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Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite)

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Mais quelle que fût la richesse et la splendeur des choeurs des cathédrales, ceux-ci n'égalaient pas, en étendue, en meubles richement ouvragés, en châsses précieuses et en tombeaux magnifiques, les choeurs et sanctuaires des grandes abbayes. Parmi ces abbayes, celle de Saint-Denis, en France, se distinguait entre toutes, puisque le choeur de son église servait de sépulture aux princes français. Le plan de ce choeur et de ce sanctuaire est donné dans l'histoire de l'abbaye de Saint-Denis, par dom Félibien; nous nous contenterons d'en tracer la vue cavalière, qui fera mieux comprendre les dispositions principales de cette clôture vénérée (2). Ici, comme dans toutes les églises abbatiales, le choeur, proprement dit, occupait les dernières travées de la nef, la croisée et une travée de l'abside; le sanctuaire, auquel on montait par quatre rampes de dix-huit degrés chacune, deux petites de chaque côté de l'autel et deux grandes dans les deux collatéraux, s'étendait dans l'abside au-dessus de l'ancienne crypte carlovingienne.



Dom Doublet 186 nous fournira la description détaillée de toutes les parties du choeur et sanctuaire de la célèbre église abbatiale. L'entrée du choeur était fermée par un jubé, sur le devant duquel, du temps de dom Doublet, on voyait encore, sculptés en pierre, la vie et le martyre de saint Denis, de saint Rustic et de saint Éleuthère. Sur l'arcade principale s'élevait le crucifix donné par l'abbé Suger; les images de la Vierge et de saint Jean accompagnaient la croix. C'était du haut du jubé que, les jours de fêtes, on chantait l'Évangile. Dom Doublet dit qu'autrefois ce frontispice était couvert de figures d'ivoire entremêlées d'animaux de cuivre; ouvrage admirable, prétend-il, donné par Suger, et que les huguenots détruisirent 187. Avant le sacre et couronnement de la reine Marie de Médicis, le choeur de Saint-Denis n'avait toutefois subi aucune modification importante. Des deux côtés, soixante stalles hautes et basses, richement sculptées et garnies de dossiers en étoffe, s'adossaient aux piliers de la nef. À l'extrémité des stalles, d'un des gros piliers de la croisée à l'autre, une trabes traversait le choeur; cette poutre était peinte d'azur, semée de fleurs de lis d'or; une croix d'or, que l'on prétendait avoir été fabriquée par saint Éloy, s'élevait au milieu de sa portée. Entre les stalles était le lutrin de bronze donné par le roi Dagobert et provenant de l'église Saint-Hilaire de Poitiers. Ce pupitre était soutenu par les quatre figures des Évangélistes, également en bronze. En remontant vers l'autel, dans l'axe du choeur, on voyait le tombeau de Charles le Chauve, en cuivre émaillé, porté sur quatre lions, et ayant, à chaque angle, un des quatre docteurs de l'Église. Le pavé était magnifique, en marbre blanc, noir, vert antique, jaspe et porphyre; c'était probablement une de ces mosaïques connues en Italie sous le nom d'opus Alexandrinum. À l'extrémité orientale du choeur, au-delà de la croisée dans la première travée du sanctuaire, s'élevait l'autel de la Trinité, dit autel matutinal, en marbre noir, enrichi de figures en marbre blanc représentant le martyre de saint Denis; on couvrait son retable de pierre d'un magnifique retable d'or aux fêtes solennelles (voy. AUTEL, fig, 7). Une grille de fer, placée au-devant de l'autel matutinal, au droit des deux premiers piliers de l'abside, formait un premier sanctuaire inférieur. Derrière l'autel, on apercevait la châsse de saint Louis, ouvrage d'argent et de vermeil. Des deux côtés, deux rampes étroites montaient au sanctuaire supérieur. Quatre colonnes d'argent portant les anges céroféraires accompagnaient ces rampes et servaient à suspendre, au moyen de tringles, les voiles de l'autel matutinal. Le sanctuaire supérieur était clos par des grilles de fer forgé, dont il reste des débris admirables. Au fond de l'abside, les châsses de saint Denis et de ses deux compagnons étaient placées sous un édicule d'un travail précieux, accompagné d'un grand autel antérieur (voy. AUTEL, fig. 6). Entre les stalles et l'autel de la Trinité, saint Louis avait fait placer un grand nombre de tombes des princes ses prédécesseurs, en respectant probablement les anciennes places occupées par leurs restes. Le tombeau de Dagobert, monument d'une grande importance, également refait du temps de saint Louis, était placé à côté de l'autel matutinal (côté de l'épître). En face, plus tard, furent disposées les tombes de Philippe V, de la reine Jeanne d'Évreux, de Charles le Bel son époux, de Jeanne de Bourgogne, de Philippe de Valois et du roi Jean. Le magnifique monument de Charles VIII, en bronze doré et émaillé, se trouvait, du même côté, en avant de la clôture de l'autel matutinal (voy. TOMBEAU).

