Za darmo

Les amours d'une empoisonneuse

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Enfin, le soir vint. Bien longtemps avant l'heure fixée, Olivier était assis sur une pierre, non loin de la barrière des planches.

Il faisait grand jour encore et il calculait combien de temps il avait encore à attendre, lorsque le bruissement d'une robe sous la charmille du jardin lui annonça la présence d'Henriette.

Il se leva en chancelant, il voulut parler, mais les battements de son cœur l'étouffaient, la voix s'arrêta dans sa gorge aride.

L'amour de tête a toujours de l'esprit, de l'à-propos, il sait habilement saisir les occasions; peut-être est-ce pour cela que les femmes n'aiment que ceux qui ne les aiment pas; l'amour vrai est maladroit toujours, mais sa maladresse est souvent sublime.

Ne pouvant parler, Olivier se laissa tomber à genoux en élevant ses mains jointes au-dessus de sa tête.

– A demain, lui dit une voix argentine.

Et une petite main se glissa dans un intervalle des planches: Olivier saisit cette main et la couvrit de baisers; mais la main se retira…

Il resta de longues heures au même endroit, en extase, insensible à tout ce qui l'entourait.

VIII
PREMIERS MALHEURS

Le lendemain de ce jour eut bien d'autres lendemains encore. Les deux amants prirent l'habitude de ces douces causeries de chaque soir.

Jamais plus chaste amour ne ravit deux cœurs plus dignes l'un de l'autre.

Olivier voulut se faire pardonner son audace. Peu à peu, sans réticences, sans détour, Olivier raconta son histoire à Henriette.

– Hélas! mon amie, je suis indigne de vous.

– Non, répondait la jeune fille, puisque mon cœur vous a choisi.

– Votre père consentira-t-il jamais à notre union?

– Pourquoi non? Qu'était-il avant d'être riche?

– C'est vrai, ma douce Henriette; mais malgré mon peu d'expérience du monde, je sais fort bien que ceux qui sont arrivés n'aiment pas à se rappeler d'où ils sont partis.

– Mon père n'est pas ainsi.

– Dieu le veuille!

– Et, d'ailleurs, n'avez-vous plus de courage? Conquérir une position, est-ce donc si difficile, lorsque celle que l'on aime doit en être le prix? et vous m'aimez, n'est-il pas vrai, mon ami?

– Oh! mille fois plus que je ne saurais vous le dire, que vous ne sauriez l'imaginer.

Et, pour la centième fois, Olivier reprenait le triste récit de ses tortures avant le jour où, pour la première fois, sa main avait touché celle de son Henriette.

Il avait alors repris ses travaux avec plus d'acharnement que jamais, et avec un tel succès que le conseiller lui-même lui avait annoncé qu'il allait s'occuper de faire les démarches nécessaires pour lui obtenir une place, premier acheminement vers une grande position.

Plus que jamais l'espérance dorait le ciel des deux amants, lorsqu'un soir, en arrivant au rendez-vous, Olivier y trouva Henriette. Il avait cependant devancé l'heure.

– Nous sommes perdus, lui dit-elle en fondant en larmes.

– Qu'y a-t-il, grand Dieu?

– Mon père a trouvé un parti pour moi… à ce qu'il dit…

– Il veut vous marier?

– Il le veut, et avant la fin de ce mois.

– Et avez-vous pu consentir, vous, Henriette?

– O Olivier! pouvez-vous être injuste et ingrat à ce point; pouvez-vous ainsi méconnaître votre amie? J'ai tout fait, hélas! j'ai pleuré, j'ai supplié, je me suis traînée aux pieds de mon père…

– Il a pu résister à vos larmes?

– J'ai été jusqu'à lui dire que j'en aimais un autre: – «Eh! que m'importe!» m'a-t-il répondu.

– Oh! malédiction! s'écria Olivier; Henriette, le nom de cet homme que l'on vous destine? son nom! son nom!..

– Mon ami, votre colère m'épouvante; ce nom, je ne vous le dirai pas. Mais, croyez-moi, ne m'accusez pas, j'ai résisté, je résisterai encore; dût-on me traîner à l'autel, on ne m'arrachera jamais le: Oui! fatal qui doit m'enchaîner à un autre.

