Za darmo

La Renaissance Italienne et la Philosophie de l'Histoire

Tekst
0
Recenzje
iOSAndroidWindows Phone
Gdzie wysłać link do aplikacji?
Nie zamykaj tego okna, dopóki nie wprowadzisz kodu na urządzeniu mobilnym
Ponów próbęLink został wysłany

Na prośbę właściciela praw autorskich ta książka nie jest dostępna do pobrania jako plik.

Można ją jednak przeczytać w naszych aplikacjach mobilnych (nawet bez połączenia z internetem) oraz online w witrynie LitRes.

Oznacz jako przeczytane
Czcionka:Mniejsze АаWiększe Aa

III

Le baron Francesco, fort ennuyé du séjour de Rome, s'était retiré, vers 1595, dans son manoir féodal, bien loin des fâcheux et de la police du Saint-Père. Il emmenait avec lui sa seconde femme Lucrezia, Béatrice et ses fils Bernardo et Paolo. Ceux-ci s'enfuirent quelque temps avant le crime et retournèrent à Rome auprès de leur frère Giacomo. La tyrannie du vieux Cenci s'appesantit plus lourdement sur les deux femmes isolées. Il les battait pour tuer le temps. Béatrice, dans ce morne désert, sentit toutes ses révoltes s'exaspérer. Le régisseur du château, Olimpio Calvetti, qui était marié et père de famille, lui parut un ami; il devint bientôt son amant. Sur ce point, tous les témoignages sont concluants. «Il venait dans nos chambres, dit la belle-mère Lucrezia, et se mettait à parler avec madame Béatrice, et moi j'allais me coucher et les laissais causer ensemble». Toute la maison, les frères, le sicaire Marzio, furent au courant de l'intrigue; elle-même, elle la confessa à ses juges, selon une dépêche de l'ambassadeur de Modène à son duc. Certaines dispositions très voilées du testament de Béatrice, en faveur d'un jeune enfant qu'elle ne nomme point, font croire à M. Bertolotti qu'elle était devenue mère. Mais ici, je ne vois pas de preuve bien établie. Quelque chose d'extraordinaire se fût passé à Rocca-Petrella; Cenci eût commis, à l'occasion de cette naissance inattendue, un exploit féroce qu'aucun indice ne révèle. Il est seulement certain qu'il ouvrit, mais un peu tard, les yeux sur la conduite de sa fille et qu'il chassa Olimpio. On imagine la scène terrible de cette journée. Les témoins ont parlé d'un nerf de bœuf toujours pendu dans sa chambre à coucher, et dont il frappait souvent sa fille; il fit fermer par une barre de fer extérieure la porte de l'appartement des deux femmes; à cette porte, on pratiqua un volet, muni d'une serrure, par où entrait la nourriture; les fenêtres furent murées aux trois quarts et ne recevaient plus le jour que par le haut, à la façon des cachots. Béatrice se redressa toute frémissante, et la pensée du parricide entra dans son esprit.

Ainsi la rébellion légitime de deux femmes outragées, et, d'autre part, les plus vils intérêts, les passions les plus fougueuses, l'orgueil irrité, la peur, la soif d'une vengeance, l'attrait de l'or, réunirent fatalement pour la sanglante entreprise les assassins: Béatrice, à qui Cenci a arraché son amant; Giacomo, le faussaire déshérité; Lucrezia, la malheureuse qui tremble devant son mari et le méprise; Olimpio, qui fera sa fortune en effrayant ses complices; enfin Marzio, vassal de la Rocca, un simple bandit, qui, pour une poignée d'écus, accomplira l'œuvre scélérate. Et quel théâtre plus propice que ce manoir, dont les bonnes gens n'osaient point approcher et qui se penche sur les gorges profondes de la montagne, au sein des solitudes solennelles du mont Cassin et d'Anagni!

