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Mariages d'aventure

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Cet étudiant, qui en était encore à s’étonner des magnificences et de la générosité de Pascal, stupéfia ses compatriotes par ses descriptions, faites de bonne foi. Selon lui, l’ingénieur se lavait les mains dans l’or, et, la nuit, reposait sur des matelas de billets de banque.

Les exagérations admises comme choses certaines, Pascal fut plus admiré qu’il n’avait été honni. Les pères qui avaient tremblé autrefois d’avoir un pareil fils, le citèrent en exemple à leurs enfants; ceux qui l’avaient le plus maltraité ne se pardonnaient pas cette offense, ce crime de lèse-capital. Ah! l’argent est un avocat puissant!

Le résultat immédiat et le plus clair de ce revirement d’opinion fut pour Pascal une avalanche de lettres: on se rappelait à son souvenir, on sollicitait sa protection pour un neveu, on lui dénonçait les gens qui avaient mal parlé de lui. Un conseiller municipal se hasarda à lui écrire et à faire un appel à «son bon cœur, au nom des pauvres de Lannion, sa ville natale.»

Pascal ne répondit à personne, mais il mit sous pli cinq cents francs pour les pauvres. A cette munificence royale, on vit bien que sa fortune n’avait pas été exagérée; on reconnut à ce trait l’homme dont la signature sur un chiffon de papier donne à ce chiffon la valeur de l’argent comptant. On le salua millionnaire. Quant à demander où et comment il avait gagné cette fortune énorme, personne n’en eut l’idée. Ce sont là d’indiscrètes questions qu’on adresse seulement aux pauvres diables.

Par suite de ces petits événements, l’importance de M. Divorne s’accrut singulièrement; sa considération grandit de cent coudées. Il recueillit les bénéfices des succès de son fils. Il rejaillit sur son front quelques-uns des rayons d’or qui faisaient l’auréole de Pascal. On salua avec vénération le père d’un homme si riche.

Et pourtant, l’avoué était le seul à ne pas ajouter foi à ce qu’il appelait des cancans de petite ville. Pascal avait bien écrit qu’il gagnait de l’argent; mais était-ce probable? Il avait prédit à son fils qu’il se ruinerait; la prédiction devait s’accomplir, car un père ne doit pas se tromper, et tous les jours il s’attendait à le voir revenir réduit à la besace.

L’envoi des cinq cents francs, bien vite connu de tout le monde, ébranla ses convictions. Qui lui garantissait la fausseté de tous ces on-dit? Tous les jours on voit des choses plus surprenantes. Il s’inquiéta, et son esprit fut singulièrement troublé. Toutes ses idées étaient bouleversées, et il ne savait pas encore au juste s’il devait s’affliger d’avoir été mauvais prophète, ou de se réjouir du succès de son fils, à supposer que ce succès fût réel.

Cet état d’incertitude était insoutenable pour l’avoué. Mais il ne voulait pas que l’idée d’aller s’assurer des faits parût venir de lui. Il amena fort adroitement sa femme, qui ne demandait pas mieux, à le presser de faire le voyage de Paris. Pour sauver les apparences, il résista quelque temps, faiblement il est vrai, et enfin eut l’air de se rendre aux sollicitations d’une mère inquiète. Un beau jour il s’avoua vaincu, et comme il avait pris ses mesures à l’avance, il se décida tout à coup, et partit sans crier gare. Il voulait surprendre son fils, qu’il ne surprit pas le moins du monde.

Pascal causait fort tranquillement avec Lorilleux, qui lui consacrait presque toutes ses soirées, lorsque son père entra. Il fut médiocrement étonné, mais très-joyeux; depuis longtemps il espérait et attendait ce petit triomphe. C’est avec un bonheur réel qu’il embrassa son père, lequel en cette circonstance se départit de sa froideur habituelle, et s’attendrit, bien qu’il y eût un témoin de sa faiblesse.