Toutes les églises abbatiales ne pouvaient réunir dans leurs choeurs une aussi grande quantité de monuments précieux comme art et comme matière; cependant elles rivalisaient de zèle et de soins pour décorer les clôtures religieuses. Le choeur de l'abbaye de Cluny était magnifique, le nombre des stalles considérable, le luminaire splendide. Le sanctuaire était entouré de grilles et de tombeaux qui formaient clôture. Cet usage d'employer les tombeaux en guise de clôture pour les sanctuaires se retrouve également dans beaucoup d'autres églises abbatiales et cathédrales, à Saint-Germain-des-Prés, à l'abbaye d'Eu, dans les cathédrales de Rouen, d'Amiens, de Limoges, de Narbonne. Les tombes des princes, des évêques, protègent les sanctuaires (voy. CLÔTURE, TOMBEAU).

Les choeurs des églises paroissiales reproduisaient, sur de petites dimensions, les dispositions adoptées dans les cathédrales. Cependant, comme les églises paroissiales étaient, avant tout, faites pour les fidèles, les choeurs ne furent guère entourés que de clôtures à jour en fer ou en pierre, et les jubés laissaient voir l'autel sous des arcs portés par de fins piliers. Il ne paraît pas, d'ailleurs, que des jubés aient été très-anciennement élevés à l'entrée des choeurs des églises paroissiales, tandis qu'à la fin du XVe siècle et au commencement du XVIe, au contraire, on établit des jubés devant les choeurs de ces églises (voy. JUBÉ). Nous ne devons pas omettre de signaler à nos lecteurs les choeurs des églises qui étaient dépourvues de bas-côtés, comme, par exemple, la cathédrale d'Alby. Dans ce cas, le choeur formait une église dans l'église, avec un espace laissé entre cette clôture et les chapelles rayonnantes; cette disposition est rare en France, et ne se rencontrait que dans quelques églises du Midi.

Presque toutes les églises françaises, et particulièrement les grandes églises abbatiales et cathédrales, présentent une déviation plus ou moins prononcée dans leur axe, à la réunion du choeur avec les transsepts, soit vers le nord, soit vers le sud. On a cherché naturellement à donner l'explication de cette singularité. L'auteur du moyen âge qui pouvait le mieux en donner la raison, Guillaume Durand, qui applique à chaque partie de l'église une signification symbolique, n'en dit mot. Les archéologues modernes ont voulu voir, dans cette inclinaison donnée à l'axe des choeurs des églises, soit une représentation mystique de l'inclinaison de la tête du Christ sur la croix, soit une orientation particulière de l'abside vers le levant et de la façade vers le couchant. Nous ne discuterons pas ces deux opinions, qui ne sont basées sur aucun texte et qui sont plus ingénieuses que vraisemblables; car, dans l'une ou l'autre hypothèse, l'inclinaison serait toujours dirigée du même côté, ce qui n'est point, et les écrivains du moyen âge qui ont parlé longuement de la construction des églises en auraient dit un mot.