– Oh! merci, mille fois merci! mais que devenir, que devenir?..

– Je ne suis qu'une femme, Olivier, c'est à vous de voir, d'aviser. Quoi que vous décidiez, je vous obéirai sans hésitation, dussé-je être perdue après. Doutez-vous encore de mon amour? Mais adieu, mon absence pourrait être remarquée; adieu… et à demain…

Et elle s'éloigna, laissant Olivier foudroyé.

– Voir, aviser, se disait-il, quel parti prendre? Aviser à quoi? Que puis-je, moi, faible, isolé, sans amis?..

Dans ces perplexités, il résolut de consulter Cosimo. Après lui avoir fait jurer un secret absolu, il lui raconta l'histoire de ses amours.

Le vieux domestique sourit; depuis très longtemps il savait aussi bien que son jeune maître ce grand secret que lui arrachait la douleur.

– Et maintenant, fit Olivier en terminant, que me conseilles-tu de faire?

– Par ma foi, monsieur, la chose ne demande pas grande réflexion.

– Comment cela?

– Nous avons de l'or ici, n'est-il pas vrai? une somme assez forte, à ce point que souvent la peur des voleurs me prend. Eh bien, envoyez le vieux Cosimo vous acheter une bonne voiture; mettez de l'or dans vos poches, des pistolets dans vos fontes, une bonne lame dans votre fourreau, et…

– L'enlever!..

– Vous l'avez dit, monsieur.

– Et après?..

– Comment, après? Ah! j'en ai beaucoup vu des enlèvements, mais je n'ai jamais vu les amoureux embarrassés après; avant, je ne dis pas.

– Mais où la conduire?

– Le monde est grand, monsieur.

– Non! s'écria Olivier avec violence, non! tu me conseilles une méchante action. Jamais je ne saurais me résoudre à perdre d'honneur celle que j'aime; jamais!..

– Alors, monsieur, laissez-la épouser l'autre.

– Tais-toi, malheureux! vociféra Olivier furieux, tais-toi!

Et il courut chez messire de Mondeluit, pensant y trouver un bon conseil.

Le magistrat travaillait dans son cabinet lorsque se présenta le jeune homme.

– Je viens vous prier, mon maître, lui dit-il d'un ton solennel, de bien vouloir m'entendre et me prêter votre assistance; il s'agit d'un acte qui doit influer sur ma vie entière, et je me reprocherais d'avoir pris une détermination sans vous consulter.

M. de Mondeluit parut extrêmement surpris de ce solennel exorde; il repoussa vivement les papiers amoncelés devant lui et, attirant un fauteuil au coin de sa cheminée:

– Parlez, dit-il, je vous écoute.

Le malheureux amant recommença le récit de ses amours et de ses malheurs.

Mais, à mesure qu'il parlait, le front de son auditeur se faisait froid et sévère; par instant même, il haussait les épaules.

C'est qu'en effet le digne magistrat ne comprenait rien à ce qu'il entendait. C'était assurément le meilleur et le plus honnête des hommes, mais le mot amour avait toujours été pour lui vide de sens.

Même, il n'était pas fort éloigné de croire que tous les sentiments dont il avait entendu parler quelquefois étaient une pure invention des poètes.

Lorsqu'il avait eu vingt-cinq ans, son père, qui avait quatorze bonnes mille livres de rentes, lui avait présenté la fille d'un de ses collègues, qui possédait, de son côté, dix-huit mille livres de revenus.

La jeune fille n'était ni laide ni jolie: elle passait pour une excellente femme de ménage; le jeune homme jouissait d'une excellente réputation; les préliminaires ne furent pas longs.

On leur mit la main dans la main, on les conduisit à l'église, et ils furent mari et femme. Le soir, il y eut grand dîner, et voilà…

De ce premier jour de noce le souvenir qui était resté le plus présent à l'esprit de M. de Mondeluit était celui de ses souliers.

Qu'y faire? Il avait mis ce jour-là de magnifiques escarpins à boucles d'or tout flambant neufs, et ils lui meurtrirent horriblement les pieds toute la journée.

Aussi, avec quelle impatience il attendit le soir pour retirer les chaussures maudites!..