Du premier coup d’œil, l’avoué comprit qu’il devait y avoir du vrai dans les lettres de Pascal; aussi fut-il un peu honteux de sa longue «fermeté,» mais il n’en laissa rien paraître, et prit à tâche de se montrer aimable et affectueux.

Comme il voulait des renseignements, il raconta longuement et gaiement les bruits qui avaient agité Lannion. Pascal, tout en riant beaucoup de l’imagination fertile de ses compatriotes, ne voulut pas laisser plus longtemps son père dans le doute, et en quelques mots il lui exposa le chiffre de sa fortune. Il possédait environ huit mille livres de rentes, gagnées en un peu plus de deux ans.

Il y avait loin de ce revenu modeste aux millions dont on l’avait gratifié; c’était peu en comparaison. Mais ce peu sembla encore énorme à l’avoué. Faisant un retour sur lui-même, il se rappela qu’à l’âge de vingt-six ans, qu’avait alors son fils, il était, lui, simple second clerc dans une étude de province, aux maigres appointements de mille francs l’an. Tant d’argent gagné en si peu de temps choquait toutes ses idées. Il ne put s’empêcher de dire que ce bien était, à son avis, trop facilement acquis. Il vanta l’époque où l’on mettait vingt-cinq ans à amasser quatre mille livres de rentes, sans penser que cent mille livres de cet âge d’or représentaient presque cent mille écus de notre âge de fer.

Puis, comme il était de ces hommes qui veulent avoir raison encore, lorsque l’évidence leur a démontré leur erreur, il remonta son dada favori, et prouva clair comme le jour à son fils qu’il avait eu le plus grand tort de donner sa démission et de ne pas écouter les conseils sensés d’un père qui avait plus d’expérience que lui. Mais il le fit sans amertume et uniquement pour conserver ses avantages.

– Tu aurais les millions qu’on te prête, dit-il à son fils, je te le répéterais encore: tu as eu tort. Je suis trop ferme en mes principes pour qu’un succès les fasse varier. Tu as réussi, mais tu devais échouer. Une exception ne fait rien à la règle, et tu es une exception.

Pascal convint de tout avec la meilleure grâce du monde. A quoi lui aurait servi de combattre des opinions plus solides que le roc, que la mer use à la longue? Il aurait eu d’ailleurs affaire à deux adversaires, car Lorilleux prêtait à l’avoué l’appui de son éloquence. Lorilleux triomphait enfin, il trouvait quelqu’un qui entendait la vie comme lui; il abusa de ses avantages.

Cette première soirée mit au mieux l’avoué et le médecin, et les quinze jours qui suivirent ne firent qu’accroître l’estime et l’amitié qu’ils ressentaient l’un pour l’autre. Plus ils causaient, et mieux il leur était démontré qu’ils s’entendaient sur tous les points. Le machiavélique Lorilleux profita très habilement de cette bonne fortune pour s’établir solidement dans le cœur du père de son ami. Même, avec des précautions et une délicatesse infinies, il osa parler de l’établissement futur de Pascal, et fut au comble du bonheur lorsqu’il crut découvrir que M. Divorne ne regarderait pas à la dot de la femme que choisirait son fils.

Quinze jours passèrent comme un songe pour l’avoué; il aurait été parfaitement satisfait, si Pascal avait eu quelqu’un de ces titres qui font si bon effet sur une carte de visite; mais il n’en avait aucun, car on ne peut décemment s’intituler «démolisseur.» Il ne put s’empêcher de communiquer son chagrin à son fils.

– Si on me demande ce que tu fais, lui dit-il, que répondrai-je?

– Eh! cher père, répondit Pascal, ne suis-je pas toujours ingénieur et plus que jamais architecte? Dites, si vous le voulez, que j’ai rebâti Paris.

– Tu plaisantes toujours, fit l’avoué avec humeur. Quand donc seras-tu sérieux comme M. Lorilleux! voilà un homme posé, au moins, et qui entend la vie. Tu es heureux en tout, car tu peux te vanter d’avoir là un ami qui t’est dévoué, et c’est chose rare.