Le plan du crime fut dressé avec méthode. Nous y trouvons, dès l'origine, la volonté et la main de Béatrice et d'Olimpio; Giacomo, probablement aussi Lucrezia et les jeunes frères ne furent affiliés que plus tard à la conspiration. Olimpio rôdait sans cesse autour de la Rocca et s'y glissait de nuit par les fenêtres, aidé sans doute des valets qui ne voyaient en lui qu'un amant audacieux. Je suppose que Cenci se retirait de bonne heure dans sa tanière, dont il fermait les verrous soigneusement. Olimpio pénétrait dans la chambre de Béatrice et le lugubre colloque commençait. D'abord, selon Marzio, au récit de qui j'emprunte les détails qui suivent, il fut question de livrer le baron aux brigands; c'était la mort la plus naturelle du monde. Mais Francesco sortait peu et armé jusqu'aux dents. Puis la jeune fille eut un entretien avec Marzio et le pria de découvrir un assassin digne de confiance parmi ses amis. Mais Olimpio exigeait que les trois frères Cenci fussent d'accord avec leur sœur; on séduisit sans peine Paolo et Bernardo qui se sauvèrent alors pour ne rien voir. Olimpio fit le voyage de Rome et décida Giacomo. A ce moment, on paraissait choisir le poison. Giacomo remit au sicaire une racine rouge et une fiole remplie d'opium: Béatrice reçut le poison et tenta de s'en servir. Mais Cenci, méfiant, faisait goûter par sa fille les mets et les boissons de sa table. Dans un conseil tenu avec les deux misérables, Béatrice résolut de donner à son père du vin avec de l'opium, afin de l'endormir.

«Vous le tuez alors, dit-elle, comme vous voudrez, et puis nous le jetterons du haut de la terrasse et nous dirons qu'il est tombé par accident.» Elle alluma une chandelle de suif «sans chandelier», la remit à Marzio et renvoya les deux hommes. Mais Olimpio laissa Marzio seul dans la chambre basse où ils devaient se cacher et remonta chez sa maîtresse: Marzio se coucha sur deux tables, enveloppé d'une couverture de la chambre de Béatrice. Les assassins demeurèrent toute la journée du lendemain dans leur retraite: Béatrice leur apporta à manger. Vers le soir, elle revint et dit que son père avait bu du vin mêlé d'opium, mais fort peu, parce qu'il l'avait trouvé amer: elle avait dû en avaler elle aussi quelques gouttes. Il n'était pas possible que le baron s'endormit d'un bon sommeil. Olimpio dit: cette nuit, nous déciderons l'affaire. Il remonta chez Béatrice, sortit du château, ne rentra que de nuit, et laissa dormir Marzio tout seul, comme la veille. Il vint le chercher à l'aube; ils prirent leurs engins, un rouleau à faire la pâte, un gourdin et un fort marteau, et rejoignirent Béatrice. Tous les trois se dirigèrent vers la chambre de Francesco. Mais ils rencontrèrent Lucrezia qui parla bas à Olimpio; tous les quatre se rendirent à la cuisine, où Lucrezia, effrayée, tenta de faire abandonner le projet. Mais Béatrice déclara qu'il fallait que son père fût tué n'importe comment. On attendit donc cette fois encore jusqu'à la nuit. Quand tout fut noir dans le château, les bravi remontèrent chez Béatrice qui était seule. Tout à coup, Olimpio feignit d'avoir une quinte de toux, et se retira, sous le prétexte de ne point être entendu; mais, la toux persistant, il dit à Marzio: «Va, donne à Madame une excuse, nous ne pouvons rien faire à présent.» Marzio s'acquitta de la commission, Béatrice s'emporta contre Olimpio, l'accusant de trahison. Olimpio eut un accès de fureur, blasphéma le nom de Dieu et dit: «Tu veux que je fasse ce que je ne puis pas faire. Si tu veux que j'aille au diable, j'irai!» Et, suivi de Marzio, il s'enfuit hors du château. Mais la nuit porte conseil, et, dès le matin, nous les retrouvons auprès de Béatrice. Cette fois on n'hésite plus. Tout à l'heure Lucrezia ouvrira la porte de la chambre conjugale. Le vieux Cenci est bien perdu.

