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Mariages d'aventure

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VI

A Paris, on attendait Hector.

Sa lettre à la famille Blandureau donnait trois mois de répit, ils furent bien employés. Tout était prêt à temps pour la venue de l’époux. La maison se tenait sous les armes, comme un régiment à la veille de l’inspection. Les domestiques faisaient envie à voir, sous leurs livrées neuves. Le mobilier du salon avait été renouvelé, depuis les bourrelets des fenêtres et des portes, jusqu’aux tableaux de «grands maîtres» que l’ancien négociant se plaît à acheter, – à des prix raisonnables, pour encourager les arts.

M. Blandureau avait des agitations fébriles, en pensant à l’arrivée de son gendre futur. Les préparatifs étaient terminés, pourquoi tardait-il? Et il comptait les jours. Madame Blandureau, aussi, paraissait tourmentée, plutôt par la curiosité, il est vrai, que par l’inquiétude.

Seule, mademoiselle Aurélie ne semblait en aucune façon troublée par l’approche du grand événement. Ses anxiétés, si elle en avait, ne se trahissaient guère. Elle attendait, avec l’impatience la plus paisible et la plus calme, comme il convient à une ancienne élève du Sacré-Cœur.

Tout le monde a connu, connaît ou connaîtra la famille Blandureau.

C’est l’épreuve très nette et très distincte, bien qu’après la lettre, d’un tableau réaliste: intérieur d’un négociant retiré avec une énorme fortune. Ce tableau sera vrai, à quelques détails près, tant que le commerce enrichira des commerçants, c’est-à-dire longtemps encore.

Les gens qui ont pratiqué M. Blandureau, commissionnaire pour les États-Unis, – une industrie qui a beaucoup perdu, – affirment qu’en affaires c’était un homme tout rond. Il l’est encore au physique. Son ventre majestueux semble appeler une écharpe; il a les jambes trop courtes, et ses bras ne sont pas assez longs. Sa tête petite, un peu dénudée, ne manque pas de finesse. Il a les yeux remuants qui disent bien son caractère, il ne saurait rester une heure en place.

M. Blandureau serait le meilleur des hommes, s’il pouvait oublier sa grande fortune. Il l’oublie quelquefois, alors il est charmant. Vous parlez, il vous écoute d’un air affable, ses réponses sont simples et bienveillantes.

Mais si tout à coup ses millions lui reviennent à l’esprit, bonsoir! l’homme poli disparaît; vous n’avez plus qu’un interlocuteur maussade, brusque, impertinent. Il tranche du gros traitant, coupe la conversation, et, d’un ton qui n’admet pas de discussion, affirme les plus grosses absurdités. C’est alors le plus détestable et le plus assommant des parvenus.

M. Blandureau s’ennuie, voilà son malheur. Il voulait une grande fortune, il l’a. Ses vœux sont comblés, son but est atteint, sa vie n’a plus de raison d’être. Il maudit, j’en suis convaincu, la vanité qui l’a fait se retirer du commerce. Tous les trente-un du mois, il a des crispations en songeant qu’il n’a pas d’échéance «à faire.» Pour lui les journées sont interminables, bien qu’il use pour tuer le temps de tous les expédients possibles: les journaux sont sa plus grande distraction, et il ferait peut-être de l’opposition, s’il était bien convaincu que ces affreux libéraux n’en veulent pas à ses propriétés.

Tous ceux qui l’entourent ont souvent à souffrir de ses brusques changements d’humeur. On lui pardonne, parce qu’on le sait très bon en réalité. On n’ignore pas que ce petit tyran est aussi, lui, lourdement opprimé. Il est en effet le plus esclave des despotes. Sa fille, l’impérieuse Aurélie, le domine et l’écrase de sa supériorité. De sa vie, il n’a su résister à cette enfant, objet d’un culte qui n’est pas exempt de crainte. Au souffle de ses inspirations, il obéit plus vite que la girouette aux quatre vents du ciel. Il a honte parfois de sa faiblesse, et il s’en venge sur sa femme.