Jean Lantier aussi plut beaucoup à M. Divorne. Il avait bien été un peu surpris de voir à son fils un tel associé qui aurait porté la veste ronde avec plus d’aisance que la redingote, mais la rondeur du bonhomme le charma. L’entrepreneur, en l’honneur du père de son associé, avait donné un grand dîner, et l’ordonnance du repas, la magnificence de la vaisselle, l’excellence des vins, mirent le comble à l’étonnement de l’avoué, qui ne se doutait pas que le même homme pût passer ses journées dans les débris et les gravats, et rentrer le soir dans un intérieur si confortable, pour ne pas dire si luxueux.

Enfin, M. Divorne partit enchanté, en faisant promettre à son fils de venir tous les ans au moins une fois passer quelques jours à Lannion.

– Décidément, dit-il à sa femme, lorsqu’il fut de retour, notre fils est dans une très belle position.

On peut juger du ravissement de madame Divorne.

– Sans doute, se disait-elle, Pascal songera bientôt à se marier, et c’est à moi de chercher une jeune fille digne d’avoir un tel mari.

La même idée, à peu près, était venue à Jean Lantier. – Si je pouvais marier une de mes filles à monsieur l’ingénieur, quel bonheur pour elle, quel honneur pour moi: avoir dans ma famille un homme qui était le premier à l’École des ponts et chaussées! Il faudra voir. J’ai trois filles qui seront bientôt en âge, elles sont jolies, bien élevées… ma foi! je lui donnerai le choix.

Ainsi, de trois côtés à la fois, la liberté de Pascal était menacée; lui ne s’en doutait guère.

IV

La visite de M. Divorne, deux voyages en Bretagne pour embrasser sa mère, tels furent, pendant six ans, c’est-à-dire jusqu’à l’année dernière, les plus grands événements de l’existence de Pascal.

C’est dire le calme de sa vie, la régularité de ses habitudes. Tous les plaisirs étaient à sa portée, il avait ce qui manque si souvent à la jeunesse, l’argent et la liberté, mais il n’en abusa pas. Le diable s’était fait ermite avant d’être vieux. Jamais jeune homme ne vécut plus loin des jouissances stupides et peu avouables où se ruent avec fureur la jeune finance, monnaie de billon des gros traitants du siècle passé, et la phalange grotesque des gandins, troupe idiote qui vise aux vices des princes de la fatuité et n’atteint qu’au ridicule. Sans être l’idéal de la vertu, Pascal eût bien mérité d’une belle-mère.

 

Mais il ne faudrait pas lui faire trop honneur de cette sagesse exemplaire. Une bonne partie des éloges doit revenir à Lorilleux, qui veillait sur son ami avec la sollicitude d’une mère, non sur son fils, mais sur sa fille. Nuit et jour, Argus aux cent yeux toujours ouverts, le médecin montait la garde autour de son futur beau-frère. Il aurait rendu des points au dragon qui faisait sentinelle devant la porte du jardin des Hespérides, et qu’Hercule tua dans sa guérite, autant pour voler des pommes que pour donner une grande leçon aux factionnaires à venir.

Une ou deux fois Pascal faillit avoir une liaison un peu sérieuse. C’est alors que le médecin montra toute son habileté. Il était bien l’homme des petits moyens; petites ficelles, petites ruses, il ne recula devant rien pour se jeter à la traverse. S’il dépassa les bornes de la stricte honnêteté, il ne s’en inquiéta guère. Pascal était pour lui un dépôt dont il devait compte. Il le défendit avec la conscience d’un dépositaire scrupuleux, et avec tant d’adresse qu’il n’éveilla aucun soupçon, à ce qu’il crut au moins.

Ce que redoutait surtout Lorilleux, c’était de voir son ami s’en aller dans le monde. Les bals parisiens sont tapissés de toiles d’araignées ourdies par les mamans jalouses de se débarrasser de leurs fillettes, et où viennent se prendre les célibataires étourdis. Le jeune homme à marier marche dans les salons, au milieu de piéges toujours tendus. Qu’il perde la tête un soir, c’en est fait de lui; il est guigné, amadoué, circonvenu, étourdi, pris, lié et marié avant d’avoir eu le temps de se reconnaître. Il n’est pas encore bien décidé à prendre femme, il n’est pas encore sûr de son choix, que déjà il a prononcé le oui fatal.