Nous hasarderons aussi notre opinion personnelle, sans toutefois prétendre la donner comme résolvant la question; nous dirons tout d'abord qu'elle n'est basée que sur une observation pratique et purement matérielle. Les églises qui présentent cette déviation dans leur axe sont toutes bâties à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIIe; on les construisait partiellement sur l'emplacement d'églises déjà existantes; c'est-à-dire qu'en conservant la nef pour ne pas interrompre les offices, on bâtissait le choeur, ou, ce qui était plus rare, conservant le choeur ancien, on rebâtissait d'abord la nef, ainsi que cela eut lieu pour la cathédrale d'Amiens. Il arrivait souvent qu'en reconstruisant le choeur on élevait en même temps la façade occidentale, afin de donner aux fidèles, le plus promptement possible, une idée de la grandeur du monument et d'encourager leurs efforts; ou bien, par des raisons d'économie faciles à comprendre, on comptait se servir des fondations anciennes lorsque, l'abside achevée, on rebâtirait la nef. Ces deux opérations successives, ce raccordement ne laissaient pas de présenter des difficultés de plantation assez grandes, surtout à une époque où l'on ne possédait pas d'instruments de précision appropriés à la plantation des édifices, où l'on ne pouvait se servir que de cordeaux et de jalons; alors même l'instrument très-imparfait, connu sous le nom d'équerre d'arpenteur, n'était pas en usage. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que les cathédrales, aussi bien que les églises conventuelles, étaient, à cette époque, entourées d'une quantité de bâtiments accessoires, cloîtres, trésors, sacristies, librairies, logements, que les évêques ainsi que les moines conservaient debout aussi longtemps que cela était possible, puisque ces bâtiments servaient journellement. Le maître de l'oeuvre, en plantant un choeur avec l'idée de le raccorder plus tard à une nef existante ou à reconstruire sur d'anciennes fondations, ne pouvait se mettre en communication immédiate avec cette seconde partie. Il devait fermer hermétiquement la portion conservée de l'édifice, et planter son abside au moyen de lignes d'emprunt qu'il lui fallait prendre au milieu d'une masse compacte de bâtiments. Or aujourd'hui, avec l'aide de nos instruments si parfaits, cette opération présente d'assez sérieuses difficultés, ne réussit pas toujours, et on constate des erreurs lorsqu'on en vient au raccordement. Le raccordement exact de l'axe ancien avec l'axe nouveau est un, tandis que la chance d'erreurs est infinie. Nous sommes donc disposés à penser que ces déviations des choeurs de nos églises proviennent d'erreurs, inévitables alors, dans la plantation de monuments construits à deux reprises. Si l'on pouvait nous fournir deux exemples seulement d'églises bâties d'un seul jet et dans lesquelles les choeurs seraient inclinés du même côté, nous serions disposés à admettre une raison symbolique; jusqu'alors nous regarderons l'opinion que nous venons d'émettre comme étant la plus probable.

 

On nous objectera peut-être que, lorsque les maîtres des oeuvres en venaient à la reconstruction de la nef après avoir achevé celle du choeur, il leur était facile de réparer leur erreur, et de prolonger l'axe du sanctuaire pour en faire l'axe de la nef nouvelle. Certainement cela leur eût été facile, s'ils n'eussent dû soit conserver de vieilles fondations, soit se raccorder avec une façade déjà élevée de quelques mètres, soit enfin, admettant qu'ils n'eussent ni fondations anciennes à conserver, ni façade à respecter, se tenir entre des lignes de bâtiments presque toujours accolés aux murs de l'église, tels que cloîtres, salles capitulaires, logis, que l'on voulait conserver parce qu'on ne pouvait s'en passer, même temporairement. Ces constructions que nous admirons gênaient fort les chanoines ou les moines, et il fallait la ferme volonté des abbés, au XIIe siècle, et des évêques, au XIIIe, et leur souveraine puissance, pour vaincre des opositions nombreuses dont nous retrouvons les traces même encore aujourd'hui. Or tous ceux qui sont appelés à diriger des constructions savent quelles sont les difficultés incessantes que soulèvent ces oppositions de chaque jour, quelles que soient la fermeté et la volonté du maître. Il n'est pas surprenant que les architectes des XIIe et XIIIe siècles n'aient pas eu leurs coudées franches et aient été conduits souvent, par des motifs bien misérables, à des erreurs ou des irrégularités qui nous paraissent inexplicables aujourd'hui.