Aussi madame Blandureau est-elle comme une ilote entre son mari qu’elle craint et vénère, – il a fait fortune, – et sa fille qu’elle admire et redoute pour son esprit et ses manières hautaines.

Un employé aux passeports tracerait bien le portrait de madame Blandureau: front moyen, yeux moyens, taille moyenne, tout en elle est moyen, sauf l’esprit. Sa plus grande jouissance intellectuelle est l’absorption d’un drame de M. d’Ennery, et elle a contribué, par sa présence, au succès si mérité du Pied de mouton.

Cette pauvre femme se réjouit d’être riche, et pourtant sa fortune est son plus grand malheur.

Elle a trente-six robes, toutes plus magnifiques les unes que les autres, mais elle est mal à l’aise dedans. Elle souhaiterait une mise simple, son mari exige d’elle des toilettes millionnaires. Elle aimerait à se promener à pied, son mari ne veut la laisser sortir qu’en voiture, avec un valet sur le siége, à côté du cocher. Enfin, dernier supplice, elle est obligée de commander à des domestiques dont la mine impertinente et la belle tenue l’intimident et lui imposent énormément.

Mademoiselle Blandureau ne tient en rien de sa mère. Souveraine absolue de la maison, elle règne sans contrôle; devant sa volonté, toutes les volontés plient. Les bourgeois vaniteux aiment à se donner des maîtres dans leurs enfants.

A voir mademoiselle Aurélie, on devine son caractère. Hautaine, capricieuse, elle n’est et ne peut être sensible qu’aux jouissances idiotes de la vanité. Elle traverse la vie en jouant les emplois de reine.

C’est une grande jeune fille à la démarche superbe, très brune, au regard dur. Ses yeux noirs ont le froid et l’éclair de l’acier. Jamais on n’y surprit une lueur de sensibilité, ni d’autres larmes que des larmes de colère. Sa voix sèche et brève est plus impérieuse encore que son regard.

Elle aime peut-être ses parents. Si elle traite sa mère assez mal, à peu près comme une première femme de chambre, elle sait bon gré à son père d’avoir amassé une grande fortune. Il est vrai qu’elle ne lui pardonne pas de s’appeler Blandureau.

Ce nom ridicule, trivial, commun, – pour parler comme elle, – a empoisonné sa jeunesse et fait encore son désespoir.

Son horreur pour ce nom date du couvent.

Placée dans une maison peuplée des filles de la vieille aristocratie, elle eut le tort immense de vouloir humilier des compagnes moins riches.

On se vengea. Ses jeunes amies lui prouvèrent qu’une demoiselle dont le père s’appelle Blandureau ne peut prétendre à rien, sinon à redorer le blason de quelque gentilhomme ruiné, et qu’il n’est en ce bas monde qu’un avantage social vraiment digne d’envie: avoir eu un aïeul aux croisades.

Les railleries de ses compagnes exaspérèrent Aurélie. Elle y répondit par un étalage tout à fait ridicule; les épigrammes redoublèrent, on lui avait donné un surnom, on ne l’appelait plus que Blandurette. Dire ce qu’elle souffrit est impossible.

Enfin comme, un jour de sortie, son père, sur ses ordres exprès, l’avait envoyée chercher dans un véritable carrosse de gala, ses ennemies, pendant la récréation, improvisèrent une longue complainte sur l’air de Cadet-Roussel.

Cette complainte commençait ainsi:

 
Blandurette a l’air seigneurial
D’un’ servante en carnaval;
Pour étaler sa grand’ toilette,
Son papa lui donne un’ brouette.
Ah! ah!
Oui vraiment,
Blandurette est bonne enfant!
 

Les cinquante autres couplets n’étaient ni plus méchants ni plus spirituels, mais ils faillirent faire mourir de dépit mademoiselle Aurélie: elle eut une attaque de nerfs, et le lendemain sortit de son couvent pour n’y plus remettre les pieds.

Elle eut des maîtres à domicile.

