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Mariages d'aventure

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Il y eut un moment de silence assez long entre l’avoué et le fabricant. Puis, ils commencèrent à parler ensemble, très vivement, chacun espérant faire taire l’autre et le forcer à l’écouter.

M. Gerbeau, qui n’avait pas eu de renseignements et qui persistait à se croire pris pour dupe, était le plus irrité. Il parlait de beaucoup le plus haut; il reprenait sans discontinuer la même phrase:

– Je ne veux rien entendre, je refuse positivement votre fils…

Cette obstination injurieuse à refuser Pascal exaspéra M. Divorne, à la fin.

– Allons chez maître Bertaud nous expliquer, proposa-t-il.

– Soit, dit M. Gerbeau.

Et ils sortirent, – par le couloir d’introduction, au risque de rencontrer quelqu’un! – sans même saluer M. de Saint-Roch.

Mais cette impolitesse n’attrista pas le négociateur.

– Ils vont chez le notaire, se dit-il en se frottant joyeusement les mains, c’est bon signe. Ça m’a donné du mal, mais l’affaire est dans le sac: ici dix mille francs au moins, dont trois mille pour Jeuflas; bénéfice net, sept mille livres.

Et s’asseyant à son bureau, il se remit à la confection de sa réclame, qui se terminait ainsi:

«Ce qui distingue surtout M. de Saint-Roch, c’est que jamais l’intérêt ne le guide. Moraliser l’espèce humaine, voilà son but; faire fonctionner le mariage, tel est son moyen. Mystère et désintéressement sont sa devise.»

L’illustre négociateur avait deviné juste. Tout s’arrangea dans l’étude du notaire. Maître Bertaud savait mettre en pratique ces belles et nobles paroles d’un tabellion à son successeur: «Souvenez-vous, jeune homme, qu’un notaire est un tampon destiné à amortir le choc des intérêts.» Il s’interposa habilement entre ces deux pères, entre M. Gerbeau, qui ne voulait pas donner sa fille, et M. Divorne, qui s’obstinait à vouloir cette fille, depuis qu’on la refusait à son fils.

Grâce à l’inépuisable patience de maître Bertaud, le plus patient et le plus onctueux des notaires, on finit par s’entendre.

Après moins de cinq heures de pourparlers, le mariage fut arrêté, décidé, conclu, presque signé.

Il y était stipulé, entre autres conditions, que M. Gerbeau donnait à sa fille cent mille écus comptants. C’était au moins cinquante mille francs de plus que n’aurait voulu l’ancien fabricant, mais il avait eu la main forcée, tant par le notaire que par M. Divorne.

L’avoué, intraitable sur l’article dot, était bien loin de se douter qu’il travaillait bien moins pour son fils que pour l’ambassadeur matrimonial.

Enfin, la date du mariage fut fixée, et les deux pères, devenus les meilleurs amis du monde, sortirent ensemble de l’étude de maître Bertaud. M. Divorne avait hâte d’annoncer la bonne nouvelle à son fils.

La visite du chevalier de Jeuflas avait singulièrement rassuré Pascal, mais il était bien loin de s’attendre à une solution si prompte.

Il faillit tomber à la renverse, en voyant entrer son père et M. Gerbeau. Mais on n’est pas longtemps à revenir des commotions que donne un bonheur inespéré.

Pascal fut vite mis au courant de ce qui s’était passé, tant chez le propagateur-initiateur que chez le notaire, et bientôt il se trouva qu’il était le moins surpris des trois.

– Qui jamais se serait attendu à cela? répétait M. Divorne.

Et dans le fait, l’avoué eût été bien embarrassé d’expliquer comment, tout à coup, il avait oublié les serments faits à sa femme.

– Ce que je ne comprendrai jamais, disait M. Gerbeau, c’est que ce cher Pascal ait eu l’idée incroyable, impossible, de s’adresser à ce M. de Saint-Roch.

– Oh! pour cela, répondit Pascal, je jure bien que je croyais simplement faire une très innocente plaisanterie.