Depuis, il avait aimé sa femme fidèlement, loyalement; il en avait eu deux enfants, une fille et un garçon, et il ne pensait pas que personne pût aimer autrement que lui.

L'histoire que lui racontait son secrétaire lui semblait donc la plus invraisemblable, la plus folle, la plus grotesque du monde. A part soi il pensa que le jeune homme avait l'esprit légèrement détraqué. Autant eût valu essayer lui faire traduire le Koran.

Lorsque Olivier eut fini:

– Mon cher enfant, dit-il, avez-vous fait bien attention aux conclusions du procès que je vous confiai hier soir?

– Mais, monsieur, dit Olivier, de grâce, donnez-moi votre avis…

– Je pense que ces conclusions sont d'autant plus remarquables…

– Oh! monsieur! pouvez-vous vous jouer ainsi de mon malheur!..

– Quoi! mon enfant, quel malheur!

– Mais celle que j'aime, monsieur, mademoiselle Hanyvel.

– Eh bien?

– A quoi me déterminer?

– Mais, dit sévèrement le magistrat, à l'engager à épouser celui que son père lui a choisi pour elle: je ne pense pas que vous avez des prétentions à sa main?

– Pourtant, monsieur…

– En auriez-vous, par hasard? Alors allez trouver messire Hanyvel de Saint-Laurent et faites votre demande. Il vous mettra à la porte, j'imagine, et raison il aura. Qu'en pensez-vous?..

– Mais je l'aime, monsieur! s'écria le pauvre Olivier; je l'aime à en mourir, et, à tout prix…

– Prenez-y garde, continua le magistrat en élevant la voix, ne vous mettez pas la cervelle à l'envers et ne faites pas d'imprudence; il me serait pénible, ajouta-t-il, d'être réduit à aller vous rendre visite en prison.

Ce chemin-là ne conduit pas au parlement. Et maintenant, adieu; j'ai à travailler, et vous m'avez l'air trop mal disposé pour être en état de m'aider. Surtout, n'oubliez pas les conclusions.

Olivier sortit désespéré. Il songeait à adopter le parti proposé par Cosimo, lorsqu'il se souvint d'un jeune lieutenant aux gardes, le chevalier de Tancarvel, avec lequel il avait fait, dans le temps, plus d'une partie de paume, et dont il aimait le caractère.

 

– Celui-là, au moins, pensait-il, ne se moquera pas de moi comme ce mécréant de conseiller.

Il se dirigeait donc vers le Louvre, pour savoir, des soldats de garde, l'adresse de son ami, lorsqu'il eut le bonheur de le rencontrer devant Saint-Germain-l'Auxerrois.

Le chevalier, qui l'avait aperçu le premier, courut vers lui, les bras ouverts:

– Eh! palsambleu, cher ami, dit-il en l'embrassant, quelle heureuse rencontre! Vous vous faites, savez-vous, diablement rare depuis quelques mois. Si encore on avait su où se trouve votre logis.

– Merci, chevalier, commença Olivier, croyez…

– Mais, corbleu! mon cher, plus je vous regarde et plus il me semble… mais, vraiment, vous avez une mine de catafalque. Ah ça! il vous est donc arrivé malheur?..

– Un grand malheur! chevalier, c'est pour cela que je suis venu vous trouver…

– Et vous m'en voyez ravi; merci, cher ami, d'avoir fait fonds de moi. Que vous faut-il? Ma bourse, mon épée…

– Hélas, non!

– Quoi donc, alors? demanda le chevalier, surpris qu'on pût désirer autre chose.

– Je voudrais un conseil…

– Pardieu! cela tombe bien! Mon sac aux expédients est plus plein que mon sac aux pistoles; donc, vous disiez…

Et le chevalier prit une pose commode, comme un homme qui se prépare à écouter longtemps avec attention.

Pour la troisième fois depuis le commencement de la soirée, Olivier reprit le roman de ses amours, en ayant soin, cette fois, d'omettre certains détails et de dénaturer les noms.

Le chevalier ne le laissa pas finir: la phrase qu'il commença ressemblait étrangement à celle de Cosimo.