Mais ce surnom de Blandurette est resté dans sa vie comme un souvenir amer. Elle n’a revu aucune de ses compagnes du couvent, et, si elle en rencontre quelqu’une, elle lui lance des regards furibonds.

Si mademoiselle Aurélie a songé parfois au mariage, c’est avec l’espérance de quitter ce nom fatal. Ce sera le plus beau jour de sa vie.

Hector n’était pas noble, il est vrai, mais portait un nom sonore, Malestrat. Elle espérait bien décider son mari à mettre devant une particule, à prendre un titre même, ce qui n’est pas très difficile, dit-on, avec de l’argent.

Toute la famille Blandureau habitait alors sa maison de campagne de Ville-d’Avray, bien qu’on fût au commencement de l’hiver. Il est de bon ton de rester se morfondre à la campagne jusque dans les premiers jours de janvier; les nobles familles du faubourg Saint-Germain ne dédaignent pas cette économie.

La maison de Ville-d’Avray est l’œuvre des ennuis de M. Blandureau.

Il y a consacré trois ans et près de cinq cent mille francs; il appelle cette habitation sa bonbonnière.

C’est en effet quelque chose dans le goût des pièces montées que les restaurateurs servent aux repas de noces et de corps. Tous les ordres d’architecture s’y mêlent et s’y confondent dans le plus abominable tohu-bohu. Il y a des tours et des ogives, des poivrières avec un péristyle italien; des pignons moyen âge avec des colonnes grecques et des tourelles flamboyantes, enfin une vérandah comme en ont les planteurs du Sud à leurs habitations.

Il y a à Paris trois ou quatre architectes qui ont gagné cent mille francs de rente à agrémenter de ces horribles choses la campagne parisienne, jadis si belle.

La Folie-Blandureau, c’est ainsi que les voisins l’appellent pour flatter l’ex-négociant, est bâtie moitié pierres et moitié briques de toutes les couleurs. Il y a des peintures à l’extérieur et des incrustations de marbre et de porcelaine. On dirait quelque chose de chinois, une pagode si vous le voulez, et le voyageur s’arrête involontairement pour voir sortir le magot.

Tout autour de l’habitation, il y a un grand parc bien boisé. M. Blandureau voulait jeter bas les arbres, et les remplacer par des vernis du Japon; mademoiselle Aurélie l’en a empêché. Son activité alors s’est rabattue sur le jardin, dont il a voulu faire un petit bois de Boulogne en miniature: il y a des rochers, une grotte et deux ponts, un étang et une rivière; il y a aussi une cascade. Un vieux cheval tire à la journée la rivière d’un puits: la cascade tarit quand le cheval prend ses repas.

 

C’est à Ville-d’Avray que tomba Hector, le lendemain de son départ de la Fresnaie, à quatre heures du soir. M. Blandureau, qui se rappelait l’avoir vu quand il n’avait que dix ans, le reconnut lorsqu’il se fut nommé.

Il le pressa sur son cœur, en l’appelant son fils, et poussa de grands cris pour attirer toute la maison, même il cassa une sonnette.

Madame Blandureau accourut au bruit et son mari lui présenta leur gendre.

– Mais où est donc Aurélie? demanda-t-il; au jardin sans doute?

On chercha mademoiselle Aurélie; on ne la trouva pas.

L’arrivée de son mari futur lui ayant été signalée, elle avait couru précipitamment à sa chambre.

Comme elle ne fit qu’un brin de toilette, au bout de moins de deux heures elle reparut. Elle s’avança majestueusement, annoncée de loin par les froufrous de sa robe de soie qui balayait les tapis à un demi-mètre derrière elle.

On eût dit la statue de la Dignité descendue de son socle.

– Arrive donc! lui cria M. Blandureau.

Et le bonhomme, prenant la main de sa fille, la mit dans celle d’Hector.

– Allons, embrassez-vous, mes enfants, dit le père.

Les deux enfants ne s’embrassèrent pas.

Mademoiselle Aurélie se recula en dessinant une révérence aussi froide que correcte.

Hector s’inclina profondément.

La jeune fille venait de décider que son mari ne serait jamais rien pour elle.