CHRIST (Jésus). Nous ne tenterons pas de faire l'histoire des premières représentations peintes ou sculptées de Jésus-Christ, après les travaux des Ciampini, des Eckel, des Ducange, des Bottari, des Bosio, des d'Agincourt, et ceux plus récents de M. Raoul Rochette 188, de M. Didron 189, des RR. PP. Martin et Cahier 190. Avant l'époque dont nous nous occupons particulièrement, les représentations du Sauveur sont diverses; les plus anciennes, celles que l'on trouve dans les catacombes de Rome et sur les sarcophages chrétiens, nous montrent Jésus sous la forme d'un jeune homme imberbe, portant le vêtement romain, la tête nue avec de longs cheveux ou ceinte d'un diadème ou d'une bandelette, et tenant à la main le volumen antique roulé. Cependant, dès une époque reculée, on prétendait posséder des portraits authentiques de Jésus-Christ. Saint Jean Damascène dit qu'une tradition accréditée de son temps reconnaissait un portrait de Jésus empreint sur un morceau d'étoffe par le Sauveur lui-même pour satisfaire au désir d'Abgare, roi d'Édesse. Pendant les premiers siècles de l'Église, il circulait un signalement (apocryphe il est vrai) de Jésus, envoyé par Lentulus au sénat; ce signalement, par son ancienneté, sinon par son origine plus que douteuse, n'en a pas moins une grande valeur, car il est mentionné par les premiers Pères de l'Église, et servit de type aux images adoptées plus tard par les Églises grecque et latine. «Cet homme, dit le signalement attribué à Lentulus, est d'une taille haute et bien proportionnée; sa physionomie est sévère et pleine de puissance, afin que ceux qui le voient puissent l'aimer et le craindre en même temps. Ses cheveux sont couleur de vin, et, jusqu'à la racine des oreilles, sont longs et sans reflets. Mais, des oreilles aux épaules, ils sont bouclés et brillants; à partir des épaules, ils descendent sur le dos, divisés en deux parties, à la façon des Nazaréens. Front uni et pur; face sans tache, tempérée d'une certaine rougeur. Son aspect est modeste et gracieux, son nez et sa bouche irréprochables. Sa barbe est abondante, de la couleur des cheveux, et bifurquée. Ses yeux sont bleus 191 et très-brillants. S'il reprend ou blâme, il est redoutable; s'il instruit ou exhorte, sa parole est aimable et insinuante. Son visage joint une grâce merveilleuse à la gravité. Personne ne l'a vu rire une seule fois, pas même pleurer 192. D'une taille svelte, ses mains sont longues et belles, ses bras charmants. Grave et mesuré dans ses discours, il est sobre de paroles. De visage, il est le plus beau des enfants des hommes 193.» Tous les artistes chrétiens du moyen âge cherchèrent à reproduire ces traits, ce port et cette physionomie; ils y réussirent quelquefois. En France, jusque vers la fin du XIe siècle, les représentations du Christ sont, comme toute la sculpture et la peinture occidentales avant cette époque, passablement grossières, empreintes des traditions romaines ou byzantines, suivant que les écoles de sculpteurs subissaient l'une ou l'autre de ces deux influences. Sauf quelques traits caractéristiques, comme la longueur des cheveux, la nudité des pieds, le nimbe crucifère, le geste et la présence de quelques accessoires, le livre des évangiles ou le globe, les figures du Christ ne présentent pas un type uniforme; ils sont barbus ou imberbes, vêtus de la tunique simple, longue ou double; le manteau se rapproche du pallium grec ou de la toge romaine. Mais, à la fin du XIe siècle, les riches abbayes françaises qui avaient des rapports fréquents avec la Lombardie, où s'était réunie une école d'artistes grecs, et même avec l'Orient, firent venir dans leurs monastères des peintres et des sculpteurs, qui bientôt formèrent en France une école qui surpassa ses maîtres (voy. STATUAIRE) et parcourut une longue et brillante carrière. Ces artistes non-seulement introduisirent chez nous la pratique de l'art, mais aussi des types formés, consacrés depuis longtemps déjà en Orient; types que le génie occidental modifia bientôt, sans cependant s'en écarter tout à fait. Et pour ne parler ici que da la représentation du Christ, nous voyons, sur le portail intérieur de la célèbre église de Vézelay, un immense tympan au milieu duquel est représenté le Sauveur dans sa gloire, entouré des douze apôtres. Cette figure, de dimension colossale, est évidemment exécutée sous l'inspiration d'artistes byzantins, si ce n'est par eux-mêmes. L'attitude, les vêtements, le faire ne rappellent en rien les grossières et lourdes sculptures françaises antérieures à cette époque, empreintes des dernières traditions de la décadence romaine.