Le médecin savait fort bien tout cela, sinon par expérience, au moins de bonne source. Aussi mit-il tout en œuvre pour empêcher Pascal de profiter des belles relations qu’il avait et qui lui ouvraient à deux battants toutes les portes. Ne voulant pas que son ami allât dans le monde où il n’aurait pu le suivre toujours, il fit venir le monde à lui. Par ses soins, le salon de Pascal devint le centre, le point de réunion d’un groupe d’hommes de son âge, de société agréable, de relations sûres, tous remarquables à un titre quelconque. Lorilleux les avait sévèrement passés au crible avant de les admettre. Aucun d’eux n’avait de sœur à marier.

Pascal laissait faire. Il s’était fort bien aperçu des petites manœuvres du médecin, mais il ne s’en était pas inquiété. Il était loin d’en deviner le but. Il l’aurait su, qu’il ne s’en serait pas épouvanté. Les gens seuls qui se savent assez faibles pour céder à une obsession, pour sacrifier leur volonté à la volonté d’autrui, redoutent la tyrannie; ils connaissent leur irrésolution, et croient partout voir des attentats à leur liberté: ces gens-là, toujours flottants entre l’opinion de Pierre et l’avis de Paul, sont de terribles compagnons; au moindre mot, ils lèvent l’étendard de l’indépendance, se posent en révoltés, et finissent par en passer où l’on veut. S’ils se marient, leurs femmes portent sous leur crinoline le vêtement qui en ménage est le privilége, à ce qu’on prétend, du sexe fort.

Lorilleux n’eut pas à combattre ces petites révoltes à propos de rien. Pascal était beaucoup trop sûr de sa volonté pour redouter l’influence d’autrui, et, loin d’en vouloir à son ami, il était fort touché de ses attentions. Ce genre de vie, au surplus, était tout à fait dans ses goûts; il n’aimait pas à sortir, et pourtant il aimait la causerie. Jamais il n’était si content que lorsqu’il avait quatre ou cinq bons camarades, et cela arrivait presque tous les soirs, au grand désespoir du portier qui, les jours de pluie surtout, trouvait très mauvais qu’on osât faire monter tant de monde par des escaliers cirés.

Tout le reste du temps de Pascal était pris par ses travaux, dont l’importance croissait de jour en jour. Il suffisait à tout, descendant sans peine aux plus menus détails. Jamais on ne vit entrepreneur plus actif, et cette fièvre d’activité, il avait l’art de la communiquer à tous ceux qui l’entouraient. Il savait reconnaître le zèle, et ne lésinait jamais; il se défiait des économies ruineuses. Aussi ses employés ne se ménageaient pas, et ne gaspillaient jamais son temps; certains de recevoir double salaire s’ils faisaient un travail double, ils se jetaient sur la besogne en gens qui voient au bout un bénéfice assuré. Ainsi, il obtint de si prodigieux résultats, que les confrères rivaux se demandaient s’il n’était pas un peu sorcier. Ils se creusaient la tête à chercher une chose bien simple: Pascal savait se faire aimer et sacrifier à propos un billet de 1,000 francs.

Après avoir bien démoli, les deux associés avaient abordé «la bâtisse,» spéculation épineuse, où le plus habile est exposé à se tromper. Mais en cela aussi ils furent heureux, parce qu’ils avaient raisonné juste.

Pascal et Lantier, sans avoir besoin d’un livre de statistique, savaient que le nombre des gens riches, à Paris comme ailleurs, est fort limité. Ils firent leurs calculs là-dessus. Malheureusement, nos seigneurs les propriétaires, détenteurs aimables du capital, ne sont pas encore convaincus de cette fâcheuse vérité. Leurs architectes ne construisent plus que des palais, somptueuses demeures aux balcons sculptés, aux vestibules dallés de marbre. Le premier étage est destiné aux millionnaires, et il faut avoir des intelligences avec la Banque pour habiter sous les combles. On dit bien à ces entêtés qu’ils font fausse route, que le nombre de ceux qui peuvent mettre plus de 1,000 écus à leur loyer n’est pas grand: paroles et peines perdues.