Hector se disait, tout en souriant gracieusement:

– Grand Dieu! que cette grande fille me déplaît! Je n’aurais pas d’avance décidé de rompre mon mariage, que certainement j’en prendrais la résolution aujourd’hui.

De ce moment Hector étudia le caractère de mademoiselle Aurélie, il espérait arriver très rapidement à lui déplaire et à se faire donner congé.

Le malheur est que M. Blandureau était enchanté de lui; il lui trouvait l’air bon enfant, et le négociant retiré adore les bons enfants.

Mais c’est précisément cet air que ne peut souffrir mademoiselle Aurélie. Hector a les façons d’un homme comme il faut, c’est-à-dire qu’il est simple. Mademoiselle Aurélie, dont le goût n’est pas fort exercé, confond cette simplicité avec les manières communes. La suprême distinction pour elle est le vêtement qui attire l’œil, la démarche emphatique, la figure solennelle, enfin cette confiance en soi qui donne aux niais les allures insupportables qu’ils traînent dans le monde.

Hector, au bout d’une heure, savait à fond le caractère de sa fiancée. Aussi à table eut-il l’humeur enjouée et l’entrain facile d’un commis-voyageur. Sans se soucier du pincement de lèvres de mademoiselle Aurélie, il appela M. Blandureau «papa beau-père,» et madame Blandureau «belle-maman.»

Tout le long du dîner, il parla de commerce, hérissant sa conversation de chiffres. Il est vrai qu’il ne sait rien du commerce: peu importe; il parla de spéculations, de hausse, de baisse, de frets, de navires en charge.

Il avait, dirait-il, une idée des plus heureuses, une entreprise considérable qu’il voulait commencer immédiatement après son mariage. Il s’agissait d’opérer une râfle des cuirs bruts sur les marchés du Mexique; il comptait alors amener une disette, faire la loi à la tannerie française, maintenir les prix, et réaliser ainsi des bénéfices considérables.

Mademoiselle Aurélie pâlissait à ces discours.

Ce fut bien autre chose, vraiment, au dessert. Hector s’attendrit, parla de l’avenir, et dit tout haut ses rêves. Il espérait, une fois marié, trouver enfin le bonheur et la tranquillité; sa femme serait son caissier; elle tiendrait les livres et s’occuperait de la correspondance.

– Songez, mademoiselle, dit-il, s’adressant alors directement à Aurélie, aux magnifiques affaires que nous pouvons entreprendre et aux bénéfices immenses que nous réaliserons, car enfin notre maison n’aura presque plus de frais.

La jeune fille ne répondit pas. En elle-même elle se promettait de déconcerter fort les plans de son futur mari.

Hector outra un peu son rôle, ce ne fut pas un malheur. A la fin, il avait réussi presque à déplaire à M. Blandureau.

Cependant, comme il se faisait tard, le négociant ne voulait pas laisser Hector regagner Paris. Il lui offrit une chambre, mais, sur un signe de sa fille, il cessa vite d’insister.

– Vous avez peut-être raison de refuser, dit-il au jeune homme, notre maison dans cette saison est presque inhabitable.

M. Blandureau est bien honnête, sa maison est inhabitable en toute saison.

Le dernier mot d’Hector en se retirant fut dit à l’oreille de M. Blandureau.

– Eh bien! lui demanda-t-il, à quand la noce?

– Oh! répondit celui-ci, nous en recauserons, nous avons le temps, rien ne presse.

Hector s’en alla tout joyeux. – De ce côté-ci, se disait-il, mon affaire est faite. A l’Anglais, maintenant, sus à l’Anglais!

VII

Le lendemain, à neuf heures du matin, Hector en habit noir, malgré l’heure, entrait à l’hôtel des Etrangers.

– Sir James Wellesley? demanda-t-il à un valet.

– Je vais avoir l’honneur de conduire monsieur, répondit le domestique.

Hector fut introduit dans un petit salon où on le pria d’attendre.