– Avez-vous de l'or, cher ami? Alors, envoyez votre ami le chevalier de Tancarvel acheter une voiture…

– Je ne veux pas d'un enlèvement, dit Olivier, parce que je ne veux pas déshonorer celle que j'aime; et c'est pour trouver autre chose que je me suis adressé à vous, homme de ressource.

– Soit; cherchons, cher ami, dit le chevalier. Mais ne pensez-vous pas que nous chercherions tout aussi bien ailleurs qu'ici, dans certain petit cabaret, par exemple, que je connais, à deux pas d'ici? C'est étonnant comme le vin d'Anjou me donne des idées!

– Allons, soupira Olivier.

Il avait trouvé le magistrat trop austère, il craignait que son nouveau confident ne prît les choses trop légèrement.

Lorsque les deux jeunes gens furent attablés et qu'une bouteille eut été aux trois quarts vidée:

– Je crois, cher ami, commença le chevalier, que je tiens votre moyen.

– Oh! parlez, parlez vite, je vous en prie.

– L'enlèvement vous chagrine à cause du scandale?

– Je l'avoue.

– Cependant vous ne seriez pas fâché de soustraire votre amie à l'autorité paternelle.

– C'est précisément là la situation.

– Eh bien! cher ami, il ne faut pas enlever votre jeune fille, il faut simplement l'aider à quitter la maison de son père.

– Mais c'est, il me semble, la même chose.

– Oh! que non, comme vous allez voir. Votre maîtresse peut-elle sortir quand elle veut?

– Par la porte, non. Mais le jardin est fermé en un endroit par des planches; on peut en scier deux.

– Très bien. Supposez que demain votre beauté se tienne ce raisonnement: La maison de mon père est mondaine; j'y compromets mon âme et mon salut. Y rester davantage serait un péché; il est de mon devoir de me retirer dans un couvent. Mais si je demande l'autorisation de mon père, dans son amour aveugle, il me la refusera; je vais donc la prendre.

– Oh! quelle idée!..

– Attendez donc… Que fait votre maîtresse alors? Elle fait un tout petit paquet de ce qu'elle veut emporter et se dirige vers la clôture de planches, elle en scie deux: la voilà dehors.

Par hasard, à deux pas se trouve le carrosse de deux gentilshommes, de vous et de moi, par exemple. Ils ont donné ordre au cocher de les attendre.

Votre jeune fille va droit au cocher et lui propose de la conduire en tel couvent.

Le cocher refuse, elle lui donne un louis; il refuse encore; elle lui en donne deux, trois, quatre, dix, vingt, jusqu'à ce qu'il accepte. Peut-être consentira-t-il dès le premier.

Arrivée au couvent, elle demande la supérieure, lui déclare qu'elle est riche et qu'elle a fui la maison paternelle pour entrer en religion dans sa communauté qu'elle veut enrichir de ses vertus et de sa fortune; on la reçoit à bras ouverts…

Et son père, fût-il prince du sang, ne l'en tirerait pas si elle ne voulait pas. Or, son père n'est pas prince du sang.

– Pas le moins du monde, répondit Olivier qui se sentait renaître.

– Alors elle restera au couvent tant qu'elle voudra. Elle s'y ennuiera peut-être un peu, mais en menant rondement le siège du père on aura vite son consentement pour votre union.

– Mon ami, s'écria Olivier, en sautant au cou de M. de Tancarvel, vous me sauvez la vie! Demain, votre plan sera exécuté. Je compte sur vous pour m'aider…

– Comment donc! à la vie et à la mort! A propos, vous êtes gentilhomme?

– Hélas! murmura Olivier déconcerté et rougissant jusqu'aux yeux, je ne suis qu'un enfant trouvé.

– Tout au mieux alors: enfant trouvé! mais vous pouvez être le fils de S. M. Louis XIV. Mais, dites-moi, nous allons aller souper, je pense?

Olivier ne pouvait faire autrement que d'inviter son confident intime, son sauveur. Il fit bruire gaiement les pièces d'or dont, à tout hasard, il avait empli ses poches.

– Vous êtes un ami divin, dit le chevalier. Çà, suivez-moi et préparez-vous à passer une joyeuse nuit en attendant l'aventure de demain; aventure incomplète pourtant.