Il fait grand jour au dehors, un matin radieux de septembre. Les verrous ont glissé et Lucrezia paraît sur le seuil. Elle pouvait alors crier, réveiller son mari: elle regarde, muette, le trio qui entre doucement: Olimpio le premier, puis Marzio, puis Béatrice. Olimpio connaît la situation du lit: il se jette de tout son poids sur le baron et le frappe sur la tête à grands coups de marteau. Béatrice s'est élancée vers la fenêtre qu'elle ouvre, afin qu'on voie clair. Elle s'y arrête un instant, puis se retire, tandis qu'Olimpio frappe sur la poitrine et Marzio sur tout le corps. Francesco n'a poussé qu'un seul cri, s'est soulevé à demi, et tombe écrasé, inerte. Les femmes rentrent, enlèvent en toute hâte du lit les couvertures et les matelas inondés de sang; on habille le corps encore tiède, et l'horrible cortège se dirige vers la terrasse qui donne sur le précipice. Olimpio ouvre une brèche dans le parapet; la chute de nuit paraîtra ainsi vraisemblable. Francesco est lancé dans le vide. Mais Marzio réclame son salaire. Béatrice lui remet vingt écus enfermés dans un mouchoir blanc. Le pauvre homme, en les comptant à la maison, jugea la récompense assez maigre. Il se plaignit à Olimpio. Celui-ci lui assura qu'à Rome, Giacomo lui donnerait de l'or. «Mais, depuis, on ne m'a plus rien donné.» Ainsi finit la confession de Marzio, que je viens de résumer. Les deux bravi s'éloignèrent au plus vite de la Rocca. Marzio se jeta dans les montagnes où il se tint caché jusqu'à l'hiver, malgré la neige. Le commissaire pontifical réussit à l'y arrêter, et ses aveux décidèrent ses complices à s'accuser les uns les autres. Il mourut en prison, des suites de la torture. Olimpio fut assassiné par des spadassins aux gages de Giacomo. Il s'était d'abord caché à Rome, chez un dominicain de ses parents. Cesare, cousin des Cenci, vint lui porter deux cents écus de la part de Giacomo, afin qu'il allât plus loin. Olimpio partit en compagnie de Camillo Rosati, à qui il raconta la scène du crime. Camillo le fit emprisonner traîtreusement à Novellara, mais Olimpio parvint à s'évader. Il fut rejoint à Teramo par trois anciens valets des Cenci, Marco Tulio Bertoli, Cesare et Pacifico da Terani, à qui il proposa de former une troupe de brigands dont il devait être la première victime. Les bandits tuèrent leur capitaine sur la grande route, lui coupèrent la tête et la portèrent au marquis de Celenza, dans les Abruzzes, afin de toucher le prix que la police napolitaine avait promis. Un témoignage considérable échappait ainsi au tribunal criminel de Rome. Mais Olimpio avait semé de toutes parts ses dangereuses confidences, et sa mort fut inutile à ses complices. La police du Saint-Siège, qui s'était assurée déjà de la famille des Cenci et recherchait ardemment toutes les personnes compromises de près ou de loin dans le drame de Rocca Petrella, s'inquiéta alors de la brusque disparition de monsignor Mario Guerra, le compagnon de fredaines de son cousin Rocco Cenci. Elle supposa, et non sans raison, qu'il avait tout au moins aidé à la fâcheuse suppression d'Olimpio. Monsignor se cachait à Naples, où il vivait assez misérablement, sous le nom de l'abbé Scardafa. Une lettre anonyme informa le pape de l'aventure. Clément VIII fit arrêter, par l'entremise du nonce, le faux abbé que l'autorité napolitaine lui expédia par la voie de mer. «C'est un homme roux, plein de chair», dit dans sa déposition le capitaine de la felouque qui portait ce mystérieux passager. Monsignor rentra chargé de chaînes dans la Ville éternelle. On ne releva contre lui aucun fait palpable: mais les tribunaux ecclésiastiques se défiaient de cet homme d'Église: on le garda donc en prison six ans, pendant lesquels il écrivit mémoire sur mémoire: il fut ensuite relégué à Malte pour trois ans; mais on prolongea son exil. Il revint enfin à Rome, et s'occupa de toutes sortes de «négociations illicites, de commerce et de trafics interdits par les sacrés canons», dit, en 1633, un bref d'Urbain VIII. Il était très vieux alors, songeait à se faire ermite, et demandait pardon pour les irrégularités de sa vie. Urbain VIII, le pape qui frappa Galilée, lui pardonna.