C’était au quatrième, une toute petite pièce, garnie de ces meubles particuliers aux hôtels, qu’on fabrique sans doute exprès pour eux, car on n’en trouve nulle part ailleurs de semblables.

Au milieu, sur une grande table, était déployé un plan de Paris hérissé d’épingles.

Sur la cheminée, on apercevait tous les livres publiés sur Paris à l’intention de nos voisins d’outre-Manche: le Promeneur à Paris, le Guide des Musées, l’Art de connaître Paris en trois jours, the Traveller’s illustrated Guide in Paris et the Murray’s Guide. Il y avait aussi toutes sortes de manuels de conversation et deux ou trois dictionnaires pocket.

Hector n’attendit guère plus de cinq minutes. La porte s’ouvrit et sir James parut.

C’est un homme d’une trentaine d’années environ, le type le plus frappant de l’Anglais classique. Il n’a pas les cheveux très blonds, mais sa barbe est du plus beau rouge. Il a le teint clair et frais comme celui d’un lycéen. Ses yeux d’un beau bleu de faïence n’ont pas la moindre expression; il est grand et raide, paraît gêné aux articulations et est mis à la dernière mode de Regent’s street, qui tire expressément ses modes de la rue Vivienne. Sir James est le cant fait homme; jamais baronnet plus digne, plus froid, plus poli, plus réservé, plus pudibond n’a promené en France la fierté britannique. Une seule fois dans sa vie il n’a pas été parfaitement convenable et même a été tout à fait improper, c’est en venant de Douvres à Calais sur le steam-boat: il ne fut pas le maître des impressions de son estomac et, for shame! une vieille lady, placée près de lui, s’écria: Shocking!

Sir James parle à peine français; aussi remuait-il la langue dans sa bouche, cherchant un mot, lorsque Hector prit la parole:

– C’est à M. Wellesley que j’ai l’honneur de parler? demanda-t-il.

– Oui, répondit le baronnet.

Hector sortit alors de sa poche la missive de l’abbé, et la remettant à son rival:

– Voici, monsieur, une lettre, que je suis chargé de vous remettre.

– Vous permettez, monsieur? demanda sir James en brisant le cachet.

L’abbé avait eu soin d’écrire en anglais. Aussi M. Wellesley parcourut la lettre en quelques secondes.

Le vieux prêtre y parlait sans doute avantageusement d’Hector, car les manières de sir James changèrent subitement du tout au tout. Autant il avait été froid, autant il devint poli et même affectueux. Il invita son visiteur à s’asseoir, ce qu’il n’avait pas fait pour un homme qui ne lui avait pas été présenté.

Après une heure de conversation assez laborieuse vu la difficulté de la mimique, les deux jeunes gens étaient au mieux ensemble.

Sir James raconta à son nouvel ami qu’il était en route pour aller se marier en Touraine. S’il s’était arrêté à Paris, c’est qu’il désirait se perfectionner dans la langue française et parler intelligiblement avant de se présenter devant celle qu’il devait épouser.

Hector pensa que son séjour dans la capitale durerait longtemps.

L’Anglais alors confessa l’ennui profond qu’il éprouvait à Paris; il n’y connaissait personne et vivait seul. Il lui semblait toujours que les gens auxquels il adressait la parole se moquaient de lui. S’il entrait dans un magasin, les marchands le volaient; au théâtre il ne comprenait absolument rien; même au ballet de l’Opéra il trouvait les pirouettes de mademoiselle Emma Livry trop écrites en français. Bref, il était tout à fait désolé, very disappointed, comme il le dit avec un soupir.

Mais la figure du baronnet s’éclaira quand Hector lui eut dit qu’il comptait rester quelques semaines à Paris et qu’il se mettait à sa disposition, soit pour le promener, soit pour le présenter dans quelques familles où il était admis.

Sir James, d’un ton attendri, jura une éternelle amitié à celui qu’il appelait son sauveur.

– Oui, nous serons amis, se disait Hector; ta naïveté rend mon plan plus facile, et je ne te quitterai que lorsque tu seras devenu le plus impossible des époux.