Nous donnons (1) une copie de cette sculpture, étrange mais imposante à la fois. Ce Christ est vêtu d'une longue robe flottante, plissée à petits plis suivant un usage oriental fort ancien et conservé jusqu'à nos jours. La brise semble soulever les longs plis de la robe. Le pallium ne rappelle en rien, ni comme forme, ni comme façon de le porter, le manteau romain ou franc. Le col est découvert; les manches de la tunique sont larges, un peu fendues à leur extrémité et très-ouvertes. Quant à la face du fils de Dieu, elle offre un type tout nouveau alors pour l'Occident. Les yeux sont légèrement relevés vers leurs extrémités, saillants; les joues longues et plates, le nez très-fin et droit, la bouche petite et les lèvres minces. La coiffure est conforme au signalement de Lentulus et la barbe courte, fournie, soyeuse et divisée en deux pointes.

Ce type, l'un des premiers peut-être introduits en France à la fin du XIe siècle ou au commencement du XIIe, dut être regardé, à cette époque, comme une oeuvre remarquable, car nous le voyons reproduit, mais par des artistes grossiers, sur le tympan de la cathédrale d'Autun, postérieure de quelques années à la nef de Vézelay, puis à l'abbaye de Charlieu, puis enfin dans beaucoup d'églises secondaires; mais en se divulguant ainsi, il perd de son caractère byzantin et reprend quelque chose aux vieilles traditions romaines. Évidemment les sculpteurs indigènes, tout en voulant imiter ces sculptures importées chez eux, ne pouvaient abandonner complétement les anciennes méthodes et ne faisaient que les modifier. Cet art byzantin ne convenait pas à l'esprit des populations occidentales; il était trop hyératique; l'observation de la nature, le besoin de l'imitation, du vrai, l'amour pour le dramatique, devaient exercer une influence salutaire d'abord, déplorable quand elle tomba dans l'excès. Cependant, cette introduction d'un art étranger avait eu un grand résultat; elle formait de bons praticiens, car cette figure du Christ dont nous venons de donner une copie est exécutée avec une adresse de main très-remarquable, ainsi que le reste de ce bas-relief; on sent là un art complet, quoique soumis à une forme hyératique. Ce qui se produisait en France pour la sculpture se produisait également pour la peinture. Les fresques de l'église abbatiale de Saint-Savin près Poitiers, qui datent à peu près de la même époque que le bas-relief de Vézelay, dénotent une influence byzantine prononcée, au moins dans la représentation des personnages sacrés; celles qui se voyaient encore dans la cathédrale du Puy-en-Vélay, il y a quelques années, se rapprochaient encore davantage des types grecs. Ce n'est pas à dire que nous regardions les peintures de Saint-Savin ou du Puy comme ayant été exécutées par des artistes grecs; il est certain, au contraire, qu'elles sont l'oeuvre de peintres occidentaux. Le geste dramatique n'a rien de byzantin; c'est seulement dans la méthode, dans les procédés et quelques types, comme celui du Christ, que la trace des arts d'Orient se fait sentir. La fig. 2 nous dispensera de plus longues dissertations sur cet objet. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces influences d'écoles au mot PEINTURE.

 


C'est surtout dans les représentations du Christ triomphant, au milieu de sa gloire, qu'il faut étudier la physionomie donnée, pendant le moyen âge, au fils de Dieu; car c'est en traitant ce sujet que les artistes se sont appliqués à rendre les traits et le port donnés au Sauveur par la tradition.

Pendant la période romane, jusque vers la fin du XIIe siècle, le Christ triomphateur, figuré en sculpture ou peinture, est ordinairement entouré du nimbe allongé, comme celui représenté fig. 1, ce qui n'exclut pas le nimbe crucifère qui cerne sa tête. Dans les peintures, comme à Saint-Savin par exemple, l'auréole qui entoure le corps du Christ triomphateur est souvent circulaire; nous n'en connaissons pas ayant cette forme dans les représentations sculptées. Du reste, ces règles ne sont pas sans exception.



