRE, PONT).
113113 Une chaussée conduisait à l'entrée, qui était fort étroite. Deux hommes n'y pouvaient passer de front.
114114 On faisait une distinction entre les bailles et les lices, les premières étaient, comme nous l'avons vu au château d'Arques, une encloserie extérieure, une basse-cour, comme encore au château de Coucy; les lices étaient les espaces laissés entre deux enceintes à peu près parallèles, entre les murs du château et les palissades extérieures.
115115 Lorsque l'assiette d'un château avait été choisie sur le sommet d'un escarpement, on taillait souvent le rocher qui devait lui servir de base de manière à rendre les escarpements plus formidables; souvent même on creusait les fossés à même le rocher, comme à Château-Gaillard, à la Roche-Guyon, et on réservait, à l'extérieur, une défense prise aux dépens du roc. Ces travaux sont ordinaires autour des châteaux assis sur du tuf, de la craie ou des calcaires tendres.
116116 Il s'y trouvait de nombreux logements.
117117 Des logements étaient encore disposés autour du donjon.
118118 Li palais, c'est la demeure du seigneur, distincte des herberjaiges, qui paraissent destinés au casernement de la garnison.
119119 Voici la grand'salle, cette dépendance indispensable de tout château.
120120 Dans les salles étaient suspendues les armes, les écus, les cors; c'était la principale décoration des intérieurs; et dans un grand nombre de châteaux, on voit encore la place des tablettes, des crochets de fer qui servaient à porter des panoplies d'armes et d'ustensiles de guerre et de chasse.
121121 N'avons-nous pas vu encore, à la fin du dernier siècle, la noblesse française agir en face des grandes émotions populaires comme