Alors, pour resserrer cette amitié d’une heure, le fiancé d’Aurélie proposa à l’Anglais de le présenter le soir même à M. Blandureau.

Hector, qui connaissait la susceptibilité aristocratique d’un baronnet tory, se garda bien de lui dire que ce Blandureau était un négociant retiré.

VIII

Le commerce, à ce qu’on assure, n’est pas fait précisément pour développer les qualités du cœur et de l’esprit. C’est au commerce cependant que M. Blandureau doit une vertu rare et précieuse, qui domine son caractère et lui donne une certaine originalité, par le temps qui court.

Cet homme vaniteux est fanatique de ce qu’il appelle «la probité commerciale.»

Ce fanatisme date de ses débuts dans les affaires, lorsqu’il signait beaucoup de billets qu’il payait avec exactitude à l’échéance.

Il pouvait, sans être agité de vains scrupules, s’en tenir là. Le code particulier de l’industrie a des marges assez larges pour que chacun y soit à l’aise.

On achète, on règle, on paie, et on est considéré. Le surplus ne regarde personne.

Mais M. Blandureau ne voulut pas rester un négociant vulgaire. Sa signature avait cours comme un billet de banque, il résolut de donner à sa parole la valeur de sa signature. Dès lors, il s’astreignit à tenir ses promesses verbales non moins scrupuleusement que ses promesses signées. Il traitait hautement de coquins ceux qui ne se croient pas engagés tant qu’il n’y a rien d’écrit.

Lorsqu’on traitait une affaire avec lui, s’il disait: «C’est convenu,» on pouvait dormir tranquille, aussi tranquille qu’après un contrat rédigé par deux notaires.

A plusieurs reprises il s’engagea ainsi dans des opérations désavantageuses, sans être autrement lié que par une promesse verbale; il pouvait se retirer, il ne le voulut pas, et subit les pertes sans se plaindre. S’il avait été pauvre, gêné, peut-être l’aurait-on trouvé un peu simple; il était riche, on l’admira.

En ces sortes d’occasions, il mettait à s’exécuter un certain héroïsme, jamais il n’eût accepté la remise d’un centime. Aussi, sur les places de New-York, de Londres et de Paris, on disait:

– Parole de Blandureau vaut de l’or.

Ce proverbe commercial caressa délicieusement l’amour-propre du négociant et exalta son orgueil. C’était son bonheur, sa gloire. On voit sur les panneaux de superbes carrosses, autour de vieilles armoiries, des devises qui ne valent pas celle-là.

– La Banque, disait souvent M. Blandureau en se rengorgeant, la Banque de France, qui exige trois signatures sur les effets qu’elle escompte, n’hésiterait pas à faire des avances sur ma simple parole.

C’était peut-être aller un peu loin. Mais il faut respecter des défauts qui produisent de telles qualités. Tant de gens n’auront jamais les qualités de leurs défauts!

Vanité oblige. M. Blandureau le comprit, et, sur la fin de sa carrière commerciale, il aurait sans balancé sacrifié sa fortune et suspendu ses paiements un jour d’échéance, plutôt que de «laisser sa parole en souffrance,» suivant sa pittoresque expression.

Aujourd’hui qu’il est retiré des affaires, il applique ses principes à la vie privée; ils sont la règle de sa conduite, le guide de ses actions les plus indifférentes, enfin sa probité commerciale a dégénéré en monomanie.

 

Ne vous avisez pas de manquer à un rendez-vous que vous lui aurez donné, vous baisseriez singulièrement dans son estime, il vous accuserait de n’avoir ni honneur ni délicatesse.

En revanche, vous pouvez compter absolument sur lui lorsque, pour la moindre chose, à propos de quoi que ce soit, il vous aura donné cette fameuse parole qui a cours à la Banque.

Vous l’avez invité à dîner, il vous a promis de venir, soyez certain qu’il viendra. Il viendra, qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il tonne; il viendra malade, il serait venu mourant. Et il fera honneur à votre dîner, et il mangera, il boira, il sera bon convive, dût-il dans la nuit périr d’indigestion.