– Comme si on plaisantait avec le mariage, dit gravement M. Divorne: c’est jouer avec le feu.

– Et encore, continua Pascal, qui jamais se serait douté du rôle de mon ambassadeur, sans un de mes amis qui s’est empressé de vous écrire? Le malheureux croyait me nuire, il m’a rendu le plus grand des services. Mais je voudrais bien savoir qui je dois remercier.

– Il faudrait voir l’écriture, dit M. Gerbeau; voici ma lettre.

– Et la mienne, fit M. Divorne.

Mais l’écriture, habilement contrefaite, n’apprenait rien à Pascal. Il tournait et retournait les deux lettres anonymes, tout en se creusant la tête à chercher le mobile de leur auteur, lorsqu’il aperçut ses initiales à lui, un P et un D en relief, aux angles des deux feuilles de papier.

– Morbleu! dit-il, ces lettres ont été écrites chez moi.

– Mais par qui? demandèrent ensemble M. Gerbeau et l’avoué.

– Ah! voilà, répondit Pascal; il vient beaucoup d’amis chez moi.

Mais en même temps le jeune homme se disait que, seuls, Lorilleux ou Jean Lantier avaient pu s’emparer du billet de M. de Saint-Roch. Le doute à cet égard n’était pas possible.

C’est alors que Pascal se souvint de la pâleur de son ami, la dernière fois qu’il l’avait vu. Il se rappela encore que le médecin était resté seul, ce soir-là, dans son cabinet, pour y écrire, disait-il, une lettre.

Évidemment Lorilleux était le coupable.

Cette trahison si lâche d’un ami d’enfance accabla Pascal. Les déceptions en amitié sont plus cruelles qu’en amour, parce qu’elles sont plus inattendues. Cependant il se garda bien de dire tout haut ce nom qu’il venait de deviner. Indigné contre le médecin, il sentait qu’il l’aimait encore et qu’il répugnait à livrer au mépris le nom d’un ancien camarade de collége; il avait honte d’avouer qu’il avait été dupe d’apparences trompeuses.

Aussi, lorsque M. Gerbeau, après un assez long silence, lui demanda:

– Eh bien! devinez-vous? êtes-vous sur la trace?

– Non, répondit-il. Je n’ai pas même un soupçon.

– Il faut faire une enquête, proposa l’avoué. Si tu restes dans l’incertitude, te voilà condamné à te défier de tous tes amis.

– J’aime mieux ne plus penser à cette infamie, dit résolûment Pascal.

Et il froissa les lettres et les jeta dans un coin, se réservant bien de les reprendre plus tard, pour confondre et accabler le traître Lorilleux.

– Soit! s’écria M. Gerbeau, n’y pensons plus, non plus qu’au Saint-Roch et à son acolyte Jeuflas. Pardon universel. Et moi, je vais, de ce pas, consoler ma pauvre fille, que j’avais laissée dans les larmes, je puis le dire maintenant.

Pascal ne fut pas désolé d’apprendre que mademoiselle Antoinette avait beaucoup pleuré; et, sans doute pour remercier son futur beau-père de l’aveu, il l’embrassa de bon cœur.

X

A l’exemple des mineurs prudents, qui s’éloignent bien vite lorsque, la mine chargée, ils ont mis le feu à la mèche, Lorilleux s’était tenu à l’écart en attendant l’explosion de ses bombes anonymes.

Il ne reparut que le lendemain de ce jour si rempli où le mariage de Pascal avait été décidé. Le médecin dissimulait assez bien ses graves inquiétudes sous un air agréablement badin.

– Quoi de neuf? demanda-t-il en s’installant dans le fauteuil de son ami. Moi, je suis accablé de besogne: tous mes clients se sont donné le mot pour tomber malades le même jour. Et ton mariage, à propos?

– Je me marie toujours avec mademoiselle Gerbeau.

– Ah! fit le médecin, qui pâlit. Et ton père?