Plus tard, quand ces palais n’auront trouvé d’autre habitant qu’un portier maussade et insolent, quand les écriteaux auront pendant bien des termes essuyé la pluie et le vent sans amener un locataire, alors les tristes propriétaires de ces improductifs monuments écouteront les plaintes de leur bourse lésée. A grand renfort de cloisons, ils diviseront et subdiviseront leurs appartements magnifiques; mais ils n’en feront pas des logements commodes, et encore seront-ils forcés de les louer très cher. Beaucoup se ruineront à ce métier, et cela sans doute fera réfléchir; ils renonceront aux palais, et reviendront aux maisons.

Plus modestes et plus sensés, Pascal et son associé se contentaient de bâtir des habitations habitables. Un honnête homme qui avait des enfants et moins de vingt mille livres de rentes, – il en est dans ce cas – y pouvait loger. Aussi, à peine terminées, étaient-elles louées de la cave au grenier, à des prix raisonnables, assez avantageux cependant, pour faire suer à l’argent placé sept ou huit pour cent, bénéfice qui n’est pas à dédaigner.

De telles maisons, si facilement louées, se vendaient plus aisément encore. Le bouquet de fête que les maçons placent sur la dernière cheminée n’avait pas le temps de se faner que les acheteurs se présentaient. Pascal se faisait un nom parmi les architectes sérieux, et le capital social grossissait à vue d’œil.

Ce bonheur constant, dû à beaucoup d’habileté et de savoir-faire, taquinait prodigieusement Lorilleux. Faute de savoir se l’expliquer, il se consolait en répétant ce refrain banal, pavé dont les sots qui restent en chemin assomment les gens d’esprit qui réussissent:

– Il a de la chance.

Et lui, Lorilleux, n’avait pas de chance, il le reconnaissait, non sans amertume. Semeur patient, il ne récoltait rien, à l’encontre de ce que promet l’Évangile. Chaque matin il était éveillé par quelque petite déception; tous les jours il trouvait dans ses combinaisons si savantes une erreur de calcul. Et au lieu de s’en prendre à lui, il s’en prenait aux événements; comme si toute l’habileté ne consistait pas en cela: dominer les événements, ou tout au moins les faire tourner à son avantage.

Le médecin avait rêvé la gloire et la fortune, et gloire et fortune semblaient le fuir. Son nom était toujours obscur, et son plus gros client était un droguiste retiré, qui, depuis qu’il habitait la campagne et respirait un air pur, ne pouvait plus respirer.

Aussi, insensiblement, le caractère de Lorilleux s’était aigri; son teint avait pris ce ton bilieux qui est la livrée de l’envie; il devenait tyrannique, susceptible, cassant. Il prenait les choses au pis, et ne cachait plus sa haine ni son mépris pour les hommes. Partout il voyait les intrigants et les fourbes plus adroits que lui, et il déplorait son peu d’adresse.

Le médecin avait encore d’autres soucis qui troublaient son sommeil et assombrissaient son front. Pascal allait être décidément très riche. Cette fortune, venue si vite qu’elle avait déconcerté toutes ses prévisions, l’inquiétait horriblement. Ne serait-elle pas un obstacle? A ne considérer que l’expérience, Pascal, avec vingt mille livres de rentes, devait être beaucoup moins désintéressé que lorsqu’il était relativement pauvre. Lui qui jadis, à chaque spéculation heureuse de son ami, se frottait les mains en pensant à sa sœur, il en était réduit à lui souhaiter quelque bonne petite faillite qui ébréchât un peu son capital.

Il se reprocha amèrement d’avoir tant attendu et résolut de démasquer ses batteries, non tout d’un coup, mais avec une sage lenteur.