– Et en quoi, mon cher chevalier?

– C'est qu'en vérité j'ai beau chercher, je n'y vois aucune chance de donner ou de recevoir un coup d'épée. Il faudrait pour cela un grand hasard.

IX
CATASTROPHE

Olivier ne tarda pas à se repentir d'avoir suivi son nouveau conseiller. Du moment, en effet, où le chevalier eut mit sa main dans la main du jeune amoureux, en lui disant: «A demain les affaires sérieuses,» il sembla n'avoir plus qu'un souci: tuer le temps d'une façon joyeuse, en attendant l'heure décisive.

Successivement le chevalier conduisit son jeune ami souper dans un cabaret à la mode; puis, jouer chez des marquises de contrebande, qui vivaient autant du tapis vert que de l'amour.

La tête basse, le cœur bien gros, l'esprit inquiet, Olivier se laissait entraîner; il devenait plus triste, à mesure que la joie et la bonne humeur du chevalier augmentait.

M. de Tancarvel semblait ne se pas sentir d'aise. Au souper tous les mets avaient été de son goût, et il avait fêté les vins outre mesure.

Au jeu, l'ange gardien de la chance était venu s'asseoir près de son fauteuil, et chaque coup de cartes augmentait le tas d'or amoncelé devant lui.

– Vous me portez bonheur, très cher, disait-il à Olivier, et désormais, je le déclare, je ne vous quitte plus; cette heureuse veine nous promet la meilleure chance pour demain; rassurez-vous donc et quittez cet air lugubre.

Mais Olivier ne se rassurait pas. Le jour se levait, faisant pâlir la lueur des bougies et M. de Tancarvel ne semblait nullement disposé à quitter la table de jeu.

– Chevalier, dit le jeune homme, de guerre lasse, je me retire, vous semblez avoir complètement oublié le service que vous deviez me rendre aujourd'hui.

– Eh quoi! cher ami, répondit M. de Tancarvel d'un air surpris, vous voudriez partir déjà! Notre expédition est pour ce soir à la nuit, et à peine le jour se lève.

Songez-vous que nous avons encore douze heures devant nous, une journée entière! Savez-vous où dépenser le temps plus agréablement qu'ici?

Nous allons quitter le jeu, j'y consens, mais pour aller déjeuner, et, vive Dieu! je suis l'amphitryon: qui m'aime me suive!

Ce disant, le chevalier empocha une forte somme amassée devant lui, et, ceignant une épée, sortit en entraînant une partie de la compagnie.

Le jeune amoureux se résigna, et si bien qu'à quatre heures de l'après-midi il était encore à table près du chevalier. Cette journée lui avait semblé mortelle, il accusait le temps de rester en chemin.

Mais si la tristesse et l'inquiétude d'Olivier s'étaient accrues, en revanche la gaieté de son conseiller ne connaissait plus de bornes, même il était à peu près ivre, et n'avait, en apparence, conservé aucune conscience de son état.

Déjà Olivier maudissait sa faiblesse; il se repentit amèrement de n'avoir pas agi seul.

– Qu'avais-je besoin, se disait-il, de l'assistance de ce fou? Me fallait-il donc un aide pour mener à bonne fin le plan qu'il m'a indiqué? J'ai passé une nuit et une journée atroces, à quoi bon? Voici que mon conseiller et soi-disant ami peut à peine se tenir debout.

Avant une demi-heure il va se laisser glisser sous la table, si on ne le porte à son lit.

Allons, n'hésitons plus, partons.

Mais comme il se levait, le chevalier en fit autant.

Au hasard, il prit une bouteille, et, remplissant son verre:

– Cette santé est la dernière, dit-il, je bois aux amours de mon jeune ami; qui refuserait de me faire raison?

Personne ne refusa.

Les verres se remplirent et se choquèrent.

– Et à présent, continua M. de Tancarvel en prenant son épée, au revoir, messieurs, et à bientôt!

Puis, appelant l'hôte, il régla la dépense avec le plus grand sang-froid. Il avait demandé de l'eau, il se lava la figure et les mains, rajusta ses dentelles, frisa sa moustache, et du ton le plus dégagé du monde:

– Maintenant, cher ami, dit-il à son compagnon, je suis tout à vous, hâtons, si nous voulons arriver à temps.