– Il est ici depuis hier matin.

– Il consent?

– Qui l’en empêcherait?

Lorilleux, fort décontenancé, se demandait anxieusement s’il ne s’était pas trompé en écrivant les adresses, lorsque Pascal, qui s’était levé fort tranquillement, lui tendit les lettres anonymes en lui disant d’un ton fort calme:

– Tiens, mon ami, voici deux lettres qui ont failli faire échouer mon mariage; reprends-les, et surtout aie soin de les brûler. Que personne ne se doute que tu es capable d’une semblable action.

En venant chez son ami, le médecin était préparé à tout, à tout, excepté à cela. Il balbutia quelques paroles d’excuse; il voulut essayer de nier, il n’en eut pas la force. La honte, l’émotion le suffoquaient.

Il se leva, cachant sa figure entre ses mains, et se dirigea vers la porte en chancelant comme un homme ivre.

Pascal l’arrêta.

– Je n’oublie pas ainsi, lui dit-il, vingt années d’une amitié dévouée; Lorilleux, je te pardonne.

– Ah! s’écria l’infortuné docteur, que les larmes gagnaient, c’est grand ce que tu fais là, car tu ne sais pas quelles pensées me guidaient.

– Je ne veux pas le savoir.

– Il serait généreux de m’entendre; de grâce, écoute-moi. Ton mariage, mon ami, est le coup le plus rude que puisse me porter la destinée. C’en est fait des rêves de ma vie.

– Quoi! parce que j’épouse mademoiselle Gerbeau?

– Oui! je voulais te donner une femme. Cette femme, c’est ma sœur. Seul, tu me semblais digne d’elle. Je croyais ainsi assurer ton bonheur et le sien. Voilà plus de quinze ans que je désire ce mariage…

– Eh! que ne l’as-tu dit plus tôt. J’aurais peut-être déjà quatre enfants à cette heure…

– J’ai voulu attendre.

– Mon cher ami, je te l’ai répété vingt fois, les gens qui attendent toujours que la poire soit mûre, finissent par n’en jamais manger.

– Accable-moi, soupira le médecin, je le mérite, mais, au nom du ciel, ne me raille pas.

– Je n’ai jamais été plus sérieux, reprit Pascal; mais vois la vanité des projets: tu voulais me marier avec ta sœur, ma mère élevait exprès pour moi une héritière, Lantier me destinait une de ses filles… Folies. Je me marie, et c’est par hasard. Vois-tu bien, mon cher, on n’épouse jamais avec préméditation.

Lorilleux était trop accablé pour répondre.

– Écoute, continua Pascal, veux-tu, veux-tu faire une fois en ta vie une action sensée? Accepte, mais là, tout à coup, les yeux fermés, une proposition que je vais te faire, et qui te prouvera que je t’avais déjà pardonné.

– Je suis prêt à faire tout ce qu’il te plaira.

 

– Lantier voulait me donner une de ses filles, l’aînée, avec deux cent mille francs de dot. Je déclare la jeune personne charmante; mais Lantier ne m’a prévenu que ce matin, il était trop tard, j’en aime une autre. Seulement, pour calmer le chagrin de ce père, je lui ai proposé un autre gendre; et cet autre, c’est toi. Tu lui conviens, acceptes-tu? est-ce dit?

– Au moins, laisse-moi quelques jours de réflexion.

– Pas une heure. Oui ou non, sur-le-champ.

Incertain, éperdu, presque fou d’avoir à prendre ainsi subitement une décision si grave, Lorilleux ferma les yeux, comme le voyageur ébloui qui tout à coup, sous ses pas, entrevoit un abîme béant. Lui qui mûrissait ses actions les plus indifférentes, se résoudre ainsi à l’acte le plus important de la vie, quelle épreuve! Mais enfin, triomphant des habitudes de toute son existence:

– Soit, dit-il, j’accepte.

Et tout bas, il ajouta: La fortune de ma femme rejaillira sur ma sœur.