 

IV

Les Cenci se virent perdus par la révélation de leurs sicaires. Chacun d'eux, selon la formule du document judiciaire, à peine soulevé dans la torture, crie: «Descendez-moi, seigneur!», et dénonce aussitôt ses complices. Giacomo charge à la fois Olimpio, qui est mort, et Béatrice: «Ma sœur est la cause de la mort de mon père et du malheur de ma maison; je tiens d'elle, de Lucrezia, de Bernardo, de Paolo et d'Olimpio qu'elle traitait celui-ci avec fureur jusqu'à ce qu'il eût consenti à l'assassinat. Moi, je voulais le chasser, même après le crime, et Béatrice me disait: Il faut lui faire des caresses, sinon il te perdra. Ma belle-mère Lucrezia aussi est coupable, car elle était au courant de tout le complot.» Il feint d'avoir été offensé de l'intimité de sa sœur avec Olimpio: «Ils avaient toujours quelque chose à se dire à l'oreille.» Bernardo confirme le témoignage de son frère aîné. Lucrezia accuse Olimpio, Béatrice et Giacomo. Le 7 septembre elle a une première fois empêché le crime, au nom de la madone, dont ce jour était la fête… «la madone aurait fait quelque miracle effrayant.»

Au moment même du meurtre, elle ne se doutait de rien; elle rencontra les trois assassins armés à la porte de son mari, et se dirigea tranquillement vers la chambre de Béatrice. Elle a entendu les coups, mais sans comprendre sur qui l'on frappait. Quand elle est revenue, il était trop tard. Tandis qu'elle lavait les draps ensanglantés du baron, elle pleurait, et Béatrice lui dit: «Sotte bête, pourquoi pleures-tu?» Béatrice, «fille virile», écrit l'agent secret du grand-duc de Toscane, nie d'abord, puis avoue avec franchise sa part de préméditation. «Je dis à Olimpio que je ne voulais pas qu'on fît rien sans le consentement de mes frères.» Mais elle dénonce Giacomo et sa belle-mère, qui porta à manger aux bravi enfermés deux jours et deux nuits dans le château. «Madame Lucrezia aussi m'a conseillé et persuadé de faire tuer mon père par Olimpio.» Elle disait: «Cet Olimpio a promis de le tuer, et il n'en finira jamais.» «Olimpio, à son retour de Rome, m'a dit que Giacomo lui avait bien recommandé, quand il tuerait le seigneur Francesco, de l'achever, parce qu'il avait sept esprits, comme les chats.»

Je laisse de côté les témoignages secondaires des parents ou des domestiques des meurtriers. La cause était entendue. Les efforts de la défense devaient être vains. Béatrice elle-même n'avait rien révélé d'un attentat commis sur elle par son père. Farinaccio développa sans succès cet argument désespéré. Une sentence capitale fut prononcée contre les trois principaux accusés: le pape fit grâce de la vie au petit Bernardo, à la condition qu'il assisterait de près au supplice des siens. Le malheureux figura, en effet, sur les deux échafauds. Après quelques années de galères, il fut exilé, puis gracié, et vécut chétivement à Rome d'une pension que la sainte Rote lui servit sur sa part confisquée dans l'héritage paternel. Quant aux enfants de Giacomo, ils trouvèrent une fortune entamée par la confiscation, ruinée par les désordres de la famille, chargée de dettes et de frais judiciaires; il fallut vendre, avec l'autorisation du pape, les biens patrimoniaux, qu'achetèrent comptant les Borghèse, les Aldobrandini, les Barberini, les Cafarelli.

Ce procès inouï avait profondément ému la société romaine. Les journalistes ou chroniqueurs du temps, qu'on appelait menanti, informent, dans leurs avvisi, les lecteurs de la marche de l'affaire, puis des chances de plus en plus faibles que les condamnés ont d'être grâciés par le pape. En général, ils sont favorables aux Cenci. Les avocats assiégeaient l'antichambre de Clément VIII, qui les reçut, mais fort mal. Les religieuses de Rome suppliaient le Saint-Père d'épargner aux deux femmes la honte de la mort publique. Les cardinaux Aldobrandini et Santa-Severina demandaient que Béatrice fût enfermée à perpétuité dans un couvent. Il est certain que le pape voulut lire le dossier du procès et les plaidoiries; il hésita quelque temps, en faveur sans doute de Lucrezia et de la jeune fille. Malheureusement, plusieurs crimes analogues effrayèrent, dans cette année 1599, le vieux pontife. En juin, Marc Antonio de Massimi, à qui jadis l'on avait déjà pardonné l'assassinat de sa belle-mère, empoisonna son frère dans un plat de macaroni, après avoir essayé le poison sur le cuisinier, qui en était mort. Massimi fut pendu. Une femme tuait son mari, le cousait dans un sac, et attachait le sac si habilement sur le dos d'un portefaix chargé de jeter le cadavre à l'eau, que ce complice, lié, sans le savoir, à son fardeau, accompagnait le mort au fond du Tibre. En août, Andrea Capranica blessa grièvement son frère, et fut arrêté dans le palais du duc Cesarini. Enfin, cinq ou six jours avant le supplice des assassins de la Rocca, Paolo Santa-Croce, parent très proche des Cenci, tua sa mère, près de Rome, de seize coups de poignard, avec la complicité de son frère Onofrio. Clément VIII n'hésita plus, et fit signe à ses bourreaux.