Dans la crypte de la cathédrale d'Auxerre, il existe une peinture, de la fin du XIe siècle probablement, qui fait voir le Christ triomphateur à cheval (3), conformément à la vision de saint Jean 194. Il est posé sur une grande croix ornée de pierreries peintes qui couvre la voûte. Dans les quatre intervalles laissés entre les bras de la croix sont quatre anges, également à cheval; la tête seule du Christ est nimbée. Il est vrai que la croix peut passer pour un signe de triomphe et tenir lieu de la grande auréole. Dans ces deux représentations peintes, les cheveux du Sauveur sont blonds et la barbe noire. Les vêtements du Christ de Saint-Savin sont ainsi colorés: la robe est verte avec une bordure branche, le manteau est jaune; la bordure de la robe, sur la poitrine, est brun rouge avec ornements blancs. Le nimbe est rouge croisé de blanc. La robe du Christ d'Auxerre est blanche, bordée de brun rouge; le manteau est bleu clair sur les épaules, brun rouge bordé de jaune sur la poitrine; le nimbe est bleu croisé de rouge. Les couleurs des vêtements donnés au Christ par les peintres des XIe, XIIe et XIIIe siècles, varient à l'infini, ce qui ne peut laisser supposer qu'on eût adopté en Occident certaines couleurs symboliques pour les vêtements des personnages sacrés. Pendant le cours du XIIe siècle, le Christ triomphateur, soit peint, soit sculpté, est presque toujours représenté entouré des quatre signes des évangélistes, des apôtres ou des vingt-quatre vieillards. À Vézelay, ce sont les apôtres qui sont assis autour de lui (voy. APÔTRE). Au portail occidental de Notre-Dame de Chartres, dont le tympan date de 1150 ou environ, ce sont les quatre animaux, les apôtres et les vieillards de l'Apocalypse. À Saint-Savin, ce sont, en peinture, les quatre animaux qui accompagnent l'auréole circulaire du fils de Dieu. À la cathédrale d'Autun (1150 environ), ce sont les apôtres, les animaux, des anges et démons, le jugement dernier, le pèsement des âmes. Au portail sud de l'église de Moissac, même époque, le Christ est coiffé d'une couronne carrée; son buste seul est entouré du nimbe allongé; à ses pieds sont le lion et le boeuf; des deux côtés de ses épaules, l'ange et l'aigle; deux anges de dimension colossale sont debout à droite et à gauche; puis viennent les vingt-quatre vieillards, sous ses pieds et derrière les deux anges (voy. TYMPAN). Ici le Christ tient un livre fermé de la main gauche et bénit de la droite, comme au portail de Chartres; tandis qu'à Vézelay et à Autun il a les mains étendues et ouvertes. Il est certain que, pendant le XIIe siècle, l'idée dominante des sculpteurs était, lorsqu'ils représentaient le Christ dans sa gloire, de se rapprocher de la vision de saint Jean. Au XIIIe siècle, le Christ glorieux est représenté pendant le jugement dernier; il est demi-nu, montre ses plaies; autour de lui sont des anges tenant les instruments de la Passion, quelquefois aussi le soleil et la lune; à ses pieds se développent les scènes de la résurrection et de la séparation des bons d'avec les méchants. C'est ainsi qu'il est représenté au portail principal de la cathédrale de Paris, au portail sud de la cathédrale de Chartres, au portail nord de la cathédrale de Bordeaux, au portail occidental de la cathédrale d'Amiens, etc. Alors les quatre animaux n'occupent plus qu'une place très-secondaire ou disparaissent entièrement. Le clergé français du XIIIe siècle avait évidemment voulu adopter la scène du jugement, bien plus dramatique, plus facile à comprendre pour la foule, que les visions de saint Jean. En abandonnant la tradition byzantine quant à la manière de représenter le Christ glorieux, on abandonnait également le costume et le faire oriental.



Cependant le type de physionomie donné au Christ se modifie quelque peu; la face est moins longue, les cheveux deviennent ondés sur les tempes au lieu d'être plats, les yeux sont moins ouverts, la bouche moins fine; les traits se rapprochent davantage de l'humanité; déjà on sent l'influence du réalisme occidental qui remplace les types consacrés. Le grand Christ du jugement du portail de la cathédrale de Paris est curieux à étudier sous ce rapport. Cette figure, fort belle d'ailleurs, n'a plus rien d'hiératique. Et, à ce propos, nous devons signaler ici un fait remarquable. En reprenant les soubassements des chapelles situées au nord de la nef de cette église, chapelles dont la construction ne saurait être postérieure à 1235 ou 1240, nous avons retrouvé des fragments d'un Christ colossal provenant évidemment d'un grand tympan, avec les traces des quatre animaux et d'un livre. Cette sculpture appartient aux dernières années du XIIe siècle et, comme exécution, est d'une grande beauté. Il fallait donc que les types admis par le XIIe siècle fussent réprouvés par le XIIIe, pour que l'on se soit décidé, quelques années après, lorsque le portail principal fut élevé vers 1220, à détruire une sculpture aussi importante, pour y substituer celle que nous voyons aujourd'hui. Du reste, il est bon de remarquer encore ceci, c'est que le Christ du tympan de la porte principale de Notre-Dame de Paris, ainsi que la statue de l'ange tenant les clous et la lance, paraissent, comme exécution, quelque peu postérieurs à toute la statuaire de cette porte, et que ces figures ne sont pas sculptées dans un tympan, mais sont des statues posées les unes à côté des autres sur les linteaux et réunies par un enduit de mortier. Ainsi donc, au XIIIe siècle, il y avait une volonté arrêtée parmi le haut clergé de modifier les types du Christ glorieux consacrés jusqu'alors. Le Christ glorieux ne devait plus être que celui qui apparaîtra le jour du jugement. Nous avons cru devoir nous étendre sur ce fait, qui, pour l'histoire de l'art, nous paraît avoir une grande importance.