– Ainsi, reprit Pascal, je puis prévenir Lantier.

– Oui, j’ai toujours été malheureux, peut-être la chance me viendra-t-elle par ton entremise.

– Eh! cher ami, pour que le bonheur entre dans une maison, il faut lui tenir la porte ouverte.

Le soir même, pour prévenir toute occasion de chagrin à venir, Pascal, après bien des hésitations, osa, – contre l’avis de M. Divorne et même de M. Gerbeau, – instruire mademoiselle Antoinette de tout ce qui s’était passé; il lui dit le rôle joué par l’ambassadeur matrimonial et le chevalier de Jeuflas Pour toute réponse, la jeune fille lui tendit la main, comme je souhaite, ami lecteur, que te la tende la femme que tu aimes, lorsque tu auras quelque requête à lui présenter.

Cependant le chevalier de Jeuflas ne fut point invité à la noce, qui eut lieu quinze jours plus tard.

XI

Depuis un mois, le jeune ménage était installé dans une ravissante maison des Champs-Elysées, arrangée, Dieu sait avec quels soins! par Jean Lantier, devenu le beau-père du docteur Lorilleux; M. et madame Divorne étaient repartis pour Lannion, enchantés de leur belle-fille, lorsqu’un matin, un monsieur se présenta qui tenait essentiellement, disait-il, à parler à Pascal.

Ce visiteur était coquettement vêtu, malgré l’heure matinale. Il portait, par-dessus son habit bleu-barbeau, une douillette de couleur claire, doublée de satin blanc, il avait des gants paille. Pour ne pas déranger l’ordre merveilleux de sa chevelure blonde, il tenait son chapeau à la main.

Le domestique pensa d’abord que cet étranger si bien frisé sortait de quelque bal et se trompait de porte; mais, comme il insistait sous prétexte d’affaires très urgentes, il se décida à l’introduire dans le cabinet de son maître.

– Bonjour, cher enfant, dit la voix de miel de M. de Saint-Roch; j’ai voulu vous surprendre dans votre bonheur; me pardonnez-vous cette indiscrétion qui est ma seule récompense?

Pascal ne jugea pas à propos d’offrir un siége à l’ambassadeur.

– Eh bien, cher client, continua le négociateur, bénissons-nous notre ami? Je ne vous avais pas trompé, hein? papa Gerbeau s’est gentiment exécuté; peste! trois cent mille francs…

– Je suis fort pressé ce matin, interrompit Pascal.

M. de Saint-Roch poussa un gros soupir.

– Ingrat! murmura-t-il, ingrat! il oublie que j’ai été son initiateur à la félicité du mariage.

– De quoi s’agit-il?

– C’est la moindre des choses, reprit l’ambassadeur; nous avons un petit traité, vous savez, cinq pour cent de la dot. Vous avez eu cent mille écus, il me revient quinze mille francs.

– Et si je refusais de payer? demanda Pascal en souriant.

– Oh! fit M. de Saint-Roch, pâlissant sous son vermillon, quelle plaisanterie, marchander votre bonheur…

– Mais si je ne plaisantais pas, si je marchandais?

– Nous plaiderions, alors, j’ai la douleur de vous le dire, et je gagnerais certainement. J’ai, vous le savez, des arrêts en ma…

– Assez, assez, dit Pascal… Tenez, ô le plus désintéressé des ambassadeurs, voici votre argent.

– Ah! cher enfant, s’écria l’homme illustre d’une voix doucement émue, je n’attendais pas moins de votre reconnaissance. C’est la dette du bonheur que vous acquittez… Puis, avisant sur le bureau un petit presse-papier: – J’emporte ceci, dit-il; ce souvenir me sera plus précieux que les billets de banque que vous venez de me donner. Ne suis-je pas votre second père, en voyant ce don pieux d’une…

– Au revoir, cher monsieur de Saint-Roch, dit Pascal, en poussant son second père vers la porte.

Mais le diou de l’hymen s’arrêta sur le seuil.