Aussi est-il extrêmement difficile de lui arracher une promesse formelle. Il hésite toujours, ne dit ni oui, ni non. Il redoute de s’engager, ne sachant jamais où cela peut le conduire.

Avec un tel caractère, M. Blandureau ne devait point songer à rompre un mariage arrêté jadis entre lui et M. Malestrat le père; il n’en eut pas même l’idée. Hector avait eu le bonheur de lui déplaire, mais il lui aurait déplu mille fois davantage que rien n’eût été changé à des conventions qu’il considérait comme sacrées.

Hector s’était cruellement trompé lorsqu’il avait cru ses affaires en bon chemin de ce côté. Si le premier soir M. Blandureau avait répondu évasivement lorsque son gendre futur lui avait demandé: – «A quand la noce?» c’est qu’il n’avait pas eu le loisir de la réflexion. Il avait éprouvé une déception cruelle et n’avait pas été maître de son dépit et de sa mauvaise humeur. Il avait obéi à ce premier mouvement dont il faut toujours se défier.

Hector n’était pas loin, que déjà l’ancien négociant se reprochait avec amertume une réponse qui pouvait éveiller certains doutes dans l’esprit du jeune homme, et lui donner à penser qu’on voulait temporiser pour l’éconduire ensuite poliment sous n’importe quel prétexte.

Bien certainement, s’il n’avait pas été si tard, M. Blandureau aurait couru après son gendre; mais il ne connaissait même pas son adresse à Paris. Il regagna son appartement, en se promettant bien de lui faire des excuses le lendemain.

– Ce mariage ne me plaît pas beaucoup, se disait-il, donc je dois me hâter de le conclure, mon honneur y est intéressé.

C’est à peu près ce qu’il répondit à sa fille, lorsque mademoiselle Aurélie lui avoua très catégoriquement que jamais elle n’aimerait le mari qu’on lui avait choisi.

– Je n’y puis rien, ma pauvre enfant, lui dit-il; nous nous sommes engagés dans une spéculation malheureuse, il faut en subir les conséquences. C’est surtout quand les suites doivent en être désastreuses qu’on a du mérite à ne pas faillir à ses promesses; nous ne faillirons pas à la nôtre; parole de Blandureau vaut de l’or.

Et comme la jeune fille faisait une moue assez significative:

– Écoute, continua l’ancien négociant, il ne faut pas trop s’affliger. Qu’ai-je promis à M. Malestrat? de lui accorder ta main. Donc tu l’épouseras. Mais je ne lui ai pas garanti que tu l’aimerais, fort heureusement. Ainsi, lorsque tu seras mariée, si tu ne reviens pas sur son compte, eh bien! tu plaideras en séparation, ou même vous vous quitterez à l’amiable, s’il veut y consentir.

Cette façon assez neuve d’envisager un mariage fit sourire mademoiselle Aurélie, et elle n’insista pas davantage. Elle savait que tout ce qu’elle pourrait dire à son père serait parfaitement inutile, elle était à l’avance résignée à épouser Hector. Au fond, elle en éprouvait un assez médiocre chagrin, personne, jusqu’ici, n’ayant réussi à toucher son cœur. – «Autant celui-là qu’un autre,» pensait-elle. Et déjà elle arrêtait dans son esprit un plan fort habile, qui, dès le lendemain du mariage, devait lui assurer à tout jamais une incontestable suprématie dans le ménage.

On ne demanda pas l’opinion de madame Blandureau, parce qu’ordinairement cette excellente dame n’a jamais d’opinion. Elle en avait une, pourtant, en cette circonstance: elle avait trouvé son gendre le plus aimable et le plus séduisant des fiancés. – «Excellent jeune homme, pensait-elle, tu n’auras pas, Dieu merci! le temps d’étudier le caractère de ma fille; tu l’épouseras dans la quinzaine, et ainsi tu auras assuré la tranquillité de mes vieux jours. Sois béni mille fois!»

Telle était la situation morale de la famille Blandureau, lorsque, le lendemain de son arrivée, Hector s’avisa de présenter à Ville-d’Avray son nouvel ami M. James Wellesley.