Le 11 septembre, à minuit, on avertit les condamnés que l'heure de mourir était venue. Ils sortirent de la prison, au matin, pour se rendre au pont Saint-Ange: Giacomo, nu jusqu'à la ceinture, sur une charrette; Bernardo, en long manteau, et la tête masquée par un capuchon, sur une autre charrette; les femmes, vêtues de deuil, à pied. Giacomo était intrépide. Bernardo, l'enfant de seize ans, sanglotait; Lucrezia semblait une morte qui marche; Béatrice avait une incomparable sérénité. Les deux femmes moururent les premières, décapitées non par la hache, mais par une véritable guillotine dont le dessin a été retrouvé, par M. Bertolotti, aux archives criminelles de plusieurs procès du XVIe et du XVIIe siècles, qui sont encore à l'Archivio romain. Giacomo, que l'on avait tenaillé, chemin faisant, aux deux mamelles, attendait, tout rouge de sang: il fut enfin écartelé.

Clément VIII sortit alors du Quirinal et s'achemina vers Saint-Jean de Latran, où il dit une messe basse pour le repos des trois âmes si criminelles et si malheureuses. Les corps restèrent exposés jusqu'à la nuit: les femmes, sur une tribune entourée de torches flamboyantes, et les débris affreux de Giacomo étalés sur l'échafaud. Quand les premières ombres furent descendues sur Rome, la confrérie des Florentins vient prendre Giacomo pour le porter à San-Giovanni-Decollato; la confrérie des Stigmates recueillit, sur leur lugubre chapelle mortuaire, Lucrezia et Béatrice et les porta à San-Francesco. Une foule immense de religieux et de peuple suivait avec un grand bourdonnement de prières. Sur la tête livide de la jeune fille on avait déposé une couronne de fleurs.

Sept jours plus tard, on apprit à Rome un nouveau parricide. Deux frères avaient tué et enterré leur père dans une vigne, où des chiens le découvrirent. «Dieu nous aide! s'écrie le chroniqueur, je crois que la fin du monde approche!» En même temps, on brûlait vif, à Campo di Fiori, un faux capucin convaincu d'hérésie. L'ambassadeur de France n'avait pas permis «qu'on fît de pareilles justices devant son palais, non qu'il veuille du bien aux hérétiques, comme le disent ses ennemis, (c'était l'ambassadeur de Henri IV), mais simplement pour ne pas entendre ni voir de telles personnes».

Rome avait assisté, depuis l'entrée de Charles VIII, à beaucoup de spectacles extraordinaires; au déclin de ce grand siècle, ouvert par Alexandre VI, Jules II et Léon X, la vieille ville sainte n'avait plus guère, pour charmer son ennui, que des tragédies de famille et des auto-da-fé. L'entraînement généreux de la Renaissance avait cessé depuis longtemps, et, sous la dure discipline inaugurée au Concile de Trente, la société romaine, indifférente à la culture de l'esprit, étrangère à l'élégance des mœurs comme aux libertés de l'âme, retournait à la barbarie et à la corruption de l'âge féodal. Ces parricides et ces fratricides, les Cenci, les Santa-Croce, les Massimi, ne sont point des popolani condamnés par leur condition à l'empire des passions brutales: ils sont, par la naissance, placés dans les premiers rangs, fort loin de la foule. Quand une société se gâte par le haut, la décadence politique, la ruine de la civilisation sont irrémédiables.

FIN