– Cher enfant, dit-il à demi-voix, si jamais, – Dieu vous préserve de ce malheur! – vous veniez à perdre votre épouse, souvenez-vous de mes bons offices, et conservez-moi votre clientèle.

II
PROMESSES DE MARIAGE

I

Au dire de tous, même de ses amis, et on sait l’impartialité des amis, Hector Malestrat était et méritait d’être le lion de la jeunesse bordelaise.

C’était, en 1859, un fort joli garçon, un peu fat, légèrement prétentieux, et fier comme il convient de ses avantages. Il avait vingt-neuf ans, une agréable figure, beaucoup d’argent, et un bon tailleur. On citait comme une merveille son hôtel de Bordeaux, on admirait ses chevaux et ses voitures, on copiait servilement ses livrées; son chalet d’Arcachon avait rendu malade de jalousie un Anglais spleenique. Enfin, la capricieuse fortune s’était complue à vider sur la tête de cet heureux mortel le coffre-fort de ses faveurs.

Hector était le fils unique d’un armateur fabuleusement riche et néanmoins d’une honnêteté si rare, qu’à Bordeaux son nom était devenu le synonyme de probité commerciale. Sur la fin de sa carrière, et comme il songeait sérieusement à jouir enfin de ses millions, ce négociant fut atteint de malheurs que nul ne pouvait prévoir. La faillite de plusieurs maisons d’Angleterre et de Hollande, trois sinistres en mer, une baisse énorme sur les vins, le mirent à deux doigts de sa perte. Tout autre que lui eût succombé, son immense crédit lui permit de faire face à tout, l’orage passa sans le renverser.

Mais s’il ne fut pas ruiné complétement, ses capitaux subirent une telle diminution qu’il se trouva pauvre, en comparant le passé au présent. Il en prit un grand chagrin, comme tout homme habitué au bonheur, qui ne sait ce que c’est que la lutte et se laisse abattre au premier revers. La mort de sa femme, sa compagne de vingt-cinq ans, qu’il aimait de tout ce que le commerce lui avait laissé de cœur, compliqua des peines déjà au-dessus de son énergie. Il baissa la tête sous ce dernier coup, languit une année à peu près, et mourut avec le regret de n’avoir pu réparer ce qu’il appelait son désastre, en demandant pardon à son fils de l’avoir mis sur la paille par son imprudence.

A vingt-trois ans, Hector se trouva donc orphelin, libre et maître d’une fortune qui s’élevait encore à bien près de cent mille livres de rentes. Son père, en mourant, lui avait recommandé de continuer les affaires; mais, après quelques jours de réflexions, il pensa qu’il n’avait pas de goût dispendieux, que par conséquent il était assez riche. Il liquida à tout prix les opérations en train, ferma le comptoir et ne voulut plus entendre parler d’affaires. Il disait qu’il n’avait pas trop de tout son temps pour s’occuper sérieusement de ses plaisirs.

De ce moment, il donna le vol à toutes ses fantaisies, et commença d’éparpiller ses revenus le plus joyeusement du monde, en compagnie de quelques beaux de son cercle qui, dès les premiers jours, voulurent bien lui former une petite cour, et devinrent plus tard les satellites de cet astre.

Hector, cependant, en vrai fils de son siècle calculateur, prétendit mettre à son désordre un ordre infini. Il se le promit et se tint parole, fermant les oreilles lorsqu’il le fallait, et même le cœur, à tous les entraînements. Il eut pour ses prodigalités la prudence d’un avoué. Il s’accorda pour soixante mille francs de folies par an, et jamais il ne dépensa dix louis de plus.

C’en était assez pour lui assurer une belle position; il eut l’art de prendre la première place. Une aventure scandaleuse dans le grand monde fut la première marche de son piédestal. Il ne mentit pas à de si heureux débuts, et la chronique assure que rarement il trouva des cruelles. Sans doute il eut l’adresse de bien choisir, et il ne compromit pas sa réputation de conquérant, en livrant des batailles perdues d’avance, ou même douteuses.