Le vertueux et sage secrétaire de M. de Mondeluit ne revenait pas de sa surprise. Il ne comprenait rien à cette subite transformation. Sa stupéfaction se lisait si bien dans ses yeux, que, tout en descendant l'escalier, le chevalier ne put s'empêcher de lui en faire la remarque.

– Ah ça! lui dit-il, vous supposiez donc que j'étais ivre et que je vous avais oublié?

– Ma foi, je dois vous avouer que vous avez deviné.

– Allons, mon cher compagnon, vous êtes jeune encore, sachez que, nous autres soldats, nous savons faire la part du plaisir et la part du devoir: je m'étais dit: Je puis boire et tout oublier jusqu'à quatre heures sans le moindre inconvénient; il est quatre heures, j'ai repris tout mon sang-froid et me voici prêt à vous servir.

Moins de deux heures après, les deux amis s'étaient procuré une voiture et en descendaient à quelque distance de la brèche du jardin de Hanyvel.

Alors une dernière fois ils convinrent de leurs faits.

Olivier voulait mettre le cocher dans la confidence et lui dire que dans quelques instants une jeune fille viendrait sans doute lui demander le carrosse; le chevalier s'y opposa.

– Le cocher pourrait nous trahir, dit-il, si jamais on faisait une enquête; puisque nous sommes parfaitement certains que quelques louis triompheront de tous ses scrupules, à quoi bon nous exposer à son indiscrétion ou à sa bêtise?

Olivier dut convenir que son ami avait raison, et tous deux, ayant donné l'ordre au cocher de les attendre, s'approchèrent de la palissade qui fermait la brèche.

En un instant, le chevalier eut examiné la disposition des lieux.

– Une évasion est la chose du monde la plus facile, prononça-t-il alors, et si vous êtes sûr de la bonne volonté de votre maîtresse…

– Elle m'a dit que, pour la sauver d'un mariage qui faisait son désespoir, elle s'en remettait entièrement à moi.

– Alors tout est pour le mieux. Mais comme il ne faut pas s'exposer à lui faire perdre une minute, nous allons tout préparer pour sa fuite rapide. Vous avez apporté quelque outil, je présume?

– Le voici.

– Très bien, cher ami. Maintenant, faites le guet, afin que je ne puisse être surpris; je vais couper adroitement les planches, de façon qu'au dernier moment nous n'aurons qu'à y donner un coup de pied pour ouvrir un passage.

Olivier obéit. Au bout de quelques minutes son compagnon le rappela.

– Tout est fini, lui dit-il.

Alors il fut convenu que lorsque la jeune fille paraîtrait, le chevalier se retirerait afin de ne pas augmenter sa confusion.

Il devait même se cacher et ne se montrer que si quelque danger pressant menaçait la fugitive.

Tous deux s'assirent alors sur une grosse pierre qui touchait presque le mur, et ils attendirent.

Mais les heures s'écoulaient et rien n'annonçait la présence d'Henriette.

La nuit était venue depuis longtemps, le couvre-feu ne pouvait tarder à sonner.

Durant cette longue attente, le chevalier n'avait pas donné le moindre signe d'impatience; au contraire, il s'était efforcé de calmer les douloureuses inquiétudes de son ami.

 

– C'en est fait, chevalier, disait le pauvre Olivier en se tordant les mains de désespoir, à cette heure elle appartient à un autre, au dernier moment elle n'aura pas eu la force de résister.

– Voyons, répondit le chevalier, ne vous désolez pas ainsi, que diable! On ne se marie pas à cette heure, elle est retenue sans doute près de sa famille et ne s'inquiète pas moins que vous, attendons…

Enfin, n'y tenant plus:

– Je veux en avoir le cœur net, dit Olivier.

Et sans écouter les remontrances de son ami, au risque de se blesser aux verres qui hérissaient la crête du mur, Olivier s'élança dans le jardin.

Le chevalier se hissa à son tour sur le mur, prêt à voler au secours de son compagnon.