C’étaient les débuts du jeune baronnet dans cette société française qui, aujourd’hui encore, passe, à Londres comme dans presque toutes les capitales de l’Europe, pour la plus spirituelle, la plus moqueuse, la plus impitoyable qu’il soit au monde. Ce qui prouve bien que renommée vaut mieux que ceinture dorée, et qu’on peut vivre très longtemps sur une réputation bien établie.

Sir James avait passé une partie de la journée à se préparer à cette présentation solennelle et décisive. Comme avant tout et surtout il redoute le ridicule, il avait exagéré tous ses ridicules. Il était plus froid, plus grave, plus empesé que jamais; si raide, qu’il pouvait à peine faire un mouvement. Il marchait tout d’une pièce, et, s’il s’inclinait, son corps formait un angle droit et aigu comme un couteau qu’on referme.

Sa physionomie exprimait bien ce dédain profond du monde entier, qui est une des prérogatives du citoyen de la Grande-Bretagne. Enfin, quoique fort troublé au fond de comparaître au tribunal des dames françaises, il avait cette imperturbable assurance, cette confiance en soi, d’un homme sachant sa valeur, et sûr que si on s’avisait d’arracher un cheveu de sa tête, lord Palmerston n’hésiterait pas à armer une centaine de vaisseaux et à dépenser un million de livres pour obtenir réparation et faire restituer le cheveu.

Lorsqu’il avait offert ses services au jeune Anglais, pour l’introduire dans le monde parisien, Hector n’avait eu qu’un but: poser les premiers jalons d’une amitié qui, dans sa pensée, devait être funeste à un rival détesté. Certes, il ne le croyait pas appelé au moindre succès.

Combien il se trompait!

M. Wellesley apparut à la famille Blandureau fascinée, comme l’incarnation vivante et admirable des grandes traditions de la noblesse. Madame Blandureau avouait, plus tard, que, ce jour-là, elle avait cru voir un empereur, pour le moins, entrer dans son salon.

Hector se trouva du coup relégué au second plan; mieux encore, il fut éclipsé, si bien qu’on ne sembla plus s’apercevoir de sa présence. Le gendre était oublié pour le nouveau venu.

De sa vie, le vaniteux négociant n’avait fait si gracieusement, avec tant d’affabilité, les honneurs de sa maison.

Pour son nouvel hôte, il eut des attentions délicates, presque respectueuses. Mais en apprenant que sir James doit hériter de la pairie, d’un de ses oncles qui siége à la Chambre des Lords, il devint tout à fait obséquieux.

De ce moment, il n’appela plus M. Wellesley que mylord. Il mettait à prononcer ce titre si magnifique une naïve et orgueilleuse emphase: il en avait, comme on dit, plein la bouche.

C’était à ne plus reconnaître le monsieur Blandureau qui fait si volontiers profession d’opinions aussi libérales qu’égalitaires. Lui qui, chaque fois que l’occasion s’en présente, dit nettement son opinion sur les prêtres et les nobles, il ne se sentait pas d’aise d’avoir à sa table un représentant authentique de cette aristocratie anglaise, la plus fière et la plus susceptible de la terre.

S’il se souvint d’Hector, ce fut pour le féliciter de ses belles relations, et le remercier d’avoir songé à lui présenter ce noble étranger.

Mademoiselle Aurélie était, s’il est possible, plus ravie que son père, et elle ne sut pas mieux que lui dissimuler ses impressions.

Sous le regard de M. Wellesley, ce regard qui n’exprimait absolument rien, que la satisfaction de soi, elle rougit comme une pensionnaire. Pour la première fois de sa vie elle fut embarrassée et douta d’elle-même. Enfin, chose étrange, elle crut sentir quelque chose comme un léger battement de cœur.

Mais aussi, pouvait-on rêver un gentilhomme plus convenablement guindé, plus parfaitement froid, plus noblement digne? N’était-il pas vraiment l’idéal de l’étiquette et de la solennité officielles?