Il avait d’ailleurs une vie fort occupée. Une danseuse arrivait-elle au Grand-Théâtre avec de niaises prétentions à la vertu? on était sûr de le trouver à la tête de la cabale qui chutait ce sylphe à préjugés et le forçait de partir ou de se rendre. D’ordinaire il tyrannisait la première forte chanteuse, heureuse de s’assurer, à ce prix, la protection d’un homme qui régnait despotiquement dans la loge infernale de l’Opéra, et dont le veto était sans appel au moment critique des débuts. Elle avait droit, en échange de sa confiance, à des succès orageux payés comptant, à des avalanches de bouquets et de couronnes, à une ovation lors de son bénéfice, et à un compte ouvert à la caisse de son tyran, à l’article amour.

Que fallait-il à Hector pour couronner l’édifice de sa réputation? Deux ou trois duels. Il les eut, heureux pour lui, pas trop malheureux pour ses adversaires. La gloire sans le remords, le triomphe sans l’odieux de la victoire. Sa bravoure devint un fait notoire, et il fut à l’abri des méchancetés directes. On redoutait d’ailleurs son esprit un peu brutal, comme celui de tous les hommes avantageux qui, après avoir tout osé, croient pouvoir tout dire.

Pour varier ces occupations si nobles et si graves, Hector, suivant la saison, chassait ou s’aventurait en mer, sur un yacht à lui. Puis il dressait ses attelages et montait à cheval. Quand il passait, bien des gens s’arrêtaient au bord du trottoir ou tout au moins se retournaient. Les petites grisettes, si agaçantes sous leurs bonnets à ruches de rubans, n’avaient pas pour le regarder d’assez grands yeux. Il pouvait recueillir sur sa route comme un murmure d’admiration. On disait:

– Voilà M. Malestrat qui passe.

Et c’est là une jouissance vive et délicate, la plus grande des villes de province. A Paris, on ignore ce plaisir, qui transporte la vanité: Rastignac et de Marsay passent inaperçus dans la foule qui roule sur les boulevards. La majorité ne connaît pas M. de Rothschild de vue.

Hector eût peut-être fait courir; la déconfiture d’un sien ami qui avait dépensé un million pour gagner un prix de huit cents francs, vint l’éclairer fort à propos sur le danger d’une écurie. Ce fut comme un poteau de salut placé près de l’abîme. Sa plus grosse dépense resta le jeu. On joue beaucoup à Bordeaux; quiconque s’est promené passé minuit aux alentours du Grand-Théâtre, a pu facilement s’en convaincre. A travers les volets des clubs, fermés par ordre de la police, filtrent de vives lueurs, et dans le silence de la nuit on entend le tintement de l’or sur les tapis. C’est comme une provocation de la fortune, comme une enseigne au-dessus de la porte: Ici l’on gagne. Par malheur, on y perd souvent aussi, mais Hector était heureux au jeu.

Aussi ce roi absolu était à la fois très envié, très adulé, très calomnié. Les uns le disaient avare, les autres prodigue. On ne peut contenter tout le monde. Quelques hommes, de ceux qui le gagnaient plus que de raison au baccarat, l’accusaient d’être joueur. Certains soupeurs émérites avaient bien été jusqu’à dire du mal de sa cave et à déconsidérer son cuisinier. Enfin deux ou trois belles dames, après s’être inutilement compromises pour lui, en étaient venues à déchiqueter sa réputation de leurs trente-deux fausses dents. Mais il avait pour lui l’escadron charmant des demoiselles à marier, – on le disait si dangereux! – et la phalange sacrée des mamans qui le guignaient pour leurs fillettes, – on assurait qu’il ne tiendrait pas à la dot; – et aussi ceux qui lui empruntaient de l’argent. En tout, une armée respectable. Amis et ennemis, flatteurs et calomniateurs, il avait tout ce qui consacre la supériorité.

Eh bien! cet homme heureux s’ennuyait.