Sans doute il s'était dirigé vers la maison dont on apercevait les lumières au travers des arbres, car M. de Tancarvel eut beau prêter l'oreille, il n'entendit plus même le bruit de ses pas. Il allait, lui aussi, sauter dans le jardin, lorsque Olivier reparut.

Sans prononcer une parole, avec une agitation fébrile, il franchit de nouveau le mur, tendit la main au chevalier pour l'aider à descendre, et lui prenant le bras:

– Mon ami, lui dit-il, courons vite, il se passe quelque chose d'extraordinaire.

– Qu'avez-vous? vous êtes pâle, ému…

– Je n'ai rien vu qui puisse donner raison à mes craintes; mais, j'en suis sûr, mes pressentiments ne me trompent pas. Je serais entré dans la maison, par malheur les portes et les fenêtres donnant sur le jardin sont fermées.

Mais j'ai prêté l'oreille, j'ai entendu des bruits confus, des cris, des sanglots, des voix épouvantées, un horrible malheur est arrivé, croyez-moi.

Puis, j'ai regardé aux fenêtres des étages supérieurs, j'ai vu des lumières aller, venir; on courait, on montait, on descendait; elle aura résisté, chevalier; son père aura voulu la contraindre, employer la violence, et dans l'égarement de son amour pour moi, elle aura attenté à ses jours.

A cette heure peut-être, ma pauvre Henriette n'est plus.

Ainsi parlait Olivier, tout en entraînant son ami vers la rue où s'ouvrait la porte de l'hôtel d'Hanyvel; le chevalier, qui n'avait jamais vu désespoir pareil, avait peine à le suivre.

Il n'essayait, du reste, aucune consolation. Il comprenait qu'il avait sous les yeux une de ces douleurs immenses qui, lorsqu'elles ne tuent pas, n'ont que le temps pour remède.

Sans s'en rendre compte, et tant est grande l'influence contagieuse d'un sentiment profond et vrai, le chevalier avait fini par partager les craintes de son ami. Il était plus ému certainement qu'il ne l'avait jamais été pour son propre compte.

Comme pour donner raison aux pressentiments d'Olivier, la porte de l'hôtel d'Hanyvel était ouverte à deux battants.

Sous le vestibule, resplendissant de lumières comme pour une fête, on n'apercevait pas un seul valet, la porte du suisse était ouverte également, mais la loge était déserte.

– Vous le voyez, dit Olivier d'une voix éteinte, je ne me trompais pas.

– Et personne à interroger…

– A quoi bon? je ne sais que trop la nouvelle que je vais apprendre.

– A tout hasard, entrez, conseilla M. de Tancarvel, peut-être trouverez-vous quelqu'un dans l'escalier, je vais vous attendre ici.

– Quand je devrais de vive force pénétrer dans le cabinet d'Hanyvel, je saurai…

Et Olivier s'élança dans le vestibule, puis dans l'escalier.

Mais il n'avait pas franchi dix marches, qu'une femme se soutenant à peine, vint presque tomber près de lui.

Instinctivement Olivier ouvrit les bras pour la retenir, il y réussit.

Elle était à demi évanouie. Il put la regarder un instant: elle semblait avoir de trente-cinq à trente-six ans, elle était petite, admirablement jolie encore; sa robe, de riche étoffe, laissait voir de ravissantes épaules…

Elle murmurait des paroles incohérentes, comme poursuivie par la vue d'une scène qui l'aurait terriblement effrayée.

– Quel malheur!.. Ah! c'est horrible!.. mourir ainsi…

Olivier n'était guère moins agité que l'inconnue, les paroles qu'il entendait ne répondaient que trop aux horribles pressentiments qui déchiraient son âme.

Il eût donné un an de sa vie pour une parole de cette femme.

Enfin elle sembla revenir à elle. Elle leva sur Olivier ses yeux égarés, fit un violent effort pour rappeler ses souvenirs; puis tout à coup:

– Qui êtes-vous, monsieur? demanda-t-elle, et comment vous trouvez-vous ici me soutenant?

En deux mots Olivier lui dit ce qui venait de se passer.