Mais pendant que les sculpteurs modifiaient ainsi les traditions byzantines du Christ triomphant, ils devaient en même temps exécuter des statues du Christ-Homme, du Christ sur la terre, enseignant au milieu de ses apôtres. C'est ainsi qu'il est représenté sur les trumeaux des portails de la plupart de nos cathédrales françaises. Ce ne fut guère qu'au XIIIe siècle que cette représentation du Christ fut définitivement adoptée. Alors il est vêtu de la tunique longue et du manteau; il tient le livre de la main gauche et bénit de la droite; ses pieds écrasent la tête du dragon et du basilic, images du démon. Parmi ces figures, encore conservées aujourd'hui en assez petit nombre, grâce aux iconoclastes des XVIe et XVIIIe siècles, la plus belle, celle dont le caractère se rapproche le plus du type byzantin sans en avoir la sécheresse, est, à notre avis, la statue du Christ-Homme de la cathédrale d'Amiens. La figure 4 en donne l'ensemble; non que nous espérions présenter dans un croquis l'aspect de grandeur et de noblesse de cette remarquable statue, ce n'est ici qu'un renseignement.



Le type de la tête du Dieu d'Amiens, dont nous présentons le profil (5), mérite toute l'attention des statuaires. Cette sculpture est traitée comme le sont les têtes grecques, dites éginétiques: même simplicité de modelé, même pureté de contours, même exécution large et fine à la fois. Ce sont bien là les traits indiqués dans le signalement cité plus haut: mélange de douceur et de fermeté; gravité sans tristesse. Cette tête est d'autant plus remarquable que toutes celles appartenant aux statues d'apôtres qui l'avoisinent, et qui ont été exécutées en même temps, sont loin de présenter cette noblesse divine. Ce sont des hommes, des portraits même, dans la plupart desquels on retrouve le type picard. L'artiste qui a exécuté la figure du Christ a donc suivi un type consacré, et, avec la souplesse de talent qui appartenait aux sculpteurs de cette époque, il a su distinguer, entre toutes, la statue du Sauveur, lui donner des traits, une physionomie au-dessus des modèles humains dont il pouvait disposer. Mais la limite entre l'art hiératique et l'art d'imitation est, chez tous les peuples artistes, facile à franchir; on ne s'y tient pas longtemps. Les Grecs de l'antiquité l'ont franchie en quelques années; il en fut de même en France. Déjà, vers le milieu du XIIIe siècle, les représentations du Christ ont perdu cette noblesse surhumaine; les sculpteurs s'attachent à l'imitation de la nature, perdent de vue le type primitif, font du fils de Dieu un bel homme, au regard doux, à la bouche souriante, à la barbe soigneusement frisée et aux cheveux bouclés, aux membres grêles et à la pose maniérée. Au XIVe siècle, ces défauts, à notre avis du moins, tombent dans l'exagération, et les dernières traditions se perdent dans la recherche des détails, dans une exécution précieuse et une certaine grâce affectée. Il faut dire encore qu'à partir de la fin du XIIIe siècle les grandes figures du Christ-Homme ou triomphant posées sur les portails des églises deviennent rares. Les sculpteurs semblent donner la place principale à la sainte Vierge, et le Christ est relégué dans les sujets légendaires, ou, s'il apparaît en triomphateur, ses dimensions ne dépassent guère celles des autres personnages. On le représente en buste, sortant des nuées, au sommet d'un tympan ou dans une clef des voussures, tandis que la représentation de la vierge Marie occupe, jusqu'au XVIe siècle, une place principale (voy. VIERGE). Les types du Sauveur se perdant à la fin du XIIIe siècle, nous n'avons pas à nous en occuper ici; ces figures rentrent dans la statuaire. Pour le Christ crucifié, nous renvoyons nos lecteurs au mot CRUCIFIX. La peinture suit les mêmes phases que la sculpture