Comme nombre de gens, Hector valait mieux que sa réputation. Qui l’eût jugé sur sa façon de vivre, se fût grossièrement trompé. Il avait fait nombre de folies, mais sans passion, le cœur y était resté étranger. Il agissait suivant certaines formules que le monde impose, et qui souvent rendent un homme d’esprit tributaire des imbéciles. Devenir un homme à la mode l’avait flatté en commençant; son but atteint, il avait cru son honneur intéressé à maintenir sa réputation. Sa vanité était devenue comme un boulet qu’il traînait, sans oser rompre la chaîne. Il avait bonne envie de donner un but a son existence, mais il ne savait lequel. Une fausse honte, une certaine défiance de soi, et aussi les mille fils de l’habitude le retenaient.

 

Il se demandait comment s’y prendre pour faire autrement qu’il n’avait fait jusqu’alors, cherchait et ne trouvait pas. Qu’entreprendre à son âge? Se remettre aux affaires? Mais l’argent fait tout l’intérêt du commerce, et il se trouvait plus riche que ses désirs. Il eût fallu se mettre résolûment à travailler, mais à quoi? et que dirait Bordeaux? Brave l’épée à la main, il se sentait sans courage contre l’opinion. N’était-il pas lui-même l’homme de l’opinion, et ne lui devait-il pas tout? Il ne savait que rougir de son peu de résolution. Il méprisait un peu ses bons amis, mais leurs railleries lui inspiraient une véritable terreur. Jusqu’alors il avait vécu non pour soi, mais pour les autres; il le comprenait fort bien, et cette idée l’exaspérait. En jugeant l’avenir d’après le passé, il se sentait le cœur affadi, mais il ne se décidait à rien.

Le fait est qu’il était excédé de cette existence, plus aride qu’un éloge académique, et, malgré son apparente variété, plus monotone que les évolutions d’un pendule.

Le soir, en rentrant chez lui, il se laissait aller sur son fauteuil, plus fatigué qu’un acteur après six heures de planches, bâillait et se répétait avec un énorme découragement:

– C’est toujours la même chose, toujours la même chose!

Ah! si les amis l’avaient vu! Mais il cachait soigneusement cet écrasant ennui, que nul ne soupçonnait, pas même son valet de chambre.

Enfin, un matin, il eut une inspiration qu’il jugea envoyée d’en haut.

– Si je faisais une fin, murmura-t-il, si je me mariais?

Il saisit l’inspiration au vol, et, séance tenante, sans trouble, sans hésitations, il décida qu’avant trois mois il serait marié; lui qui jusqu’alors n’avait pensé au mariage que comme un jeune sous-chef du ministère, ambitieux et remuant, pense à sa retraite.

Son esprit ne s’arrêta pas une minute à ces mille détails futiles ou graves, tristes ou charmants, qui font du mariage une si belle ou si terrible chose. Il ne songea pas davantage aux sept ravissements qui, dit le poète arabe, attendent le cœur de l’époux. Même il ne se posa pas ce terrible problème, fantôme de la dernière nuit de ceux qui vont se lier pour toujours: – Serai-je heureux? serai-je malheureux?

Non, il se disait simplement: – J’ai assez de la vie de garçon, cela me changera.

Et il bâtissait ainsi son château en Espagne:

– Ma femme sera jolie, spirituelle et très riche. Nous aurons la meilleure maison de Bordeaux. Elle fera admirablement les honneurs de son salon, nous recevrons beaucoup, je serai le plus envié et, partant, le plus heureux des hommes.

Après avoir vécu pour le monde, il allait se marier pour le monde. Toujours la même folie.

Le soir même, avant de quitter le cercle, il fit part à ses amis de sa grande résolution; il dit que c’était chose arrêtée irrévocablement.

Il était à peine sorti, qu’il y eut un tolle général. – Quelle mouche l’avait piqué? devenait-il fou? Se mettre la corde au cou, à son âge!