Démasquer est bien le mot. Personne au monde ne pouvait se douter des intentions de Lorilleux; sa mère même n’était pas dans la confidence. Ce profond diplomate n’avait jamais rien laissé percer de son secret. Sa sœur, aussi bien que son ami, ignorait ce projet amoureusement caressé pendant quatorze ans. Et quel secret! le rêve d’une vie entière.

Avec une prudence au-dessus de son âge, Lorilleux s’était bien gardé d’admettre son ami dans l’intimité de sa famille. Il avait deviné qu’un mariage est presque impossible entre deux jeunes gens qui ont grandi ensemble. Se voir tous les jours ne peut conduire qu’à une douce et fraternelle amitié. Grâce à d’habiles précautions, mademoiselle Lorilleux et Pascal s’étaient à peine entrevus dans de rares occasions, ménagées avec un art infini. Ils ne s’étaient pas parlé en tout dix fois.

Il s’agissait maintenant pour le médecin de mettre les jeunes gens en présence. Grave affaire; pourtant il lui semblait que toutes les difficultés, sauf cette fortune maudite, étaient aplanies. Pascal allait avoir trente ans, il était doué de tous ces avantages extérieurs qui séduisent une femme. Mademoiselle Lorilleux avait, elle, dix-huit ans, elle était remarquablement jolie, brune, et ravissante de grâces et de distinction. Elle devait à son frère une éducation beaucoup plus sérieuse que ne l’est ordinairement celle des femmes. Enfin, ce frère prévoyant et rigide s’était appliqué à briser la volonté de la jeune fille, exagérant à plaisir sa tyrannie, lui préparant ainsi d’heureux jours pour le temps où elle trouverait un joug moins rude que le sien.

Lorsque le médecin les considérait tous deux, cet ami entouré de tant de soins, cette sœur si tendrement aimée, il ne pouvait s’empêcher de s’émerveiller et de s’applaudir de son œuvre, tant il les trouvait bien faits l’un pour l’autre. Il les unissait par la pensée, s’installait dans le ménage, et le bonheur dont il les voyait jouir était sa récompense.

Décidé à presser le dénouement, Lorilleux comprit qu’avant tout il devait peu à peu habituer Pascal à l’idée du mariage, le lui faire désirer. C’était affaire de temps. Encore, dans ce travail préparatoire, le médecin avait, sans s’en douter, deux auxiliaires puissants. Madame Divorne ne voulait pas avoir vainement cherché et trouvé une héritière, une belle-fille selon son cœur. Dans toutes ses lettres elle glissait, à côté d’un éloge de sa perle bretonne, quelque délicate allusion matrimoniale. Jean Lantier, en véritable orfèvre, répétait sans cesse qu’un homme était bien fou de se résigner à vivre seul, quand il y a de par le monde tant de charmantes demoiselles qui ont reçu la meilleure des éducations dans les pensionnats les plus renommés de Paris; établissements modèles, où la moins intelligente des élèves apprend bien vite à faire trois toilettes par jour.

Mais Lorilleux, par le fait de ses relations quotidiennes avec Pascal, pouvait agir bien plus directement. Il avait trouvé pour endoctriner son ami une petite combinaison assez ingénieuse. Il avait feint d’être lui-même atteint de matrimoniomanie. Grâce à ce détour, il pouvait tout dire, ses insinuations ne pouvant être regardées que comme les épanchements d’une confiante amitié.

Aussi, comme il disait bien les amertumes de la solitude, les tristesses du célibat! Comme il chantait les douceurs de l’hyménée, le chaste bonheur de deux âmes qui se comprennent et dont l’union a été sanctifiée par l’Église et reconnue par la loi.

Puis il détaillait à plaisir les «causes déterminantes» qui le décidaient. Un homme doit se marier jeune. N’est-ce pas folie que d’attendre pour choisir une compagne l’heure de la décadence? Ainsi font ces vieux éhontés qui semblent moins chercher une épouse qu’une garde-malade.