quant à la représentation de Jésus-Christ, plus lentement il est vrai, cet art étant, pendant le moyen âge en France, en retard d'un demi-siècle sur la sculpture. Mais, à la fin du XIIIe siècle, les traditions byzantines sont, en peinture, de même qu'en sculpture, complétement abandonnées. En Italie, on les voit persister plus longtemps, et les Christ de Giotto, d'Orcagna, de Buffalmacco, de Simon Memmi, conservent encore quelque chose du type primitif. Ce respect pour une forme ancienne va beaucoup plus loin chez les Italiens; nous en retrouvons la trace chez des peintres de la renaissance, qui n'avaient rien conservé cependant de l'art hiératique de Cimabué et de ses prédécesseurs. Titien a su donner à ses figures du Christ ce calme, cette noblesse, cette grandeur, cette physionomie en dehors de l'humanité que nous admirons dans nos belles statues du XIIe siècle, et du commencement du XIIIe, ce qui n'a pas empêché ce grand artiste de faire de la peinture de son temps, et dans laquelle certainement il ne cherchait pas l'imitation archéologique. Il n'est pas donné à tous les artistes d'atteindre à cette hauteur, et nous nous garderons bien de le reprocher à ceux qui, depuis trois siècles, font de la peinture ou de la sculpture sacrée; mais ce qu'on eût été peut-être en droit de leur demander, c'est l'étude de ces types si admirablement interprétés dans quelques oeuvres du moyen âge, surtout en France. Depuis la renaissance, on s'est plu à peindre des Christ ou jolis ou terribles. Michel-Ange, dans son Jugement dernier, a fait du Christ une sorte d'Hercule en colère qui se démène sur son trône et s'occupe exclusivement des damnés qu'il envoie d'un geste furieux à tous les diables. Puis sont venus les Christ-Apollon, puis les Christ-mignards au visage efféminé, aux cheveux parfumés, à la démarche molle. De notre temps, on a cherché des inspirations plus pures. Mais peut-être nos artistes feraient-ils sagement d'aller de temps à autre voir les Christ de Chartres, d'Amiens, de Paris; si ces visites ne font pas naître de nouveaux chefs-d'oeuvre, elles nous éviteront cette pâle et maladive physionomie que l'on se plaît à donner au Sauveur aujourd'hui, ces traits de songe-creux, indécis et ennuyés, plutôt tristes que sérieux, ce port plutôt famélique que gracieux. Certes, la lecture des Évangiles est bien loin de tracer dans l'esprit un pareil portrait. La devise du moyen âge, «Christus vincit, Christus regnat, Christus imperat,» toute triomphante qu'elle soit, est faite pour relever la statuaire et laisser une vivante et franche empreinte dans l'âme des fidèles, tandis que la vue d'une nature étiolée, pauvre et souffreteuse, inspire du mépris aux âmes énergiques et affaiblit encore les âmes faibles.

186186 Histoire de l'abbaye de Saint-Denys en France, par D. Doublet. 1625.
187187 Il faut observer toutefois que le jubé avait dû être rebâti sous le règne de saint Louis, avec la nef, la croisée et une partie du sanctuaire. Il faut donc supposer que ces images dont parle D. Doublet auraient été reposées sur le jubé du XIIIe siècle. Le fait n'a rien d'ailleurs de contraire aux habitudes de cette époque, souvent les constructeurs du XIIIe siècle replacèrent dans leurs monuments des bas-reliefs d'une époque antérieure.
188188 Disc. sur les types imitatifs de l'art chrétien.
189189 Iconographie chrétienne.
190190 Mélanges archéol. Vitraux de Bourges.
191191 «Oculi ejus coerulei.» Peut s'entendre comme bleu foncé, bleu de mer (Ovid.), farouches (Horace).
192192 «Vel semel eum ridentem nemo vidit, sed flentem imo.» Peut s'entendre: «Mais plutôt pleurer.»
193193 Codex apocryp. Nov. Testam. ap Fabricium. Hamburgi, 1703; 1° pars, pag. 301, 302. (Voy. Iconog. chrét. Didron; p. 228, 229.)
194194 Apocalypse, ch. XIX, versets 11-17.