Si encore il avait demandé conseil à ses amis! A quoi servent les amis, si on ne les consulte pas? Les intimes se déclarèrent très blessés, disant qu’il avait conduit toute cette affaire avec peu de délicatesse.

Mais les commensaux habituels d’Hector, hôtes de tous les jours, étaient sérieusement affectés. Ils prévoyaient que la caisse d’un homme marié est de plus difficile composition que celle d’un célibataire. Au fond, ils se trouvaient lésés, et leur figure prit le deuil que bientôt, sans doute, allait prendre leur fourchette.

La conversation sur ce texte du mariage d’Hector fut infinie. La table de baccarat fut délaissée, tant était grand l’intérêt.

Comme il avait gagné toute la soirée, on vit bien que le dépit ne l’avait pas fait parler. Aussi ne songea-t-on qu’à découvrir la femme mystérieuse qui avait triomphé de l’irrésistible. Toutes les demoiselles et veuves à marier de la ville et des environs furent passées en revue, sans que le moindre indice pût mettre sur la trace.

Enfin, à deux heures du matin, on se sépara sur cette conclusion, qu’il devait y avoir un amour sous roche.

Il y avait bien une épouse sous roche, en effet, mais d’amour point. Hector était simplement promis à une jeune fille que, depuis dix-sept ans passés, on lui tenait en réserve. Elle s’appelait Aurélie Blandureau et habitait Paris. Les amis ignoraient ce détail.

Autrefois, lorsqu’il commençait timidement les affaires avec les capitaux d’autrui, M. Malestrat avait eu un associé, M. Blandureau.

Bientôt cet associé se lassa. Il ne comprenait pas grand’chose aux opérations qu’il faisait, puis il trouvait la fortune trop lente à venir à Bordeaux. Il partit pour Paris, fonda une maison de commission et se maria. Mariage et maison prospérèrent; il avait déjà mieux de cinq cent mille francs lorsque sa femme lui donna une fille. M. Malestrat, choisi pour parrain, fit, à cette occasion, le voyage de Paris avec son fils, âgé de dix ans.

Le soir même du baptême, après un magnifique dîner où l’on but prodigieusement à la santé de l’accouchée, les deux associés se jurèrent de marier ensemble leurs enfants. Il n’y eut pas de billets échangés ni de dédit stipulé; mais on sait ce que vaut une bonne parole.

Pour les deux familles, cette union devint une chose aussi certaine que si le maire y eût passé avec son écharpe. Lorsque M. Blandureau écrivait, toujours il demandait des nouvelles du mari de sa fille. M. Malestrat, de son côté, ne manquait jamais de s’informer de la femme de son fils.

Hector avait toujours entendu parler «de cette affaire» comme de chose arrêtée. On ne lui demanda pas son avis. D’ailleurs, que lui importait? Il avait seulement été prévenu que les dix-huit ans de mademoiselle Blandureau étaient l’échéance.

Lors des revers de M. Malestrat, il eût pu y avoir rupture. L’armateur écrivit à son ami, dès qu’il vit clair dans sa situation, pour lui avouer qu’il n’avait même plus cent mille livres de rentes, et lui rendre sa parole. Mais M. Blandureau n’entendit pas de cette oreille.

«Ce qui est fait est fait, écrivit-il noblement par le retour du courrier. Ma fille aura quinze cent mille francs de dot; je me soucie peu de l’argent. N’eussiez-vous plus une obole, nos paroles tiennent toujours.»

A la mort de son père, Hector ne voulut pas laisser protester sa parole. Il continua la correspondance avec M. Blandureau. Chaque année, au premier janvier et le jour de la Sainte-Aurélie, il faisait porter au chemin de fer une caisse de cadeaux. Ces attentions valaient un engagement formel et expliquent la brusque décision d’Hector: ce n’était plus qu’une question de «probité commerciale.»

Du reste, il ne savait rien de sa fiancée, sinon qu’elle s’appelait Aurélie, qu’elle était grande et brune, et qu’elle avait été élevée au Sacré-Cœur.