 

Qu’apportent-ils, ceux-là, à la chaste jeune fille qu’ils conduisent à l’autel, en échange de ses trésors de jeunesse et de candeur? Un cœur éteint, une imagination flétrie, un corps usé, des ruines, des débris de toutes sortes. Aussi, quel sort les attend! Il faut voir l’intérieur de ces ménages, un an après la signature du contrat. Ah! qu’on est plus sensé mille fois en Angleterre, en Amérique, en Allemagne! Là, chacun épouse la femme qu’il aime, et l’épouse pour elle-même. Pas de ces considérations honteuses qui font, en France, du mariage une spéculation, une affaire d’argent que discutent froidement des notaires, et dont la conclusion dépend d’un chiffre au total. En ces pays heureux, ce n’est pas la dot qui attire les épouseurs; aussi, toutes les jeunes filles se marient, riches ou pauvres, pourvu qu’elles soient belles et aimables; il n’y a que les laides à coiffer sainte Catherine, et encore lorsqu’elles ne savent pas sauver leur figure à force de bonnes qualités.

Ainsi parlait Lorilleux avec l’éloquence de la conviction. Chaque jour, pour reproduire ces quelques idées, il inventait une forme nouvelle. Pour décrire les enchantements de la lune de miel, il devenait presque poète. On aurait pu croire que tous les matins il étudiait, pour les paraphraser le soir, quelques pages de ce livre aimable et ingénieux qui, après avoir fait la réputation et la fortune de M. Legouvé le père, n’a pas été sans contribuer aux succès littéraires et à la renommée de M. Legouvé le fils.

A tous ces propos, Pascal prêtait une oreille distraite. Lorsque Lorilleux, après avoir décrit la femme de ses rêves, c’est-à-dire après avoir fait le portrait de sa sœur, s’écriait:

– Oui, c’est bien décidé, le jour où je trouve cette femme, je me marie.

– Marie-toi, lui répondait simplement Pascal.

Il fallait alors une grande force de caractère au médecin pour ne pas dire à son ami:

– Eh bien! et toi?

Mais déjà à deux ou trois reprises le jeune ingénieur était venu au-devant de cette question, toujours suspendue aux lèvres de Lorilleux.

– Je me marierai très probablement, disait-il, comme tout le monde, mais je suis assez jeune pour attendre encore. Je me trouve fort heureux tel que je suis; la solitude ne me pèse en aucune façon. D’ailleurs, à notre époque, une femme est un luxe encore au-dessus de mes moyens. Il faut vraiment de la fortune à celui qui ne se sent pas l’utile courage de considérer la dot avant tout; et je veux, moi, pouvoir choisir sans m’inquiéter de l’argent.

Si le peu d’empressement de Pascal désolait Lorilleux, au moins il était ravi de son désintéressement. Et Dieu sait s’il l’approuvait!

– Une femme doit tout tenir de son mari, disait-il.

Mais au fond du cœur il maudissait les femmes qui ont amené les hommes à penser ainsi: «Une femme est un luxe, il faut être riche pour se marier.» C’est pourtant cette maxime désolante qui peuple les couvents. Dix coquettes font cent vieilles filles. Pour une femme qui ruine son mari, cinquante hommes jurent de vivre et de mourir célibataires.

Au moins la persistance de Lorilleux n’avait pas tardé à produire d’excellents effets. Sa manie de mariage était devenue un des textes favoris de conversation des amis qui presque tous les soirs se réunissaient chez Pascal. Il avait semé une idée, elle germait, elle ne devait pas tarder à porter ses fruits.

Dans les groupes de jeunes gens, il est rare qu’il n’en soit pas ainsi: qu’un seul se décide, les autres arrivent bien vite à partager ses désirs. L’éternelle histoire des moutons de Panurge.

En attendant, on plaisantait le médecin; c’était à qui le taquinerait, en affectant de caresser sa marotte.

– Docteur, disait l’un, j’ai votre affaire: cent vingt mille francs et des espérances. J’ai vu le portrait de la fortune des parents chez un notaire.