– Ah! c'est vrai, dit-elle, malheureuse! j'oubliais, ah! c'est horrible… Monsieur, soyez assez bon pour me conduire à mon carrosse, qui doit m'attendre au détour de cette rue.

– Madame, au nom du ciel! interrogea Olivier en lui offrant son bras, de quel malheur parlez-vous, qu'est-il arrivé?..

– Ah! une horrible catastrophe… répondit l'inconnue, et elle se tut.

Parvenus au vestibule, Olivier aperçut le chevalier appuyé contre un des battants de la porte; il marcha rapidement vers lui, et se dégageant du bras de l'inconnue:

– Mon ami, lui dit-il, je te confie madame, qui s'est confiée à moi.

Et il s'éloigna, mais non si rapidement qu'il ne pût voir M. de Tancarvel s'incliner courtoisement devant la jeune femme, la saluer comme une personne de connaissance et lui offrir son bras.

Cependant Olivier avait repris l'escalier, devant lui toutes les portes étaient ouvertes, les appartements étaient resplendissants de lumières, mais pas un convive, pas un valet.

Un silence de mort régnait dans l'immense hôtel et succédait au tumulte que le jeune homme avait cru entendre lorsqu'il avait pénétré dans le jardin.

Et pourtant il avait dû y avoir une fête, de nombreux invités; mille témoignages irrécusables étaient là pour le prouver.

Un instant, Olivier s'arrêta dans une antichambre; pour mieux écouter, il retint sa respiration: rien, il n'entendait que les battements insensés de son cœur.

Il traversa alors rapidement un salon d'attente, mais une indicible horreur le cloua sur le seuil de la pièce qui suivait.

C'était la salle à manger. Là éclatait, terrible, le témoignage de quelque affreux accident.

De tous côtés, une inexprimable confusion: les meubles dispersés, les fauteuils renversés, les tentures arrachées et déchirées.

Sur la table, dressée au milieu de la pièce, le désordre était incroyable et plus éloquent encore.

Les cristaux précieux, les porcelaines, les pièces de vermeil, tout était renversé pêle-mêle, les candélabres, chargés de bougies, avaient été jetés bas; quelques bougies brûlaient encore: l'une d'elles avait mis le feu à la nappe, qui se consumait lentement.

A terre, mille débris divers, de porcelaines mises en pièces, de bouteilles brisées…

Tandis qu'Olivier, le front mouillé de terreur et d'anxiété, considérait ce spectacle étrange, il entendit un bruit de pas précipités. Il entra dans la salle pour laisser le passage libre. Un valet parut, qui courut à lui.

– Monsieur, lui dit cet homme, sur votre vie, hâtez-vous, venez…

– Comment, moi!.. Savez-vous à qui vous parlez?..

– Quoi!.. vous n'êtes pas le chirurgien?

Olivier secoua négativement la tête…

– Eh! que ne le disiez-vous tout de suite! s'écria le domestique, et il disparut en courant.

Les derniers mots que put entendre le jeune homme furent ceux-ci: «Il sera trop tard.»

Le désespoir de l'infortuné était alors à son comble, mais l'excès même de sa douleur lui rendit quelques forces et un peu de courage.

– Allons, se dit-il, mon sort est décidé maintenant, elle est morte.

Morte, et c'est mon amour qui l'aura tuée. Moi aussi, je puis dire comme ce laquais, trop tard! trop tard! mais, au moins, je veux la revoir une dernière fois.

Je veux encore coller ma lèvre contre sa main raidie par le trépas. Sans doute ses parents, en me voyant paraître, me demanderont qui je suis, de quel droit je viens troubler leur douleur, mêler mes larmes à leurs larmes, peut-être ils voudront me faire chasser…

Cette pensée le fit hésiter un instant.

– Mais non, reprit-il, après une douloureuse réflexion, il faut que je la voie encore.

– Qu'ai-je à craindre d'ailleurs? Est-ce que la vie m'est quelque chose! Oui, je veux m'agenouiller près d'elle, lui dire un dernier adieu et mourir aussi… Et malheur à qui viendrait m'arrêter!..

Et saisissant un couteau de table, il s'avança vers la porte qui donnait dans les appartements intérieurs, lentement, automatiquement, tout d'une pièce, comme un cadavre.