– Lorilleux, affirmait un autre, j’ai vu à deux pas de chez Pascal, dans la montre de Badié, la photographie d’une jeune fille charmante; elle vous conviendra, allez donc demander son adresse…

Contre son ordinaire, le docteur prenait fort bien les plaisanteries.

– Parbleu, répondait-il, vous devez tous avoir mon affaire, on a toujours l’affaire d’un homme bien posé qui désire se marier; le malheur est qu’on ne lui offre que des jeunes filles auxquelles il conviendrait fort bien, mais qui ne lui conviennent pas du tout.

Et tout bas, Lorilleux se disait: – Allez, mes amis, allez, riez à votre aise! Le dresseur ramène mille fois, s’il le faut, son cheval devant l’obstacle qu’il veut lui faire franchir, et le cheval finit par sauter. Vous sauterez tous, ce dont je me soucie fort peu; mais Pascal aussi sautera, et c’est ce que je veux.

Voilà où en était de sa marche savante le machiavélique Lorilleux, lorsqu’un soir, un des amis arriva porteur des plus séduisantes propositions.

Cet ami, tout en riant, avait pris la chose au sérieux; il s’était enquis d’un bon parti près de cinq ou six vieilles dames de sa connaissance, et on n’avait pas tardé à lui trouver ce qu’il demandait. Il venait donc offrir à Lorilleux de le présenter. Voir n’engage à rien.

Le médecin écouta fort attentivement les détails qu’on lui donnait, fit quelques objections, et finit par refuser.

– Cet homme-là est par trop difficile à la fin, dit un des jeunes gens, nous ne le marierons jamais. S’il ne veut pas mourir garçon, il n’y a plus qu’une ressource, M. de Saint-Roch, la providence des célibataires.

Il n’est personne assurément qui n’ait au moins entendu parler de cet excentrique et mystérieux personnage. C’est lui qui s’intitule l’ambassadeur des familles. Il se glorifie d’avoir inventé la profession matrimoniale, et se flatte d’avoir rendu au mariage un lustre nouveau, alors qu’il était bien près de tomber dans la déconsidération.

Aussi, la proposition faite à Lorilleux de s’adresser à cet habile homme eut un succès de rires. Le médecin ne sourcilla pas.

– Pourquoi non? dit-il fort sérieusement. Mais je voudrais savoir avant si M. de Saint-Roch a jamais marié quelqu’un?

– Comment, malheureux, répondit l’auteur de la motion, vous avez l’audace de douter? Vous n’avez donc de votre vie lu un journal? Ouvrez le premier venu, vous serez édifié. Le célèbre ambassadeur ne dédaigne pas de louer, de temps à autre, la quatrième page des cinq grands journaux. C’est là qu’il brille dans sa gloire. Il annonce aux familles qu’il tient à leur disposition un riche assortiment de demoiselles et dames veuves, de seize à soixante ans, toutes ornées des avantages sociaux les plus recherchés, esprit, beauté, naissance, et embellies de quelque petit million de dot.

– Oh! reprit Lorilleux, je sais tout cela parfaitement. J’ai lu que M. de Saint-Roch est honoré de la confiance des premières familles de la noblesse, de la magistrature, de l’armée et de la finance. J’ai lu que toutes les maisons princières de l’Europe ont l’habitude de solliciter ses bons offices; je sais aussi qu’il faut écrire lisiblement son adresse, mais tout cela ne m’a pas convaincu. J’en reviens donc à ma question: A-t-il jamais marié quelqu’un?

– Mais, docteur, à Paris seulement il y a au moins une douzaine de négociants en mariages.

– Qu’est-ce que cela prouve?

– Qu’ils n’auraient pas un magasin s’ils n’avaient pas des pratiques.

– J’ai vu des magasins sans pratiques.

– Enfin, vous croyez, cher Esculape, que c’est uniquement pour son plaisir et sa gloire que l’inventeur de la profession matrimoniale dépense cent mille francs par an à louer des quatrièmes pages de journaux?